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| Sasa Stanisic [Allemagne] | |
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+8Marie Chatperlipopette Arabella Marko kenavo kathel Aeriale coline 12 participants | |
Auteur | Message |
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Aeriale Léoparde domestiquée
Messages : 18120 Inscription le : 01/02/2007
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Mar 21 Oct 2008 - 10:17 | |
| Le soldat et le gramophone-C'est l' histoire d'un enfant qui s'accroche à ses rêves. Une belle histoire foisonnante et complexe qui se balade entre souvenirs et réel, mais un réel toujours magnifié ou du moins transformé parce que l'enfant qui le narre en a fait la promesse à son grand-père - Citation :
- "Nous nous étions fait une promesse d’histoires[...] ne jamais arrêter de raconter.
Kathel parle de Kusturica et bien sûr on y pense. On y trouve la même inventivité, la même poésie délirante, les sons les couleurs. Un univers à la fois tragique et drôle parce qu'on nage parfois en plein loufoque. Ici tout a une âme, la rivière, les poissons, les personnages sont atypiques, et se passionnent autant pour un match de foot que pour l'inauguration de nouveaux wc, le dernier jeu vidéo ou le championnat de pêche, alors qu'en toile de fond gronde une guerre fratricide. Car bien sûr, derrière le rire et la fantaisie, le propos est grave et c'est ce qui rend son témoignage profondément attachant. Cette enfance stoppée net le jour où Carl Lewis devient champion du monde et que le grand père adoré expire son dernier souffle, Aleksandar tente de la retranscrire par petites bribes aussi déroutantes que drôlissimes, mais l'horreur n'est jamais loin et le rire se coince. J'avoue pourtant, j'ai eu du mal à suivre le fil ... S'enchevêtrent anecdotes, lettres ou flash backs, si bien que l'on finit par se perdre et s'essouffler. Mais il réapparaît alors que l'on ne s'y attend le moins et tout cela redonne vie à une anecdote ou un personnage que l'on croyait enterrés. Le Soldat et le gramophone n'en finit pas de surprendre, et son récit porte les marques de la jeunesse: il bouillonne, pétille, s'égare parfois mais surtout sonne juste et très sincère. Il faut juste savoir écouter sa musique! Comme ici où il prête une voix à sa rivière, la Drina - Citation :
- Le Rzav c'est un monsieur élégant concède-t'elle en jouant autour des rochers, comme elle parlerait d'un collègue, malgré sa manière de s'abandonner à chaque printemps à ses accés de colère et de sortir de son lit. Elle ajoute que le barrage lui ferme la bouche, car s'écouler à flots rapides, c'est la même chose que crier très fort. Elle l'avoue, oui elle connait la peur. Elle défie le froid de l'hiver et les pluies de l'automne ne la bouleversent pas, mais elle a peur que les coups de feu nous contaminent nous aussi et nous donnent la guerre. Elle se plaint au rocher , elle en a subi des guerres, plus horribles les unes que les autres. Elle en a charrié des cadaves, et tant et tant de ponts qui ont sauté reposent pour toujours au fond de son lit. Je dois la croire, dit-elle, et ses eaux se troublent sur la rive, rien au monde ne souffre tant qu'une pierre de pont privée de son pont.
En plus elle n'a jamais réussi à se cacher et n'a jamais pu fermer les yeux devant aucun crime. Disant cela, elle écume de colère, je n'ai même pas de paupières! Je ne connais jamais le sommeil, je ne peux sauver personne, je ne peux rien empêcher. Je veux me cramponner à la rive, mais je ne peux rien retenir, je suis un agrégat affreux! Une longue vie durant, pas de mains! Quand je tombe amoureuse, je n'embrasse pas, et quand je suis heureuse, je n'enfonce pas les touches de l'accordéon. Oui Aleskandar, en voilà du regard, du regzard en pure perte. Et puis cette phrase toute simple et si jolie! - Citation :
- On devrait inventer un rabot honnête qui saurait débarrasser les histoires de leurs copeaux de mensonges et les souvenirs de l'illusion. Je serais un collectionneur de copeaux.
Mais il y en a tant qu'il faudrait le relire par petits bouts... | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Mar 21 Oct 2008 - 12:16 | |
| - aériale a écrit:
- Le soldat et le gramophone-
J'avoue pourtant, j'ai eu du mal à suivre le fil ... S'enchevêtrent anecdotes, lettres ou flash backs, si bien que l'on finit par se perdre et s'essouffler. Mais il réapparaît alors que l'on ne s'y attend le moins et tout cela redonne vie à une anecdote ou un personnage que l'on croyait enterrés.
Le Soldat et le gramophone n'en finit pas de surprendre, et son récit porte les marques de la jeunesse: il bouillonne, pétille, s'égare parfois mais surtout sonne juste et très sincère.
Il faut juste savoir écouter sa musique!
- Kathel a écrit:
- Il faut s’accrocher à certains passages, sans fil conducteur apparent pour nous guider, mais la magie, c’est que plus on avance dans la lecture, plus on adore ce roman, et que le fil est retrouvé soudain.
C'est peut-être cet aspect brouillon et foisonnant qui m'a évoqué le plus Kusturica... Au moment où l'on croit perdre le fil, on est rattrapé soudain et embarqué à nouveau...Maintenant que vous êtes bien prévenus...faites confiance...laissez vous emporter... | |
| | | Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 22 Nov 2008 - 15:52 | |
| Le soldat et le gramophone Aleksander, le narrateur de ce roman, qui ressemble terriblement à l'auteur, nous conte de sa façon la guerre en ex-Yougoslavie. Son enfance enchanté, en particulier grâce à son grand-père, cadre du parti communiste, et inventeur de vie. Et puis la fin de tout cela, la guerre et ses horreurs, et enfin un triste exil en Allemagne, et voyage de retour, dans un univers qui avait trop changé pour ne pas être surtout amer. L'histoire est très touchante et il est visible que l'écrivain y a mis le meilleur de lui-même. Je n'aurais sans aucun doute jamais lu ce livre sans les Parfumés, et cela aurait été dommage, car c'est un beau et touchant récit, d'un gamin à qui on a volé la fin de son enfance. J'ai été un peu moins charmée par l'écriture, et en particulier par les nombreuses répéptitions que font un peu redondant par moment. J'ai ausssi un peu decroché au début de la deuxième partie du livre, quand Aleksandar jette un peu en vrac ses différents souvenirs, sans lien apparent entre eux, et j'ai trouvé qu'il y avait là un peu trop de redites. Mais le roman retrouve son intérêt après le retour d'Aleksandar dans sa ville. | |
| | | Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 22 Nov 2008 - 17:44 | |
| Le soldat et le gramophone Un jeune garçon, Aleksandar, raconte la vie en Yougoslavie avant le déferlement des bombes et de la folie des hommes. Nous sommes dans une petite ville, Visegrad,où les Serbes et les Bosniaques vivent en voisin, où ils se disputent joyeusement, où ils s'unissent par les liens sacrés du mariage, où ils ont des enfants, où ils travaillent et bâtissent un avenir sous la houlette invisible du portrait de Tito. Visegrad, une petite ville qu'un pont relie, un pont sur lequel des milliers de pas ont marché (et usé les pierres) ou se sont arrêtés pour regarder les poissons, ces étranges silures qui gobent avec gourmandise les crachats des enfants. La vie s'écoule tranquillement, paisiblement à l'image de la Drina qui glisse entre les piliers du pont. La vie d' Aleksandar se partage entre l'école, la pêche, les promenades aux côtés de son grand-père Slavko, les sorties avec les Pionniers, les discours de Slavko devant les membres du Parti, les balades avec Edin, son alter ego, dans un silence où tout se dit. Puis, un jour l'incompréhensible survient: le bruit de la fureur et des armes des hommes retentit dans le lointain, s'approchant de jour en jour de Visegrad; ils s'entredéchirent alors que récemment encore ils travaillaient, vivaient et aimaient ensemble. Voilà venu le temps de la terreur des séjours prlongés à la cave, là où les noms n'ont pas d'importance, là où les noms ne font pas disparaître les personnes qui les portent. Il y a l'arrivée des bombes, de la violence, des soldats qui terrorisent, arrêtent, torturent, mutilent, tuent ou exécutent celui ou celle dont le nom n'a pas la bonne consonnance. Il y a une fillette, perdue sans ses parents, égarée dans ce tableau sombre et rougeoyant: elle a des boucles et des yeux clairs, elle s'appelle Asija et porte un nom musulman. Il y a la musique glaçante de l'interrupteur des escaliers et des fusils mitrailleurs dansant sur les rampes; elle sonne le glas du vivre ensemble, craquèle le vernis de civilisation qui enrobe l'être humain. Mais les jeux d'enfants sont plus forts que la peur: la grille de la cave laisse échapper les intrépides le temps d'aller récupérer un journal au kiosque abandonné...les mères n'en n'ont rien su, les galopins deviennent adultes avant l'heure. La famille d' Aleksandar est à l'image de l'ex-Yougoslavie: une myriade de visages, de personnalités, de caractères plus trempés les uns que les autres, d'ethnies, d'insouciance, d'amour de la vie et de ses beautés derrière le labeur quotidien. Les grands-mères sont joyeuses même si le silence, personnage important du roman, est devenu l'expression d'une d'entre elles. Elles sont la chaleur des racines véhiculant la sève des souvenirs familiaux; avec les grands-pères et les arrière-grands-parents, elles sont la mémoire d'un pays morcelé qui a su aussi bien s'unir que se déchirer. On déguste, en leur compagnie et aux côtés d'Aleksandar, les prunes dans le jardin fleurant bon l'été finissant. On goûte le vin sucré, les poivrons farcis, les boulettes de viande hachée, on entend presque le son des musiques endiablées qui marient les notes slaves et méditerranéennes...comme dans un film d' Emir Kusturica. L'écriture de Sasa Stanisic virevolte, sautille entre audace, humour noir, émotion et profonde nostalgie (presque cri de douleur). La guerre civile, ravageuse, apparaît entre deux souvenirs du monde d'avant qui, malgré la baguette et le chapeau de "magicien du possible et de l'impossible" offert par grand-père Slavko, ne peut revivre hormis dans le souvenir et dans l'inlassable narration, récit qui ne doit pas s'éteindre afin que rien ne tombe dans l'oubli. La guerre et ses pieds de nez oscillant entre rires et larmes: la scène, poignante et édifiante, de la partie de football entre miliciens serbs et bosniaques où l'enjeu est la survie si l'on gagne, la mort si l'on perd. Le cadre magnifique d'une forêt séculaire, truffée de mines, apporte la dimension ubuesque et tragique digne de figurer dans un film de Kusturica: le surréalisme atteint son paroxysme. Puis, c'est la scène où dansent des soldats autour d'un gramophone, egrenant les notes d'une chanson traditionnelle, d'avant la déchirure, chantée et dansée par un pays qui n'est plus. La magie, hélas n'existe pas, seul le souvenir garde vivant ceux qui ne sont plus. Les plaies cicatrisent, les survivants se reconstruisent au pays ou à l'étranger, la nostalgie étreint Aleksandar, devenu jeune adulte, à travers un nom, celui d' Asija la petite fille perdue qui versait des larmes à chaque cacophonie. J'ai aimé me perdre dans le dédale de la narration déroutante car protéiforme: les lettres se mêlent aux listes et aux écrits jetés au gré des souvenirs sur le papier. Le tout relevé par la maîtrise de la recréation des ambiances et la transmission des émotions. Ce qui peut étonner est l'absence de description des personnages: on sait ce qu'ils éprouvent, ce qu'ils font mais on ignore à quoi ils ressemblent. Ce flou, savamment entretenu, donne plus de poids au propos, plus de vigueur et de force au récit. Un premier roman très réussi où l'émotion est sans cesse présente et où le plaisir de lire est à chaque page renouvelé. | |
| | | Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 22 Nov 2008 - 17:45 | |
| J'ai beaucoup aimé le côté pêle-mêle embrouillé du récit....j'aime les mélanges et les méandres en littérature | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 22 Nov 2008 - 22:50 | |
| Le soldat et le gramophone a la cote auprès des Parfumés... Qu'on se le dise!... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 22 Nov 2008 - 22:51 | |
| - coline a écrit:
- Le soldat et le gramophone a la cote auprès des Parfumés...
Qu'on se le dise!... Mais pourquoi en ai-je différé la lecture?? Ce sera le prochain! | |
| | | coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
| | | | Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Dim 23 Nov 2008 - 21:43 | |
| C'est donc l'éternelle quadrature du cercle | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Jeu 25 Déc 2008 - 1:04 | |
| Si j'étais magicien du possible et de l'impossible. Les objets pourraient résister, les balustrades, les gramophones, les armes, les nuques, les cheveux tressés. Si j'étais magicien du possible et de l'impossible, les maisons pourraient tenir leurs promesses. Et elles devraient promettre de ne pas perdre leur toit et de ne pas être la proie des flammes. Si j'étais magicien du possible et de l'impossible, les impacts des balles seraient des cicatrices qui se refermeraient au cours des années..
Je crois que vous avez tout dit de ce joli roman, plein d'émotions tues. Car après la mort du grand-père, qu'est ce qui est vraiment dit? Tout est flou, mélangé, émotions, peurs, amours, souvenirs. C'est l'écriture de l'enfant, qui a vu Tito mourir plusieurs fois , et dans sa tête se bousculent beaucoup de choses à raconter absolument pour que rien ne meure tout à fait.. Mais, comme le dit un des chapitres ( j'aime beaucoup ces têtes de chapitre..) Jusqu'où peut-on faire monter les enchères sur son propre souvenir, qui trouve-t-on, qui invente-t-on?
Beaucoup de tendresse dans ces souvenirs autobiographiques, mais aussi beaucoup d'horreurs, simplement évoquées, ou vraiment décrites comme cette atroce scène du match de football, qui ,je suppose, n'a rien d'une invention.. | |
| | | Le Bibliomane Zen littéraire
Messages : 3403 Inscription le : 21/02/2007 Age : 58 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Ven 19 Juin 2009 - 20:21 | |
| "Le soldat et le gramophone"
« Grand-père Slavko a pris mon tour de tête avec la corde à linge de grand-mère, il m'a donné un chapeau de magicien, un chapeau pointu en papier en me disant : En fait, je n'ai pas encore l'âge de ce genre d'âneries, et toi, tu ne l'as déjà plus. Il m'a donné un chapeau de magicien décoré d'étoiles jaunes ou bleues avec des traînes jaunes ou bleues, j'ai ajouté un petit croissant de lune et deux fusées triangulaires découpées dans du papier, l'une pilotée par Gagarine, l'autre par grand-père Slavko. Grand-père, personne ne me verra avec ce chapeau-là ! J'espère bien ! Au matin de sa mort, grand-père Slavko a taillé une badine pour m'en faire une baguette magique en déclarant : Le chapeau et la baguette possèdent un pouvoir magique. En portant le chapeau et en brandissant ta baguette, tu seras le plus puissant magicien du possible et de l'impossible dans l'ensemble des États non-alignés. Ton pouvoir aura une portée révolutionnaire particulière tant qu'il s'exercera en conformité avec les idées de Tito et en accord avec les statuts du Parti communiste yougoslave. Je doutais de la magie, je ne doutais pas de mon grand-père. L'invention, c'est le don le plus précieux, l'imagination, la plus grande des richesses, retiens bien ça, Aleksandar, avait dit grand-père d'un ton grave en me posant le chapeau sur la tête, retiens bien ça et imagine un monde plus beau. Il m'avait tendu la baguette. Je ne doutais plus de rien. »
Le jour où il fait ce cadeau à son petit-fils, grand-père Slavko meurt d'un arrêt cardiaque, au moment même où, à Tokyo, Carl Lewis bat le record du monde du 100 mètres. « Grand-père Slavko est mort en 9 secondes 86, son cœur a couru au coude à coude avec Carl Lewis – le cœur s'est arrêté pendant que Carl fonçait comme un fou. Grand-père cherchait à reprendre son souffles, Carl levait les bras en l'air, avant de se jeter sur les épaules un drapeau américain. »
Aleksandar Krsmanović a un peu plus de dix ans lorsque son grand-père décède. Lui et sa famille vivent près de Višegrad, en Bosnie. Cette disparition annonce malheureusement bien d'autres malheurs dans cette province qui est, pour peu de temps encore, la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. En effet, en 1992, suite aux velléités d'indépendance de cette ancienne province de la République fédérale yougoslave, l'armée yougoslave déclenche les hostilités contre les ressortissants d'origine bosniaque (majoritairement musulmans) et croates (d'obédience catholique). La suite, tout le monde la connaît : une guerre terrible qui se joua à deux heures d'avion de Paris et fut la honte de la communauté européenne et des Nations-Unies. C'est cette période tragique qui nous est racontée ici par Saša Stanišić, dans ce roman en partie autobiographique. Saša Stanišić est né en 1978 et a grandi lui aussi à Višegrad. Comme Aleksandar, le personnage principal de son roman, il est le fils d'un père serbe et d'une mère bosniaque. Comme lui, il va devoir émigrer en Allemagne avec ses parents mais refusera plus tard de les suivre vers les États-Unis. Quand la guerre aura cessé, il reviendra sur les lieux de son enfance afin de retrouver sa grand-mère et tous ceux qui ont de près ou de loin figuré dans la première partie de son existence. Car dans ce roman, si la guerre est bien présente, avec son cortège d'horreurs, c'est surtout sa famille et la communauté de cette ville de Višegrad que Saša Stanišić s'applique à nous décrire. Ce récit fourmille en effet de personnages hauts en couleurs, tous décrits avec une infinie tendresse. C'est le grand-père Slavko, bien sûr, mais c'est aussi Milenko Pavlović, arbitre de football et conducteur de bus à la gachette facile, surnommé le Morse en raison de ses impressionnantes moustaches, qui partira de Višegrad un beau matin après avoir trouvé sa femme en compromettante posture avec le buraliste du quartier, et qui reviendra un an plus tard en compagnie d'une autre mère pour son fils Zoran : Milica, aussi appelée « la Coccinelle ». Ce sont aussi les arrière grands-parents d'Aleksandar qui organisent une fête à tout casser pour inaugurer la mise en fonction de toilettes modernes. Tous les invités se pressent évidemment pour essayer mais c'est à l'arrière grand-père que revient la primeur de s'asseoir en premier sur le trône de faïence, d'autant plus que pour l'occasion il s'est retenu pendant quatre jours ! L'arrière grand-mère d'Aleksandar n'est pas en reste : elle découvre un soir, après avoir regardé Superman à la télévision, une météorite dans son jardin dont elle est convaincue qu'elle est constituée de Kryptonite. Elle fera cuire l'aérolithe dans sa soupe de carottes, et convaincue que celle-ci lui donnera une force au moins égale à celle du super-héros, tentera de déraciner un chêne en lui faisant une prise de judo...
On découvrira ainsi au fil des pages nombre de personnages et de faits tour à tour cocasses et émouvants, relatés sous la plume de Saša Stanišić avec tendresse et poésie. On y verra bien sûr de quelle manière un soldat s'y prend pour réparer un gramophone, mais aussi pourquoi certains silures de la Drina portent des lunettes, comment épouser une rivière, pourquoi les princesses autrichiennes ressemblent toutes à Bruce Lee, combien de fois est mort le Maréchal Tito, pourquoi les petits poissons mordent mieux le matin (surtout quand on leur crache dessus), pourquoi Mr. Spok est privé de vacances à la mer, comment maigrir en faisant un régime à base de prunes et de viande hachée, etc...
Mais tout cela ne doit pas occulter le drame qui s'est joué dans cette partie de l'Europe, avec son cortège de massacres, de pillages, de viols et de destructions. C'est en filigranes que nous sont décrites toutes les atrocités commises lors de cette période et Saša Stanišić nous relate ces faits avec retenue, dignité et sobriété, sans tomber dans le piège du sensationnalisme et du morbide. L'horreur est là, omniprésente, mais elle ne doit pas éclipser les forces de la vie et cette formidable capacité qu'ont tous les personnages de ce roman à surmonter l'indicible. Cet incroyable appétit de vie, c'est ce qui ressort de tous les protagonistes du récit de ce jeune homme d'une trentaine d'années au visage d'adolescent qui nous livre ici un texte d'une qualité exceptionnelle, une œuvre dense et poétique, baroque, poignante, et magique. | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Mer 27 Avr 2011 - 14:06 | |
| Le soldat et le gramophone
Je n’ai pas grand chose de très original à ajouter à ce qui a été dit, seulement des nuances personnelles Immédiatement accrochée par la première scène de la mort du grand-père, qui est magistrale et mérite d’être relue plusieurs fois (elle ferait une formidable nouvelle); puis j’avance dans le récit , émerveillée par ce foisonnement d’humour, de tendresse et de détresse mêlés. Moi aussi j’ai décroché par moment, mais me suis forcée à continuer pour retrouver un peu plus loin un grand plaisir de lecture devant cette richesse créative. Et puis vers la page 300, vraiment perdue (je crois que c’est l’effet recherché, nous faire participer à la perte de repères du héros) j’ai voulu faire une pause et à la reprise, je n’ai plus accroché, l’ennui s‘en est mêlé. Il n’en demeure pas moins que paradoxalement après un arrêt de lecture, c’est un livre que je recommande vivement, qui peut en enthousiasmer plus d’un, avec des thèmes universels traités d’une façon extrêmement personnelle et originale. Je crois que je regrette vraiment de ne pas avoir pu l’aimer complètement, que j’y reviendrai peut-être un jour et que je souhaite vraiment que mes réserves n’arrêtent personne dans son envie de le lire.
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| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Sam 2 Juin 2012 - 13:45 | |
| Le Soldat et le gramophone
C'est donc l'histoire, des souvenirs romancés ? d'un double de l'auteur, Aleksandar, à l'enfance qui suit la fin du communisme et la montée des tensions dans le pays, à l'adolescence marquée par la guerre civile et un départ pour l'Allemagne. Et un retour d'un jeune adulte, allemand ? dans sa ville natale au bord de la Drina.
Le début du bouquin m'a fait un peu peur car il y a une part belle de cucul poético-enfantin très marqué. ça ne disparait jamais complètement mais se mue en une vision plus pop avec l'âge. Toujours est-il que parallèlement à ça il se passe des choses et des choses qui deviennent rapidement dramatiques... tempérées par l'humour et la douceur nostalgique du retour vers l'enfance et les ainé(e)s de la famille. Beaucoup d'allers-retours parfois redondants, quelques facilités aussi probablement mais bien emmenées par le rythme et l'inquiétude entretenue, ce qui serait un suspens historique, mais aussi par la rupture perpétuelle de ton. Un grand drame devenu pas si grave tout en restant une terrible question, et on y verra volontiers la rupture et la communion hasardeuse de l'expatrié "gâté" face aux ruines de son pays (il y a une culpabilité) et à une phase essentielle de son existence mise par la force des choses et après coup entre parenthèses.
On lui en voudrait si chaque fois qu'il est trop léger un élément ou une rencontre ne venait ancrer ce qui ne va pas dans le sourd et palpable.
Pas désagréable d'un point de vue humain et documentaire (c'est moche d'employer ce mot là), mieux construit que ça en a l'air, ce qui affirme des qualités de conteur... tout de même un peu de frustration dans la légèreté des pirouettes et de la pas toujours probable poésie.
Merci à Bédoulène pour cette proposition dans le cadre de la chaine de lecture, ce n'est pas un livre que j'aurai lu autrement il me semble, et ce n'est pas une lecture que je regrette loin s'en faut, honnête et qui se positionne aussi comme un fragment de miroir de génération, et à plusieurs points de vue. | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Jeu 14 Aoû 2014 - 10:52 | |
| pas encore traduit mais suite à la demande de Tom Léo, je mets quelques motsVor dem Fest(Avant la fête) Saša Stanišić a situé son roman dans la Uckermark, région la plus vaste et la moins peuplée d’Allemagne. Le petit village (fictif) de Fürstenfelde et ses différents habitants (nombre de ceux-là : impair) sont au centre de ce livre. Entouré par les lacs, le paysage ne pouvait pas être plus idyllique. Malheureusement le village se vide. Les jeunes ne restent pas, les vieux se meurent et du coup, il ne reste que les souvenirs de ceux qui y habitent encore. Situé après le tournant, il y a pas mal de souvenirs lors des années de la République démocratique allemande. Pour ceux qui connaissent l’auteur pour son premier livre, savent comment il parvient à modeler la langue, c’est souvent très poétique (sans pour autant devenir trop), il y a de l’humour avec lequel ce récit souvent assez nostalgique passe très bien. J’aime beaucoup cet auteur, son écriture, son approche, ses sujets sur lesquels il écrit, je ne voudrais pas qu’il se met à une surproduction mais j’attends déjà impatiemment son prochain roman !! Ce livre lui a valu le prix de la foire du livre à Leipzig au printemps et même si les prix ne sont pas toujours garantie pour la qualité, dans ce cas, c’est plus que mérité !!
Dernière édition par kenavo le Ven 11 Sep 2015 - 18:07, édité 1 fois | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Sasa Stanisic [Allemagne] Dim 17 Aoû 2014 - 14:02 | |
| Après tant de commentaires élogieux j'avais acheté Le soldat et le gramophone et je l'avais ranger dans une étagère en attendant que vienne le moment de le lire. L'information qu'il venait de publier un nouveau roman a été le déclencheur de cette lecture et il faut une nouvelle fois remercier les parfumés qui relayent les infos venus de l'Est pour nous rappeler de lire les bons livres (presque) oubliés (hé Marko, tu l'as lu ?!?).
Je ne vais pas ajouter de commentaire à la liste déjà longue mais surtout riche qui précède. Juste dire que j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre, touchant, inventif, délicat et sensible et puis drôle, tellement drôle.
Et toujours cette question : comment des hommes et des femmes peuvent écrire la guerre, la peur, la mort et la souffrance en y mêlant tant de joie, d'humour, d'amour et d'(en)vie ?
Chapeau bas pour cette remarquable leçon de vie ! | |
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