Semele de Haendel d'après "Les métamorphoses" d'OvideNous voici frappés de terreur !
A chacun la nature alloue sa propre sphère ;
Mais, passé cette limite, nous errons comme météores,
Projetés dans le vide, à la merci d’un choc,
Le feu de notre orgueil se dissipe en fumée.Le Choeur
L’histoire :
Semele, fille de
Cadmus roi de Thèbes, doit épouser
Athamas prince de Béotie. Elle lui préfère l’amour divin de
Jupiter et renonce à la noce.
Jupiter lui offre un palais dans les cieux et
Junon est bien décidée à se venger de cet affront. Elle se servira de l’amour de Semele pour sa propre beauté pour la perdre (fameuse scène du miroir).
Avec l’aide de
Somnus, dieu du sommeil, elle détourne l’attention d’
Ino la sœur de Semele pour prendre ensuite son apparence. Somnus occupe également Jupiter à travers ses songes en le charmant avec des visions de Semele. Junon convainc Semele de demander à Jupiter de lui apparaître dans toute sa splendeur divine. Celui-ci accepte tout en sachant qu’il perdra ainsi à jamais son amour. Semele périt foudroyée et le palais est détruit par les flammes.
C’est donc un opéra qui aborde quelques thèmes universels de la condition humaine, la cupidité, les désirs charnels, la jalousie et l’ambition notamment.
La métamorphose de Semele dans "Les métamorphoses" d'
Ovide:
- Citation :
- Sémélé portait dans son sein un gage de l’amour de Jupiter. Junon s’indigne et s’écrie : "Pourquoi ajouterais-je encore des plaintes à celles que j’ai tant de fois vainement fait entendre ? C’est ma rivale elle-même que je dois attaquer. Je la perdrai ; elle périra, s’il est vrai que je m’appelle encore la puissante Junon ; si ma main est digne de porter le sceptre de l’Olympe ; si je suis la reine des Dieux, la soeur et l’épouse de Jupiter ! Ah ! Je suis du moins sa soeur ! Mais peut-être que, contente de l’avoir rendu infidèle, Sémélé ne m’a fait qu’une légère injure ? Non, elle a conçu. Ma honte est manifeste. Elle porte dans son sein la preuve de son crime ; elle veut donner des enfants à Jupiter, honneur dont moi-même à peine je jouis ! Est-ce donc sa beauté qui l’a rendue si vaine ? Eh bien ! Que sa beauté la perde ! Et que je ne sois pas la fille de Saturne, si par son amant, par Jupiter lui-même, elle n’est précipitée dans le fleuve des Enfers".
(…)
Sémélé se réjouit du mal qu’elle s’apprête. Trop puissante sur son amant, et près de périr victime d’une complaisance fatale : "Montrez-vous à moi, dit-elle, avec l’appareil et la gloire qui vous suit dans le lit de Junon". Le dieu aurait voulu l’interrompre, mais ces mots précipités avaient déjà frappé les airs. Il gémit ; il ne peut annuler ni le voeu de son amante, ni le serment qu’il a fait. Accablé de tristesse, il remonte dans les cieux. Il entraîne les nuées ; il rassemble la pluie, les vents, les éclairs, le tonnerre, et la foudre inévitable. Il tâche, autant que cela lui est permis, d’en affaiblir la force. Il n’arme point son bras des feux trop redoutables avec lesquels il foudroya Typhon ; il en est de plus légers : les Cyclopes en les forgeant y mêlèrent moins de flammes et de fureur. Les dieux les appellent des demi-foudres. Jupiter les saisit et descend avec tout l’appareil de sa puissance dans le palais des enfants d’Agénor. Mais une simple mortelle ne pouvait soutenir cet éclat immortel ; et Sémélé fut consumée dans les bras même amant.
La musique :
Haendel a composé cet oratorio baroque en langue anglaise en 1744. Cela en fait une œuvre qui le rapproche de
Purcell mais il y apporte sa grande inventivité et multiplie les trouvailles musicales dans des climats très variés. Il y a des airs extrêmement virtuoses qui font le régal des sopranos « colorature » et des passages plus oniriques comme le très bel air de Somnus (Hypnos).
Cecilia Bartoli - Semele - No no, I'll take no lessHandel's Semele: Leave me, loathsome light & Obey my willLa mise en scèneZhang Huan a voulu pour cette scénographie mêler mythologies chinoise et gréco-latine en introduisant ses thèmes de prédilection comme le
bouddhisme tibétain. Semele étant un opéra qui montre le danger à ne pas respecter l’ordre des choses comme le rappelle le choeur dans la citation que j’ai mise en exergue.
Il a choisi de raconter en parallèle, à travers la projection d’un film en noir et blanc pendant l’ouverture de l’opéra, l’histoire réelle de
Monsieur Fang dont la famille vivait dans un vieux temple à Quzhou. Mr Fang soupçonnait son épouse d’avoir une liaison et s’est suicidé en laissant un journal que Zhang Huan a découvert en démontant ce temple qu’il avait acheté pour le ramener dans ses studios en vue de cette production de Semele. Fang y évoquait ses sentiments d’amour/haine envers sa femme, sa propre infidélité, sa culpabilité et sa responsabilité envers sa famille.
Pendant l’ouverture, un écran géant nous montre donc ce film documentaire muet mais sous-titré et le transfert du temple vers les studios de Zhang Huan. Puis au moment où l’action va démarrer, l’écran se lève et ce temple se trouve devant nos yeux ébahis ! Première belle idée. Il sera le temple de Junon et le palais de Semele.
Ce temple est recouvert d’un long tissu coloré aux motifs orientaux durant la scène de l’éveil de Somnus sur le toit en même temps qu’une sorte de sculpture gonflable géante se développe ou retombe sur elle même en donnant l’impression d’un personnage qui se réveille puis se rendort. Effet saisissant et très poétique.
Le temple sera également envahi par une forêt de bambous durant l’acte II qui montre la volupté et les ébats de Semele et Jupiter. Certains critiques semblent avoir été gênés ou agacés par la dimension sexuelle très présente sur scène comme dans la tradition chinoise où l’érotisme fait partie de la vie et peut-être montré de manière à la fois naturelle et avec humour. Il y aura un cheval lubrique en tissu pourvu d’une monumentale érection, une sorte d’orgie dans les bambous, des gestes explicites entre Athamas et Semele ou entre Jupiter et Semele.
Il convoquera également deux
sumos pour un combat, un
dragon blanc géant qui consolera Jupiter dont l’ amour pour Semele est condamné. Dragon qui emportera Semele en l’entourant comme un serpent au moment de sa mort.
Des
musiciens de Mongolie intérieure et leur chanteuse
Aruhan viendront faire entendre leur propre interprétation de la légende de Semele, à la fois sur scène et lors de l’entracte sur les marches de l’opéra (à l’extérieur sous la sculpture géante du Bouddha aux 3 jambes de Zhang Huan).
Cette mixité fonctionne à merveille et secoue un peu les habitudes d’un public plus « traditionnel » qui semble y avoir pris beaucoup de plaisir.
Zhang Huan termine en apothéose en montrant deux tableaux absolument sublimes :
La mort de Semele suggérée par une photographie projetée sur l’écran géant qui montre le visage d’une jeune femme qui semble se dissoudre progressivement comme si la texture de l’image se réduisait en cendre. Effet fabuleux !
Et enfin lorsque l’écran se relève, alors que le temple est promis au flamme, Zhang Huan choisit de rétablir l’équilibre des choses en faisant tomber une pluie battante qui sauvera le lieu sacré des flammes.