Rainer Werner Fassbinder

Superbe décor, superbe toile de fond (Midas et Bacchus de Nicolas Poussin), superbes actrices, superbes tenues... Un aménagement des pièces qui change subtilement au cours du film, des entassements de mannequin significatifs, des coiffures et des maquillages étonnants qui renouvellent sans cesse l’identité de Petra von Kant -par ailleurs bien difficile à cerner, entre ironie et désespoir bien réel… Des plans qui jouent avec les émotions des personnages, des ellipses qui stimulent l’imagination du spectateur…

Et de la monotonie ! Parce que tout a beau être superbe, baroque et rempli de classe, on ne peut pas dire qu’on s’amuse follement à regarder ce film. On se laisse engluer dans de longues discussions mettant en rapport Petra von Kant avec sa mère, sa fille, ses amies et surtout Karin, jeune demoiselle à peine arriviste de 23 ans, sur qui elle jette son dévolu. Témoin mystérieux de tous ces va-et-vient, Marlène contemple et écoute sans rien dire, personnage intermédiaire entre ces femmes et les mannequins inertes qui jonchent le sol.
Il est essentiellement question de rapports amoureux, considérés sous l’angle peu enthousiasmant de la domination et des rapports de force. Les larmes de Petra sont amères car lucides : une fois vécue la première grande désillusion de l’existence, difficile de retrouver une innocence et d’envisager avec sérénité tout renouvellement du rapport amoureux. Karin est là pour le lui rappeler, si jamais elle avait cru pouvoir oublier cette vérité à travers elle. L’homosexualité comme l’hétérosexualité ne lui apporteront pas le bonheur total que chacun feint généralement de ressentir comme preuve incontestable de la réussite d’une existence.
Si le discours a pu être déconcertant à l’époque où le film est sorti, il n’a aujourd’hui rien de révolutionnaire. L’écouter pendant deux heures ne provoquera aucune révélation bouleversante. Il s’agit tout au plus d’une gentille piqûre de rappel, qu’on aurait peut-être aimé un peu moins figée.

L’interview de Fassbinder, longue de 50 minutes, est presque plus stimulante que le film en lui-même. Pourtant, Les larmes amères de Petra von Kant est loin d’être mauvais ; il est simplement dispensable.

Lili Marleen (1981)

s'inspirant de la relation amoureuse de la chanteuse allemande Lale Andersen et du compositeur juif Rolf Liebermann.

D'avant à après la seconde guerre mondiale. Guerre qui en plus du père du suisse provoquera la séparation. Lui participera à un réseau qui fait sortir des juifs d'allemagne, elle, un peu par hasard, se retrouve chanteuse et icône du régime, courtisée par les dignitaires...

Que dire, une grande histoire d'amour contrarié et indéfectible ? une atmosphère extrêmement particulière avec des lumières qui scintillent et ouatent les scènes, occultent des extérieurs verdoyants ? des scènes de chant qui sont celles qui font surgir les images de la guerre. La débauche d'un luxe malvenu, l'expression d'une immense faute de goût d'un régime qui veut vivre d'exagération mauvaise... Une fresque, des visages (Hanna Schygulla again), des mouvements, des élans, des arrêts, des parallèles, toujours cette immense tristesse qui survole des moments de grâce aussi émouvante qu'issue de l'improbable.

A la fois simple à suivre (par rapport à d'autres) mais infiniment emmêlés d'images qui appartiennent au cinéaste, à l'iconographie de cette période, et à une façon d'essayer à sa manière d'en venir à bout, avec une infinie blessure, une compromission juste et injuste. Toute une trame d'échange dans ce cinéma de contrastes...

Il y a plein de choses terribles qui passent comme dans un rêve...

Étrange, bizarrement remuant, puissant.

ah oui... un de mes préférés de lui... et le fait que Hanna Schygulla y est, fait partie du plaisir...

et voilà que cette chanson va me trotter pendant toute la journée dans la tête

Dans les particularités du film il y a d'ailleurs toutes les interprétations successives de la chanson avec un épuisement rapide et la tension et la question de l'émotion, qui transparait, et de la chanteuse : émoussée, plus vive, ... avec la qualité particulière de fragilité de l'image.

ça reste dans la tête.

J'espère qu'il fera partie de ces films restaurés qu'on nous propose régulièrement au cinema. Tant de lacunes à combler pour moi parmi les films des années 50 à 80. J'y prends goût de plus en plus. Et le Majestic nous en programme beaucoup chaque semaine.

tu tentes la lettre de supplication à Carlotta ?

animal a écrit:

Lili Marleen (1981)

Il y a plein de choses terribles qui passent comme dans un rêve...

Étrange, bizarrement remuant, puissant.

Oh oui  

(je tâcherai d'aller à la pêche aux images bientôt).

Le Mariage de Maria Braun (1979)

Compliqué comme histoire ! Pourtant au départ c'est simple : Maria et Hermann se marient sous les bombes avant le départ de Hermann pour le front de l'est. Le retour se fait attendre puis impossible et Maria n'oubliant pas son amour se retrouve avec un GI noir. Mais Hermann revient et Bill meurt. Hermann part en prison et pendant ce temps Maria fait des miracles professionnels. Fini le marché noir, la prospérité et une vie bourgeoise prête à cueillir attendront le mari à sa sortie. Et quoi qu'il en coûte.

En effet ça c'est déjà un peu compliqué. Mais que dire de Maria, incarnée par l'indispensable Hanna Schygulla ? Étonnant et troublant personnage de femme dans laquelle tout ou presque cohabite du romantisme infini au calcul le plus froid. Et ce n'est même pas seulement le mélange d'une femme émancipée dans et par l'après-guerre qui se retrouverait en quelque sorte ruinée moralement par l'économie.

C'est plus tordu, plus profond ou ambivalent. Bill ou Oswald, le patron de l'entreprise de bas, tout "pratiques" qu'ils soient et s'ils peuvent être conscients d'être joués, ne vivent pas forcément un mensonge... pourtant cette séductrice est très dure.

Et dure aussi avec elle même en jouant un jeu "pratique" qui mêle des intérêts économique et d'attente sentimentale (si ce n'est spirituelle). Le portrait qui a de sérieux airs d'une descente vers un enfer glacial est fascinant et émouvant. Observée en miroir par les hommes amoureux, différemment. Le retour et la relation énigmatique entre Hermann et Oswald, les considérations pécuniaires des dialogues de la fin...

La mère et l'amie et leurs vies de couple, de femmes, à elles aussi. Une particulière façon de jouer des apparences, de mensonges qui n'en sont pas et d'affaiblir certains rapports de force qui paradoxalement gagnent en puissance quand ils s'approchent de l'intimité.

Très bizarre à voir, quelques très belles scènes inhabituelles jouant des corps, une pointe d'humour et de dérision.

Et en fait je l'avais déjà vu au moins en partie ou somnolent. Pas le genre de film à vous mettre une grosse claque directement, plutôt de celui qui infuse et fait son chemin...

Roulette chinoise / Chinesisches Roulette (1976)

Une réunion de famille imprévue pour un couple bourgeois qui se retrouve malencontreusement dans sa maison de campagne, chacun pensant s'y retrouver tranquille avec son amant(e). Ne pas oublier la domestique et son fils et encore moins la fille handicapée accompagnée de sa gouvernante.

Les deux couples auraient pu s'accommoder assez facilement de leurs présences mutuelles mais la fille pousse à la confrontation. Ajouter un zeste de passé obscur et le tableau prend forme.

Huis clos très théâtral et intensément chorégraphié. Le jeu des mouvements et des espaces entre les couples est stupéfiant et plus encore celui des regards. C'est tellement peu naturel que ça devient criant d'une vérité intime, sensuel mais toujours avec des distances et des séductions.

Le suspens est aussi au rendez-vous et on a beau s'attendre aux effets de Fassbinder on ne peut s'empêcher d'être hypnotisé par ce balais amoureux multiforme. L'étrangeté et le manque dans toutes leur splendeurs.

Le soldat américain (1970)

Une variation brumeuse sur le thème du film noir américain dans l'Allemagne de la fin des années 60 avec des policiers qui picolent, un "soldat américain" revenu du vietnam pour faire le tueur (ou autrement le boulot de la police... ) dans son Allemagne natale, une femme de chambre, un flipper, des drôles de trucs, des scènes très froidement passionnées ou dépassionnées.

Le rythme particulier un mélange de presque lenteur et de distance sonore et ce décalage des personnages, comme en retrait souvent des scènes rendent le film plus hermétique que ses penchants libérés ne le laisse paraître. Probable aussi que de ne pas remettre les multiples références (paraît-il) américaines complique l'affaire.

Un drôle de film en tout cas qui sur un fond de violence d'actualité, ou de mode de vie ou d'état met l'accent sur les désarrois, lassitudes, spleens, leurres d'une sphère intime qui se dévoile de multiples façons.

La mémorable partie de poker d'ouverture du film vaut le détour. Au programme des habitués Hark Bohm mérite aussi son détour discret, sans oublier Margarethe von Trotta et une poignée d'autres choses plus ou moins marquantes et pas forcément anodines....