Kaltenburg - Marcel BEYER ; Titre original : Kaltenburg ; Traduit de l'allemand par Cécile Wajsbrot Le narrateur est ornithologue comme son professeur, le célèbre
Kaltenburg. Le début du roman est une pure réussite : Peu avant sa mort, le vieux savant attend le retour de ses oiseaux adulés et le lecteur va bientôt connaître l’origine de sa célébrité et quelle recherche a fait surgir d’âpres discussions et son rejet par le monde scientifique. Page après page le vieil homme remet ses notes et son manuscrit à ses oiseaux et aux autres animaux de son ménage, à eux d’en disposer.
La communauté scientifique reproche à
Kaltenburg que ses thèses ne s’appuient pas sur des observations personnelles. Il en est ainsi d’un épisode captivant qui aurait eu lieu dans un grand parc de Dresde au lendemain du sinistre bombardement au phosphore en février 1945, où des singes échappés du jardin zoologique participaient émotionnellement à l’identification des victimes.
Kaltenburg ne mentionne jamais quel témoin lui en a parlé, c’était le narrateur, enfant survivant du bombardement.
Le narrateur du roman, Hermann Funke, est un élève de
Kaltenburg. Il raconte ses souvenirs à une interprète qui cherche à assimiler le vocabulaire des oiseaux pour son travail lors d’une conférence internationale. L’histoire principale du roman est celle du savant
Kaltenburg, Autrichien obsédé et charismatique, qui termine la 2e guerre mondiale comme prisonnier en URSS et rejoint Dresde en RDA où il est autorisé de fonder son propre institut de recherche. Il vit avec ses animaux, parcourt la RDA en moto et s’occupe d’Hermann Funke dont les parents avaient péri dans le bombardement de Dresde. Le régime politique le tolère, le traite avec bienveillance, le poursuit de mesquineries, l’oblige à des bassesses jusqu’au jour où
Kaltenburg profite d’une conférence à Vienne pour rester en son pays natal. D'autres histoires, d'autres vies sont évoquées à côté de celle-ci.
Pourquoi ce roman est-il fascinant ? Le scientifique
Kaltenburg n’est pas particulièrement intéressant, l’ornithologie ne m’a jamais captivé et pourtant ni le sujet du livre ni ses protagonistes ne sont jamais ennuyeux.
En vérité le livre montre l’homme face à l’Histoire ou face à sa propre histoire. L’histoire du XXe siècle n’est mentionnée que si elle touche la vie de
Kaltenburg et de Funke. Marcel Beyer ne cherche pas à raconter l’histoire de l’Allemagne en général ni celle de la RDA en particulier, il ne raconte que l’histoire d’un homme et ce qu’il a vécu. Il dresse en passant un portrait saisissant de la vie quotidienne de l’élite intellectuelle en RDA ; c’était une vie où le politique s’invitait à table tous les jours.
Le livre de Marcel Beyer est remarquable par sa technique narrative. Il joue avec les perspectives.
Kaltenburg ne raconte pas son histoire, c’est Hermann Funke qui en parle à la jeune interprète, sa visiteuse. Deux fractures dans le narratif qui rendent le sujet justement particulièrement captivant, le transpose, le dénature, l’objective et lui passent un certain coup de patine. Le lecteur ne lit pas l’histoire immédiate ou récente, il s’en tient à distance comme s’il utilisait un zoom pour s’approcher et s’éloigner à sa guise. C’est un joli coup de chapeau à Vladimir Nabokov (d’ailleurs en exergue du roman), à Gogol et à W.G. Sebald.
Certains critiques allemands ont parlé d’un roman à clé, le modèle pour
Kaltenburg étant le zoologiste et prix Nobel Konrad Lorenz, l’histoire d’un autre protagoniste du roman faisant penser à l’artiste allemand Josef Beuys. C’est certainement vrai pour le début de livre mais ensuite le récit s’éloigne de la biographie de Lorenz et Beuys.
«
Kaltenburg » est un roman que je ne manquerai pas de relire. D’ailleurs, comme je l’avais lu en allemand, la publication de la traduction par Cécile Wajsbrot, elle-même une écrivaine française que j’apprécie, m’incite à le faire bientôt et en français cette fois-ci.
Une recommandation.