Un bon début, ça aide...

Le monde réel, le voici : les monts Neversummer comme un amas de verre
brisé. Les champs de neige glissent lentement, comme le font les larmes.
Le lac Chambers, entouré d' arbres, est trop heureux de recueillir l' eau
qui s' écoule goutte à goutte dans son gobelet d' étain ; en retour, il offre leur reflet aux montagnes.
Tel est le monde réel, indifférent, exempt de tout fardeau.

Le lac Chambers donne naissance à deux rivières, une à chaque extrémité
: on dirait deux bouts de ficelle débobinés en meme temps.
Le Laramie arrose la vallée et traverse la ville qui porte son nom, avant de se jeter dans la North Platte.
A l' autre extrémité du lac, la Cache la Poudre creuse une gorge profonde et descend jusqu'à la South Platte (Nebraska) que les deux branches de
la Platte se rejoignent et que les eaux longtemps divisées du lac Chambers se remarient.

James GALVIN - Prairie.

Ce livre est l'histoire d'une prairie. De sa beauté, de sa faune, de sa flore.
De ses saisons et des humains qui triment pour simplement survivre.
Ce sont eux qui racontent, se racontent. Le livre est lent et méditatif.

Les gens disent qu' on nait innocent, mais ce n' est pas vrai.
On hérite de toutes sortes de choses auxquelles on ne peut rien.
On hérite de son identité, de son histoire, comme d' une tache de vin indélébile.
Nous, on a notre histoire irlandaise et notre histoire allemande, à la manière d' un péché originel.
Nous sommes nés la tete tournée en arrière mais maintenant, dit ma mère,
il faut regarder vers l' avenir. Il faut gagner sa propre innocence, elle explique. Il faut grandir et devenir innocent.

Hugo HAMILTON - Le Marin de Dublin.

Vous connaissez Hugo Hamilton, je pense, sinon vous aurez
plaisir, comme moi, à découvrir un auteur plein de pudeur, de tendresse, de poésie.
Ce ne sont pas des mots, lisez d'abord Sang impur, le premier volume de cette autobiographie...puis Le Marin de Dublin.

Il n' y avait personne en lui ; derrière son visage (qui, meme d' après les
mauvaises peintures de l' époque, ne ressemble à aucun autre) et
derrière ses discours, qui furent nombreux, fantastiques et agités, il n'y
avait qu' un peu de froid, un reve que personne ne révait.
Au début, il crut que tout le monde était comme lui, mais l' étonnement
d' un ami avec qui il essaya de commenter cette vacuité, l' avertit de son erreur et lui fit comprendre pour toujours qu' il ne convient pas à l'individu
de s'écarter des normes de l' espèce.

Jorge Luis BORGES - Everything and nothing. Dans le recueil L'Auteur
et autres textes. P. 58-62

Pour ceux qui hésitent à lire les exercices de style que sont Fictions ou Labyrinthes, ce recueil, L' Auteur et autres textes.

bix229 a écrit:

Vous connaissez Hugo Hamilton, je pense, sinon vous aurez
plaisir, comme moi, à découvrir un auteur plein de pudeur, de tendresse, de poésie.
Ce ne sont pas des mots, lisez d'abord Sang impur, le premier volume de cette autobiographie...puis Le Marin de Dublin.

J'ai beaucoup aimé aussi le récit de cet enfant "tacheté"...

Mon père était désodoriseur de chiens morts, ma mère tenait la seule boutique de nourriture pour chats de ma ville natale.
Ils ne vivaient pas dans le bonheur ; la différence de rang social issue
de leurs professions était un gouffre qui ne pouvait etre comblé par
le sacrement du mariage.
C'était en effet une alliance des plus mal fichues et des plus malchanceuses,
et comme on aurait pu le prévoir, elle se termina en désastre.
Un matin, après les chamailleries habituelles du petit déjeuner, mon père
quitta violemment la table, blanc de colère et, se rendant au presbytère,
rossa le pretre qui avait présidé à la cérémonie de mariage.

Ambrose BIERCE - Une révolte des dieux. Dans le recueil Le moine et la fille du bourreau.

Vous l'avez reconnu, Ambrose Bierce, le conteur le plus drole et en tout
cas le plus noir et le plus féroce que je connaisse...

Relire ? Les extraits que j 'ai mis Mordi, ou alors Bierce est ton auteur de
chevet que tu planques sous la couette ?

Il savait que les regards des garçons le guettaient de toutes parts, que
chaque prise qu'il leur offrait pouvait causer sa perte.
Il y avait cette année-là dix huit garçons auxquels il faisait face.
Ils étaient assis devant lui par bancs de deux et le regardaient. Il le savait, c'était ainsi que sa perte viendrait. Il devait se résoudre à paraitre cruel. Il savait qu'il ne l'était pas.
Il défendait son pain, il se battait pour chaque jour de répit. Sa dureté était un rouage du système mis en place pour retarder la fin.
Il devait gagner du temps. Chaque jour pouvait lui apporter le salut, car
en ce jour gagné précisément, il pouvait etre, lui le professeur Josef Blau,
en mobilisant toutes ses forces, obtenir l' atténuation du chatiment qu'il
avait attiré sur lui.

Hermann UNGAR - La Classe

Ungar est un grand écrivain de langue allemande et je pensais que quelqu'un aurait ouvert un fil sur lui.
Né en Tchécolovaquie, il est le contemporain de Kafka et il a été salué
à l'époque par Thomas Mann, Doblin, Stéfan Zweig.
Mais son univers est tellement malsain, sordide, et ses personnages
tellement inadaptés, humiliés, frustrés et pervers... brisés par des passions et des pulsions qui les dépassent que je ne me sens pas le courage de
le présenter autrement !

À la fin tout se trouble. Les contours s’estompent. Ne restent plus que des lignes et des ombres. Fatigue des yeux, après avoir trop longtemps fixé la route tracée au milieu des étendues de sable, au milieu de ce scintillement aigu, inaltérable. Une mer de sable, mais qui n’a rien à voir avec la mer, celle qu’il imagine, qu’il revoit, grise bordée de plages blanches où les pas des rares promeneurs de l’hiver dessinent de longues et dérisoires figures. Nulle silhouette depuis des heures, comme si le soleil avait fait le vide autour du véhicule.
Anne semble endormie. Non, elle relève la tête, et se retourne quelques secondes, comme si elle pouvait encore voir la ville. Cette ville qui a disparu, qui n’était peut être qu’un tourbillon de vent et de sable. Cette ville qu’ils ont traversée, à l’aube, d’une traite, et dont David semblait connaître le plan par cœur, dans ses moindres détails.

Francis Dannemark, La nuit est la dernière image

Jours de mon enfance, je voudrais vous faire revivre ; temps sans fiel, temps aimables, j'aime vous rappeler à ma mémoire.
Les pas légers de ma mère résonneront de nouveau dans les pièces claires, et des etres qui ont grisonné sous le poids de la vie souriront encore comme ceux qui ignorent ce qu'elle leur réserve. Que du fond de
la mort ils parlent d'une voix douce, et que de vieilles chansons se melent au choeur des souvenirs.
Des paroles acerbes se feront entendre aussi, paroles lourdes comme laissent tomber ceux qui connaissent les amers bilans de l'existence.

Tell me tales,
That to me were so dear,
long, long ago,
long, long ago.

Herman BANG - Maison blanche

Ce début-là est de Herman Bang, romancier danois célèbre de la fin du 19e siècle. On est plongé d'emblée dans une atmosphère nostalgique...
Pour ne rien vous cacher, je l'ai lu il y a longtemps... Mais peut etre un
connaisseur des littératures nordiques pourra nous en dire plus.