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| Mathias Enard | |
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Auteur | Message |
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topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Mathias Enard Sam 15 Juin 2013 - 18:21 | |
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| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Mathias Enard Mar 25 Juin 2013 - 12:54 | |
| La perfection du tir
Si cela veut montrer que la guerre (civile en l’occurrence) est une saloperie, c'est parfaitement réussi. Mathias Enard suit pas à pas son héros, tout jeune garçon sûr de sa cause, fier de sa puissance meurtrière, de sa maîtrise implacable. Seulement tout cela part à la dérive, le héros se laisse aller à jouer avec la puissance de son arme, dans un grand n'importe quoi malsain de turpitudes meurtrières. Cela ne l’effleure jamais qu'il est en plein délire, il ne fait que continuer sur la voie de la trahison et de l’infamie. Ce qui le déstabilise beaucoup plus, c’est la douceur sensuelle qui le met en émoi quand il embauche Myrna, une jeune fille pure de 15 ans, pour garder au domicile sa mère entrée dans une autre forme de folie. Même cette fascination virginale a des relents de veulerie. Cela devrait être implacable et terrifiant, ça l’est souvent, mais je dois dire que je me suis parfois laissée submerger par la confusion des combats et l’ennui qui en est ressorti. De très beaux passages alternent avec des descriptions totalement distanciées et factuelles. La fin par contre est un chef-d'oeuvre de poésie lyrique qui empoigne le lecteur. L’amour dont la dimension soi-disant rédemptrice ne peut guère cacher l’appel de la chair et le despotisme du soldat ne prend vraiment toute sa valeur que dans cette dernière scène. Un livre dérangeant donc, qui ne tient pas toutes ses promesses, et laisse un certain malaise, sans doute voulu par l’auteur.
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| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Mathias Enard Ven 5 Juil 2013 - 20:11 | |
| Une prose précise et élégante donnant une musicalité séduisante au texte. C'est littéraire sans affectation ( Enard dit que les jeunes jurés du Goncourt des Lycéens ont justement aimé ce "beau style"). Le roman m'a parfois fait penser aux Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar sans en atteindre toute la profondeur et la densité. La même rencontre entre des mondes antagonistes, le sous-texte passionnel bisexuel, le raffinement de la langue. J'ai aimé la triangulation amoureuse qui répond à la triangulation géographique et culturelle (la danseuse andalouse, l'artiste italien, le poète ottoman) en faisant de cette épure une sorte d'anecdote représentative d'un ensemble plus vaste. Une époque historique charnière, un monde aux racines complexes (les juifs et les musulmans expulsés d'Andalousie par les chrétiens ayant fondé au sein de l'Empire Ottoman une civilisation qui compose le monde turc actuel). J'ai lu une interview de Mathias Enard qui dit avoir été embarrassé que la légende (probablement fausse) prête à Michel-Ange ce projet de pont presque trop lourdement symbolique. Il aurait préféré le voir venir créer une coupole par exemple. Et pourtant cela fonctionne bien et le roman se lit comme une tentative de donner vie à une fiction a priori imaginaire tout en étant rigoureusement documentée par ailleurs. C'est instructif sans être didactique. L'ambiguité sexuelle de Michel-Ange (dont la plupart de sonnets amoureux sont dédiés à des garçons) donne à cette double rencontre avec le poète homosexuel Mesihi de Pristina (dont on ne sait presque rien) et la chanteuse Andalouse un côté trouble et sensuel qui lie bien l'ensemble par son côté orientalisant et presque subliminal. Reste que c'est quand même une exercice de style qui manque peut-être un peu d'incarnation. Il l'a écrit en passant un an à la Villa Médicis où il a découvert des ouvrages mentionnant ce voyage à Istanbul. On aimerait presque plus d'ampleur (et de pages) à ce texte mais cette façon de donner vie à un fantasme est un bon moment de lecture qui apprend des choses tout en faisant voyager et rêver un peu dans un beau style. Je vais vite me procurer ses autres romans. | |
| | | mimi54 Zen littéraire
Messages : 6043 Inscription le : 02/05/2010
| Sujet: Re: Mathias Enard Sam 24 Aoû 2013 - 18:24 | |
| Rue des voleurs
Ma première rencontre avec l’auteur avait un véritable flop ; Parle-leurs de bataille, etc… n’avait assez rapidement gonflée.
Comment allais-je recevoir Rue des voleurs ?
Nul doute, les première pages démarrent fort ; tant sur le style que dans les faits. Avec des mots qui sonnent et qui claquent, et un phrasé heurté, et harponneur, nous entrons de plein fouet dans le drame familial qui va précipiter Lakhdar sur les chemins de l’errance, de l’exil, et des mauvaises rencontres. Mathias Enard nous montre une jeunesse en quête d’idéal, de repère, de liberté ; une jeunesse prise entre le monde étriqué de leurs parents héritiers d’une société traditionaliste qui s’effrite de toute part, et celui inaccessible qui semble plein promesses.
Les pays arabes s’embrasent, les fondamentalistes s’organisent. Lakhdar est toujours pris en tenaille. C’est l’histoire d’un jeune homme lucide et intelligent, épris de livres policiers ,qui perd ses illusions,et qui au final ne sait plus trop ce qu’il est et ce qu’il veut.
Mathias Enard nous donne à un bien beau roman, bien ancré dans notre monde, peuplé de personnages restitués avec juste ce qu’il faut de justesse et de lyrisme.
Dernière édition par mimi54 le Sam 24 Aoû 2013 - 19:31, édité 2 fois | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Mathias Enard Sam 24 Aoû 2013 - 19:18 | |
| - mimi54 a écrit:
- Rue des voleurs
C’est l’histoire d’un jeune homme lucide et intelligent, épris de policiers qui perd ses illusions,
Je ne sais trop comment interpréter cette phrase. Petit lapsus ? |
| | | mimi54 Zen littéraire
Messages : 6043 Inscription le : 02/05/2010
| | | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Mathias Enard Dim 15 Sep 2013 - 2:25 | |
| Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphantsBabel - Marko a écrit:
Reste que c'est quand même une exercice de style qui manque peut-être un peu d'incarnation. Moui... Je dois reconnaître que cette lecture a sans doute pâti de mes lectures parallèles, mais j'ai eu beaucoup de mal à m'y intéresser.. J'aimais beaucoup le titre. J'ai découvert dans la note de fin qu'il provenait de Kipling, Au hasard de la vie: : Puisque ce sont des enfants, parle-leur de batailles et de rois, de chevaux, de diables, d’éléphants et d’anges, mais n’omets pas de leur parler d’amour et de choses semblables.C'est ciselé, travaillé, peut être trop.. Quant au côté métaphorique du pont, je l'ai enjambé sans doute un peu rapidement.. Bref. Michel- Ange m'énervait, j'aimais bien le singe mais il est mort trop vite . Je suis tout à fait consciente d'avoir fait progresser l'art de la critique littéraire d'un grand pas, désolée | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Mathias Enard Dim 15 Sep 2013 - 9:16 | |
| C'est sûr qu'il est à part celui-là. une commande, je crois.Pas un roman qui m'a marquée comme Rue des voleurs. Marie (et les autres) essaie de trouver Tout sera oublié, il te réconciliera avec Enard | |
| | | Aeriale Léoparde domestiquée
Messages : 18120 Inscription le : 01/02/2007
| Sujet: Re: Mathias Enard Dim 15 Sep 2013 - 9:26 | |
| - Marie a écrit:
- Bref. Michel- Ange m'énervait, j'aimais bien le singe mais il est mort trop vite .
Je suis tout à fait consciente d'avoir fait progresser l'art de la critique littéraire d'un grand pas, désolée Merci pour la précision sur le titre Marie, et je partage ton avis sur Michel Ange! Le style est très élégant mais tout ceci manque de chair. Rien à voir avec les deux autres.. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| | | | Igor Zen littéraire
Messages : 3524 Inscription le : 24/07/2010 Age : 71
| Sujet: Re: Mathias Enard Lun 16 Déc 2013 - 17:17 | |
| Zone Verticalité et horizontalité de la guerre et du meurtre chez ce que l'on appelle l'humanité . Pénétrer dans "la zone" et terrifiant, il y règne des monstres, beaucoup de monstres. Un livre hypnotique d'une érudition époustouflante... Une sorte de monument terrible! | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Mathias Enard Lun 16 Déc 2013 - 18:59 | |
| - Igor a écrit:
- Zone
Verticalité et horizontalité de la guerre et du meurtre chez ce que l'on appelle l'humanité . Pénétrer dans "la zone" et terrifiant, il y règne des monstres, beaucoup de monstres. Un livre hypnotique d'une érudition époustouflante... Une sorte de monument terrible! ah oui c'est une grande claque stylistique et un sacré pari narratif de mêler tant d'histoires. Contente que tu sois happé, Igor ! | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Mathias Enard Mar 17 Déc 2013 - 20:27 | |
| Zone Tu parles de claque, Shanidar. J’ai plutôt l’impression de sortir de ce livre comme rouée de coups. Sortie d’une épreuve douloureuse mais qu’il était juste de traverser. Encore un livre immense. Qui a travers un homme nous parle de l'Homme, de l'Histoire et du siècle, en faisant le choix du chaos, puisque ce monde est chaos. Tout comme l’était le monde des légendes des héros et dieux grecs qui nous accompagnent tout au long du récit. On est dans la tête de Francis, baroudeur du monde européen et méditerranéen, militaire en ex-Yougoslavie puis espion dans la « zone », et on suit, d'associations d'idées évidentes en associations d'idées obscures, son périple à travers un monde de guerre, de haine, de décombres fumantes. - Citation :
- (…) flux, reflux, exilés qui en chassent d'autres, au gré des victoires et des défaites de la puissance des armes et du tracé des frontières, une ronde sanglante, une vendetta éternelle et interminable, toujours, qu'ils soient républicains en Espagne fascistes en France palestiniens en Israël tous rêvent du destin d’Enée le Troyen fils d'Aphrodite, les vaincus aux villes détruites veulent détruire à leur tour d'autres villes, récrire leur histoire, la changer en victoire, ailleurs, plus tard, (…)
Ce monde dont toute humanité semble absente, tâche de supporter son propre spectacle en l'occultant à travers une inconscience aveuglante, peuplée de plaisirs dérisoires, noyée dans l'alcool dévastateur, assourdie par le vacarme de boîtes de nuit où l'on danse sur un sol peuplé de cadavres à peine refroidis, apaisée dans la frénésie sordide des bordels. Le monde jouit, brille, consomme, s’éclate pour effacer les souvenirs insoutenables . Francis partage avec nous l’horreur et la jouissance mêlées qu’il ressent à la folie furieuse du combat. Il est las d’essayer de se sauver par la chaleur de l'amitié, le réconfort de la lecture dans une quête perpétuelle de livres qui lui ressemblent, ou dans les bras de quelques femmes splendides et idéalisées,. Mais ces idylles fabuleuses chez un homme aussi meurtri par la vie, ne peuvent mener qu’à des éclats aussi irrémédiables que dérisoires. On accompagne ainsi Francis dans un interminable voyage en train entre Paris et Rome, qui, il l’espère sans y croire, l’amènera à tourner la page et laisser derrière lui les décombres d'un monde insupportable, à poser définitivement son costume de monstre, dans un dernier geste désespéré et salvateur. - Citation :
- Vais–je pouvoir me débarrasser de moi-même comme on enlève un pull-over dans un train surchauffé ?
- Citation :
- (…) je monte à mon tour dans l'express transitalien qui devait être le sommet du progrès et de la technologie il y a dix ans car les portes en étaient automatiques et il dépassait les deux cent kilomètres à l’heure en ligne droite par beau temps et aujourd'hui, un peu plus près de la fin du monde, ce n'est qu'un train : il en est de toute chose comme des trains et des automobiles, des étreintes, des visages, des corps leur vitesse leur beauté ou leur laideur paraissent bien ridicules quelques années plus tard, une fois putrides ou rouillés, (…)
C'est un amalgame hallucinant d’histoires, d'une description souvent insoutenable. Dans ce « chaudron du diable », on erre d’un lieu de mort vers un lieu de désespoir. Le mal est partout, nous sommes tous victimes et bourreaux dans une spirale sans fin. - Citation :
- (…) qu'il soit utilisé par l'un ou l'autre camp ne retire pas sa véracité au témoignage, attestée par la force de la vengeance, de la haine de celui qui y croit, haine qu’il va purger, des dizaines d'années plus tard, contre ses ennemis, par peur, peur de la tradition, par de la légende qui le pousse lui aussi à aller vers l'autre le couteau en avant, comme les récits d'atrocités serbes nous poussaient, dans la peur, à découper leurs cadavres en morceaux, effrayés sans doute que de tels guerriers n’aient le pouvoir de ressusciter, les enchaînements de massacres serbo-croates donnaient toujours raison aux récits antérieurs, sans que personne n'ait tort, puisque chacun, à l'instar des Autrichiens en Serbie, pouvait citer un cas d'atrocité commise par l'autre camp, l'autre en soi, il fallait gommer son humanité en lui arrachant le visage, l'empêcher de procréer en lui coupant les couilles, le contaminer en violant ses femmes, annihiler sa descendance en tranchant les seins et les poils pubiens, revenir à zéro, annuler la peur et la douleur, l'histoire est un conte de bêtes féroces, un livre avec des loups à chaque page, Tchedo va t’égorger mon enfant, et il le fera sûrement, aussi sûrement que toi-même, croit-il, tu as déjà brûlé ses rejetons braillards dans la fosse ardente, chez nous le collectif procède du récit de la douleur individuelle, de l'emplacement des morts, des cadavres, ce n'est pas la Croatie qui saigne ce sont les Croates, notre pays est là où sont nos tombes, nos assassins, les assassins de l'autre côté du miroir attendent leur heure, et ils viendront, ils viendront parce qu’ils sont déjà venus, parce que nous sommes déjà allés leur tailler les oreilles en pointe, mettre nos pieux dans le ventre de leurs femmes et leur arracher les yeux, une grande vague d'aveugles hurlants va crier vengeance, va venir défendre ses tombeaux et les ossements de ses morts aussi sûrement que la marée, descendue, remonte au rythme des mouvements de la lune, (…)
- Citation :
- (…) rien ne revient de ce qui a été détruit, rien ne renaît, ni les hommes disparus, ni les bibliothèques brûlées, ni les phares engloutis, ni les espèces éteintes, malgré les musées les commémorations les statues les livres les discours les bonnes volontés, des choses en allées il ne reste qu'un vague souvenir, une ombre qui plane sur Alexandrie douloureux fantôme parcouru de frissons, et c'est tant mieux sans doute, tant mieux, il faut savoir oublier, laisser les hommes les animaux les choses partir, (…)
Mathias Enard est un écrivain qui pourrait me raconter n'importe quoi, sa prose prend aux tripes et convainc que si ce monde est un enfer, il peut, au moins, être raconté et écouté. On a dit et redit que Zone était un livre sans point. C'est un aspect finalement tout à fait anecdotique, une performance stylistique à laquelle il serait dommage de réduire la prose de Mathias Enard. D’ailleurs il suffit de trois pages pour n’y plus prêter attention, se prendre au rythme d’un récit magistralement mené, et comprendre que, non seulement les points ne manquent pas, mais que leur absence crée une espèce d'urgence, une jouissance à lire, où se détache l’idée que puisqu'il n'y a pas de point, il pourrait ne pas y avoir de fin : on restera perpétuellement dans ce bouleversement du chaos, dans cette beauté magique de l’ici et maintenant du récit. Pour ceux qui se sentiraient candidat à la lecture, je peux dire que j'ai mis à peu près 100 pages à me sentir à l'aise dans le livre, j'ai cru au début me noyer, submergée par ce rythme infernal du récit, sans bouée pour me rattraper face aux vagues répétées des digressions et des enchaînements, désespérée de l'immensité de ma méconnaissance géopolitique aux prises permanentes avec l’immense érudition de Mathias Enard. Que le charme m’a peu à peu gagnée, et que, franchement, cela valait la peine de lutter, pour ressentir ensuite un tel choc de lecture, une telle intensité. J'ajoute que c'est un livre éminemment sérieux et sombre, mais où, de façon sporadique il est vrai, il y a quelques notes d’humour, totalement noir évidemment. - Citation :
- (…) Nathan le fils de survivants de Lodz regardait tout ceci avec amusement, c'est le folklore, disait-il, tu sais, c'est le folklore de Jérusalem, comme le ski à Megève, ici nous avons les religions, Jérusalem vit de cette rente depuis des millénaires ça ne va pas changer du jour au lendemain(...)
J’ai été emportée par la litanie de ces exactions (extra-)ordinaires, révulsée et fascinée à la fois par tant de violences et de haine. Ce livre n’est que l’appel au secours éblouissant d’un homme face à la sauvagerie du monde et de lui-même, « un cri dans la nuit » . - Citation :
- (...) Vlaho est un mulot, un loir, une souris ou un rat, et surtout un enfant mâle, la guerre était son élément, car elle était simple, drôle et virile dans un monde où devenir un homme ne signifie pas grandir mais s’affûter, se réduire, se tailler comme une vigne ou un arbre auquel on retire petit à petit les branches, la partie femelle, ou la partie humaine, allez savoir, un buis de jardin classique sculpté en forme de guerrier, on aurait aussi bien pu dire en forme de phallus, de fusil, d’archétype du mâle auquel nous cherchions tous à ressembler, fort, adroit, chasseur préhistorique écervelé capable de toutes les forfanteries, bravache, orgueilleux mais soumis au plus fort et au supérieur hiérarchique, méprisant les faibles, les femmes et les pédés, tout ce qui ne lui ressemble pas, en fait, Vlaho, Andrija, les autres et moi petit à petit nous nous sommes transformés en soldats, en professionnels, bien sûr nous écrasions une larme de temps en temps, mais elle était vite cachée et effacée déguisée en sueur ou fumée dans l’œil, une accolade et voilà, ou du moins c'est ce que nous aurions souhaité, parfois tout s'effondrait, le bouclier d'Achille percé, les belles cnémides arrachées, la lance brisée, et il restait alors juste un enfant nu recroquevillé appelant sa mère ou ses frères gémissant pleurant dans son sac de couchage ou sur son brancard (…)
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| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Mathias Enard Mar 17 Déc 2013 - 21:11 | |
| @ merci topocl pour ce commentaire inspiré. Lisant en ce moment le livre de Remarque, A l'ouest rien de nouveau et étant plongée dans cette scène terrible où Paul, le narrateur, parti en patrouille, se retrouve englué dans un trou d'obus alors que les français donnent l'assaut... et que, s'il veut sauver sa peau, il sait qu'il va devoir tuer au couteau le premier qui tombera dans son trou (c'est lui ou moi) et qui le fait, qui poignarde un type dont l'agonie va durer des heures... Paul n'est pas un bourreau mais cet acte, dont immédiatement il va prendre conscience de l'absurdité est généré par la peur, par la guerre, par tout ce que raconte, d'une manière hypnotique et magistrale Enard.
J'ajoute, non pas pour adoucir le propos, mais pour marquer l'impressionnante palette d'Enard, qu'il ne se complaît pas dans l'horreur et que certains chapitres 'palestiniens' ont bien failli me faire pleurer par leur intensité et leur force, leur générosité et leur pudeur. | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Mathias Enard Mer 18 Déc 2013 - 7:44 | |
| - shanidar a écrit:
J'ajoute, non pas pour adoucir le propos, mais pour marquer l'impressionnante palette d'Enard, qu'il ne se complaît pas dans l'horreur Non il ne se complait pas. L'horreur se suffit tout à fait à elle-même.(il accumule un peu, quand même mais c'est tout son art) Finalement, ce livre me fait penser aux Bienveillantes. Bien décortiquée, l'histoire d'un homme qui a participé à l'horreur, avec sa part de l'inéluctable, et à travers cette histoire, l'histoire du siècle. On peut même amalgamer Confiteor, dont le héros, lui, se contente d'être un témoin lointain. - shanidar a écrit:
que certains chapitres 'palestiniens' ont bien failli me faire pleurer par leur intensité et leur force, leur générosité et leur pudeur. Oui, c'est presque culpabilisant, cette beauté du texte pour parler de telles douleurs. Et je me vois mal dire "Oh! J'adoooore Zone" : on ne peut pas aimer un tel livre avec ce que le mot aimer a de plaisir joyeux et réconfortant, mais pourtant quelle lecture! | |
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| | | | Mathias Enard | |
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