Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Maurice Blanchot

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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyLun 17 Mai 2010 - 10:29

peut-être l'arrêt de mort ou celui qui ne m'accompagnait pas ? mais ça ne veut pas dire grand chose comme conseil. la seule idée qui m'autorise à le donner c'est que si t'accroches t'auras forcément envie d'en lire d'autres... huhu.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyVen 20 Aoû 2010 - 14:07

Au moment voulu
Citation :
" La nuit, dans le Sud, quand je me lève, je sais qu'il ne s'agit ni du proche, ni du lointain, ni d'un événement m'appartenant, ni d'une vérité capable de parler, ce n'est pas une scène, ni le commencement de quelque chose.
Une image, mais vaine, un instant, mais stérile, quelqu'un pour qui je ne suis rien et qui ne m'est rien - sans lien sans début, sans but -, un point, et hors de ce point, rien dans le monde, qui ne me soit étranger. Une figure ? mais privée de nom, sans biographie, que refuse la mémoire, qui ne désire pas être racontée, qui ne veut pas survivre ; présente, mais elle n'est pas là ; absente, et cependant nullement ailleurs, ici ; vraie ? tout à fait en dehors du véritable.
Si l'on dit : elle est liée à la nuit, je le nie : la nuit ne la connaît pas. Si l'on me demande : mais de quoi parlez-vous ? je réponds : alors, il n'y a personne pour me le demander ? "

par où on commence... l'apparence du récit d'un homme le narrateur dans un appartement dans lequel il est en quelque sorte étranger et habité par deux femmes Judith, qu'il connaitrait, et Claudia, qu'il connait, peut-être. Les malaises exprimés sont étranges et une certaine irritation déstabilise l'apparence habituelle du récit. L'ambiance à laquelle on s'attend est comme brusquée par des élans très vifs. Mais nous ne sommes sûrs de rien, ou si peu... l'espace de la pensée, la présence réelle, ou multiple... ou absente... L'attente et le report du futur immédiat sont eux plus sensibles, et au fil des pages, faites de phrases qu'on relit jusqu'aux précédentes ou bien par fragment, les choses se compliquent, ou s'éclairent, toujours le paradoxe qui n'en est pas un, ce n'est qu'une apparence... sans être capable d'affirmer ce qui est.

on retrouve les variations sur un rapport à soi, présent et absent, seul et par l'autre... on touche aussi une écriture subtile et attentive, tactile, d'une sensualité qui dépasse de très loin les repères évidents de contacts et de chaleur... c'est que l'écriture dans son action se mêle avec un retour renouvelé sur la notion de temps et d'instant, jusqu'à des pages finales d'une beauté profonde et non pas sidérante... autour d'un instant complet, dépourvu de commencement et de fin (mais c'est aussi dans l'art de s'approcher de cet instant), le moment présent mais par là toujours présent... comme ce lien au sentiment amoureux ou sa forme qui habite, les instants de la nuit et du réveil qui sont aussi le jour... (c'est proche de passages du Livre à venir dans la thématique, c'est une recherche et un jeu, une écriture poussée mais pas si excessive qu'elle peut paraitre). Là, je ne sais pas si il faut parler de multiplicité ou de simultanéité, c'est la transgression, si l'on veut, de l'auteur (à mon sens de maintenant avec mon peu de savoir) de créer le sens qui s'affranchit de la pure séquence de la lecture et des idées, images... et ces rapports flous, factices aux limites, aux existences définies s'approchent non plus du "dictionnaire à l'envers" comme j'ai du essayer de le dire quelques pages avant mais d'une vérité multiple derrière un mot précis et donné. L'existence réelle du narrateur ou sa présence dans l'appartement, d'une ou des deux femmes qui pourraient être une ou aucune... ça n'a par moment plus d'importance dans le récit, dématérialisé mais vivant... comme si la brusquerie des débuts (quasi 2/3 en fait) n'était qu'une façon de secouer plus fortement l'impossibilité (ou l'inverse) du tangible de la présence en même temps que l'apparence ou quelque chose à voir entre la pensée et la distance...

Et ce ne sont pas de pures abstractions car quel cadre serait plus signifiant que celui de cette histoire ?

Déroutant sur le début, à part, avec les autres dans l'ensemble, et je prête sans hésiter à l'évolution un sens narratif... si quelque phrase peuvent sembler surfaites (mais que ne faut-il faire pour effleurer un objet pareil ?) il y en a de nombreuses qui ont les limites de la perfection dans les instants de clarté ménagés et choisis par cet auteur hors du commun.

Et il faut pour conclure se refuser à dire qu'il s'agit d'un monde différent.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyLun 8 Nov 2010 - 21:57

Je suis parti vers Le dernier homme. Ce qui marque des retrouvailles avec cette écriture précise et multiple, qui tourne ses enjeux démesurés dans de savantes mécaniques. Le dialogue avec soi, extériorisé, serait effrayant si il n'était pas bercé dans cette infinie douceur...

Citation :
Il y a des instants où je le retrouve comme il a dû être : telle parole que je lis, que j'écris, s'écarte pour faire place à la sienne. Je devine qu'il s'est tu à tel moment, qu'il m'a prêté attention à tel autre. Je passe devant sa chambre; je l'entends tousser - comme un loup, disait-il -, et c'était en effet un froid gémissement, un bruit singulier, austère, légèrement sauvage. Son pas ne m'a jamais trompé : plutôt lent, silencieux et égal, plus appuyé que ne l'eût fait croire sa grande légèreté, toutefois non pas pesant, mais laissant imaginer, même quand il avançait par le long couloir, qu'il montait toujours un escalier, qu'il venait de très bas, de très loin et qu'il était encore très loin. Il est vrai, je ne l'entends pas seulement quand il s'arrête à ma porte, mais aussi quand il ne s'arrête pas. Cela est difficile à apprécier : vient-il encore ? S'en va-t-il déjà ? L'oreille ne le sait pas; seul le battement de cœur le révèle.
Son presque bégaiement. Une parole s'est avec une promptitude déconcertante dérobée derrière une autre. Il hésite imperceptiblement; il hésite constamment; son hésitation me permet seule d'être un peu certain de moi, et de l'écouter, de lui répondre. Il y avait pourtant autre chose : une écluse s'ouvrait, nous changions de niveau avec nous-mêmes.

Et comment fait-il pour que tout compte...

Citation :
Il avait besoin de je ne sais quoi de ferme pour le soutenir. Mais je souffrais de tout ce qui semblait l'enfermer. Cela me rendait anxieux, agité. C'est cette agitation qui m'ôtait de moi-même, y introduisant à la place un être plus général, parfois "nous", parfois ce qu'il y avait de plus vague et de plus indécis. Nous souffrions alors d'être un si grand nombre devant lui si seul, d'être liés les uns aux autres par tant de liens médiocres, mais forts, mais nécessaires, auxquels il était étranger. Plus tard j'ai regretté ces premiers instants. je n'ai cessé d'être gêné, pour le voir, par lui-même, par ce que je voulais reconnaître de moi en lui.

pour donner vie à cette tension infinie de l'instant devenu celui de la lecture ? ce qu'il fait de l'unité, de l'espace ou du temps ?

c'est sans fin...

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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMer 10 Nov 2010 - 21:31

à me sentir encore surpris et un peu gêné l'autre jour par une lecture de japonais (traduit, forcément) faite presque exclusivement d'actions, je m'aperçois que c'est un peu le cas chez Blanchot, peut-être de façon plus délibérée, et qui plus est dans un "univers" achromatique. ce sont finalement deux grosses évidences.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptySam 13 Nov 2010 - 19:56

Le dernier homme

Nouvelle lecture d'un sublime récit étrange... principales manifestations humaines du récit : un narrateur, homme à l'âge indéterminé, plus seulement jeune. un autre homme plus âgé, malade, mourant ? une femme plus jeune. ce qui tient de lieu une sorte de maison de repos ou lieu de convalescence entre la montagne et la mer...

C'est délicat de présenter ce genre d'histoire tant ses composantes sont polymorphes au fil des phrases. Deux chapitres : le premier beaucoup plus important en longueur que le second. Le narrateur est fasciné et attiré par cet homme énigmatique, la jeune femme compagne du narrateur s'occupe elle de cet homme en lui tenant parfois compagnie... le reste est littérature et obsessions de l'auteur. Les personnages sont à la fois personnages et facettes d'un même personnage, le temps et l'espace du récit construisent des perspectives intellectuelles et sensitives. Et quelle subtilité, quelle maîtrise dans les mouvements de toute cette première partie. Ce qui se cache (encore) derrière ce livre c'est la solitude, surtout, et donc son contraire... et Blanchot expose une réflexion et des mouvements sur une tension inquiète et séduisante à la fois puissante et fragile. L'infinie solitude et l'énigmatique altérité. Les personnages et les mouvements sont aussi des idées, sentiments et le vertige moral ou humain, la solitude rendue terriblement vivante, se fondent parfaitement dans ces êtres incertains et pourtant on ne peut plus tangibles. ça et là cet univers est perturbé par des indices qui affirment ces liens mais précipitent aussi le lecteur ébahit, bercé profondément au bord de la rationalité.

Le second chapitre, sorte d'ébullition solitaire, recolle les morceaux, amène de quoi comprendre, surtout ce qu'est ce personnage féminin et nous fait replonger, encore, dans les limites et l'espace de Blanchot, l'entre, l'avant tout ce qui n'est pas et n'en est que plus pleinement. Toute la densité de la tension qui habite le texte revient dans un mouvement très souple sur cette solitude et ce sentiment amoureux (c'est au moins une façon de le dire) pour conclure cet instant très poétique, du plus profond drame et de la plus grande beauté. Le tout avec un immense talent pour animer et structurer un texte aussi intelligent que sensuel et fascinant. Et rien d'évidences mécaniques dans le symbole, ça va beaucoup beaucoup plus loin et les évidences mécaniques potentielles sont d'un tout autre ordre.

C'est proprement sublime dans sa substance et son indissociable résultat. La précision et l'attention poussée jusqu'à un infini...

Le pire c'est qu'on en ressort avec en prime la certitude qu'on pourra relire et comprendre un peu autrement ou plus justement certains passages, certains rapports (aux espaces ?).
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptySam 13 Nov 2010 - 20:04

Avec tous tes super posts sur Blanchot je ne sais plus par lequel commencer. J'ai "Thomas l'obscur" de cote. Bientot...
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptySam 13 Nov 2010 - 20:40

Marko a écrit:
Avec tous tes super posts sur Blanchot je ne sais plus par lequel commencer. J'ai "Thomas l'obscur" de cote. Bientot...

C'est très très bien Thomas l'obscur.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyDim 14 Nov 2010 - 15:49

animal a écrit:
Le dernier homme

Nouvelle lecture d'un sublime récit étrange... principales manifestations humaines du récit : un narrateur, homme à l'âge indéterminé, plus seulement jeune. un autre homme plus âgé, malade, mourant ? une femme plus jeune. ce qui tient de lieu une sorte de maison de repos ou lieu de convalescence entre la montagne et la mer...


C'est proprement sublime dans sa substance et son indissociable résultat. La précision et l'attention poussée jusqu'à un infini...

Le pire c'est qu'on en ressort avec en prime la certitude qu'on pourra relire et comprendre un peu autrement ou plus justement certains passages, certains rapports (aux espaces ?).

Est-ce que j'ai lu celui-là??? Je ne suis pas certaine... Shocked
Merci de ce superbe commentaire Animal. Je vais (re?)lire ce livre, ton texte est comme un appel à sans tarder me replonger dans le monde de Blanchot...
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMar 5 Juin 2012 - 22:24

Le ressassement éternel et Après coup

Le ressassement éternel est composé de deux très courts textes ou nouvelles : L'idylle et Le dernier mot. Le premier narre la captivité ou la réinsertion d'un "étranger", mêlé à d'autres détenus parfois choyés, l'enjeu est le bonheur du jeune couple formé par le directeur et sa femme. Amour parfait ou problème sans fond ? Bien que le rythme soit plus rapide et la complexité de la structure moins développée, et que l'épure ne soit pas aussi complète que dans d'autres textes plus important tout est là. Un dépaysement vague et par moments piquant. Incertitude et étrangeté, convergences impossibles tracés avec précision par cette écriture particulière (à tendance sublime). Un rêve un brin déraisonnable dont l'étrangeté est évidemment avant tout individuelle, et universelle (pour enfoncer une porte ouverte), il y a là le rapport non seulement à la communauté, la normalité mais aussi à la tension intérieure vers une place qui se cherche... avec la part belle, mélancolique et romantique à la dissociation, distance, étrangeté.

Le second est plus apocalyptique et se finit dans une tour dans un monde ravagé. Si le premier malgré ses inquiétudes tiens plus du rêve (triste) celui ci est nettement plus anxieux, presque chargé et étouffant (même dans des détails visuels !). Il tourne autour du mot, du sens, et d'un obscur mélange ou rapport de force entre le sens et le pouvoir (non dénué de reconnaissance) avec une mise en avant de rôles de pouvoir (juge, professeur, ...) et d'une condamnation à une sorte d'errance dans l'expression, faite de recommencements, cherchant sa fin...

Après coup est un retour de l'auteur sur les deux textes, écrits parallèlement à Thomas l'obscur (datés de 1935-1936), sans grande surprise d'une façon claire, tout est là, entre Mallarmé, Bataille et Valéry, et l'état de conscience d'après la fin de la seconde guerre mondiale, la démarche de l'écriture et le sens du mot dans un rapport mis à nu avec ses limites. Motivation entre autres de ces fascinantes structures et fulgurances.

On trouve aussi dans Le dernier mot une évocation de Thomas :

Lorsqu'on eut fait le recensement de tous les habitants, on s'aperçut qu'un individu, nommé Thomas, n'avait pu être compris dans la liste générale. Il resta donc là en surnombre et on prit l'habitude de le traiter comme si, par rapport à une humanité elle-même insensée, il avait été privé de raison.

Et à souligner que dans ces deux textes de fiction comme dans leur explication (si on veut) il n'y a pas malgré les sujets de gravité excessive.

J'ai sans doute été plus marqué par L'Idylle que par le dernier mot. Je ne suis pas sûr de vraiment pouvoir l'oublier tellement il est clair.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMar 9 Oct 2012 - 22:48

blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 Blanch10

Thomas l'Obscur (1950). L'Imaginaire Gallimard. 137 pages.
Le livre commence par un petit texte :
Citation :
"Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. Aux pages intitulées Thomas l'Obscur, écrites à partir de 1932, remises à l'éditeur en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n'ajoute rien, mais comme elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même toute nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s'en croit le centre, l'on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n'exprime elle-même que la recherche d'un centre imaginaire."

Le livre n'est effectivement pas très long, et commence comme suit :

Citation :
"Thomas s'assit et regarda la mer. Pendant quelque temps il resta immobile, comme s'il était venu là pour suivre les mouvements des autres nageurs et, bien que la brume l'empêchât de voir très loin, il demeura, avec obstination, les yeux fixés sur ces corps qui flottaient difficilement. Puis, une vague plus forte l'ayant touché, il descendit à son tour sur la pente de sable et glissa au milieu des remous qui le submergèrent aussitôt." (page 9).
Le début est bien écrit, on sent qu'il y a du symbole. Le style devient original, le sens nous échappe un peu, on est submergé par les mots comme Thomas est environné d'eau.
Le premier chapitre est, semble-t-il, un schéma de l'ensemble du livre, un aller et un retour, un éloignement qui aboutit à un changement.
Peut-être.

Continuons.
Citation :
"Bientôt, la nuit lui parut plus sombre, plus terrible que n'importe quelle nuit, comme si elle était réellement sortie d'une blessure de la pensée qui ne se pensait plus, de la pensée prise ironiquement comme objet par autre chose que la pensée. C'était la nuit même. Des images qui faisaient son obscurité l'inondaient." (page 17).

Plus tard, à un moment Thomas lit :
Citation :
"Et même plus tard, lorsque, s'étant abandonné et regardant son livre, il se reconnut avec dégoût sous la forme du texte qu'il lisait, il garda la pensée qu'en sa personne déjà privée de sens, tandis que, juchés sur ses épaules, le mot Il et le mot Je commençaient leur carnage, demeuraient des paroles obscures, âmes désincarnées et anges des mots, qui profondément l'exploraient.
Le première fois qu'il distingua cette présence, c'était la nuit. Par une lumière qui descendait le long des volets et partageait le lit en deux, il voyait la chambre tout à fait vide, si incapable de contenir un objet que la vue en souffrait. Le lire pourrissait sur la table. [...]
Il était aux prises avec quelque chose d'inaccessible, d'étranger, quelque chose dont il pouvait dire : cela n'existe pas, et qui néanmoins l'emplissait de terreur et qu'il sentait errer dans l'air de la solitude. Toute la nuit, tout le jour ayant veillé avec cet être, comme il cherchait le repos, brusquement il fut averti qu'un autre avait replacé le premier, aussi inaccessible, aussi obscur et pourtant différent. C'était une modulation dans ce qui n'existait pas, une manière différente d'être absent, un autre vide dans lequel il s'animait." (page 29-30)

Il rencontre une femme, Anne.
Citation :
"Chaque fois, il venait droit à elle, suivant d'une marche inflexible un chemin tracé par-dessus la mer, les forêts, le ciel-même. Chaque fois, alors qu'il n'y avait plus dans le mond que le soleil et cet être immobile debout à ses côtés, enveloppée par cette profonde insensibilité qui la découvrait, sentant par lui se condener en elle tout le calme de l'univers, Anne, au moment où retentissait le fracas étincelant de l'ultime midi, confondue avec le silence, pressée par la plus grande paix, n'osant faire un geste ni avoir une pensée, se voyait brûler, mourir, les yeux, les joues en feu, la bouche entrouverte, exhalant, comme un dernier souffle, ses formes obscures en plein soleil, moerte parfaitement trnasparente à côté de ce mort opaque qui auprès d'elle s'épaississait toujours davantage et, plus silencieux que le silence, abîmait les heures et égarait le temps." (pages 44-45)

On peut trouver cela très beau, très bien écrit, se laisser griser par le flot des mots, à défaut de savoir exactement ce que cela veut dire.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMar 9 Oct 2012 - 22:48

Mais rapidement on perçoit un caractère mécanique qui revient très fréquemment, une recette trop souvent utilisée par Blanchot : l'opposition de la première partie d'une phrase avec la seconde.
Exemple :
Citation :
"La tombe était pleine d'un être dont elle absorbait l'absence. Un cadavre indélogeable s'enfonçait, trouvant dans cette absence de forme la forme parfaite de sa présence." (page 38).
Plein... d'une absence. Absence... donc présence.
Ou encore :
Citation :
"Déjà, alors qu'il se penchait encore sur ce vide où il voyait son image dans l'absence totale d'images, saisi par le plus violent vertige qui fût, vertige qui ne le faisait pas tomber, mais l'empêchait de tomber et qui rendait impossible la chute qu'il rendait inévitable, déjà la terre s'amincissait autour de lui, et la nuit, une nuit qui ne répondait plus à rien, qu'il ne voyait pas et dont il ne sentait la réalité que parce qu'elle était moins réelle que lui, l'environnait." (page 40-41).
C'est un festival d'oppositions. Thomas voit une image où il n'y en a pas ; le vertige l'empêche de tomber ; et il sent la réalité de la nuit parce qu'elle est moins réelle que lui. C'est un peu poussé, quand même (un peu gratuit ?).
D'ailleurs, deux phrases plus loin, c'est reparti :
Citation :
"Même à la surface de cette terre où il ne pouvait pénétrer", et là le lecteur a déjà deviné la teneur de la suite : une opposition, bien sûr, "il était à l'intérieur de cette terre dont le dedans le touchait de toutes parts." (page 41).
C'est un peu facile. S'il y a bien quelque chose que je n'aime pas, c'est savoir comment une phrase va finir lorsque je n'en suis qu'à la moitié.

Quand Blanchot joue avec cette petite mécanique, la lecture du texte en devient attendue et, partant, désagréable. Des paradoxes, encore et toujours... c'est lourd. Que de fois j'ai pensé : "encore !". Et quand on se met à penser ainsi, on perd le fil de la lecture. C'est très agaçant.
"L'espace qui l'entourait était le contraire de l'espace [...]" (page 46). Oui, oui. "[...] elle pénétrait dans une atmosphère rare où il lui suffisait, pour reprendre son souffle, de cesser toute respiration" (page 78). Pfff...


Bon, tout ça c'est très bien, mais de quoi parle le livre ? Il semble qu'il s'agisse d'une sorte de périple intérieur, où l'immobilité pleine d'événements non survenus permet d'aboutir en un autre lieu et pourtant encore le même, où Thomas est un autre et bien sûr lui-même, tout en étant différent, etc.
Dans le Dictionnaire des Oeuvres, chez Robert Laffont, c'est expliqué ainsi, mieux que je ne pourrais le faire :
"Le lieu sacré atteint par Thomas à la fin de son parcours dans la mer nous apparaît donc comme l'aboutissement d'un trajet ontologique complètement achevé ; or, c'est aussi un commencement, une « solitude essentielle », le point à partir duquel Thomas peut être dit indifféremment obscur ou transparent ; arrivé à ce terme extrême, qui constitue apparemment une limite indépassable, Thomas se trouve en un lieu premier, c'est-à-dire pour reprendre l'expression de Blanchot, à un endroit « où son empreinte était déjà marquée », à sa propre origine. Cependant, cette ontologie, Blanchot ne veut et ne peut la développer que sur le mode fabuleux, à travers une expression délibérément littéraire."

Le texte est donc obscur, mais réserve des pistes que l'on peut suivre ou tout du moins deviner. Il y a une vraie atmosphère, un style...
Mais j'en ai eu ras le bol des phrases construites en opposition.

En rouvrant encore le livre au hasard, pour trouver une belle phrase, je tombe, page 91, sur "[...] le sentiment pur, jamais plus pur, de son existence dans le pressentiment torturé de son inexistence" : dès le mot "pressentiment", du fait que l'on avait lu "existence", on savait qu'on allait avoir droit à "inexistence".
Finalement, j'ai eu l'impression que le livre entier est comme une de ces si nombreuses phrases en opposition : il commence par un grand plaisir et finit par son contraire.

Un texte à lire dans sa continuité, en se laissant "happer" par le flot des mots. La lecture fragmentée de type "métro/RER" lui est fatal.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMar 9 Oct 2012 - 23:29

Huhu. Pas sûr que ce soit possible de lire par "sessions" trop longues. Et si je comprends bien la frustration je pense que c'est pire. Après tout si c'était seulement une mécanique de contraire ça pourrait difficilement tenir sur ces longueurs. D'ailleurs des mots (le vocabulaire est plutôt simple) reviennent souvent mais avec un sens ou une finalité différente dans cette écriture. Ce ne sont pas vraiment des contraires ou pas des contraires parfaits (c'est un peu l'histoire du bol et du vide pour prendre une image), ce qui fait (ça change la mécanique de lecture) que des bifurcations apparaissent dans l'expres​sion(ça n'irait pas jusqu'au sens supposé, envisagé) et aussi des simultanéités. Il marche horriblement et merveilleusement à l'altération de référentiel par dessus le marché. c'est luxe. Pas étonnant qu'il "flingue" l'identité.

fait longtemps que je n'y suis revenu en plus ! ça me manque.
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyMar 9 Oct 2012 - 23:42

C'est vrai qu'il n'y a pas qu'une mécanique de contraire ; mais est-ce que tous ces contraires, tous ces mots si nombreux liés à la négation, au néant, sont là pour aboutir à une sorte de renaissance ?
Je ne doute pas qu'en relisant minutieusement, en faisant un plan du livre, on puisse remarquer plein de choses, de l'ordre de la construction du livre.

Je n'ai pas essayé de faire des sessions trop longues, mais les transports en commun avec, en plus de la fragmentation, la distraction, les arrêts, etc., ça n'est vraiment pas bon pour ce type de lecture...
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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyJeu 11 Oct 2012 - 0:06

oui faut du temps de cerveau solidement disponible, voire séquestré ! tu n'avais pas déjà chroniqué une lecture de Blanchot ? (mais avec quoi confondrai-je ?)

je ne sais pas si c'est une renaissance... il y a la réalisation d'états imaginaires dans la drôle de brume clinique qui mijote dans ces bouquins. Le sens linéaire qui se perd, avec les identités donc, tout en conservant des formes, des structures de langage valides. Du sens supplémentaire ou différent qui est mis en œuvre et qui est réel et valide lui aussi à cause de ces structures rigoureuses. Une espèce de débordement... j'opterai plus par simplicité pour la simultanéité que la renaissance.

Un peu hors sujet, mais seulement très peu, en lisant In a Hotel Garden de Josipovici, avec une langue très différente et une utilisation formellement, au ligne à ligne, très simple du dialogue au même type de dérangement, de déséquilibre juste du sens. Il y a une imperfection affutée du sens.

ça me fascine horriblement de lire les mouvements de ces auteurs autour de ça.



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MessageSujet: Re: Maurice Blanchot   blanchot - Maurice Blanchot - Page 5 EmptyJeu 11 Oct 2012 - 7:54

animal a écrit:
oui faut du temps de cerveau solidement disponible, voire séquestré ! tu n'avais pas déjà chroniqué une lecture de Blanchot ? (mais avec quoi confondrai-je ?)
Non, disons que j'ai mis du temps à la chroniquer, cette lecture...

Il y a des livres dont il est plus facile de parler que d'autres, aussi...
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