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| Georges Hyvernaud | |
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+4bix229 Constance Hank Charles 8 participants | |
Auteur | Message |
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Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Georges Hyvernaud Mar 19 Juil 2011 - 15:22 | |
| Quelques extraits de "Le wagon à vache" ... - Citation :
- En exergue à l'extrait de ce chapitre :
C'est peu de choses après tout. Ce sont des souliers qui deviendront des savates.
Victor Hugo.
Il criait à plein gosier, mais ce qu'il criait coulait dans le tumulte. Quelques mots surnageaient seuls - classes laborieuses, masses populaires. Une dame à gros derrière répétait : - Laissez-le donc s'expliquer, voyons, laissesz-le s'expliquer. Elle s'est tournée vers moi, et j'ai dit comme elle qu'il fallait laisser Flouche s'expliquer. Flouche criait : les masses ne permettront pas. La dame désirait savoir ce que les masses ne permettraient pas. Elle en faisait sûrement partie des masses. Moi aussi, j'en fais partie. des gens comme moi, comme Porcher, comme Yseut, comme les Vieux, ça ne peut prétendre qu'à cette désignation collective et à ce mode d'existence indifférenciée. Nos faibles particularités vont se perdre dans une immensité sans contours. On est une matière homogène et illimitée - on est les masses. (p.66) - Citation :
- En exergue à l'extrait de ce chapitre :
Et c'est ainsi qu'avance l'humanité : avec quelques riches, avec quelques mendiants - et avec tous ses pauvres.
E.M.Cioran.
Quand j'ai le temps, en été, je vais jusqu'au jardin public. C'est un endroit commode pour y méditer tout ça. Je veux dire le comportement des crabes. Il y a là un gardien qui est instructif à regarder. Un vieux type, un mutilé de l'autre guerre. "J'ai été blessé à la cuisses et aux Eparges", dit-il, histoire de rigoler. Une veine, sa blessure. C'est à cause de ce trou dans la cuisse qu'ils lui ont donné une pension, de quoi se saouler une fois par mois. Et puis sa place de gardien. Bonne petite place : rien à foutre qu'à marcher autour des pelouses. Il a son képi de gardien, sa canne de gardien. Il fait le tour du bassin où douze poissons déteints flottent en rond. Il passe devant le botaniste en pierre (1794-1881). Il passe devant la bascule automatique. Il recommence : le bassin, la statue, la bascule. Comme ça depuis un quart de siècle. Vingt-cinq ans de pas, et il est toujours au même endroit. Un symbole satisfaisant de mon existence et de pas mal d'autres. Continue, vieux, continue. La bascule, le bassin, la statue. Tu n'en sortiras pas. C'est ta place. Ta place de gardien. Moi, j'ai ma place chez Busson frères. Chacun sa place. Ce monde est rudement bien agencé, quand on y pense de près. Le botaniste est à sa place botaniste, posé sur un peu de brousaille et de rocaille. La bascule à sa place de bascule. Les poissons rouges à leur place de poissons, dans leur eau sale. Tout est dans l'ordre.
[...] Quelquefois, le gardien et moi, on cause un peu. On se comprend. Il m'a confié que sa fille s'était fait engrosser par un employé de la mairie qui ne veut rien savoir pour l'épouser. "Je suis bien emmerdé", dit le gardien. Il repousse son képi pour montrer combien il est emmerdé. Je lui dis que oui bien sûr c'est emmerdant mais que voulez-vous c'est la vie. Une formule pratique. Courte et pratique. On s'en sert beaucoup, nous autres. Ca dispense de chercher plus loin. Ca amortit les coups. Ca prouve aussi qu'on réfléchit, qu'on connaît les choses. Il remet d'aplomb son képi de gardien. La vie, la vie. Il s'en va de son pas grinçant, le dos de travers. La vie, la vie. (p.83-84)
- Citation :
- En exergue à l'extrait de ce chapitre :
Presque tous les gens que j'ai connus sonnent faux.
André Gide.
Passé une heure avec dardillot. Lui, il s'est trouvé du mauvais côté pendant l'occupation - parmi ceux qui manquèrent de courage et d'à-propos.[...]
- Voyez-vous, mon petit, le vieux Dardillot, c'est un homme qu'on ne salue plus. Point de salut pour les salauds. [...]
- Voilà, ils ont décidé ça à eux tous, les patriotes, les résistants diplômés, les experts en poignées de mains, les spécialistes du coup de chapeau, tous d'accord là-dessus, mon cher, unanimes : Dardillot Horace (un prénom grotesque, je vous l'accorde), Horace Dardillot, ci-devant soldat de la grande guerre, ci-devant agrégé de l'Université, n'a plus droit de la part de ses compatriotes aux marques extérieures du respect. A la poubelle, Dardillot. (p.102)
Il avait repris le ton sentencieux du vieux pédagogue. Il articulait posément ses phrases :
- Vous comprenez, au sortir d'évènements violents et ambigus, on se trouve en pleine confusion. Personne n'est certain d'avoir toujours été en règle. Cela créé un malaise. Une menace pour l'équilibre moral de la cité. Alors on dresse en vitesse la liste des salauds. Il faut ça. Il faut qu'il y ait une liste de salauds pour que ceux qui n'y figurent pas soient assurés de la correction de leurs principes et de la fermeté de leur conduite. Une fois les salauds identifiés, enrégistrés, étiquetés et livrés à l'abjection, la cité se sent pure. Une cité a besoin de se sentir pure. (p.107) | |
| | | odrey Sage de la littérature
Messages : 1958 Inscription le : 27/01/2009 Age : 46
| Sujet: Re: Georges Hyvernaud Mar 19 Juil 2011 - 17:50 | |
| Merci Constance. J'avais déjà prévu de lire le wagon à vaches mais je ne connaissais pas Les carnets d'oflag. je le note donc sur mon carnet. | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Georges Hyvernaud Mar 10 Jan 2012 - 19:01 | |
| L'excellent fil de Marco sur Proust m'a rappelé ce passage de "Le wagon à vaches", dans lequel Hyvernaud règle son compte au romanesque proustien. Passage incisif, caustique, mais non dénué d'humour : - Citation :
- Des médiocres vivants, incapables de donner du relief à leur vie. Impuissants à imposer au malheur la richesse et l'intensité d'une aventure - au hasard, la figure d'un destin.
Il y en a pour tout le monde, du hasard et du malheur. Ce n'est pas ce qui manque. L'important n'est pas qu'il arrive quelque chose à quelqu'un, mais que quelqu'un fasse quelque chose de ce qui lui arrive. Au point d'arrivée, il faut quelqu'un. Quelqu'un de vulnérable et d'ingénieux, de disponible et de compliqué. De préférence quelqu'un qui ait des loisirs et des rentes. Le romanesque est un privilège du beau monde, un luxe. Ca se passe du côté de Guermantes, le roman. Pas du côté des employés de bureau et des gardiens de square. [...] "La marquise demanda sa voiture et sortit à cinq heures ..." Il ne s'y est pas trompé, le vieux. Il n'a pas dit la femme de ménage ou la vendeuse de Monoprix. Quand la marquise sort, nous sommes assurés que les virtualités les plus exquises frémissent dans son coeur et dans sa chair. Mais la femme de ménage ne va que vers les wassingues et les seaux d'eau sale. Ou bien, elle fait des courses dans le quartier. Elle se hâte parce que la crémerie va fermer. Elle réfléchit au prix des carottes ou des sardines. Ca ne peut pas s'appeler sortir. Elle est comme cousue dans sa condition de femme de ménage. C'est dans les beaux quartiers qu'ils peuvent s'offrir des cas de conscience savoureux, du péché bien gras, du remords bien cuit; se consacrer à des violences qui satisfassent l'imagination; cultiver la douleur, la révolte, le courage, la lâcheté, en imprimant à ces attitudes communes le caractère de gratuité, d'imprévu et de complexité qui sont l'essence même du romanesque. Qu'on les colle seulement à un portillon de métro, les duchesses de Marcel Proust ou de Balzac, qu'on les mette à faire des trous dans des bouts de carton toute la journée pendant huit heures, et tous les jours, du lundi au samedi, et on verra bien ce qui en restera de leurs drames distingués. On n'aura plus à décrire que de la fatigue et des varices, des notes de gaz et des démarches à la mairie. Pas très romanesque, tout ça. La vie manque de romanesque quand on est obligé de la gagner. Elle n'est plus que ce cheminement pas à pas, jour à jour, sou à sou, peine à peine. Ca s'étire, ça s'effiloche, ça pendouille de partout. Sans commencement, ni fin, ni forme. On n'a pas de drames, nous autres. On n'a que des ennuis, des embêtements. Et à peine le temps d'y penser. Parce que notre temps s'effrite en labeurs absurdes et en calculs sordides. [...] Aucune liberté, aucun jeu. Les pauvres gens ne choisissent pas l'événèment. Ils sont pris dedans. Et quand l'événèment les choisit, ils se laissent faire en ronchonnant et en geignant. (p.113-114-115) - Spoiler:
René Crevel a également écrit sur l'oeuvre de Proust, plus précisément sur la personnalité trouble de son Albertine.
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| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Georges Hyvernaud Jeu 9 Fév 2012 - 13:31 | |
| Carnets d'oflag suivi de Lettre à une petite fille (250 pages) Quatrième de couverture : - Citation :
- Serait facile, amusant, de tracer de tout cela des croquis vifs, colorés. Retenir les anecdotes, le côté pittoresque. Ce ne me sera pas possible. Exprimer au contraire la vérité, c’est-à-dire la pauvreté de cette vie en apparence amusante - amusante à la manière des "scènes de la vie de garnison". […]
C’est la première chose à éviter, le pittoresque. Et la seconde : le lieu commun. On va dire ce qui pourrait, ce qui devrait être : la purification par la souffrance - le sens de la communauté né de la misère commune. Mais je n’ai pas vu cela. Juste le contraire. Et je dirai le contraire. Présentation de l'éditeur : - Citation :
- Au camp, matriculé, quand le KG fatal enduit de sa peinture blanche la surface de la capote de prisonnier, que faire ? Attentif à nous laisser des médaillons cinglants et acerbes qui cisèlent la silhouette de ses codétenus et à la fois soucieux d’envisager la vie du troupeau dans son ensemble, le regard d’Hyvernaud passe du gros plan ravageur au plan large, et zoome en permanence de la trombine au baraquement. Il ne pourrait y avoir là que des croquis, des couleurs pittoresques et franchouillardes d’un vécu carcéral où l’héroïsme bravache s’allie à la débrouille pour la plus grande victoire de l’ingéniosité nationale. Certes non. Il y a l’œil Hyvernaud, un œil froid, tranchant et impitoyable, qui ne laisse de l’homme que l’homme.
Extraits de "Carnets d'oflag" : - Citation :
- M. l'agrégé. Sa tête rousse effarée. Sa tête de tortue; de tortue rousse. [...] Et tembleur effondré, pleurnichard. Avec un héroïsme rétrospectif qui promet pour après la guerre. (Je le vois très bien comme ancien combattant.)
Fantoche vidé, plein de pressentiments sinistres, qu'il m'a fallu pendant trois semaines rudoyer, malmener, soutenir, étayer, encourager comme une femme. Il avait des rages artificielles (juifs, instituteurs), des enthousiasmes de faible pour les spectacles de la Force : les revues, les retraites aux flambeaux, les flonflons militaires.[...] Et c'était un monsieur qui avait passé des concours (en était-il assez fier !), qui avait lu des tas de choses en grec et en latin, qui les avait pendant quinze ans exaltées, et qui ne manquait pas une occasion d'affirmer la primauté du spirituel. Et tout cela ne lui avait ni force ni dignité. Je le revois bâfrant sa soupe debout, le plus vite possible, dans l'espoir d'en avoir d'autre. Il aurait fait n'importe quoi pour bouffer n'importe quoi ! Il était beau, l'humaniste, pour une fois qu'il avait l'occasion de se conduire en Homme ! Pauvre savoir qui n'est pas d'abord un savoir Vivre. La culture n'est rien qui vous laisse désarmé, dérouté devant le malheur. (p.30) - Citation :
- Je suis assis sur mon lit. Un lit fait de trois planches, d'une paillasse, de deux couvertures. Un lit de pauvre. car je suis pauvre, à présent. Tout mon avoir, tout mon bien, ça tient dans une besace - le bout de pain de seigle, la gamelle, un couteau, une cuiller.
Chaque jour je prends mon rang dans une longue file d'hommes qui attendent leur pitance. Chacun son tour. A mon tour, je tends mon écuelle. On m'y verse de la soupe, des pommes de terre, des choux. Au tour d'un autre. Je m'en vais m'asseoir sur mon lit, humblement, pour manger ma soupe. Humblement, en pauvre, je mange ma soupe de pauvre. (p.43-44) - Citation :
- P. Aigre petit bonhomme qui a peur des courants d'air et des rhumes. Toujours une grimace rechignée et des airs de victime (les colis qui le satisfont jamais). On imagine sa petite femme anxieuse de satisfaire ce minuscule tyran, et n'y parvenant jamais, et trouvant ça naturel. [...] (p.44)
- Citation :
V. Son lourd visage à gros bez bas, sa moustache de brigadier de gendarmerie. Il a une idée fixe : c'est qu'il y a trop de fonctionnaires en France, et qu'ils gagnent trop - et qu'ils ne fichent rien. Ce n'est pas compliqué, mais ça alimente beaucoup de conversations. (p.46) - Citation :
- Nous durons. Sans inscrire nulle figure dans cette continuité du temps, sans y construire rien.
Le temps nous est donné comme une matière inutile, inorganique, comme une richesse vaine, hors d'atteinte. Lente coulée de ces nuits, de ces jours, qui ne servent pas. Où nous ne formerons pas une oeuvre, une aventure, un acte. [...] Ici, rien ne commence, rien ne finit, rien ne retient rien de ce qui se passes sans fin. (p.60)
- Citation :
- "C'était cela, la vie : c'était ce qui commençait là où les mots finissent" (P. Gadenne, Siloe, p.177) (p.92)
- Citation :
- Le sens de la vie : un problème que les pauvres, les gens qui crèvent de faim, les gens de fatigue et de peine, ne se posent guère. Il y faut du loisir. Quand on a à gagner sa vie, on est comme un homme dans un fleuve – il s’agit seulement de ne pas couler. (p.118)
- Citation :
- [...] Obligés de constater qu’ils sont vides. Toute leur vie était employée à le dissimuler – ce qu’ils appelaient leur vie, cette agitation entassée dans chaque journée. Et les autres aussi, les employés, les collègues, la famille, les aidaient à ne pas s’en apercevoir.
Mais ici l’illusion n’est pas possible. Il faut bien se voir comme on est : nu, nul. L’épreuve vous révèle à vous-même. Une expérience qu’il est préférable d’éviter ! ... Pour ce qu’on trouve ! ... (p.139) - Citation :
- Trois buts du roman : raconter une histoire – se raconter – exposer des idées sur l’homme et le monde.
Tourner en rond ... On ne fait pas autre chose dans la vie, dit A. On ne fait pas autre chose dans l’enfer, dit B. (p.195) - Citation :
La critique se propose de formuler des jugements valables pour tous. C'est son rôle et il est bon qu'il soit rempli. Mais il est bon aussi de faire sa place au fait important que constitue la rencontre d'un homme et d'un livre : aventure personnelle et singulière comme la rencontre d'un homme et d'un homme. Riche de possibilités, de révélations, de prolongements et d'ébranlements. Il y a des livres qui nous changent - et nous changent en nous-mêmes. (p. 196) - Citation :
Volonté populaire ? Ou seulement désir - velléité. Il y a des majorités qui désirent contre des minorités qui veulent. Des majorités qui votent contre des minorités qui combattent. Et alors c'est la minorité qui est majorité. (p.205)
Dernière édition par Constance le Jeu 9 Fév 2012 - 14:00, édité 1 fois | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Georges Hyvernaud Jeu 9 Fév 2012 - 13:53 | |
| J'ai fait le choix de placer à part des extraits de "Lettre à une petite fille" (lettre qu'il ne lui jamais envoyée) car, par sa bouleversante tendresse et sa profonde humanité, elle est représentative de l'expérience lucide de l'enfermement qui le façonna, et des valeurs qui le portèrent, jusqu'à la fin de ses jours. - Citation :
- En, 1945, Georges Hyvernaud publie, dans la revue Espace, la "Lettre à une petite fille".
C’est d’abord à sa propre enfant qu’il s’adresse : elle a huit ans lorsque son père rentre d’un oflag de Poméranie. Mais cette lettre est surtout l’ultime version d’un projet d’écriture qui aura permis à son auteur de ne pas mourir – ne pas mourir dans l’oflag, survivre à son retour de captivité. Ecrire. Extraits de "Lettre à une petite fille" : - Citation :
- A ma dernière permission - cinq ans bientôt - tu étais une toute petite créature qui courais gauchement sur le sable, émerveillée par des coquillages et des cailloux.
C'est vrai que les coquillages et les cailloux sont des choses admirables. Mais nous autres nous ne savons plus les voir à force de les voir. Il faut l'étonnement d'un enfant pour nous forcer à les découvrir. Les enfants ne cessent d'instruire les hommes ... Puis, sur ce temps bref de clarté, cinq années se sont étendues, et cette absence, et cette angoisse. Il y a eu entre nous des épaisseurs inhumaines d'événements et de pays. Et à présent tu es cette petite fille inconnue habitée de souvenirs, d'amitiés, de contes, de chansons que je ne sais pas. Cette petite fille étrangère : ma fille ... Et je suis un homme misérable. Une sorte de chemineau et pire que cela. Je t'écris dans une grange où il fait obscur et froid. Nous sommes là quelques centaines d'hommes enfermés, entassés, gardés, et qu'à tout moment on menace et insulte. De tout le jour nous n’avons à peu près rien mangé. Nous ne nous lavons plus depuis longtemps. Nous n’avons presque plus de linge ni de souliers. Je t’écris pour que plus tard tu saches que j’ai vécu ce dénuement et cette humiliation - plus tard, quand je laurai moi-même oublié. Car on oublie. Non pas que je te demande de me plaindre. Pas cela du tout. Il est juste qu’une fois au moins dans sa vie chacun éprouve réellement la cruauté du monde. Qu’il touche le fond. [...](p.241-242) - Citation :
- Quand je m'étends dans la paille, le soir, crevant de faim et de fatigue, grelottant sous ma couverture crasseuse, et bien heureux encore d'avoir une couverture, je me dis que c'est ça la situation véritable de l'homme.
Et connue comme il faut la connaître; pas par le cerveau, pas par des philosophies,; mais par la chair exténuée. Alors, on voit clair. On voit les maisons à dix étages, les téléphones, et les frigidaires et l'agent au carrefour, tout cela n'est qu'apparence. Apparence le livre sous la lampe, et les amis autour de la table, apparence les stabilités et les sécurités. Mais la faim, la servitude, la fièvre, la fuite, c'est du vrai, cela, du solide. [...] (p.242-243) - Citation :
- Quand un homme en est là - à bout, comme on dit, à bout de force et à bout d'espoir - quand un homme en est là, il ne réfléchit pas beaucoup. Pourtant il faut croire que le moulin à idées ne s'arrête jamais. Même dans ces moments d'extrême détresse, il vous vient encore des idées. De pauvres idées, bien sûr. Des idées de pauvre. Si simples que ça ferait pitié. Pas de ces jolies idées qui vous font valoir. Pas de ces idées qui sont comme des jouets.
Non : des idées rugueuses et lourdes. Jouer aux idées, cela m'est arrivé à moi aussi. Autrefois. Ce n'est pas tellement difficile : tout le secret est de faire comme si la réalité n'existait pas. Mais quand on y est en plein, dans la réalité, on ne se dit plus que deux ou trois choses banales. Deux ou trois choses qui comptent vraiment. Évidentes, essentielles. Des choses sérieuses. Nées d'une expérience sans tricherie. Des choses d'homme. Le reste, bon pour les singes de salon ou d'académie. [...] (p.244-245) - Citation :
- Aux yeux des Allemands tout cela est bien clair. Les Allemands nous ont flanqués de sentinelles avec des fusils et des chiens. Quand l'un d'entre nous n'a plus la force d'avancer, les sentinelles lancent un chien contre lui. Ou bien le menacent d'un coup de fusil. Alors, il avance quand même. Ca le décide. C'est tout leur art de persuader aux sentinelles. Et en un sens on ne doit pas mépriser ce pessimisme de gardeurs d'hommes.
Il est vrai qu'il est efficace. [...] La plupart des livres. De tant de pages qu'on a lues, de tant de mots, combien en est-il qui puissent aider à vivre quand la vie devient mauvaise à l'homme ? Mais aussi, pas de moyen plus sûr pour évaluer la qualité d'une oeuvre. C'est autre chose que les décisions d'un critique qui écrit dans les journaux. Quand une phrase d'un livre vient vous chercher dans votre nuit et vous porter secours, alors il n'y a pas à se tromper : le signe de la grandeur est sur ce livre-là.[...] (245-246) - Citation :
On se demande pourquoi on tient. Parce que je ne suis pas seul, dit l’un. Et l’autre, et ce pourrait être le même : parce que l’homme est un être qui ne lâche pas. On tient pour rien, comme ça, parce qu’on est homme.(p.247) - Citation :
- Je te donne ces pages écrites au crayon, sur un carnet sale, au soir d'une dure journée.
Ce ne sont pas, je sais, des choses de ton âge. Les tragédies de notre époque ont beau violenter toutes les âmes, elles sont sans pouvoir contre les rêves de l'enfance. Tu n'as pas tout à fait huit ans. Tu es une petite écolière avec un ruban dans ses cheveux. Des dialogues de bêtes et de fleurs se nouent dans encore dans ta conscience éblouie. Les animaux de tes fables te protègent de nos drames. Et c'est pourquoi j'ai voulu recueillir pour toi ces leçons d'une expérience amère. Parce que l'inflexible ignorance d'un enfant glace le mensonge sur les lèvres d'un homme. Parce que toute tentation d'arranger, de truquer ce que nous connaissons de la réalité, se trouve déconcertée par l'idée seulement du regard qui éclaire le visage d'une petite fille de huit ans. (p.250) | |
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| | | | Georges Hyvernaud | |
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