Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Parfum de livres… parfum d’ailleurs

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 Georges Hyvernaud

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Constance
Hank
Charles
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Charles
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MessageSujet: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptyLun 16 Fév 2009 - 23:50



hyvernaud - Georges Hyvernaud R0gxot10

« La folie c’est peut-être de répéter toute la journée des conjugaisons allemandes... »


1. Qui est-il ?

Georges Hyvernaud est un écrivain français né en 1902 près d’Angoulême et mort en 1983 à Paris. Il passe son enfance dans la région charentaise et de 1914 à 1918 découvre à l’arrière comment l’état de guerre modifie les codes sociaux et les comportements. Il est professeur normalien, père et époux lorsqu’il est fait prisonnier dans le Nord de la France en 1940 puis détenu ensuite dans les oflags de Poméranie. Il écrit deux romans - plutôt des récits - durant sa captivité « La peau et les os » et « Le wagon à vaches » qu’il fait publié lors de son retour à la vie civile alors que les temps sont plutôt à l’oubli. Négligée durant trente ans et encore méconnue de nos jours l'importance de son œuvre a était réévaluée vers le milieu des années quatre-vingt. Depuis 1993 c’est la maison Le Dilettante qui se charge de ses rééditions. Main dans la main avec l’association de ses lecteurs elle publie également et de manière régulière de nombreuses lettres et témoignages. Ces écrits parallèles se regroupent sous les titres : « Lettres de Poméranie », « Lettre anonyme », « L'ivrogne et l'emmerdeur », « Voie de garage », « Visite au scorpion », « Carnets d'Oflag », « Lettre à une petite fille » et « Feuilles volantes » !

2. Extraits

Le militant

« Le militant, c’est quelque chose comme le militaire. En mou. Le militaire-né, bien sûr. Le rempilé de vocation. Empressement à obéir. Instinct de discipline et de docilité. Culte de la consigne, du règlement, de l’alignement. Pas une vertu n’y manque. Ça ne leur a pas suffi, deux ou trois ans de caserne et de corvées de latrines. Sitôt sortis, ils remettent ça. Contents, pourvu qu’on leur donne des tracts à distribuer, des affiches à coller, des journaux à vendre auprès des bouches de métro le dimanche matin. Ils ont des drapeaux. Ils ont la fanfare. Et les défilés en rangs serrés dans le vigoureux tumulte des semelles. Rien de réconfortant comme de marcher ensemble, et de crier ensemble, et de transpirer ensemble. Chaude, puissante odeur des grandes manœuvres et des manifestations de masses. Les partis, c’est comme les armées : ça sent fort. Au pas cadencé, ce serait plus beau. Ce qui a été compris en certains points du monde. Chez nous, on manifeste plutôt en pagaille. Question de tempérament national. Pour ce qui est de l’uniforme, il serait plutôt intellectuel. L’uniformité des cerveaux, c’est ça qu’on réussit aussi bien que partout ailleurs. Avec tout le confort qu’assure la certitude d’être pareil aux autres. L’avantage d’être dans le même régiment. Entre copains. »

Leur Europe

« Ce qui m’intéresse c’est de dire sans tricher ce malheur bête ou nous pataugeons, ces planches immondes ou tu frottes tes fesses de sous-inspecteur... au moins quand on vit ce malheur là tout devient clair ! Tout ce qu’on nous cachait... Ils nous faisaient croire aux morales, aux musées, aux frigidaires, aux droits de l’Homme... et la vérité ? C’est l’homme humilié ! L’homme qui ne compte pas ! Finis le temps des phrases : la vérité c’est la faim, la servitude, la peur, la merde. Comme aux pires époques ! On n’en est pas sortis des pires époques ! Elle est jolie leur Europe... Ces types qui gueulent dans la neige le ventre ouvert parmi des mécaniques défoncées, ces esclaves qu’on pousse sur les routes à coup de crosses et nous autres qu’on a mis à pourrir là dans ce village de baraques éloignées ou désespérées au centre de cette europe de neige et de nuit ! »

Les gens biens

« Le malheur, c’est qu’ils sont vraiment bien, les gens bien. Rasés de près, lavés, poncés, l’œil clair, la poigne de main loyale, la conscience en ordre, toutes les vertus au grand complet. Pas moyen de se moquer d’eux. Ils savent s’habiller. Ils réussissent aux examens. Ils nagent le crawl. Ils parlent l’anglais sans accent. Ce qu’ils disent sur la peinture, la politique, les autos ou le prix de la vie n’est pas plus bête que ce que tout le monde dit. En général, ils sont même bien renseignés. Et puis, au surplus, bienveillants, vous mettent à l’aise. On ne voit pas quoi leur reprocher, sinon cette perfection même, cette surface lisse, égale, qu’ils présentent, ce naturel dans la richesse et le pouvoir. C’est tellement fait pour eux. Ils sont tellement faits pour ça. Ça leur est dû. Si à l’aise. Si clairement race supérieure, caste privilégiée, la crème de l’humanité par droit divin. Hors d’atteinte, inentamables. Invulnérables. On triche. On les montre gâteux, maniaques ou égoïstes. On les dessine en fantoches – un défi à nos faiblesses, à nos vaines révoltes, à notre maladresse, à nos échecs, à notre pitoyable effort pour trouver des raisons de vivre. Ils ne ratent rien, eux. Ils ne posent pas de questions. Ils ont réponse à tout, de naissance. Ils nous rejettent, sans le faire exprès, et du fait même de leur existence, dans la catégorie méprisable des petits envieux, des petits anxieux, des aigris mesquins, des mâchonneurs de vilains griefs, des raisonneurs de mauvaises raisons. »

Le coucher

« C’est comme ça de semaine en semaine. Un petit destin bien bouclé. Un destin d’insecte, dans le genre du mien et de pas mal d’autres. Et encore, destin, c’est un mot plutôt excessif pour désigner ce consentement morne à l’existence. (...) Il va se coucher. Ils vont tous se coucher, les gens. Et les dentiers vont se coucher dans des verres d’eau, les lunettes dans des petits étuis noirs, les montres sur les tables de nuit. C’est le moment où l’humanité se défait, s’éparpille, tombe en morceaux, renonce aux apparences cohérentes qu’elle assume seize heures par jour. L’heure de vérité. Tout ce qu’on maintenait si soigneusement ensemble, les vraies dents et les fausses dents, les vrais cœurs et les faux cœurs, les faux cols et les vrais cous, les veuves et les voiles de deuil, les jambes et les bas nylon, tout ça se détache, se délie, se sépare. Il n’y a plus que les dos des chaises qui portent des vestons. Et plus que les vestons qui portent des décorations. Et nos journées s’achèvent en bruits d’eau, en larmes d’enfants et en prières du soir. »



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* Serge Teyssot-Gay - guitariste de Noir Désir entre autres - a mis en musique des extraits de « La peau et les os »
sous le titre de « On croit qu’on en est sortit » et le disque est en écoute intégrale et gratuite sur Deezer.



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La peau et les os : pages 1

le wagon à vache : pages 1


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Hank
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 12:41

La peau et les os

hyvernaud - Georges Hyvernaud Georgeshyvernaud-lapeauetlesos

Je n'avais jamais entendu parler de Georges Hyvernaud lorsque l'auteur du remarquable blog Binary Coffee, en fit une recommandation chaleureuse. Rien d'étonnant au fond : cet écrivain né en 1902 et mort 81 ans plus tard a tout d'un auteur maudit. La peau et les os – son premier roman –, publié en 1949, passa totalement inaperçu, en dépit des soutiens de poids que sa biographie rappelle : Sartre, Roger Martin du Gard, ou encore Blaise Cendrars. Rien n'y fit.

La conséquence fâcheuse de ce désintérêt, c'est qu'il mit un terme prématuré à la carrière de Georges Hyvernaud en 1953, après la publication tout aussi boudée de Wagon à vaches. Conséquence qui apparaît réellement fâcheuse et même carrément déplorable lorsqu'on découvre la richesse de La peau et les os.

Georges Hyvernaud est présenté par Raymond Guérin, l'auteur de la préface, comme un homme à l'apparence de pecnot charentais (avec l'accent qui l'accompagne), timide et transparent. Mais lorsqu'on le lit, c'est un autre homme qui s'impose : impitoyable, écoeuré par la nature humaine, pourfendeur des hypocrisies sociales, et je m'arrêterai là. Mais le plus remarquable chez cet homme, c'est que son constat implacable, il le dresse sans un soupçon de vanité. Il éborgne placidement, il dégomme avec l'humilité de l'homme modeste qu'il semblait être au quotidien. En d'autres termes, l'homme ne parade pas, il ouvre grand ses yeux, et ce qu'il voit le dégoûte.

Le détonateur de cette prise de conscience, c'est la captivité. Georges Hyvernaud a passé cinq ans de sa vie comme prisonnier de guerre, entre la débâcle française de 1940 et la capitulation allemande en 1945. C'est à cette période de sa vie qu'est consacré La peau et les os. L'enfer des camps de détention, Hyvernaud le décrit avec mesure. Ce qu'il estime insupportable n'est pas tant les privations et la réclusion, que la promiscuité, l'impossibilité de s'isoler de ses semblables, cette plèbe rendue à ses plus méprisables instincts par l'absence d'espoir et la perte progressive de dignité que le dénuement leur inflige.

Hyvernaud décrit admirablement cette régression de l'homme que les barrières sociales n'endiguent plus. Il use de procédés littéraires criants de réalisme et d'efficacité – où s'entremêlent réflexions subtiles et intrusions sauvages de son environnement dans le cours de ses pensées – pour peindre l'abjection de la condition humaine au-delà même de la captivité.

Car La peau et les os n'est pas seulement un réquisitoire contre la condition ignominieuse des prisonniers, c'est aussi un formidable uppercut à l'encontre des conventions sociales, et du sens que l'on cherche tous, plus ou moins, à donner à nos vies. Nos pauvres vies.

« (…) Elle est peut-être commencée depuis longtemps, la folie, pour nous et pour tout le monde. Quand on y regarde de près on se demande si, avant, c'était tellement différent. Ce que nous appelions notre liberté, ça consistait déjà à marcher en rond les uns derrière les autres. A mâchouiller les mêmes lieux communs. A exécuter un invariable va-et-vient entre des certitudes infranchissables. Elles n'étaient pas à nous, ces certitudes. Ca venait des familles, des journaux. C'était comme cet air qu'on respire, et où il y a de tout, la fumée de toutes les pipes, les bacilles de tous les poumons, l'usure de toutes les pierres, l'odeur de toutes les peaux. Voilà longtemps que ça dure, la captivité. (...) » (p.91-92)

« (…) En ce temps-là, on s'arrangeait aisément pour boucher les trous par où auraient pu se faufiler des réflexions trop précises. On avait le football du dimanche, les femmes, le fric, le cinéma. Épatant, le cinéma, comme narcotique. Le cinéma, le grand bazar de l'hébétude, la chaude boutique du rêve tout fait, tout cuit, démocratique et standard. Il n'y avait qu'à s'asseoir, à être là, à ouvrir les yeux. A être un homme de la foule, consentant, passif, soumis à la frénésie mécanique des images, livré aux spectres, sans passé et sans avenir. (...) » (p.94)


Tout au long de ce court roman, et de manière plus évidente encore dans les trois premières parties du livre (sur 5), les phrases et paragraphes mémorables s'enchaînent. Les mots d'Hyvernaud sonnent comme la voix de la vérité. C'est sa seule ambition : dire les choses telles qu'elles sont, telles qu'il les ressent. Les faussetés l'exaspèrent, elles se heurtent à sa plume et lui impriment une cadence harassante. Petit florilège :

« (…) Depuis que Ruche est mort, Merlanchon et Ruche sont inséparables. Avant la guerre, ils se connaissaient à peine. Ruche vendait de la bonneterie. Il était en instance de divorce. C'est tout ce qu'on pouvait dire de lui. Quand il vous accrochait, vous en aviez pour deux heures de plaintes inextricables à propos de son avoué et de ses frais de procès. A part de divorcer et de vendre des chaussettes, on ne concevait pas qu'il pût arriver quoi que ce fût à cette créature éplorée. Mais il lui est arrivé d'être torturé et de se taire. Il lui est arrivé d'être fusillé. « On n'aurait pas cru », disent les gens. On ne croit jamais qu'un pauvre type puisse, comme ça, tout d'un coup, choisir la fierté et le courage. Et maintenant Merlanchon s'est fait le chroniqueur, le chantre de Ruche. Il s'est associé à ce fantôme. Il s'est doucement glissé dans le destin de Ruche, dans le combat et le silence de Ruche. Il enchevêtre dans des récits ambigus et pathétiques ce que Ruche a fait et qu'il a fait, lui, Merlanchon, et ce qu'il aurait pu faire. C'est plein de sous-entendus et de subtiles transpositions. On ne s'y reconnaît plus. Pas moyen de savoir ce qui appartient à Merlanchon et ce qui appartient à Ruche. Merlanchon finit par prendre toute la place. Même quand il prononce : « Ruche, c'était un dur » – en vous fixant de ses petits yeux rouges –, on comprend tout de suite que c'est lui qui est un dur. Du granit, Merlanchon, de l'acier. (...) » (p.26-27)

« (…) Personne n'intéresse personne. On fait semblant. Chacun parle de soi. On écoute les autres pour pouvoir leur parler de soi. Mais au fond, on s'en fout. (...) » (p.27)

« (…) Personne ne peut souffrir personne. On a parfois l'air de s'entendre. On rigole des mêmes obscénités. On se montre des photos de gosses. On joue aux cartes. Mais il circule là-dessous une haine patiente, attentive, subtile, méticuleuse. Une âcre méchanceté de bureaucrate ou de vieille dame. De jour en jour on aiguise, on recuit, on perfectionne ses griefs et ses répulsions. C'est forcé. C'est à cause de cette misère à odeur de latrines où l'on est barattés tous ensemble, crève-la-faim et crève-l'ennui. On en veut aux autres d'être toujours là. On leur en veut des gueules qu'ils ont, de leurs voix, de leurs goûts et de leur dégoûts, de la place qu'ils tiennent, de dire ce qu'ils disent, de chanter ce qu'ils chantent, de Nietzsche, de la p'tite Amélie, de renifler, de roter, d'exister. On leur en veut de cette existence immuable, inévitable, où se déchire notre existence. Et à tout moment les antipathies crèvent en disputes extravagantes. On ne sait même pas pourquoi. (...) » (p.66)


Hyvernaud dresse une galerie de portraits sans pitié à l'égard de ses camarades de chambrée. Il capte l'essence de leur absurdité en quelques phrases assassines :

« (…) Beuret a une belle âme. Il croit au sens de la vie et à des choses comme ça. Il est maître d'école dans le Jura. Sa femme l'a plaqué pour un voyageur de commerce. Le sens de la vie, c'est être instituteur et cocu. Il me fait penser, avec ses lunettes et son nez éploré, au Salavin de Duhamel. Encore une belle âme, Duhamel. Comme ce serait touchant, la captivité vue par lui. Un bloc d'amitié et de douceur. Tout le monde y serait ivre de bonne volonté, on y nagerait dans la bienfaisante chaleur humaine. Autrefois, j'ai été dupe de cette rhétorique niaise. Mais je suis guéri. Je ne peux plus souffrir les belles âmes. Je ne peux plus souffrir les autres. (...) » (p.65)

Au passage, il égratigne quelques belles réputations. Georges Duhamel ici, Paul Valéry ailleurs, et surtout Charles Peguy – dont il vilipende le sophisme, l'exaltation patriotique, la posture populiste ou encore la pédanterie stérile de théoricien déconnecté des réalités – sur tout un chapitre.

Le style d'Hyvernaud est compact – il use très peu, voire pas du tout, du dialogue avec tiret et retour à la ligne – et en même temps très léger à lire. Le secret ? Une prose maitrisée de la majuscule au point final. Pas de bavardages, des idées fortes exprimées puissamment avec une économie de moyens. Des phrases courtes, désarmantes de sincérité. Du rythme. Bref, le livre que, vaniteusement, on eut aimé écrire.

« (…) Mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D'abord, ils manquent de noblesse. Il sont même plutôt répugnants. Ils sentent l'urine et la merde. Ca lui paraîtrait de mauvais ton, à la Famille. Ce ne sont pas des choses à montrer. On les garde au fond de soi, bien serrées, bien verrouillées, des images pour soi tout seul, comme des photos obscènes cachées dans un portefeuille sous les factures et les cartes d'identité. Et puis les gens sont devenus difficiles avec la souffrance des autres. Pour qu'ils la comprennent, et encore, il faut qu'elle saigne et crie à leur tordre les tripes. Nous n'avons à offrir, nous autres, qu'un médiocre souffrance croupissante et avachie. Pas dramatique, pas héroïque du tout. Une souffrance dont on ne peut pas être fier. (...) » (p.30-31)

« (…) C'était l'heure du dimanche où les rues s'emplissent de couples. Des couples qui sortent du cinéma ou qui y entrent. Des couples qui en avaient assez de s'embêter à la maison et qui viennent s'embêter dehors. Des couples qui prennent l'air. Qui prennent l'air ravi ou résigné, ou fatigué. (...) » (p.34)

« (…) Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ca nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal, et puis on va se vider. C'est toute notre existence. On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problèmes. On était fier de ses problèmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisance. » (p.48-49)

« (…) Curieux que, dès qu'on écrit, il nous vienne un besoin de mentir. C'est plus fort que vous. Un besoin de donner aux choses une apparence avantageuse. Et si vous y résistez, on vous trouvera immoral et subversif. (...) » (p.51)

« (…) Et il se trouvera des gens pour prétendre que ces années de captivité furent un temps de recueillement. Ce temps où l'on est livré aux autres. Condamné aux autres. Condamné à Vignoche et à Pochon. Envahi par les autres au point de ne savoir plus ce qu'on est, ni si on est encore quelque chose. De l'homme partout. Le frôlement, le frottement continuel de l'homme contre l'homme. Les fesses des autres contre mes fesses. Les chansons des autres dans ma cervelle. L'odeur des autres dans mon odeur. C'est de cela que nous sommes captifs, plus que des sentinelles et des fils barbelés. Captifs des captifs – des autres. (...) » (p.60)

« (…) La pauvreté, ce n'est pas la privation. La pauvreté, c'est de n'être jamais seul. Je m'en rends compte maintenant que je suis de l'autre côté. Le pauvre n'a pas le droit à la solitude. Il naît à la maternité, avec les autres. Il crève avec les autres, à l'hôpital. Entre la crèche et l'hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c'est plein de murs, d'escaliers et de couloirs, la pauvreté. Les portes ferment mal. Les murs ne séparent pas. N'importe qui peut entrer chez les autres pour emprunter cent sous, pour rapporter une casserole, ou simplement pour s'asseoir les mains aux genoux et raconter sa peine. Et on ne sait même pas où cela commence et où cela finit, « chez les autres ». (...) » (p.62-63)

« (…) Quand on est pauvre, il ne faut pas être difficile. L'orgueil, la dignité, c'est un luxe de gens heureux. Nous, on est des pauvres, et moins que des pauvres. Des espèces de clochards. Des types pareils à ces chômeurs qui rôdent le long des boutiques, dans les villes, sans goût à rien, résignés, abjects – ces hommes bien désagrégés, bien finis, qui s'en vont les mains dans les poches vers là ou vers ailleurs ; ils suçotent leur bout de cigarette et ils n'en demandent pas davantage. Nous sommes ces hommes sans fierté. A partir d'un certain degré de dénuement, on renonce à s'y reconnaître dans le bien et le mal. Défendu, permis, cela ne signifie plus rien. Mots d'une autre langue et d'un autre monde. A la lumière de la misère tout change d'aspect. On voit les choses autrement. (...) » (p.68)

« (…) L'histoire des historiens est comme un magasin d'habillement. Tout y est classé, ordonné, étiqueté. Les données politiques, militaires, économiques, juridiques ; les causes, les conséquences ; et les liaisons, les rapports, les ressorts. Tout cela bien étalé devant l'esprit, clair, nécessaire, parfaitement intelligible. Ce qui n'est pas clair du tout, ce qui est obscur et difficile, c'est l'homme dans l'Histoire ; ou l'Histoire dans l'homme, si on préfère ; la prise de possession de l'homme par l'Histoire. L'homme complique tout. Dès que l'acteur, celui qui y était, s'en mêle, on ne s'y reconnaît plus, on ne peut plus s'en sortir. Il dérange les belles perspectives historiques avec sa façon à lui de mettre les détails en place, et jamais à la bonne place. Pour lui, c'est toujours ce qui n'a pas d'importance qui compte le plus. (...) » (p.101-102)

« (…) C'est cela le propre de notre époque : d'avoir profondément désorganisé le réel, de nous avoir fait perdre notre confiance dans les choses et les êtres, dans la constance, la cohésion, la densité des choses et des êtres.
Les machines s'en sont mêlées. La T.S.F., le cinéma, le téléphone, le phono : toutes les machines inventées pour nous soustraire aux contacts directs, aux corps à corps avec les hommes et la nature. Toutes d'accord pour opérer une incroyable altération de notre vision de la vie.
(…)
Les mêmes mécaniques publicitaires lancent une marque d'apéritif et propagent les mots d'ordre d'un dictateur. Des visages de boxeurs, de grues, de chefs d'État, obsèdent pêle-mêle les mémoires, nourrissent l'exaltation quotidienne. Tout s'égalise, se confond dans la même irréalité émouvante. On ne peut plus distinguer les valeurs, les tailles, les rangs. Staline ou Mussolini participent de la même existence stellaire que Greta Garbo. Un bombardement à Madrid, une grève à Changhaï revêtent le caractère fabuleux d'une irruption de gangsters dans un film de la Fox Movietone. » (p.107-109)
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 13:03

Charles a écrit:

hyvernaud - Georges Hyvernaud 00731410

* Serge Teyssot-Gay - guitariste de Noir Désir entre autres - a mis en musique des extraits de « La peau et les os »
sous le titre de « On croit qu’on en est sortit » et le disque est en écoute intégrale et gratuite sur Deezer.

[/font]

Je vais encore me faire plein de copains, mais à mon avis, ce genre de démarche est bien déplorable. On me dira que ça permet de sortir de l'ombre un auteur méconnu, sauf que pour moi, ce genre de démarche a d'abord pour but de contenter la vanité de celui qui exploite les textes pour, d'une certaine manière, les faire siens. Dans le même genre, je me souviens d'un spectacle monté sur des poèmes de Bukowski qu'une comédienne déclamait dans un déluge de pathos, ce qui la rendait manifestement très fière, mais qui trahissait épouvantablement l'esprit de Bukowski. Là aussi, il y avait de la musique en fond, une musique bien orientée, avec des accents bien graves, bien dramatiques. Même recette pour moi que les "violonnades" dans les films hollywoodiens.

PS : Charles, ce message n'est pas une critique à toi adressée, et je te sais gré d'avoir ouvert ce fil, même s'il n'a pas eu le succès qu'il mérite, à mon avis.
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 13:10

Effectivement, cet ouvrage autobiographique, que je ne qualifierais pas de "roman", est un pur chef d'oeuvre ...
Hyvernaud y décrit et y affirme la supériorité du physiologique sur l'esprit (notion partagée avec Raymond Guérin ); nous ne sommes que des mammifères à sang chaud ... en même temps, il dénonce la perte de l'esprit critique, englué dans le tourbillon de la société de consommation, et il s'interroge sur le rôle formateur des figures tutélaires de la littérature française (voir le chapitre consacré à Charles Péguy, auquel il règle son compte de patriote aveugle, qui donnait des leçons de vie en encourageant le labeur abêtissant ), et aussi sur la mission de l'enseigant qu'il fut.


Citation :
Et laissez-vous écraser et abrutir et vider par le travail. c'est Peguy qui vous le dit. il s'y connaissait, Peguy, en honneur ouvrier, en conscience du métier ... (p.126)
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 13:18

Hank a écrit:
Charles a écrit:

hyvernaud - Georges Hyvernaud 00731410

* Serge Teyssot-Gay - guitariste de Noir Désir entre autres - a mis en musique des extraits de « La peau et les os »
sous le titre de « On croit qu’on en est sortit » et le disque est en écoute intégrale et gratuite sur Deezer.

[/font]

Je vais encore me faire plein de copains, mais à mon avis, ce genre de démarche est bien déplorable. On me dira que ça permet de sortir de l'ombre un auteur méconnu, sauf que pour moi, ce genre de démarche a d'abord pour but de contenter la vanité de celui qui exploite les textes pour, d'une certaine manière, les faire siens. Dans le même genre, je me souviens d'un spectacle monté sur des poèmes de Bukowski qu'une comédienne déclamait dans un déluge de pathos, ce qui la rendait manifestement très fière, mais qui trahissait épouvantablement l'esprit de Bukowski. Là aussi, il y avait de la musique en fond, une musique bien orientée, avec des accents bien graves, bien dramatiques. Même recette pour moi que les "violonnades" dans les films hollywoodiens.

PS : Charles, ce message n'est pas une critique à toi adressée, et je te sais gré d'avoir ouvert ce fil, même s'il n'a pas eu le succès qu'il mérite, à mon avis.


Libre à toi de critiquer la démarche artistique de Serge Teyssot-Gay, mais alors il faudrait également cracher sur tous les compositeurs classiques ou non, qui se sont emparés de poèmes et de textes ayant inspiré leur imagination créatrice ...
Pour ma part, je n'irai pas sur Deezer, car je possède ce CD de Teyssot-Gay, dont la démarche est sincère, et je l'écoute régulièrement; la puissance de sa musique placée sur les textes de "La peau et les os" est admirable ...
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 14:41

Je n' avais pas vu le fil ouvert à Hyvernaud ni songé à l' ouvrir... A vrai dire, je ne devais pas y croire...
Je m' étais contenté de le citer dans le fil "Un bon début..."
Je m' étais trompé. Tant mieux. Merci à ceux qui ont parlé d' Hyvernaud...
Je vais essayer de reporter ici une partie des citations que j' avais mis au fil de ma lecture...
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 15 Jan 2011 - 16:00

Personnellement jen'ai pas du tot accroché à ce livre. Je n'en garde d'ailleurs aucun souvenir.
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Constance
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptyMer 9 Fév 2011 - 13:16

Hexagone a écrit:
Personnellement jen'ai pas du tot accroché à ce livre. Je n'en garde d'ailleurs aucun souvenir.


Je pense, mais peut-être me trompé-je, qu'il est nécessaire d'avoir acquis une certaine maturité pour aborder ce chef d'oeuvre, sinon un rendez-vous manqué peut se reporter ... sourire
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptyVen 15 Juil 2011 - 21:38

La peau et les os

Récit coup de point, écriture hargneuse, j'ai fini ma lecture dans un souffle. Il y a de la fureur, de la boue, du dégoût. Mais il y a surtout le style incroyablement puissant d'Hyvernaud. Et il faut bien ça pour rendre supportable (un peu, juste un peu) son récit des camps de prisonniers pendant la seconde guerre mondiale. Hyvernaud en est sorti détruit. Son regard sur ses congénères est implacable, cruel mais lucide.

Pas la peine d'épiloguer pendant des heures. Il faut le lire (c'est un ordre).

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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 16 Juil 2011 - 9:23

odrey a écrit:
Il faut le lire (c'est un ordre).
et tu as changé d'avatar pour qu'on t'obéit? diablotin
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 16 Juil 2011 - 16:33

kenavo a écrit:
odrey a écrit:
Il faut le lire (c'est un ordre).
et tu as changé d'avatar pour qu'on t'obéit? diablotin

Oui, il fait peur hein?
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 16 Juil 2011 - 18:59

intimidant, oui..
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptySam 16 Juil 2011 - 19:20

Pourtant, il est tout gentil. C'est tortue Luth.
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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptyLun 18 Juil 2011 - 17:43

odrey a écrit:
La peau et les os

Pas la peine d'épiloguer pendant des heures. Il faut le lire (c'est un ordre).



Puisque tu as aimé "La peau et les os", tu devrais également apprécier "Le wagon à vaches" (Ed. Le Dilettante) :


Citation :
[...]"Le wagon à vaches" peut se définir comme le journal d'un prisonnier de l'après-guerre - un homme quelconque - , enfermé dans son petit métier, dans des fréquentations médiocres et des souvenirs banals, captif de sa ville. Incompréhensible. [...](prière d'insérer rédigé par l'auteur en 1953)


Si le style est moins compact, tu y retrouveras sa magnifique plume, et son regard lucide teinté d'ironie, ce même regard sans concession, et cependant humaniste, qu'il porte sur ses congénères ... un exergue placé en tête de chaque chapitre, annonce le thème majeur qui y sera traité ...


Puis, tu pourrais également lire "Carnets d'oflag, suivi de Lettre à une petite fille" (Ed. le dilettante) ...

Mais ce ne sont pas des ordres ... Very Happy


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MessageSujet: Re: Georges Hyvernaud   hyvernaud - Georges Hyvernaud EmptyLun 18 Juil 2011 - 21:54

Je note.
Tout ce fil m'a convaincue !
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