| Parfum de livres… parfum d’ailleurs Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts… |
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| Un bon début, ça aide... | |
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Auteur | Message |
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bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Un bon début, ça aide... Dim 18 Jan 2009 - 22:57 | |
| La France, qui s'est si longtemps méfiée du billet de banque, est en littérature le pays d' élection des valeurs fiduciaires.
Le Français, qui se figure malaisément ses leaders politiques sous un autre aspect que la rangée de tetes d' un jeu de massacre, croit les yeux fermés, sur parole, à ses grands écrivains. Il ne les a pas lus. Mais on lui a dit qu' ils étaient tels, on le lui a enseigné à l' école : il a décidé une fois pour toutes d'aller satisfaire ailleurs ses malignes curiosités... Il sait qu'il a toujours eu de grands écrivains, et qu' il en aura toujours, comme il savait jusqu' à 194O que l' armée française est invincible.
Julien GRACQ - La Littérature à l' estomac.
Julien Gracq n' avait pas les yeux dans la poche ni la langue non plus... | |
| | | Le Bibliomane Zen littéraire
Messages : 3403 Inscription le : 21/02/2007 Age : 58 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Mer 21 Jan 2009 - 13:24 | |
| "L'empereur s'ennuyait. Il baissa la tête pour considérer le bout de ses chaussures pointues, souleva le pied pour le remuer délicatement, grogna d'aise à la vue du cuir tendre tendu de fils d'or, conforme en tous points à ce qu'il avait exigé. Il reposa le pied, son regard se perdit à nouveau dans les draperies soyeuses qui couvraient les murs de sa chambre. Il poussa un soupir. Il n'avait point de nouvelles de sa caravane, ces quelques mercenaires, moitié bandits, moitié marchands, qu'il payait grassement pour s'aventurer au-delà des limites du monde - loin, le plus loin possible. Ils avaient pour mission de lui rapporter de l'étrange, du merveilleux. Sous quelque forme que ce soit. Surtout, ils avaient ordre de raconter ce qu'ils avaient vu. Tout ce qu'ils avaient vu. A chacun de leur retour, l'empereur tremblait d'une joie impatiente. Un émissaire, venu à cheval d'un village proche, annonçait leur arrivée. L'empereur frappait aussitôt des mains pour que l'on préparât en toute hâte une salle pariculière aux lumières douces, emplie d'une profusion de coussins et de tapis épais - le salon des histoires." "Le messager de l'Empereur" - Karine Naouri | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Un bon début, ça aide... Mer 21 Jan 2009 - 21:08 | |
| Konda, le 1er septembre 2003
Après un long silence, il me semble émerger des profondeurs de l' Oniégo en laisant dans ses abimes glauques des fantomes muets.
Henryk Elsenberg, l' un des auteurs auxquels je reviens souvent, a écrit dans son Journal à la date du 5 avril 1936 que la réalité vécue dans la solitude et non reflétée dans la conscience (extérieure par rapport à moi...) d'une autre personne n'existe pas.
S' il en est ainsi, l' écriture pourrait-elle etre l' un des moyens de perpétuer notre propre réalité ?
Mariusz Wilk - La Maison au bord de l' Oniégo
L' Oniégo est un grand lac, l'un des plus grands lacs d'Europe, et il est situé en Carélie, dans le Grand Nord, au nord-ouest de la Russie. Mariusz Wilk a vécu quasiment en ermite au bord de ce lac dans une vieille maison de bois, dépourvue de tout confort et c'est là qu'il rédige ce livre, moitié récit de voyage et moitié journal intime.
Je vous en dirai plus quand je l'aurai lu évidemment... C'est l'un des 2O prochains...
Et c'est publié par les Editions Noir sur Blanc... Une référence. Mais Arabella vous a parlé de Marius Wilk... | |
| | | bulle Zen littéraire
Messages : 7175 Inscription le : 02/07/2007 Age : 67 Localisation : Quelque part!
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Jeu 22 Jan 2009 - 1:22 | |
| Les ruelles d'Ostende se réveillaient sans hâte en cette aube de novembre 1600. Sur le port, il y avait déjà du monde au Sanglier Chasseur, et le fort vent de noroît qui striait les dunes imprimait un mouvement d'escarpolette à l'enseigne de la taverne. Cette image de fer forgé trahissait son âge par sa rouille autant que par son thème: le sanglier, dressé sur ses pattes postérieures - issant, comme disent les héraldistes -, tendait avec les deux autres un de ces grands arcs désuets que l'on ne voyait plus guère que dans les concours de tir. Nostalgiques, les anciens pratiquaient entre amis cet art noble et silencieux, alors que régnait depuis longtemps la poudre du canon, des arquebuses et des mines. Son tonnerre se taisait non loin d'ici:Maurice de Nassau, stathouder des Pays-Bas et digne fils de Guillaume le Taciturne, venait de reprendre Nieuport aux Espagnols. Remplissant de son bruit la province belgique, la victoire avait débondé quelques tonneaux de bière au Sanglier Chasseur.
Wingapoh! - Georges Walter
Wingapoh! Salut! C'est par ce mot que les sauvages de langue algonquine accueuillent le voyageur au pâle visage venu d'au-delà des mers. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Un bon début Jeu 22 Jan 2009 - 19:12 | |
| C' était encore mon bureau. Mais plus pour longtemps, puisque j' étais en fin de bail et que McKelvey devait fignoler les derniers détails de mon expulsion. Vu que l'air conditionné avait rendu l'ame, il y faisait aussi chaud qu' en Enfer. Une mouche se trainait sous mon nez. D'une chiquenaude bien appuyée, je la rayai du tableau, et j' étais en train de m' essuyer les doigts sur mon pantalon quand le téléphone sonna. Je décrochai. - Mouais, grommelai-je. - Avez-vous lu Céline ? Charles BUKOWSKI - Pulp Un début de polar noir qui ressemblerait à Chandler... C'est ça ! Un univers que Bukowski connaissait sans doute... Un air de familiarité avec John Fante aussi. Des affinités sociales et littéraires sans doute... Il faut de tout pour faire un monde littéraire après tout ! | |
| | | bulle Zen littéraire
Messages : 7175 Inscription le : 02/07/2007 Age : 67 Localisation : Quelque part!
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Ven 23 Jan 2009 - 19:30 | |
| Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m'attachaient à eux. J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes. Ils n'ont pu qu'en cessant de l'être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Mais moi, détaché d'eux et de tout, que suis-je moi-même? Voilà ce qu'il me reste à chercher.
Jean-Jacques Rousseau - Les rêveries du promeneur solitaire | |
| | | Matthieu Main aguerrie
Messages : 304 Inscription le : 27/12/2008 Age : 37 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Sam 24 Jan 2009 - 20:05 | |
| "En arrière de colline, loin vers soleil-descend, est ciel devenir pareil à feu, et est moi, souffle tout dur, venir en haut sur chemin de lui, où est herbe froide sur pieds de moi et mouiller eux."
La voix du feu de Alan Moore Première voix : celle d'un enfant de la préhistoire à l'esprit simplet. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Dim 25 Jan 2009 - 10:11 | |
| Ce n'était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravats et la boue et des gens le dépassaient en courant, avec des serviettes de toilette contre la figure ou des vestes par-dessus la tête. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures à la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dépassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, désorientés et maladroits, avec les débris qui tombaient autour d'eux, et il y avait des gens qui se réfugiaient sous des voitures. Le grondement était encore dans l'air, le fracas de la chute. Voilà ce qu'était le monde à présent. La fumée et la cendre s'engouffraient dans les rues, explosaient au coin des rues, des ondes sismiques de fumée, avec des ramures de papier, des feuillets standards au bord coupant, qui planaient, qui voltigeaient, des choses d'un autre monde dans le linceul du matin.
L'homme qui tombe de Don DeLillo |
| | | Menyne Agilité postale
Messages : 864 Inscription le : 26/04/2008 Age : 53 Localisation : dis z'y mieux !
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Dim 25 Jan 2009 - 17:50 | |
| - Citation :
- Je meurs voilà ce qu'elle m'écrit Vincent je meurs viens me voir viens me revoir une dernière fois que je te voie que je te touche que je t'entende viens me revoir Vincent je meurs.Et au bas de la feuille, en tout petit, presque illisible, son prénom, Geneviève, tracé lui aussi au crayon à papier, comme le reste de la lettre, de la même écriture tremblante, défaillante, si ce n'avait pas été ces mots-là on aurait pu croire à l'écriture d'un enfant, on aurait pu sourire, froisser la feuille, la jeter à la poubelle et l'oublier; mais non, ce n'est pas un enfant, c'est Geneviève qui meurt.
Puisque rien ne dire, Laurent Tardieu | |
| | | Hank Main aguerrie
Messages : 340 Inscription le : 28/08/2007 Age : 47 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Lun 26 Jan 2009 - 21:54 | |
| Je poursuis dans le Bukowski initié par Bix un peu plus haut (faut pas me provoquer comme ça ), après Pulp, donc, voilà les premières lignes de son premier roman, Le postier : Ca a commencé par erreur. C'étaient les fêtes de Noël et j'avais appris par le pochard en haut de la côte, qui faisait le coup à chaque Noël, qu'ils embauchaient quasiment n'importe qui, alors j'y suis allé et sans avoir le temps de réaliser je me suis retrouvé avec une sacoche en cuir sur le dos à cavaler comme bon me semblait. Parlez d'un boulot, que je pensais. Peinard ! Ils vous donnaient juste un ou 2 pâtés de maisons à faire et si vous arriviez à finir, le facteur titulaire vous en donnait encore un autre à distribuer, ou alors vous pouviez rentrer et le chef vous en donnait un autre, mais surtout, vous preniez bien tout votre temps pour fourrer ces cartes de Noël dans les fentes. (…) | |
| | | Hank Main aguerrie
Messages : 340 Inscription le : 28/08/2007 Age : 47 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Lun 26 Jan 2009 - 21:58 | |
| Ma première rencontre avec la gloire fut tout sauf mémorable. Je travaillais comme saute-ruisseau dans un magasin de délicatessen, chez Marx’s. C’était en 1934. Le magasin se trouvait à Los Angeles, au coin de la Troisième Avenue et de Hill. J’avais vingt et un ans et vivais dans un monde limité à l’ouest par Bunker Hill, à l’est par Los Angeles Street, au sud par Pershing Square, au nord par le Centre Civique. J’étais le roi des saute-ruisseau doté de toute la verve et du style inimitable de la profession, et bien qu’horriblement mal payé (un dollar par jour plus les repas), j’attirais l’attention unanime quand je virevoltais de table en table, tenant mon plateau en équilibre sur une main et provoquant les sourires de tous les clients. En plus de mes talents de serveur, j’avais un autre atout pour mes patrons, car j’étais également écrivain. Ce fait bénéficia d’une certaine renommée après qu’un photographe soûl du Los Angeles Times se fut installé au bar pour prendre plusieurs clichés de moi en train de servir une cliente, qui levait vers moi des yeux pleins d’admiration. Le lendemain, j’avais ma photo dans le Times ; l’article attenant parlait de la lutte et des succès du jeune Arturo Bandini, un gamin ambitieux et travailleur originaire du Colorado, qui s’était fait un nom dans la jungle des revues littéraires en vendant une de ses nouvelles à l’American Phoenix, dirigée comme il se doit par le monstre sacré de la littérature américaine – j’ai bien sûr nommé Heinrich Muller.
John Fante Rêves de Bunker Hill | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Un bon début, ça aide... Lun 26 Jan 2009 - 23:02 | |
| Par une chaude matinée de l'été 1900, un train de voyageurs s'apprète à quitter la gare Kourski. Quelques instants avant que le convoi se mette en branle, un inconnu affublé d'un manteau noir à la tyrolienne s'approche de la fenètre de notre compartiment. Une femme de haute taille l'accompagne. Ce doit etre sa mère ou sa soeur ainée. Tous deux commencent à parler avec mon père de choses qui semblent leur tenir à coeur. De temps en temps, la femme échange avec ma mère, en russe, quelques paroles entrecoupées. L'inconnu, lui, s'exprime en allemand. je connais parfaitement cette langue, mais c'est la première fois que je l'entends parler ainsi. Et soudain, sur ce quai noir de monde, entre deux cloches, l'inconnu m'apparait comme une ombre parmi des corps bien en chair, phantasme dans le champ du réel. Boris PASTERNAK - Sauf conduit. Boris Pasternak est un grand poète russe qui vaut mieux que son roman Le Docteur Jivago et son adaptation pittoresque au cinéma... Ce début déjà... J'ai connu dans mon enfance un vieux russe qui avait quitté son pays depuis longtemps, avec pour tout bagage ou presque, des poèmes de son pays. De Pouchkine à Mandelstam. Il les avait en mémoire et parfois, il en disait un ainsi. Par plaisir ou par nostalgie. Et de temps en temps il y en avait un de Pasternak. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Un bon début, ça aide... Mar 27 Jan 2009 - 18:29 | |
| Je vous conterai une autre de mes aventures et, sans doute, la plus fatale. En ce temps-là, c' était en 1943, je séjournais dans l'ex Pologne et dans l'ex Varsovie, tout au fond du fait accompli. En silence, le groupe ravagé de mes vieux compagnons et amis des ex-cafés Le Zodiaque, Ziemianska, Ips, se donnait rendez-vous tous les mardis dans un petit appartement de la rue Krucza et là, tout en buvant sec, nous essayions d' etre des artistes, des écrivains, des penseurs... en reprennant nos anciennes conversations, nos ex-débats sur l'art... Je les revois encore assis ou bien étendus sur les divans dans la fumée épaisse, celui-ci un rien squelettique, cet autre un peu abimé, mais tous criant et braillant. L'un criait : Dieu, un autre : l'art, un troisième : le peuple, un quatrième : le prolétariat, et nous dicutions à perdre haleine, et cela durait, durait, mais un jour arriva un homme de 30 à 40 ans, noir, sec, au nez aquilin, et il se présenta à chacun de nous selon toutes les formalités d'usage. Après quoi, il n'ouvrit plus la bouche. Witold GOMBROWICZ - La Pornographie. Gombrowicz est dérangeant. Il irrite et provoque volontairement, mais il est original aussi et c'est ce qui compte. Le mieux et de se faire une idée soi-meme et de lire le fil d' Arabella. | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Mer 28 Jan 2009 - 1:37 | |
| «Dans le monde animal les faibles sont vite éliminés.» Dix ans qu'il était mort. Dix ans que son corps mutilé était enterré. Dix ans que personne ne le pleurait. On aurait pensé que depuis le temps, elle, sa fille adulte, mariée et mère de son propre enfant, serait débarrassée de lui. Dieu sait qu'elle avait essayé ! Elle le haïssait. Ses yeux kérosène, son visage pareil à une tomate bouillie. Elle se mordait les lèvres au sang à force de haine. Là où elle était le plus vulnérable, au travail. Sur la chaîne de montage de Niagara Fiber Tubing où le bruit abrutissant la mettait dans un état second, elle l'entendait. Quand ses dents s'entrechoquaient sous les vibrations du tapis roulant, elle l'entendait. Quand elle avait un goût de bouse sèche dans la bouche, elle l'entendait. Elle le haïssait ! Se retournait, ramassée sur elle-même, se disant que c'était peut-être une plaisanterie, une blague grossière, un de ses connards de camarades qui lui hurlait quelque chose à l'oreille. Comme si les doigts d'un type lui tripotaient les seins à travers la combinaison ou se coulaient entre ses jambes et elle était paralysée, incapable de détourner le regard des longueurs de tube sur le tapis de caoutchouc qui avançait par saccades et toujours plus vite qu'on ne le voulait. Ces satanées lunettes embuées qui lui blessaient le visage. Elle fermait les yeux, respirait par la bouche ce sale air plein de poussière, ce qu'elle savait ne pas devoir faire. Un instant de honte, annihilant, vivante-ou-morte-quelle-importance, qui la submergeait parfois dans les moments d'épuisement ou de tristesse, et elle prenait à tâtons sur le tapis l'objet qui n'avait plus de nom, plus d'identité ni d'utilité, risquant de se faire happer la main et broyer la moitié des doigts par la presse avant de réussir à secouer son emprise, à se libérer de lui qui parlait avec calme sachant qu'il se ferait entendre malgré le vacarme des machines. «Voilà pourquoi tu dois dissimuler ta faiblesse, Rebecca.» Le visage près du sien comme s'ils étaient des conspirateurs. Ils ne l'étaient pas, ils n'avaient rien en commun. Ils ne se ressemblaient en rien. Elle haïssait l'odeur aigre de son haleine. Ce visage qui était une tomate bouillie, éclatée. Elle avait vu ce visage exploser, sang, cartilage, cervelle. Elle avait ôté ce visage de ses avant-bras nus. Elle avait ôté ce visage de son propre visage ! Elle l'avait retiré de ses cheveux. Dix ans auparavant. Dix ans et presque quatre mois jour pour jour. Car jamais elle n'oublierait ce jour. Elle n'était pas sa fille. Elle ne l'avait jamais été. Elle ne devait rien non plus à sa mère. On ne pouvait discerner aucune ressemblance entre eux. Elle était une femme adulte âgé maintenant de vingt-trois ans, ce qu'elle trouvait stupéfiant. Elle avait vécu si longtemps. Elle leur avait survécu. Elle n'était plus une enfant terrifiée. Elle était l'épouse d'un homme qui était un vrai homme et pas un poltron larmoyant, un assassin, et cet homme lui avait donné un enfant, un fils, que lui, son père mort, ne verrait jamais. Quel plaisir de savoir qu'il ne verrait jamais son petit-fils, ne murmurerait jamais ses mots empoisonnés aux oreilles de l'enfant. Mais il s'approchait encore d'elle. Il connaissait sa faiblesse. Lorsqu'elle était épuisée, l'âme de la taille d'un grain de raisin ratatiné. Dans le vacarme de l'usine où ses mots avaient acquis le rythme et l'autorité d'une machine puissante, lui martelant le crâne jusqu'à la réduire à une soumission hébétée. «Dans le monde animal les faibles sont vite éliminés. Voilà pourquoi tu dois dissimuler ta faiblesse, Rebecca. Il le faut.»
Le début de La fille du fossoyeur Joyce Carol Oates | |
| | | Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... Mer 28 Jan 2009 - 11:28 | |
| Incroyable ce début Marie ! Incroyable. | |
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| Sujet: Re: Un bon début, ça aide... | |
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