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| Pierre Reverdy | |
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Auteur | Message |
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Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mar 5 Nov 2013 - 16:58 | |
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Chute
En attendant que l'aube se déride, éclate, devienne blanche et poudrée d'or, que ce reflet précise, limite aux angles raides, aux lignes droites, et même aux feuilles frissonnantes, aux arbres qui tremblent encore de froid le jour on se cache la longue main gantée de la nuit nous pousse et nous relâche Nous roulons à travers les ravins les nids des précipices les gravats des anciennes journées Vers cet édifice mal construit où ne s'ouvre même pas une chambre numérotée, alignée, immobile au bout du sentier qui étouffe le pas, bordé de lumière de cuivre En attendant que nous soyons tous dans la même blancheur et sans nos signes distinctifs et nos insignes avec cette seule flamme qui se rallume, cette courte flamme qui s'élève et que nous ne poursuivons pas. L'aube éclatante de soleil et de poussière.
(Extrait de "Flaques de verre"/ GF Flammarion)
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| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Lun 25 Nov 2013 - 17:57 | |
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Prison
Je me suis pris à l’aile exquise du hasard
J’avais oublié de le dire
J’avais perdu le sens de la distance
Dans la débâcle du présent
Serré dans les filets rigides de la raison
Etouffé de forces précises
Je tournais sans comprendre autour de la maison
Assis debout perdu dans le délire
Et sans mémoire à remonter aux limites obscures
Plus rien à conserver dans les mains qui se brouillent
A retenir ou à glaner entre les doigts
Il n’y a que des reflets qui glissent
De l’eau du vent
filtres limpides
Dans mes yeux
Et le sang du désir qui change de nature
Des images
Des images
Sans aucune réalité pour se nourrir
(Extrait de "Le chant des morts", in Ferraille, Plein verre, Le chant des morts, Bois vert suivi de Pierres blanches / NRF/Poésie/ Gallimard)
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| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Lun 13 Jan 2014 - 11:21 | |
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Horizontal et tout est dit
Je voudrais tomber de plus haut Quand le sanglot de la pluie cesse Un rire humide entr'ouvre la fenêtre On a encore le temps de venir Le quart est fait puis la demie Les heures gluantes qui passent C'est la dernière fois que l'on prendra le train Le jour se fait encore attendre On peut venir de là ou de plus loin Ce sera toujours pour descendre Dans la rue vide où personne ne vient Une seule voiture glisse Un air triste que l'on retient Tout tourne plus vite que le temps Les oiseaux qu'emporte le vent La glace me regarde et rit La pendule bat la mesure A mon coeur qui n'est pas guéri Tout est remis d'autres blessures Le calme plane On est tout seul La chambre n'est pas assez grande Pour garder pendant le sommeil Les rêves qui fuient sur la bande
(Extrait de "Main d'oeuvre", in Anthologie de la poésie française du XX ème siècle/ NRF/ Poésie/ Gallimard) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Dim 18 Mai 2014 - 11:43 | |
| - Citation :
- [...]
Et les hommes - détachés de l'humanité par la mort comme les grains de sable des rochers par le flot tout aussi inlassable - s'en vont un à un fournir la matière anonyme des vastes étendues de l'éternel oubli. Comme il y a une étroite bordure ensoleillée aux rivages des mers qui nous fait oublier les immensurables étendues et la profondeur insondable des abîmes - de même, chez les hommes, il y a, tout autour de l'immensité obscure qui garde les morts sans écho, les plages dorées de la gloire. C'est sans doute pourquoi l'on peint et l'on écrit. Mais ce que je veux dire c'est qu'il ne faudrait pas avoir une confiance trop aveugle dans la dorure - par exemple confondre celle du cadre et l'or invisible qui dort entre la trame de la toile et la peinture - la mine est là - la mine pour plus tard - et tout le monde sait que cette mine - pour plus tard - n'a pas toujours été, est encore de moins en moins aujourd'hui dissimulée sous l'étourdissante marée des grands tirages. Il y a, perdus dans les sables mouvants tant d'éclatants, tant de sombres chapitres de l'histoire. Quant à moi, ayant par hasard remarqué que quelles que soient les circonstances du contrat, ce sont toujours, au bout du compte, les vivants qui sont obligés de s'occuper des morts et jamais les morts des vivants, je pense à cette fée aux mamelles de fange qui m'a promis, le soir où mon oreille s'est ouverte pour la première fois aux mensonges du vent, de venir déposer sous ma nuque raidie, un coussin mollement rembourré d'autant de milliards d'étoiles qu'il faudra pour adoucir la dureté des angles du cercueil et préserver mon coeur des rigueurs de la nuit.
(Extrait de "La liberté des mers, in "Sable mouvant/ Au soleil du plafond/ La Liberté des mers" suivi de "Cette émotion appelée poésie" / NRF/ Poésie Gallimard) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Lun 19 Mai 2014 - 14:53 | |
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Les yeux inconnus
En attendant
Sur la chaise où je suis assis
La nuit
Le ciel descend
Tous ceux à qui je pense
Je voudrais être au premier jour
De mon enfance
Et revenir
M'en aller de l'autre coté
Pour repartir
La pluie tombe
La vitre pleure
On reste seul
Les heures meurent
Le vent violent emporte tout
Les yeux se parlent
Sans se connaître
Et c'est quelqu'un qu'on n’aura jamais vu
Qu'une seule fois dans sa vie
(Extrait de Ferraille, Plein verre, Le Chant des morts, Bois vert suivi de Pierres blanches/ NRF/ Poésie/Gallimard ) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Lun 8 Déc 2014 - 17:06 | |
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L'esprit dehors
Les mains s'étirent sous la lampe où le papier blanc se déploie, où le tranchant de l'abat-jour coupe les têtes. Dans le seul coin de cette salle où la clarté remue on entend quelquefois la pendule qui bat. Personne n'oserait entrer dans ce silence. On craint pourtant le bruit du doigt cherchant dans le secret les lignes de la porte. Au débouché funèbre de la nuit, quelqu'un passe en criant dans la rue qui s'efface. Murmures sans écho, chagrins de trop grand poids, la plume grince tard sur la feuille du livre, comme le vent rugueux sur la pente du toit.
(Extrait de "La liberté des mers", in "Sable mouvant/ Au soleil du plafond/ La Liberté des mers" suivi de "Cette émotion appelée poésie" / NRF/ Poésie Gallimard) | |
| | | Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Lun 5 Jan 2015 - 11:46 | |
| .
Toujours là
J’ai besoin de ne plus me voir et d’oublier De parler à des gens que je ne connais pas De crier sans être entendu Pour rien tout seul Je connais tout le monde et chacun de vos pas Je voudrais raconter et personne n’écoute Les têtes et les yeux se détournent de moi Vers la nuit Ma tête est une boule pleine et lourde Qui roule sur la terre avec un peu de bruit
Loin Rien derrière moi et rien devant Dans le vide où je descends Quelques vifs courants d’air Vont autour de moi Cruels et froids Ce sont des portes mal fermées Sur des souvenirs encore inoubliés Le monde comme une pendule s’est arrêté Les gens sont suspendus pour l’éternité Un aviateur descend par un fil comme une araignée
Tout le monde danse allégé Entre ciel et terre Mais un rayon de lumière est venu De la lampe que tu as oublié d’éteindre Sur le palier Ah ce n’est pas fini L’oubli n’est pas complet Et j’ai encore besoin de me connaître
(Extrait de La lucarne ovale (1916) in Plupart du temps, poèmes 1915-1922/ NRF/Gallimard) | |
| | | Hésykhios Espoir postal
Messages : 20 Inscription le : 16/12/2014 Age : 33 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mar 6 Jan 2015 - 11:27 | |
| Merci pour ces posts Constance !
Reverdy est un poète sobre, intime, qui n'a pas les défauts d’obscurité que certains autres poètes du vingtième ont (je pense à Guillevic par exemple)... | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mer 24 Fév 2016 - 20:21 | |
| NUIT Derrière la porte où je suis caché
Le soir tarde à venir
Je regarde le ciel par cet œil en losange
Les avions de feu sont presque tous passés
A travers les signaux d'alarme
Il y avait dans ma poche une arme
Une aile qui battait moins haut
Le lune retenant ses larmes
Et des rires moqueurs dans les plis du rideau. Au soleil du plafond. - Poésie/Gallimard Constance n' est plus là, et c' est un peu pour elle que je continue, meme si je répète... | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mer 24 Fév 2016 - 22:01 | |
| Merci, bix... Constance n'est pas la seule, loin de là. Faut penser aussi à Coline et à plusieurs habitués du forum. Quant à Pierre Reverdy, j'ai acheté son recueil de poésie le plus «connu» et distribué (Plupart du temps). Pour avoir lu Jean-Aubert Loranger, poète québécois en prose, je remarque que les poètes sont plus susceptibles de m'intéresser à partir de la période cubiste.
Pierre Reverdy a une écriture qui s'approche beaucoup de ma sensibilité de poète. Je consens à dire qu'il y a quelques reflets qui découlent d'une démarche spirituelle, et je suis conscient qu'une démarche de modernité exige qu'on remette au goût du jour les thèmes abordés entre les vers. Parlant de modernité, l'écriture de Reverdy ne me semble pas avoir pris une seule ride. Il y a bien sûr quelques bouts qui trahissent l'époque à laquelle il se trouvait, mais le travail est d'assez bonne qualité pour ne pas dire exceptionnel.
Quand je regarde les poètes que j'ai apprécié, je liste quelques poètes en vrac : Saint-Denys Garneau, Anne Hébert, Loranger, Reverdy, Ponge, Patrice Desbiens, Daniel Leblanc-Poirier, Marie Uguay, Michel Beaulieu, Jacques Brault, Élise Turcotte et Henri Michaux.
Je vais voir bientôt si je les apprécie, mais Jacques Roubaud et Gustave Roud attirent ma curiosité... | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mar 8 Mar 2016 - 18:03 | |
| Flaques de verre par Pierre Reverdy. Parmi les choses sans valeur et sans aucune utilité qui s’énumèrent, la poésie est certainement l’une des plus impressionnantes. Comment expliquer que ce soit précisément le filon que l’homme songe d’abord à exploiter aux premiers mouvements de son impétueuse jeunesse ? Et d’autre part comment contempler sans un triste sourire l’idée que l’on puisse vieillir en mâchonnant des vers. Avec beaucoup plus de rigueur que les généraux rancis, les poètes devraient être frappés par la limite d’âge. Il y a des choses plus vaines dans la vie que toutes ces beautés auxquelles nous avons un jour accordé une si exclusive importance. Après avoir traversé sans faiblir l’âge du rêve, l’âge de l’image et celui des pensées, voici qu’arrive l’âge d’or et celui de la pierre. Les autres hommes sont à présent soigneusement étiquetés dans des dossiers, écrasés dans des caisses. Ces caisses sont hermétiquement fermées, clouées, plombées, expédiées au loin. Elles sont chargées sur des navires qui s’en vont. Un horizon blafard les happe dans son équivoque sourire. Je ne vois plus les navires, je ne vois plus les hommes, je ne vois plus les caisses. Je ne vois plus la poésie qu’entre les lignes. Elle n’est plus pour moi, elle n’a jamais été pour moi dans les livres. Elle flotte dans la rue, dans le ciel, dans les ateliers sinistres, sur la ville. Elle plane magistralement sur la vie qui, par moments, la défigure. Et ce ciel, tourmenté et changeant, qui se reflète sur les routes, à peine dessinées, de l’avenir, dans les flaques, ce ciel qui attire nos mains, ce ciel soyeux, caressé tant de fois comme une étoffe –derrière les vitres brisées, la poésie, sans mots et sans idées, qui se découvre. Préface à Flaques de Verre, Paris, Gallimard, 1929 (réédition, Paris, Garnier Flammarion, 1984). Flaques de verre, édité en 1929, regroupe des textes et des poèmes épars, mais dont l' unité est dans le ton meme. B | |
| | | Steven Zen littéraire
Messages : 4499 Inscription le : 26/09/2007 Age : 52 Localisation : Saint-Sever (Landes)
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Jeu 10 Mar 2016 - 23:03 | |
| Constance l'a déjà posté plus haut, mais ces quelques vers me parlent vraiment ! Il y a une force dans ces mots, une véritable présence poétique !!
Tard dans la vie
Je suis dur je suis tendre Et j'ai perdu mon temps À rêver sans dormir À dormir en marchant Partout où j'ai passé J'ai trouvé mon absence je ne suis nulle part Excepté le néant je porte accroché au plus haut des entrailles À la place où la foudre a frappé trop souvent Un cœur où chaque mot a laissé son entaille Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Sam 30 Avr 2016 - 5:57 | |
| Un poème qu'on n'a pas montré encore... j'ai feuilleté le recueil Plupart du temps de Reverdy deux fois avant de jeter mon dévolu «Sur les dix doigts» : - Pierre Reverdy, Plupart du temps (1915-1922), 2008, Paris : Gallimard, coll. «NRF Poésie», p. 81-82. a écrit:
- «Sur les dix doigts»
Une ligne au diapason Mon regard Le battement de mes artères Je file incognito Et l'on voit venir la lumière
La porte s'est ouverte Et le signe triste est entré La lampe est allumée Quand une main qui court Autour de l'abat-jour - Tiens elle est transparente - Enfin tombe dans le sucrier
Violon cassé Livre fermé Bouche muette Les yeux se sont levés sur moi Et j'ai rabattu mes paupières Une parole La dernière Je tiens entre mes doigts Sa main encore tiède C'est un univers qui m'est familier... c'est le genre d'écriture qui m'interpelle en tout cas. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mar 16 Aoû 2016 - 9:42 | |
| Il semble bien que je reviendrai périodiquement à Pierre Reverdy. Toujours dans Plupart du temps, il est possible de lire : - Pierre Reverdy, Plupart du temps (1915-1922), 2008, Paris : Gallimard, coll. «NRF Poésie», p. 241. a écrit:
- «Avant l'heure»
Elle est allumée On ne voit plus qu'elle Et le cœur triangulaire Qui brille au soleil Une matinée Une aube nouvelle Mais la journée amère Qui reste pareille Salué en passant quelques yeux inconnus Où passe le regard que chacun emporte Et le nom que l'on a cloué Sur chacune des deux portes J'ai crié en frappant On ne répondait pas J'ai pleuré en partant Mais sans qu'aucun me voie Et toute la tristesse est restée enfermée Attendant le soleil qui ouvre les fenêtres Et les desseins obscurs qui roulent dans ma tête Il y a de ces poèmes qui savent nous réconcilier avec la poésie. | |
| | | Reixach Posteur en quête
Messages : 60 Inscription le : 15/04/2016
| Sujet: Re: Pierre Reverdy Mer 17 Aoû 2016 - 9:09 | |
| Bonne idée, jackhubert. J'ai Flaque de verre à lire aussi (quel beau titre au passage). Merci pour ce partage ! | |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Pierre Reverdy | |
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| | | | Pierre Reverdy | |
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