La tête de l'hydre
Ce roman est un pur régal et une agréable surprise.
Après avoir été complètement emportée par le lyrisme de Terra Nostra, j'ai attendu pas mal de temps avant de revenir à Fuentes, craignant que cette première découverte supplante définitivement les autres, mais La tête de l'hydre, publié juste après le Grand Œuvre de Fuentes est à la fois réussi et incomparable !
Car si Terra Nostra réécrivait l'histoire dangereuse de l'Espagne du Siècle d'Or, La Tête de l'hydre est une variation moderne (datant de 1978) sur le Mexique, les conflits mondiaux et les terres d'influence. Donc rien à voir avec ma lecture précédente, hormis sans doute cette incroyable liberté de l'auteur !
Il n'est pas souvent donné à un lecteur d'assister à une naissance, ici il s'agit de la naissance d'un espion : Felix Maldonado dont le visage et le nom vont être tour à tour utilisés pour masquer et montrer sa présence. Felix est un petit fonctionnaire d'un petit ministère, il est plein d'ambition, d'orgueil et de rêve d'avenir. Il voyage entre trois grandes révélations féminines : Ruth son épouse, Sara son amour platonique et Mary sa sauvage maîtresse ; cette trinité va former le nœud de sa formation d'espion, chacune jouant un rôle de sainte et de démon au fil d'une narration trépidante et inattendue.
Inattendue, car à ma grande surprise, Fuentes n'écrit pas seulement un roman sur le Mexique mais aussi sur les juifs et sur Israël. Par la grâce du personnage de Sara, Felix (lui-même converti au judaïsme pour pouvoir épouser Ruth) découvre toute la complexité d'une situation intenable : car dans la bouche de la jeune femme, les questions sont sans voile : comment de victimes, les juifs sont-ils devenus des bourreaux ? Comment les juifs qui rêvaient de vivre libres dans un état démocratique et donc sans esclaves peuvent-ils traiter le peuple palestinien comme ils le font ? Et aussi : comment les juifs vont-ils sortir de cette situation ?
A ces questions, torturantes, sans doute insolubles, en tout cas terrifiantes, chaque protagoniste apporte sa réponse, l'ultime étant sans doute qu'aucun clan, aucun camp ne possède le privilège de la Vérité, de la Justice et de l'honneur… Tous sont liés par la violence, la mort et le mensonge. Par le terrorisme, la torture et l'assurance d'être dans son droit.
Mais, il ne faudrait pas croire à la lecture de ce commentaire que ce roman est un roman tout noir, violent et sans espérance. Non. Ce serait méconnaître la liberté d'esprit de Fuentes, ses sauts et ses gambades revigorantes dans les arcanes merveilleux de la narration. Car ce Mexicain est capable de toutes les acrobaties liées au code affiché du roman d'espionnage (changement d'identité, infiltration, mensonges, masques et maquillages…) mais aussi à toutes les audaces, les crocs en jambe et les roulades d'un romancier émancipé, doué, innovant et joueur, capable de saisir son lecteur par le cou pour l'emmener au cœur d'une histoire rocambolesque à souhait et jubilatoire.
C'est donc avec un plaisir sans cesse décuplé que je me suis laissée entraîner à la suite de Felix dans les méandres humides et orageux de ce Mexique de légende et de modernité, cherchant à sauver son pays des accaparements extérieurs, déjouant les jeux intérieurs et risquant sa vie en déclamant des vers de Shakespeare ou des passages de Lewis Carroll.
A la fois roman total et roman élastique, La tête de l'hydre (qui porte parfaitement son nom) est un roman foisonnant, amoureux, politique et facétieux.
Bref : magique !