L'éthiqueAssurément l’œuvre la plus magistrale de Spinoza. Ce qui n’est pas peu dire.
Je conseille à tous de la lire en édition pléiade car la traduction est beaucoup plus simple et fidèle.
Spinoza est le seul philosophe pour l’instant où aucune faille logique n’a pu être décelée dans son système philosophique. Non pas qu’il soit parfait, mais simplement parce que logiquement, si l’on accepte les hypothèses de départ alors le reste de l’argumentation est valide également.
Le début de l’argumentation de l’éthique ayant pour sujet la nature de l’homme et celle de Dieu alors les hypothèses si elles ne sont pas farfelues ne peuvent être remises en cause.
Un de mes professeurs Monsieur Monnoyer déclarait que lorsque l’on adhère au spinozisme il est très dur d’en sortir car ce système s’auto-suffit à n’importe quel argumentation sur n’importe quel sujet.
Comment un philosophe aussi ingénieux n’a t-il pas la popularité d’un Kant, d’un Descartes ou d’un Platon ?
Plusieurs raisons : la première est qu’il n’a jamais eu l’art d’argumenter avec beaucoup de poigne et d’impact il se contentait de la validité logique au contraire d’un Kant qui déclarait ouvertement que « tout le monde avant lui s’était fourvoyé dans un océan d’incertitudes conduisant aux plus grandes erreurs ».
La seconde est qu’il n’est peu populaire qu’en France où Descartes le français lui est préféré.
En Angleterre c’est l’anglais John Locke, en Allemagne l’allemand Leibniz. Spinoza est ainsi reconnu mais un peu marginalisé en France si bien qu’il m’a fallu l’étudier seul l’université n’y trouvant aucun intérêt. Par contre j’ai eu du Descartes à toutes les sauces.
Vous me direz je prêche peut être pour le philosophe que j’aime. Mais il a été reconnu que la nature de l’homme décrite par Spinoza était conforté par les neuro-sciences, celle de Descartes infirmée.
La condition animale décrite par Descartes celle de « l’animal-machine » a été aussi réfutée par les travaux des biologistes.
Pourquoi vous dire cela alors que je suis censé commenter l’Ethique ?
Parce que cet ouvrage de Baruch Spinoza est la plus formidable réponse que l’on ait pu faire face au système cartésien.
Au libre arbitre catholico-cartésien est opposé le déterminisme qui repose donc sur une causalité certaine.
La causalité est l’enchaînement infini de causes et d’effets qui régit notre monde et notre condition.
Le libre-arbitre est le postulat affirmant que l’on est responsable de nos actes car libres d’agir par nous-mêmes.
Dans le déterminisme nous ne pouvons pas être libres. Toutes nos passions, nos désirs, nos pensées sont déterminées par des causes extérieures à nous, que nous ne contrôlons pas et même que nous ne connaissons pas forcément.
Pour Descartes, c’est notre âme qui est autonome, capable de penser par elle-même et qui par une introspection réflexive peut agir de la meilleure des manières.
Spinoza est matérialiste, le corps et ses perceptions déterminent notre esprit, pour Descartes c’est l’inverse. La tension réside alors dans la volonté. Pour Descartes la volonté est ce qui permet à l’âme, de douter et de décider ce qui est bon et vrai de ce qui est mauvais et faux. Ainsi, nous, substance pensante pouvons agir selon notre réflexion.
Pour Spinoza, nous ne contrôlons pas notre volonté et celle-ci est elle-même déterminée par des causes extérieurs (notre environnement, notre éducation, Dieu). Essayez de contrôler votre volonté, allez y décidez de vouloir quelque chose, vous n’y arriverez pas. C’est votre volonté qui vous déterminera à agir et non l’inverse.
C’est le fondement du système spinoziste : le déterminisme. Et la cause première c’est Dieu celle par qui tout a commencé et qui a conduit à une infinité d’effets devenant causes d’autres effets et ce indéfiniment. Ce n’est pas un Dieu religieux mais un Dieu métaphysique.
Un dieu-nature qui est tout ce qui nous entoure, ce par quoi tout est. Il est sans volonté et c’est parce qu’il existe ainsi que tout existe ainsi.
Cela contraste avec le Dieu très catholique de Descartes.
Voilà ce sont les hypothèses de départ qu’il faut accepter dans l’Ethique de Spinoza. Une fois cela posé Spinoza décrit avec justesse notre nature, celle de nos perceptions, le fonctionnement de notre esprit, comment parvenir au bonheur.
Plan de l’éthiquePremière partie : De Dieu
I/ Ce qu'est Dieu (prop. 1 à 15)
1. "La substance", c'est-à-dire absolument tout. Pour la raison, non pour l'imagination, une seule substance par attribut, existant nécessairement et infinie (prop. 1 à 10)
2. Les propriétés de la substance absolument infinie (existence, indivisibilité, unicité) (prop. 11 à 15)
II/ Ce qui suit de Dieu (prop. 16 à 36)
1. La nature naturante (comment Dieu agit : production infinie, effective, première, libre, immanente, éternelle d'effets) (prop. 16 à 20).
2. La nature naturée (les façons d'être de Dieu) (prop. 21 à 29)
a. Les modes infinis : l'infini ne produit que de l'infini (prop. 21 à 23).
b. Les modes finis : dépendance à l'égard de Dieu, de leur essence et de leur existence mais détermination des choses finies par d'autres choses finies = modes de la Substance absolument infinie (prop. 24 à 29).
3. Identité de la nature naturante et de la nature naturée (prop. 30 à 36)
a. Spontanéité de l'action divine : Dieu ne réfléchit pas avant d'agir (prop. 30 à 32).
b. Nécessité de l'action divine : Dieu n'est pas un artisan se croyant libre (prop. 33 à 36).
Appendice : critique de l'illusion finaliste et des croyances qui s'ensuivent.
Deuxième partie
Deuxième partie - De la nature et de l'origine de l'âme
I/ L'origine de l'esprit (prop. 1 à 13)
1. La pensée et l'étendue (prop. 1 et 2)
2. La puissance infinie de penser de Dieu et l'intellect infini qui s'ensuit (prop. 3 et 4)
3. L'ordre des idées et l'ordre des choses (prop. 5 à 7).
4. La production des idées (prop. 8 et 9)
5. L'esprit est l'idée du corps (prop. 10 à 13)
II/ La nature du corps humain (abrégé de physique et de physiologie)
1. Des corps aux individus
a. Les corps les plus simples et les lois du mouvement (Axiomes 1 et 2, Lemmes 1 à 3, Axiomes 1' et 2')
b. Les corps composés : l'individu (Définition, axiome 3, Lemmes 4 à 7)
2. Le corps humain (postulats 1 à 6)
III/ Ce que peut l'esprit humain et les lois de son fonctionnement (prop. 14 à 47)
1. La perception et l'imagination
a. Genèse et fonctionnement de la perception qui produit des représentations imaginaires : (prop. 14 à 23).
b. Les idées spontanées des choses (mélange de perception et d'imagination) sont toutes inadéquates : confusion entre mon corps propre et les autres corps, croire au possible (prop. 24 à 31).
2. De l'erreur à la vérité
a. L'erreur, la fausseté n'est qu'une privation de connaissance, logique de l'erreur (prop. 32 à 36).
b. Les notions communes : fondement de la connaissance rationnelle (prop. 37 à 39).
c. Les trois genres de connaissance : l'imagination, la raison, l'entendement intuitif (prop. 40 à 43).
d. La connaissance adéquate : quand il forme des idées adéquates, l'esprit connaît les choses comme Dieu les connaît, telles qu'elles sont en soi, éternellement et nécessairement (prop. 44 à 47).
IV/ Identité de l'intellect et la volonté (prop. 48 et 49)
Troisième partie - De l'origine et de la nature des passions
Préambule : comprendre les sentiments ou ou affects par leurs causes.
I/ Les causes premières des affects (prop. 1 à 11)
1. Activité et passivité de l'esprit et du corps (prop. 1 à 3)
2. L’effort de perséverer dans l’être (prop. 4 à 8 )
3. Les affects primaires : désir, joie, tristesse (prop. 9 à 11)
II/ La vie affective (prop. 12 à 57)
1. Désir et imagination : l'amour et la haine (prop. 12 et 13).
2. Composition des passions par rapport un objet sur lequel le désir se fixe accidentellement : la fluctuation de l'âme, l'espoir et la crainte, conserver l'être aimé (prop. 14 à 20)
3. Formation et développement des passions entre les personnes (prop. 21 à 57).
a. L'imitation du désir des autres (désir du désir : contagion, transfert, rôle imaginaire d'autrui, mimétisme, amplification des affects) (prop. 21 à 30).
b. Les façons d'aimer et de haïr : faire aimer ce qu'on aime, le désir de réciprocité, la jalousie, la frustration, l'intensification des affects, l'agressivité, instabilité des rapports affectifs (prop. 31 à 49).
c. Caractères généraux des passions composées : incertitudes et variations d'intensité, raisons de la variabilité des affects (prop. 50 à 57).
III/ Les affects actifs (prop. 58 et 59) : affects non passionnels lorsque l'esprit forme des idées adéquates des objets de joie ou de tristesse.
IV/ Bilan des passions par leurs définitions
Quatrième partie
Quatrième partie - De l'esclavage de l'homme ou de la force des passions
Préface : le bien et le mal, la perfection et l'imperfection sont des notions relatives.
I/ La condition humaine (prop. 1 à 37)
1. La servitude à l'égard des passions : puissance limitée de l'homme, notre impuissance (relative) et notre aliénation à l'égard des affects passifs, faux biens, vrais maux, affects les plus forts (prop. 1 à 18).
2. Le fondement naturel de la vertu : la recherche de l'utile propre, pour un égoïsme bien compris, le plus utile : connaître adéquatement un maximum de choses (prop. 19 à 28).
3. De l'utile propre à l'utile commun : la vie en société, les conflits, les moyens de vivre en sécurité sachant qu'on ne sort jamais complètement de l'état de nature (prop. 29 à 37).
II/ De la servitude à la liberté (prop. 38 à 73)
1. Les bonnes et les mauvaises passions : gaieté, mélancolie, humilité, orgueil… (prop. 38 à 58).
2. Intervention de la raison dans la vie affective: considération de la personne dans sa globalité (prop. 59 à 66).
3. La vie des hommes libres : être "positif", ne pas trop se mêler aux ignorants mais agir pour le bien commun en sachant que sans société, il n'y a pas de réelle liberté (prop. 67 à 73).
Appendice : les voies pratiques du bonheur et de la liberté.
Cinquième partie
Cinquième partie - De la puissance de l'entendement ou de la liberté de l'homme
Préface : la raison ne peut, au moyen de la seule volonté, suffire pour nous libérer des passions mauvaises.
I/ Les remèdes aux affects passifs (prop. 1 à 20)
1. Connaître le corps et soigner l'esprit au moyen d'une manière maîtrisée d'imaginer (prop. 1 à 10).
2. L'amour non superstitieux envers Dieu, amour pour un être impérissable qui ne peut se changer en haine (prop. 11 à 20).
II/ La béatitude suprême (prop. 21 à 42)
1. La science intuitive : connaître et se connaître du point de vue de l'éternité, être libre (prop. 21 à 31).
2. L'amour intellectuel de Dieu : aimer Dieu de l'amour dont il s'aime lui-même et s'aimer comme « Il » nous aime (prop. 32 à 37).
3. Le devenir de l'esprit dans ces conditions, libération à l'égard de la crainte, rôle du corps, être définitivement actif (prop. 38 à 40).
4. Est-il besoin d'être « parfait » pour commencer d'être heureux et vertueux ? (prop. 41 et 42) ?
L’éthique est divisée au sein de ses paragraphes en trois sous-parties principales : définitions, scolies et démonstration. Pour le lire de manière compréhensible je conseille à tout le monde de lire d’abord les démonstrations, puis les scolies et enfin les définitions pour vraiment bien enregistrer le pourquoi du comment. (Ca marche j l’ai conseillé à un prof et depuis il l’enseigne en cours).
C'est un livre majeur en philosophie qui brille d'intelligence, bien écrit ce qui est rare en philosophie et qui permet une réflexion pertinente sur beaucoup de questions métaphysiques que nous nous posons souvent.