- majeanne a écrit:
J'ai été subjuguée par la première partie de Malicroix (jusqu'à la rencontre avec Anne-Madeleine).
La découverte que fait Martial d'un autre monde, non pas situé dans l'Au-Delà mais dans notre changement de perception ("L'extraordinaire se trouve dans
la profondeur de l'ordinaire" G. Durckheim) ; son expérience de l'éternité dans la pleine conscience du moment présent ; sa découverte que tout est dans tout et que nos limites ne sont peut-être qu'illusion, que l'univers est en nous comme nous sommes dans l'univers ; que l'abandon de notre cocon douillet Mégremut
(la description de la vie Mégremut est un délicieux enchantement) peut nous conduire par une métanoïa, un retournement de tout l'être, provoqué ici par la puissance de la Nature, à une vie beaucoup plus intense et vraie, tout me parle et résonne en moi.
Merci de soulever cet aspect, Majeanne !
Un roman à ce point pas ordinaire que les deux livres entamés après Malicroix me sont tombés des mains (je me suis risqué au commentaire de
Malicroix, page 13, mes excuses à l'avance !).
Tante Martine
1972, roman, 300 pages environ, une vingtaine de chapitres non numérotés, et intitulés d'après les premiers mots de chacun d'entre eux.
Bosco, comme à son habitude, rappelle des personnages connus du lecteur. Le narrateur est Pascalet, le jeune héros de
"L'enfant et la rivière", qui vit dans un mas, dit "Le Gage", en compagnie de Tante Martine déjà aperçue dans
"L'enfant et la rivière", et je prends garde de ne pas oublier le chien Barboche, personnage à part entière, primordial !
Je suis content de lire régulièrement Bosco, il me semble que c'est utile pour l'appréhender; en lisant un Bosco tous les cinq ans, mettons, je crains que l'on ne perde cette continuité, puisque Bosco imbrique étroitement ses oeuvres les unes aux autres.
La thématique, ou plutôt le prétexte ? (une réminiscence, là aussi) Des parents partis, longtemps, et l'enfant et la maison familiale confiés à une dame âgée, Tante Martine (dans laquelle on doit voir la propre Tante Clarisse de l'auteur).
Souvenir, aussi, la guitare fabriquée par le père de Pascalet dont on ne peut pas jouer à cause du charme des sons qu'elle dégage: Le père de Bosco, Ténor d'Opéra réputé, avait en effet fabriqué une guitare, superbe objet exécuté avec une maestria rare, à ce qu'il paraît, pour son fils, en est-il de même pour la crèche double "une pour jouer, l'autre pour regarder", celle pour regarder étant cantonnée sous une housse au-dessus d'une armoire lingère, dont il est question dans le livre ?
Une jeune fille ("Mâche") rejoint Pascalet, Tante Martine et Barboche, chargée du ménage, mais s'enfuit un beau jour. Elle évoque Hyacinthe, pour moi (hypothèse, hein !), peut-être la réponse est-elle dans un autre roman de Bosco (?).
Ne la perdez pas de vue, en tous cas. Elle a un rôle de premier plan dans ce livre, passeuse, presque Chaman.
Le mas, la maison, a son existence propre (voir
"Le mas Théotime", "Un rameau de la nuit", "Sylvius", "Malicroix", etc...). Les repères sont, au reste, les autres mas "La Requinque", "Constance" sont les mas amis "La Sirène" le mas inquiétant et mystérieux.
On retrouve, au mas du "Gage", un grenier comme celui du "Mas Théotime", à savoir fermé à clef et réservé à l'usage exclusif d'une personne (Tante Martine en l'occurrence), nul autre n'a le droit d'y pénétrer.
La nuit, le jour, les songes, les rêves mais aussi la lampe, le feu, l'eau, le puits, le peuplier "Agricol", les divers objets de ménage, les meubles, les ciels, les étoiles, ont leur vie animée. Et Tante Martine veille là-dessus. On peut y voir des symboles égrenés, ou encore ne trouver là que superstition, croyance passéiste et "charmante" pour les uns, aimable rêverie ou procédé littéraire tendant sur l'onirique pour d'autres, j'ai une autre conviction.
Bosco développe, aux confins de spiritualités réelles, d'autres, issues de sa plume.
- Spoiler:
Comme le mot spiritualité est galvaudé, vidé de sa substance et mis à toutes les sauces dans le langage courant, permettez que je précise, je n'entends pas spiritualité dans le sens des publicitaires, marchands de bien-être TVA incluse, ni non plus dans le sens que lui donnent ceux à qui il passe un songe ou idée
"coool, tu 'ois" à travers le crâne
: la spiritualité se fonde sur l'immanence et la transcendance, elles-mêmes s'élevant sur un socle de Foi (majuscule).
Plus j'entre dans l'oeuvre de Bosco plus je découvre d'infinies variations syncrétiques, se combinant toujours -du moins dans les livres de Bosco que j'ai lu pour l'instant- avec le catholicisme.
Ainsi, j'ai évoqué Mithra pour
"Malicroix", l'occultisme pour
"Hyacinthe", une forme de pensée ou un culte plus difficile à distinguer (j'hésite encore) pour
"L'âne-culotte", les antiques Dieux méditerranéens des sources pour
"Un rameau de la nuit", etc...
Ici existe un fond paganiste indubitable greffé sur un culte des saints et des éléments, avec une part de mystère total figurée par le Mas "de la Sirène", ou encore par l'étendue de terre dénommée "le Grand Vide". Et Tante Martine est à une mystique capable d'évoluer dans ces mondes-là, aidés par les divers amis de la maison, dont elle fera connaissance pour le grand enthousiasme de Pascalet. Le culte des anciens Dieux du foyer (Lares, Pénates, etc...) me paraît évident, ainsi sans doute que quelque héritage celte ou gaulois -voir la messe en plein air, la scène fantasmagorique du Mas de la Sirène - rôle des arbres -, le puits, le peuplier, "le Grand Vide" aussi sans doute.
Béranger, le berger dont il émane du bonheur, Bargabot le braconnier solitaire et protecteur mutique, discret et efficace, Saladin le jardinier lymphatique à l'extranéité appuyée, et le magicien à l'étoile d'argent brodée dissimulée sous son gilet sont peut-être des mages, célestes ou royaux. Peut-être aussi incarnent-ils les trois grands monothéismes additionnés du fonds celtique, dont le passeur serait Bargabot le taciturne (?) - ceci n'est qu'une hypothèse, une élucubration, au mieux une divagation qui m'est toute personnelle
!
Est-ce la peine que je souligne la poésie narrative et l'extrême délicatesse du rendu ? Ou "Bosco" en mot de passe et de ralliement suffit ?
Tante Martine ?
On y entre en catimini ou presque, les cent premières pages sont nécessaires à esquisser, à tramer.
Et, petit à petit, on ne peut plus lâcher les pages, on est immergé dans cet univers, univers qu'on a beau commencer à appréhender un peu mieux, on a quelques clefs
- Spoiler:
(non, pas
des Songes, enfin, Tante Martine
!)
, mais on tombe toujours sous ce grand charme puissant, ensorceleur, de sa plume...
Encore un Bosco, encore un grand Bosco pardon, vers lequel on peut conseiller de s'orienter les yeux fermés, un de plus !