Henri-Georges Clouzot

J'ai vu plusieurs de ses films, Le corbeau, L'assassin habite au 21, Quai des orfèvres, Les diaboliques. Je dirais que les ai plus admiré qu'aimé. Ce sont de très belles mécaniques, mais je ne peux m'empêcher d'y trouver quelque chose de démonstratif, et de toute façon de plus pensé que ressenti. Il me manque le petit frémissement, quelque chose d'un peu personnel, qui en ferrait des moments inoubliables.

Arabella a écrit:

J'ai vu plusieurs de ses films, Le corbeau, L'assassin habite au 21, Quai des orfèvres, Les diaboliques. Je dirais que les ai plus admiré qu'aimé. Ce sont de très belles mécaniques, mais je ne peux m'empêcher d'y trouver quelque chose de démonstratif, et de toute façon de plus pensé que ressenti. Il me manque le petit frémissement, quelque chose d'un peu personnel, qui en ferrait des moments inoubliables.

C'est en effet un cinéaste misanthrope et cruel pour nos lâchetés humaines. Un technicien hors pair, rarement tenté par l"émotion sauf peut-être dans La vérité.
Le remake du Salaire par Friedkin, sous le titre Le convoi de la peur, n'est pas trop mal en effet, moins puissant quand même que l'original.

Citation :

Cet Enfer n'est intéressant que pour les plans de Clouzot.
J'aurais aimé que le réalisateur se frotte à une véritable reconstitution, finalisation. Là, ça faisait un peu revue People&Cinéma.

je n'ai pas aimé non plus les scènes rejouées, mais je ne pense pas qu'il y avait de reconstitution possible. Un des intérêts de ce documentaire ( sans parler bien sûr des scènes tournées dont certaines sont extraordinaires), pour moi, était de montrer à quel point le tournage de ce film était un pari fou .. Et People et cinéma
Non, les acteurs sont morts , ceux qui s'expriment étaient des techniciens , ou la script , et j'ai bien aimé entendre leurs commentaires sur les scènes tournées, justement. Comment, par exemple, pour les secondes d'une scène filmant la langue de Romy Schneider , il a fallu plus de 24h de tournage, pendant lesquelles elle n'a fait que cela.. Comment Clouzot a presque rendu fous ses acteurs ( il n'avait pas l'air facile..)et est allé au clash , inéluctable. Tout ce qui est dit sur l'art contemporain des années 60 qu'il voulait intégrer presque intégralement d'une façon ou d'une autre , les astuces des uns et des autres qui ne convenaient jamais , etc.
J'aime de toute façon toujours que l'on me raconte les envers d'un tournage, j'avais déjà beaucoup aimé Lost in La Mancha, tiens si Traversay connait d'autres films qui parlent de films un peu maudits, je suis preneuse!

Je comprends ce que tu dis Marie. C'est vrai que ça a beaucoup d'intérêt de savoir un peu les envers d'un tournage (surtout un tournage raté). C'est juste que je m'attendais à plus de place pour le film originel. Et que c'est souvent répétitif et lent le côté documentaire, itv,... etc...

Le Corbeau

petite ville, un médecin un peu froid, seul... des femmes. des lettres anonymes qui touchent à tout le monde, puis un mort... ça dégénère. mais qui envoie les lettres ? et pourquoi ?

Si le film finit par succomber à un très léger espoir, c'est d'une noirceur effrayante. douter de tout le monde. forcément. se tromper. évidemment. juger. tout le temps. Pourtant les portraits ne sont pas dénués de beauté et ce film titanesquement maitrisé est aussi vibrant parfois dans la tension de certains pour d'autres, et pour sauver les autres. Et les différentes femmes, si leurs personnages sont très identifiables ont droits à des nuances et à leurs beautés.

Effrayant dans sa mécanique et son regard ironique sur les réactions des hommes (surtout) et leurs bonnes excuses, leur vanité (et la fièvre collective... ). c'est tout de même un beau film... et un chef d'œuvre, c'est probable !

soufflant.

animal a écrit:

Effrayant dans sa mécanique et son regard ironique sur les réactions des hommes (surtout) et leurs bonnes excuses, leur vanité (et la fièvre collective... ). c'est tout de même un beau film... et un chef d'œuvre, c'est probable !

soufflant.

Oui, et en plus cette histoire de lettres anonyme, c'est quand même dans un film réalisé en 1943...

ouaip, effectivement. et on ne peut pas dire qu'il soit complaisant avec la méthode ou la capacité des autorités à quoi que ce soit. ou les gens en général ?

animal a écrit:

Le Corbeau

Effrayant dans sa mécanique et son regard ironique sur les réactions des hommes (surtout) et leurs bonnes excuses, leur vanité (et la fièvre collective... ). c'est tout de même un beau film... et un chef d'œuvre, c'est probable !

soufflant.

Oui, soufflant. Et qui aurait pu coûter très cher à Clouzot.

Citation :

Etrange destin en effet que celui du Corbeau, film honni de toutes parts, tant par la presse clandestine et résistante (le fameux critique et historien du cinéma George Sadoul allant même jusqu’à comparer le film à Mein Kampf) que par le pouvoir de Vichy, qui attendait de sa filiale cinématographique des films autrement plus glorieux et optimistes que cette sinistre et sordide histoire de chantage. Destin d’autant plus étrange que le film fut finalement accusé des mêmes maux de part et d’autre : une vision dégradante et anti-française de la société de l’époque. Le film, que ce soit sous Vichy ou à la Libération, fut donc une cible idéale, ainsi que son créateur qui se vit interdire à vie toute activité cinématographique dès juin 44 (cette peine fut finalement réduite à deux ans).

L'assassin habite au 21 (1942)
Un mystérieux assassin commet des meurtres en série et laisse sur ses cadavres sa carte de visite au nom de "M. Durand". Le commissaire Wens trouve une piste qui le mène a Montmartre dans une pension de famille "les Mimosas". Il se déguise en pasteur et s'inscrit comme pensionnaire.

Une adaptation du policier de Stanislas-André Steeman, paru en 1939, et dont l'action a été transposée de Londres à Paris.


Premier long-métrage de Clouzot, déjà fort maîtrisé, et qui annonce d'emblée le style du cinéaste : ironie grinçante, mise en scène rythmée, ambigüités de l'âme humaine, entre ombre et lumière. Sans aucun doute, l'un des meilleurs films policiers français des années 40, avec son intrigue astucieuse et son climat pesant et nocturne. Vraisemblablement, c'est la premier fois, dans le cinéma français, qu'apparait un tueur en série.


Les dialogues, épicés et pleins d'esprit, sont un régal. D'aucuns diront que les comédiens cabotinent mais quelle accumulation de talents : Suzy Delair, gouailleuse, Pierre Fresnay, flegmatique, Raymond Bussières, Noël Roquevert, Pierre Larquey. Film daté, vieillot ? Pour ceux qui ne jurent que par le cinéma contemporain, sans aucun doute. Pour les autres, un exercice de style jubilatoire.

Vu Le corbeau .

Citation :

Effrayant dans sa mécanique et son regard ironique sur les réactions des hommes (surtout) et leurs bonnes excuses, leur vanité (et la fièvre collective... ). c'est tout de même un beau film...

C'est, vous l'avez-dit, un film tout à fait étonnant, il fallait oser ! Et, en fait , car aussi intéressant que le film en lui-même est bien sûr le contexte. Les films produits par la Continental n'étaient pas surveillés. Ni donc susceptibles d'être censurés par Vichy. Il en a profité, Clouzot ( tout cela est fort bien raconté par Tavernier dans le bonus du DVD) pour, dans un noir et blanc très contrasté , faire passer ses idées sur les frontières toutes relatives du bien et du mal. La scène de la lampe qui éclaire un côté après l'autre est magnifique.
C'est évident qu'il ne pouvait pas être compris dans l'immédiat après guerre . Pour Tavernier, cette cabale contre ce film et cette comparaison à Mein Kampf  était  même carrément un appel au meurtre.
A remarquer aussi la critique courte mais acerbe de la façon dont on traitait les malades..

La vérité (1960)

Le procès d'une jeune femme suite à la mort d'un jeune homme promis à un brillant avenir et au mariage avec la sœur de l'accusée. Le jugement de mœurs légères ou d'un crime passionnel. Mécanique cinématographique implacable qui tient à distance calculée la vérité qui n'est pas chose simple. A travers le jeu des deux avocats (Meurisse et Vanel) elle apparait certainement très noire. La société qui juge, "bien pensante", en prend largement pour son grade mais sans grande complaisance, en contrepartie, pour la jeunesse qu'elle soit oisive ou dévorée d'ambition. C'est presque méchant finalement.

Pourtant pour peindre en gris la passion et rendre les défauts au naturel il s'agit presque d'un tour de force. La vérité serait ailleurs.

Film implacable et impeccable. 

C' est un cinéma trop démonstratif et qui pourtant manque de vérité ou du moins de vraisemblance
dans ce qu' il nous montre.
On dirait presque du Zola. Ou du Cayatte.
Les acteurs sont plutot bons dans le genre expressionniste.
J' ai un faible pour Sami Frey, un comédien remarquable, et dont le visage le rapproche de Kafka et d' Artaud.
Pour Bardot, c' est plutot bien,  compte tenu de l' image de  femme sexy, légère et futile qu' elle
trainait. Et c' est peut etre le pari de Clouzot que de vouloir nous la montrer autrement. Et d' accuser
tous ceux qui la condamnent unanimement.  Une France puritaine, hypocrite, haissant la beauté.;
Elle y parvient par moments, mais elle a du se forcer beaucoup, j' imagine...

J'ai le souvenir d'un film "criard" qui m'avait vite lassé. Je ne m'en souviens presque plus. Bardot ne m'avait pas plus époustouflé que ça, même s'il est vrai que son rôle était risqué.
Je la préfère boudeuse et puis c'est tout... ou, mieux encore, en chanson, en formidable interprète qu'elle est.

je ne suis pas plus motivé que ça non plus par Bardot mais elle ne s'en sort pas si mal, et le film joue bien sur les extrêmes de la relation. et très démonstratif oui mais vraiment bien construit parce qu'il ne s'arrête pas à faire de la fille une victime ou une critique convenue de l'environnement moralisateur. Il va soigneusement rechercher les compromissions d'intérêts des uns et des autres.

il s'est apparemment inspiré d'un fait divers réel, atténué (ou est-ce finalement l'inverse en fin de compte ?) dans le film (Pauline Dubuisson ?).

Quai des orfèvres (1947)

avec : Louis Jouvet, Suzy Delair, Bernard Blier, Simone Renant

Citation :

Dans le Paris de l'après-guerre, la jeune chanteuse Jenny Lamour fait parfois usage de ses charmes, notamment auprès d'un vieillard libidineux influent, un certain Brignon, pour se faire une place dans le milieu du music-hall. Son mari, un brave type, Maurice Martineau, par jalousie, profère des menaces de mort envers le septuagénaire, qui est retrouvé assassiné peu après. L'inspecteur Antoine, un flic désabusé et humain du Quai des Orfèvres, est chargé de l'enquête.

Le couple formé par Jenny et Maurice sur le ton du "qui aime bien châtie bien" est haut en couleur, Maurice très jaloux en faisant au final les frais. Si les conditions de vie sommaires aux entournures n'échappe pas au spectateur, ce coupe garde un potentiel comique malgré lui qui les rend aussi attachants. Et les met en porte-à-faux de la suite bien plus sombre du film, car une fois la police dans le jeu avec le glacial-débonnaire inspecteur adjoint Antoine (avec cet extraordinaire effet de souffle dans la voix qui fait que la phrase va au bout) c'est beaucoup plus tendu. Et il faut dire aussi que comme personnages secondaire mais pas tout à fait le policier et Dora la photographe amie et voisine du couple leur vole la vedette. L'ancien des colonies attachés comme pas possible à son fils (métis) et la femme intelligente et amoureuse de son amie un peu bécasse.

Le tout dans un hiver frisquet et une ville qui poisseuse qui se rend présente sans fards.

J'ai moins accroché qu'avec les autres, à cause de ces déséquilibres, mais ça reste efficace ou plus simplement impressionnant, implacable dans la partie policière et ce qu'il en ressort surtout c'est pas mal de tendresse pas trop nunuche pour ce quatuor (et quelques) qui patauge comme il peut dans une vie pas bien drôle. Et ça, cette tendresse, c'est assez fort.