Maurice Blanchot

Peut etre que le génie est quelque chose de monstrueux, parce que
c' est hors norme, que tout le monde peut s' en apercevoir...
Mais sans savoir vraiment comment ça peut fonctionner ...

Blanchot donne toujours cette impression...
Beckett aussi et quelques autres.

en y repensant en fait de temps en temps... il y a des livres ou des auteurs dont le génie se traduit par le sentiment d'une certaine facilité à travers l'épure, une sorte de fluidité précise, et d'autres (plus rares ?) comme Blanchot ou on est au moins autant "obligé de lire" mais où on sent directement comme un immense travail d'où la facilité est éventuellement absente... mais on est "obligé de lire" et de se laisser porter (et submerger).

c'est vraiment un auteur, là à froid, qui provoque un changement et auquel on repense beaucoup.

animal a écrit:

c'est vraiment un auteur, là à froid, qui provoque un changement et auquel on repense beaucoup.

J'aime beaucoup les auteurs qui donnent à penser... J'ai toujours besoin d'un peu plus qu'une histoire...
Le temps de Blanchot viendra pour moi... j'espère que je l'aurai...Je n'ai pas envie de le survoler...Je crois que je deviens de plus en plus maniaque et jusqu'au-boutiste avec mes lectures...

techniquement ça doit être très difficile de survoler un de ses livres, possible de ne pas intégrer tout, certain même, mais le survol j'imagine mal.

animal a écrit:

techniquement ça doit être très difficile de survoler un de ses livres, possible de ne pas intégrer tout, certain même, mais le survol j'imagine mal.

Ce que je voulais dire c'est qu'avec les grands auteurs qui me plaisent , j'ai du mal à me contenter de peu...Je sens bien, d'après ce que j'en sais, que Blanchot pourrait m'accaparer pas mal de temps de lecture lorsque j'y viendrai...

ah oui du temps certainement mais probablement difficile d'enchainer les lectures aussi, enfin je m'en sentirai incapable... pas la force

Citation :

J'aime beaucoup les auteurs qui donnent à penser... J'ai toujours besoin d'un peu plus qu'une histoire...

Je suis pareille, Coline. C´est pourquoi ça ne marche pas pour moi quand on présente un livre juste en racontant l´histoire.

swallow a écrit:

Citation :

J'aime beaucoup les auteurs qui donnent à penser... J'ai toujours besoin d'un peu plus qu'une histoire...

Je suis pareille, Coline. C´est pourquoi ça ne marche pas pour moi quand on présente un livre juste en racontant l´histoire.

C'est que souvent il n'y a rien d'autre que "l'histoire" justement ...Que dire d'autre?...Et quand elle tient debout, ce n'est déjà pas si mal...

Je crois qu' une histoire n' est jamais seulement qu' une histoire,
quand elle est vraiment bonne.
Le reste, c' est la part du lecteur. Elle n' est pas négligeable.

L'arrêt de mort

Une lecture que je ne pensais pas si rapide. Une fois de plus j'ai été subjugué et englouti par cette écriture. C'est un auteur que je ne peux m'empêcher de considérer comme un peu "à part". C'est un tout. Il y a une intensité extrême, surtout dans la première partie du récit, récit de mort et d'amour, une histoire se mettant à part, se coupant du monde... à la fois extrêmement noir, lucide, n'épargnant rien des faiblesses de l'âme et une délicatesse, une beauté... c'est un tout, comme ces phrases et le rythme du texte, une précision insoupçonnable de densité spirituelle, consciente plutôt que d'une froide apparence mécanique. La seconde partie parle de deuil et d'amour encore, de barrière, d'espace, de distance... de monde et de rupture naturelle, vitale des barrières. Tout aussi intense mais plus complexe, plus trouble... la chronologie est moins certaines, d'autres choses aussi, sombre, très... et en mettant pleine d'un élan, d'une ouverture, d'une recherche et d'un abandon... démesuré.

Je ne peux pas dire que j'ai compris, peut-être est-ce impossible, peut-être est-ce que ça n'a pas d'importance. Maurice Blanchot concentre l'impossible dans son utilisation des mots, il fait vivre ensemble ce qui dans la vie ne peut pas vraiment l'être. Dans ce récit comme dans les autres bien qu'il soit moins ardu de prime abord. C'est là aussi que se révèle la même grandeur et le même génie de l'auteur, une totalité complexe vivant avec une atmosphère romantique (mais est-ce bien le mot ?) et un art du récit, de son mouvement et du moment qui sont à couper le souffle.

Des pages qui donnent la chair de poule par leur qualité, leur effet et leur contenu. Très dur mais stupéfiant, d'une beauté autre.

quatrième de couverture a écrit:

Jamais un livre n'aura été, à ce point, l'espace éprouvé de sa Loi. Souveraine gravité de l'arrêt de mort ! L'implacable sentence, l'infaillible décret s'abat, comme un couperet, sur chacune de ses pages et, une fois au moins, de la manière la plus visible, non pour séparer en deux parties presque égales, le récit mais, au contraire, pour marquer de sa coupure le passage de l'une à l'autre, de la vie à la mort afin de les confondre ensuite.
Il y aura désormais, ce qui s'est écrit avant l'arrêt, le redoutant et, cependant, fasciné, tournant autour et ce qui s'est écrit après - en même temps? -, l'acceptant, le subissant ou, mieux, l'appliquant.
A l'image, peut-être de ce qui, à la suite de "ce profond coup de hache", s'est creusé au milieu de la paume de J. "... et si cette ligne s'appelle bien ligne de chance, je dois dire que son aspect rendait cette chance tragique".
La loi est le regard de la mort. Trois personnages - une même irréfrénable passion - vont vire et mourir de l'humanité inifinie et de la glaciale cruauté de ce regard; entourés de quelques témoins occasionnels, garants de la plausibilité de l'histoire, vont vire la mort de l'autre et mourir de leur propre mort.
Loi de l'univers et du livre "Ce qui arriva était arrivé depuis longtemps." Et cette parole de mort qui ne serait point silence ? "L'extraordinaire commence au moment où je m'arrête."
Edmond Jabès

Blanchot est un écrivain qui incontestablement réunit, d'une certaine manière, la sienne, c'est dans ce livre une réunion de la mort et de la vie, avec peut-être l'amour comme lien entre les deux. Et si c'est bien un lien et que ce livre en est un aussi... il y a de quoi s'y perdre, s'y laisser prendre, y réfléchir et y retourner, tout en même temps.

Extraordinaire auteur et lecture infinie...

J'aime bien quand Animal s'enflamme! Voilà qui motive à 300%

Il faut bien quelques livres pour provoquer les mêmes chocs (éblouissement ?) que des tableaux, des films... des gens ?

extrait :

Citation :

J'ajouterai encore deux mots : j'ai promis au docteur le silence et ce silence, en somme, je m'y tiens. Il me déclara que son acte était prémédité, non pas le résultat d'une bévue, et il m'en donna les raisons. Il se peut. Mais sa vanité, qui était immense, pouvait aussi l'amener à se justifier devant moi d'une erreur par un crime. Il obtint, en tout cas, ce résultat de rendre mon sang énigmatique, d'une instabilité qui étonne l'analyse.
A mon retour, soit à cause de l'état de faiblesse où me laissait une pareille histoire, soit parce que réfléchir sur les choses importantes, il n'y faut pas compter, je ne revins pas sur l'épreuve qu'avaient constituée ces deux jours. J'étais en effet étrangement faible, et le mot étrange est ici à sa place. L'étrangeté consistait en ceci que le phénomène de la vitre, dont j'ai parlé, s'appliquait à tout, mais principalement aux êtres et aux objets d'un certain intérêt. Par exemple, si je lisais un livre qui m'intéressait, je le lisais avec un vif plaisir, mais mon plaisir lui-même était sous une vitre, je pouvais le voir, l'apprécier, mais non l'user. De même, si je rencontrais une personne qui me plaisait, tout ce qui m'arrivait avec elle d'agréable était sous verre et, à cause de cela, inusable, mais aussi, lointain et dans un éternel passé. Au contraire, avec les choses et les gens sans importance, la vie retrouvait sa valeur et son actualité ordinaires, de sorte que, préférant la vie au lointain, je devais la chercher dans les actions modestes et les êtres de chaque jour. C'est pourquoi je travaillais et semblait toujours plus vivant.
La nuit qui suivit mon retour, ne dormant pas (le sommeil était parti avec le sang), j'entendis Colette, ma voisine, pleurer d'une manière véhémente; avec des pauses, les larmes durèrent près de deux heures. Ce chagrin, chez quelqu'un qui me semblait peu sensible, ne provoqua en moi aucune sympathie; de temps en temps, à cause de sa durée, il me distrayait; mais un chagrin perpétuel ne saurait émouvoir personne. Le lendemain, je fis cependant l'effort d'aller la voir. Dès la porte, j'eus le pressentiment de quelque chose d'insolite, je voyais du désordre, des vêtements par terre : eh bien, voilà le malheur, pensai-je, comme c'est singulier. Mais la chambre était vide; les vêtements qui traînaient, je ne les connaissais pas (bien qu'à vrai dire j'aie, depuis, songé que je les reconnaissais). Rentré chez moi, je pensai avec étonnement aux larmes de cette nuit, si fortes, si vives, à cette tristesse impersonnelle, tristesse de l'autre côté de la cloison, que je n'avais pas une seconde hésité à attribuer à quelqu'un, avec la présomption de l'indifférence, et qui alors ne m'avait pas touché, mais à présent elle m'accablait, elle me communiquait un sentiment absolument douloureux, dépossédé et comme privé de lui-même; son souvenir devenait le désespoir sans expression, qui se cache sous les larmes mais ne pleure pas, qui n'a pas de visage et transforme en masque celui qu'il emprunte. Je demandai, par téléphone, au concierge : "Mais qui donc habite là, dans la chambre à côté?" Puis, j'écrivis à Nathalie (à son bureau) : "Je voudrais vous voir. Si vous le voulez aussi, venez à tel café, rue Royale, à telle heure."

tu peux me conseiller animal sur une lecture de blanchot ? j'ai un vague souvenir pas très agréable de prépa sur 'le livre à venir'...pour moi c'était comme gérard genette (Figure 1,2,3,4,5) le pensum des essais littéraires...

désolé pour ce jugement de goût très prosaique pour un si grand auteur...oui oui je le pense

C' est tal liberté de le penser et de l' écrire, Guillaume...

Et c' est celle d' Animal d' exprimer le contraire...
Avec conviction et humilité...
Et c' est la mienne aussi.