Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Stefan Zweig [Autriche]

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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyMar 25 Mar 2014 - 9:14

Trois ans après la première lecture : première lecture, je ne suis pas plus emballé par ces trois petites nouvelles. Quoique cette fois plutôt que de parler du passage de la jeune fille à la femme, je crois que je parlerais du passage de la fille à la "jeune fille". Pas charmé par les trop brèves et trop chargées descriptions de ces lieux de villégiature au bord d'un lac, et peu emporté par les analyses psychologiques que je ne peux m'empêcher de trouver un tantinet condescendantes... toujours pas de déplaisir, un certain suspens ? mais décidément ça ne m'accroche pas.  cat 
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Harelde
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyJeu 21 Aoû 2014 - 11:32

Le Monde d’hier



Le Monde d’hier n’est pas un roman. C’est un testament : celui de l’auteur qui se suicida avec son épouse le 22 février 1942, après avoir envoyé à son éditeur – la veille – son manuscrit. Car lorsque Stefan Zweig travaille à son œuvre ultime – son Grand-Œuvre, son Chef-d’Œuvre (les majuscules son intentionnelles) – sa décision de quitter ce monde d’en bas est déjà prise. Le Monde d’hier apparaît donc comme son dernier témoignage. C’est la lettre qu’il laisse posée sur son bureau pour expliquer son geste de désespoir. Une lettre de 500 pages dans laquelle l’auteur analyse avec une profonde acuité la société européenne depuis les années 1890 – son enfance – à ce dramatique 3 septembre 1939, date à laquelle l’Angleterre et la France déclarèrent la guerre à l’Allemagne.

Né à une époque révolue, le jeune Stefan Zweig a grandi dans l’immense empire Austro-hongrois sur lequel régnait François-Joseph de Habsbourg et sa célébrissime épouse l’impératrice Elisabeth de Wittelsbach, connue sous le surnom de Sisi. Ses souvenirs d’enfants nous plonge à la cour de Vienne, au cœur de la saga romantique portée à l’écran par une Romy Schneider belle à croquer. Un empire presque millénaire, aux bases qu’on croyait inébranlables, éternelles. Un empire vieillissant mais ô combien noble, digne, dans lequel les vénérables cheveux blancs incarnaient l’autorité, la puissance autant que la justesse. Les jeunes premiers se vieillissaient artificiellement pour s’octroyer une modeste place dans une société où les quadragénaires étaient encore considérés comme devant faire leurs preuves. Et partout dominaient les arts, la joie de vivre, l’insouciance d’un peuple sûr du lendemain, le respect des institutions et celui des aînés. Mais avec le nouveau siècle qui s’approchait, les mœurs commençaient à évoluer. On prédisait que le XXe siècle serait celui de la modernité, du progrès autant technologique que social, de l’entente cordiale entre les peuples.

La société évolua donc, sous les yeux observateurs de l’auteur. Zweig a 19 ans à la naissance du siècle. Il s’inscrit à l’Université pour contenter son père mais ne met pas les pieds en cours avant sa quatrième et dernière année d’étude. Durant trois ans, le jeune Zweig profite de la vie. Il voyage beaucoup en Europe, rencontre les hommes qu’il admire (Emile Verhaeren en tête), échange avec eux et devient leur ami. Zweig a également commencé à écrire. Il ne travaille pas encore à ses propres œuvres, mais pour apprendre de ses aînés (lui qui a toujours fait peu de cas de ses talents, niant son propre génie), entame de traduire en langue allemande la production des autres. Il se fait peu à peu un nom.

Puis viennent les récits bouleversants de la Première Guerre mondiale, de son incompréhension pour la haine des belligérants. Il ne cesse de déplorer la propagande et l’apologie de la guerre auxquelles se livrent presque tous ces anciens amis écrivains qui discutaient ensemble encore quelques mois auparavant sans distinction de nationalité, mais qui maintenant s’expédiaient des obus par-delà la ligne de front de leurs plumes acérées. Pacifiste convaincu, Zweig fut, avec son grand ami Romain Rolland, l’un des rares à publier des articles de paix. Il fut abondamment critiquer pour cela. Travaillant aux archives, il resta longtemps hors des combats. Pourtant, il vit le front, ses horreurs, la misère et la profonde détresse des combattants – imaginant qu’elles devaient être semblables dans le camp adverse.

Puis vint l’infâme Traité de Versailles qui mit les vaincus plus bas que terre, semant les premières graines du ressentiment et de la haine qui conduisirent au second conflit. Le démantèlement de l’Empire d’Autriche-Hongrie qui fut particulièrement douloureux pour lui avec la création d’une minuscule Autriche exsangue et sans défense, écrasée entre l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler. Stefan Zweig revient aussi sur l’incroyable période d’inflation qui décima l’Autriche d’abord, l’Allemagne ensuite, et durant laquelle la baguette de pain valait plusieurs milliards de marks. Au cours de cette période nous dit-il, la monnaie pouvait être dévaluée tant de fois qu’avec ce que coutait un simple repas, on pouvait peu de temps auparavant, s’offrir l’assiette, la table sur laquelle était posée l’assiette, la maison dans laquelle la table se trouvait, voire toute la rue de la maison en question. Les prêts immobiliers ne signifiaient plus rien, l’argent lui-même n’avait plus de sens. Le troc réapparaissait. L’Allemagne, stricte et amoureuse de l’ordre, sombrait dans un chaos sans fin. C’est ce chaos, d’après Stefan Zweig, qui explique en grande partie la montée du nazisme. Le peuple allemand aurait suivi n’importe quel homme fort promettant le retour à l’ordre, fusse au prix de l’aliénation de ses libertés fondamentales.

Zweig poursuit avec Hitler et sa folie, sa mégalomanie. Sans oublier les bailleurs de fond qui, alors qu’Adolf était encore sans le sou et sans pouvoir, ont armé les nazis, leur ont procuré des uniformes flambant neufs et tout ce dont ils pouvaient avoir besoin dans leur conquête du pays. En tant que juif, il s’inquiétait énormément de la radicalisation de l’Allemagne. Il craignait que ce fascisme ne finisse par franchir la frontière et à s’inviter en Autriche. Avec une prémonition époustouflante, cet homme perspicace a vécu deux fois les drames de l’entre-deux guerres : une fois dans ses pires cauchemars avant qu’ils ne se produisent et une seconde fois dans l’atroce réalité des événements de l’époque.

Dès 1933 et l’arrivée d’Hitler au poste de chancelier, Zweig quitta sa patrie pour l’Angleterre. S’il vécut à l’abri des lois antijuives prises successivement chez lui, il souffrait atrocement de voir sa chère Autriche et les siens restés au pays aux mains des nazis. Car avec le développement des moyens techniques, il n’était plus possible à un homme de se retirer du monde. A chaque instant, une voix à la radio, les manchettes des journaux lui rappelaient ce qu’il cherchait à fuir par tous les moyens.

C’est un homme brisé qui écrit ses lignes bouleversantes. Un homme qui a pris en conscience la terrible décision de se tuer. Parce qu’il avait perdu foi en l’humanité. Parce que ses rêves d’union et d’entente entre les peuples s’étaient évanouis. Parce que le juif traqué qu’il était devenait terriblement las de fuir toujours plus loin. Pour trouver enfin la paix.

Le monde d’hier est un livre terrible et magnifique à la fois. On découvre un Stefan Zweig profondément humain, attentif aux autres, souffrant avec eux, se battant pour eux avec toute l’énergie de sa célébrité, usant chaque fois que possible de son influence, de sa richesse pour soulager son prochain de ses maux. En 500 pages, Zweig parle assez peu de lui pour se concentrer sur son époque et ses contemporains qu’il aime plus que lui-même. Sans cesse à l’écoute, il choisit toujours de rester dans l’ombre, s’assoit au dernier rang quand il entre dans une salle de spectacle, sort peu. Tout au long de son récit, il rend hommage au talent, au génie des grands hommes qu’il rencontre tout en refusant de considérer ses propres atouts. Le lecteur croise ainsi la route d’Emile Verhaeren, de Romain Rolland, de Thomas Mann, de James Joyce, de Rainer Maria Rilke, de Freud, de Dali et de bien d’autres encore.

Le monde d’hier est un livre éblouissant qui devrait être étudié dans toutes les écoles. Peut-être l’est-il dans certaines. C’est plus qu’un livre d’histoire : c’est un document inestimable d’une époque en pleine mutation, d’une société stable, austère mais dans laquelle l’humain dominait, à un monde de suspicion dans lequel l’autre représente un danger potentiel, une menace qu’il convient de circonscrire, ou tout au moins de surveiller. Un monde que Stefan Zweig refusa. Un monde qu’il a décidé de quitter.

On ne sort pas indemne d’un tel livre !
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tom léo
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyVen 22 Aoû 2014 - 7:29

Merci, Harelde, pour ce resumé et commentaire magnifiques. Cela me rappelle ma lecture décisive, il y a longtemps. Peut-être à refaire...
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Bédoulène
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyVen 22 Aoû 2014 - 8:29

merci Harelde pour ce fort commentaire !
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 25 Aoû 2014 - 9:20

tom léo a écrit:
Merci, Harelde, pour ce resumé et commentaire magnifiques. Cela me rappelle ma lecture décisive, il y a longtemps. Peut-être à refaire...

Bédoulène a écrit:
merci Harelde pour ce fort commentaire !

Merci à vous !
 bonjour 
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 25 Aoû 2014 - 9:20

La Confusion des Sentiments



A l’occasion de son soixantième anniversaire, un professeur de lettres se remémore ses jeunes années et évoque l’homme qui a déterminé son parcours en lui insufflant l’amour des études, du travail et de la littérature.

Roland avait pris un fort mauvais départ dans la vie. Ne voulant pas faire d’étude, il a toutefois dû obéir à son père – proviseur – et s’inscrire à l’Université de Berlin. Réfractaire, le jeune homme court les filles et ne se montre qu’occasionnellement dans les salles de classe. Une visite improvisée de son père le surprend en pleine action en compagnie d’une gourgandine : accablé de honte, Roland se jure de s’amender et d’étudier désormais avec le plus grand sérieux.

Mais dans une autre université. Car la ville de Berlin est bien trop tentatrice. A nouveau départ, nouvel établissement : il arrive bientôt dans une ville universitaire du centre de l’Allemagne (ville jamais nommée mais qui pourrait ressembler à Heidelberg). Son professeur de philologie, passionné par le personnage de Shakespeare, est pour lui une révélation. Le vieil homme devient rapidement son mentor…

Zweig aime décidément les êtres qui souffrent. La relation entre Roland et son professeur engendre des sentiments forts et contrastés. Le jeune homme aime passionnément son professeur. Il l’admire comme il admirerait un dieu de l’Olympe. Il le fréquente à l’université mais également dans sa vie privée, logeant dans une petite chambre juste au-dessus de son appartement, dînant à sa table. Roland pousse l’homme à reprendre la rédaction de son Grand-Œuvre sur le célèbre dramaturge anglais, abandonné depuis des années. Peu à peu, le destin du maître et celui de l’élève s’entremêle et se complexifie. Le vieil homme attire à lui et repousse tour à tour son disciple.

Zweig, à son habitude, exacerbe les sentiments de ses personnages. Ils sont tourmentés, bouleversés. Se posent de nombreuses questions sur l’autre. Enormément de douleur, de détresse et d’incompréhension dans le cœur de Roland qui peine à cerner son professeur. De la souffrance à en perdre la raison.

Magnifique, une nouvelle fois !
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 1 Sep 2014 - 9:23

Il y à quelques jours, Menine c'est enfin décidée à lire du Zweig (depuis le temps qu'elle en parle!)
Curieuse et encouragée, je lui piquais le livre. C'était "Lettre d'une inconnue".
Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre lors de la lecture... Et bien ! C'est un très joli style d'écriture. Stephan Zweig arrive très bien à faire passer les sentiments à travers les mots. Et quels sentiments ! Cet amour, à la limite de la démence la plus totale...C'est une histoire dure, troublante,mais prenante !
diablotin
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyJeu 25 Sep 2014 - 9:25

La Peur



Une femme mariée sort de chez son amant. Chaque fois qu’elle parvient au bas de l’escalier de son immeuble, la peur l’étreint : la peur de rencontrer une connaissance, la peur d’avoir à se justifier, la peur d’avoir à mentir. Peurs multiples auxquelles s’ajoutent la culpabilité et la honte de l’adultère.

Pourtant cette femme a tout pour être heureuse. Mari aimant, enfants adorables, appartement bourgeois, train de vie ad-hoc. Tout cela lui convient et la satisfait amplement. Elle est d’ailleurs incapable de savoir pourquoi elle trompe son époux. La chose est venue sans qu’elle le veuille réellement, sans qu’elle s’en rende compte. Et maintenant, sa visite hebdomadaire à ce deuxième homme était devenue banale, entièrement intégrée à sa routine personnelle.

Mais ce jour-là, au bas de l’escalier, il se produisit un événement qui allait bouleverser son existence. Elle rencontra une autre femme. Une femme qui la prit immédiatement à parti, qui l’insulta : elle n’était qu’une bourgeoise mariée arrogante qui volait les hommes des autres.

La femme paniqua : elle jeta des billets dans la main ennemie et s’enfuit aussi vite qu’elle le put. Mais l’accusatrice la retrouva. Un odieux chantage s’organisa. L’adultère devint victime. La peur ne la quitta plus. Peur à chaque fois que le téléphone sonnait, peur quand un visiteur se présentait, peur de sortir de chez elle et de rencontrer le visage tant détesté. Peur que les siens ne s’aperçoivent de quelque-chose. Honte de décevoir ses proches, dégoût d’elle-même maintenant que l’excitation, le sel de l’interdit ne la portait plus.

Elle chercha tant à donner le change que son comportement la trahit. Elle tomba dans l’excès, dans un cercle vicieux. Elle n’en dormit plus. Son mari l’interrogeait : « Mais que t’arrive-t-il ma chérie ? ». Sa sollicitude devint insupportable. Elle vécut alors ce que Raskolnikov a pu vivre après avoir assassiné la vieille usurière : convaincue que sa culpabilité se lisait sur son visage, que chacun la regardait avec désapprobation, que tout le monde savait.

Le chantage se poursuivit, les sommes extorquées augmentant chaque fois. La femme payait afin de s’acheter quelques jours, quelques heures de paix. Elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait s’en sortir de la sorte, que les sommes demandées atteindraient bientôt de tels sommets qu’elle ne pourrait plus payer, que sa raison n’y résisterait pas. Maintenant que sa vie était menacée, elle mesurait à sa valeur la richesse de sa vie passée et perdue. C’est au moment de tout perdre qu’on perçoit le confort qui était jadis le nôtre.

Dans ce livre, la peur est omniprésente. Stefan Zweig excelle une nouvelle fois à peindre les tourments infinis qui peuvent ravager l’âme humaine. La folie s’invite une nouvelle fois dans ce texte magnifique. L’écriture est superbe et en quelques dizaines de pages, l’auteur plonge son lecteur dans les affres de la névrose.

Bouleversant !
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 6 Oct 2014 - 11:13

La Femme et le Paysage



Cet été-là, le Tyrol est écrasé par une canicule que l’altitude ne vint pas atténuer. Le manque de pluie avait durci le sol, flétri la végétation et exacerbé les sens humains : désormais, le moindre souffle, le moindre voile nuageux étaient vécu comme un renouveau. Une libération.
Dans une pension, le narrateur est écroulé dans un recoin d’ombre. Il attend la délivrance, il attend l’orage, la pluie : la fraicheur. Quand une jeune fille apparaît : elle vient d’arriver avec ses parents. Elle est, avec lui, la seule personne à souffrir visiblement et à ce point de cette chaleur moite qui pèse telle une enclume sur la région. A table ce soir-là, elle n’eut pas plus d’appétit que lui.

En soirée, le narrateur sortit s’affaler dans un fauteuil de rotin qui avait été oublié à l’extérieur. Tout à sa langueur, il s’endormit pour se réveiller tard dans la nuit. Quand il regagna sa chambre, il y trouva la jeune fille qui semblait l’attendre en regardant la nuit par la fenêtre ouverte.

Les sens énervés par la moiteur de la nuit, elle se serra contre lui. Le seul fin tissu qu’elle portait ne laissait rien ignorer de la chaleur de son corps. Le narrateur, probablement pris d’une violente érection, répondit à l’ardeur de la demoiselle. Pourtant, il fut encore suffisamment lucide pour noter qu’elle ne semblait pas consciente. Mais quand, faisant un violent effort pour contrer ses pulsions bien naturelles, il tenta de l’asseoir pour la faire revenir à elle, la belle protesta et resserra son étreinte.

L’érotisme de la situation vola en éclat lorsque gronda le tonnerre. La jeune fille se réveilla enfin et s’enfuit. Le lendemain, la pluie tombée lors de la seconde partie de la nuit, parut l’avoir lavé du démon qu’il l’avait envoûtée : elle ne gardait aucun souvenir des turbulences de la nuit.

Dans cette nouvelles, le démon reprend du service et, comme dans Amok, pousse un être vivant à commettre des actes extraordinaires, en décalage complet avec sa nature. Une nouvelle surchauffée, quelque-peu sulfureuse dans laquelle personnages et environnement s’interpénètrent. La chaleur est démoniaque, omniprésente. Elle écrase aussi bien la végétation, les montagnes, les murs de la pension que les individus. Tout est au même niveau, sur un pied d’égalité. La narration est pour cela lente et descriptive : nous ne sommes plus dans des rythmes animaux mais bien dans une lenteur paysagère, végétale (si tant est que l’expression ait un sens). Tout est immobile et sur le point de craquer. Dans l’attente de la pluie salvatrice et purificatrice.

Zweig où l’art extraordinaire d’une plume en or !
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 6 Oct 2014 - 19:13

Avec ces commentaires, j'ai bien envie d'ouvrir mes recueils de nouvelles et romans de Zweig ! Il fait partie des 2 auteurs qui m'ont donné envie de lire plus souvent.
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Bédoulène
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyLun 6 Oct 2014 - 20:02

je crois que je ne peux plus retarder une lecture après tous tes commentaires Harelde !

(je n'ai chez moi que l'ivresse de la métamorphose, mais ma médiathèque doit pouvoir m'offrir plus
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyMer 8 Oct 2014 - 16:36

Et bien je suis heureux si mes commentaires vous incitent à lire Zweig !
joie
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyMer 8 Oct 2014 - 16:36

Le Bouquiniste Mendel


Durant l’entre-deux guerres, le narrateur, surpris par une averse, trouve refuge dans un café de Vienne. Après s’être remis de sa douche froide, il s’aperçoit que l’établissement lui est connu. Il cherche dans les limbes de sa mémoire, s’irrite de voir ses souvenirs se dérober… Quand toute sa mémoire lui revint d’un seul coup !

Le café Gluck, qu’il fréquentait avant la guerre, est celui du bouquiniste Mendel, un petit homme, vieux, terne, pas de la première propreté, juif et qui était assis du matin au soir dans un coin à lire. La Terre aurait pu trembler sous ses pieds sans qu’il s’en aperçoive tant il était concentré sur ses lectures. Quand on parvenait à l’interrompre et à attirer son attention, le bonhomme se montrait intarissable : lorsqu’on le sollicitait, et quelque-soit le thème, il dressait immédiatement – grâce à sa prodigieuse mémoire – une liste de livres longue comme le bras de références bibliographiques avec titres, auteurs, éditeurs, années de publication et prix approximatifs. Le vieil homme avait sa petite notoriété dans Vienne. A tel point que le propriétaire du café Gluck prenait grand soin de ce client atypique, invariablement installé à la même table depuis trente ans. Le bouquiniste faisait partie de l’inventaire au même titre que les tables, chaises et percolateur.

Puis, un jour, la guerre éclata. L’euphorie des premières semaines s’estompa. Les prisonniers, les blessés, les morts… Les frontières qui se fermèrent de façon hermétique. Mendel, tout à ses livres, ne s’aperçut comme toujours de rien. Jusqu’au jour où la police vint le chercher : le vieil homme, enfermé dans son monde, expédiait des lettres en pays étrangers pour se plaindre de ne plus recevoir ses abonnements pourtant dûment payés. Dans le climat de suspicion de 1915, les autorités prirent cette correspondance ingénue pour des lettres codées à destination de l’ennemi.

Le bouquiniste fut jeté en prison et transféré dans un camp de prisonnier…

Zweig, en humaniste et antimilitariste notoire, revient dans cette belle nouvelle sur l’aberration de la guerre. La Première Guerre mondiale qui a bouleversé l’Europe en général et son Autriche en particulier. Stefan Zweig a vu la barbarie, visité les camps en tant que journaliste. Ce témoin privilégié n’eût de cesse d’appeler à la paix, de montrer aux hommes que personne ne désirait ce conflit absurde. A travers l’exemple de ce bouquiniste de génie, cet homme simple et sans animosité aucune, il montre une nouvelle fois l’ineptie de la guerre et les ravages sur l’être humain que celle-ci ne manque d’engendrer.

Une nouvelle fort bien écrite, fort bien construite, mais moins passionnante qu’à l’accoutumé. Le portrait de ce vieil homme au cerveau irrémédiablement détruit par la guerre est finalement assez froid.
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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyVen 10 Oct 2014 - 11:57

La Collection invisible


Dans l’entre-deux guerres, l’Allemagne fut frappée de plein fouet par plusieurs années d’inflation folle et incontrôlable. Les prix augmentaient sans cesse et il était commun de ne pas payer un objet le même prix selon qu’on désirait l’acheter le soir plutôt que le matin. Pour une somme d’argent donnée, on achetait tout d’abord un immeuble, puis un étage, puis un appartement, puis une seule pièce, puis un meuble de la pièce et enfin la seule petite cuiller posée sur ledit meuble. A ce rythme, ruines et fortunes se faisaient et se défaisaient à toute vitesse. L’argent ne signifiait plus rien et ne valait pas le prix du papier sur lequel il était imprimé.

Dans ce climat, ceux qui avait un peu d’argent le placaient au plus vite en achetant tout et n’importe quoi. L’art était évidemment un bon refuge et les professionnels éprouvaient des difficultés à répondre à une demande sans cesse croissante.

Le narrateur est l’un des principaux antiquaires de Berlin. Et son échoppe était de nouveau vide, nettoyée par les derniers acheteurs avides de convertir au plus vite leur monnaie de singe et objets palpables. Aux abois, il consulta une fois de plus la liste de ses clients afin d’en trouver un qui aurait quelque-chose à vendre. Et de tomber sur le plus ancien d’entre eux, probablement octogénaire si du moins il vivait encore.

Il se rendit aussitôt chez le vieillard qu’il découvrit dans un appartement miteux : l’homme était très âgé et aveugle depuis plusieurs années. Il se montra ravi de la visite du narrateur : enfin la visite d’un homme qui sera à même d’apprécier sa collection. Et de crier à sa femme : « Louise, passe-moi la clé de l’armoire que je montre mes trésors à ce monsieur ». La femme pâlit aussitôt. Le lecteur subodora alors un problème, un traquenard. Qu’était-il arrivé à la fameuse collection. Elle avait dû fondre comme neige au soleil et à l’insu du vénérable monsieur.

Louise trouva un prétexte pour retarder l’étalage des trésors et mandata sa fille auprès de l’antiquaire pour parler à ce dernier entre quatre yeux avant sa seconde visite prévue dans l’après-midi, après la sieste du vieillard. La fille révéla le pot aux roses : en ces temps difficiles, les précieuses estampes avaient été converties en bois de chauffe, en steaks, en pain, et autres denrées comestibles ou de premières nécessités. La prochaine visite de l’antiquaire au collectionneur promettait d’être passionnante…

Une très courte nouvelle dans laquelle Stefan Zweig prouve une nouvelle fois qu’il n’est pas besoin de quantité de pages pour créer un récit magnifique. Cette collection invisible est un nouveau bijou (un de plus) tout droit sorti d’un des plus brillants esprits du début du XXe siècle. Un texte bouleversant sur l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire allemande : un chaos sans précédent qui – selon Zweig lui-même, comme il l’écrit noir sur blanc dans son chef-d’œuvre « Le Monde d’hier » – est directement responsable de l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933.

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MessageSujet: Re: Stefan Zweig [Autriche]   zweig - Stefan Zweig [Autriche] - Page 17 EmptyMar 14 Oct 2014 - 11:52

Révélation inattendue d'un métier



Le narrateur (certainement Stefan Zweig himself) arrive à Paris par le train et aborde la capitale par la gare de l’Est et une belle averse de printemps. N’ayant aucun rendez-vous avant plusieurs heures, il fait le choix de flâner dans cette ville qu’il aime. Alors qu’il est attablé à un café, il repère le curieux manège d’un non moins curieux petit homme affublé d’un manteau jaune, hideux et très défraichi. Son accoutrement autant que son comportement intrigue notre écrivain.

Il ne va avoir de cesse de le percer à jour, de comprendre qui il est et ce qu’il peut bien faire à revenir continuellement dans cette foule qui contemple – émerveillée – la devanture d’un magasin merveilleux. Tout à coup, son visage s’éclaire : il a trouvé. Le petit homme est un policier qui exerce son métier incognito. Il surveille, analyse la foule, cherche. Traque, peut-être !

Mais le policier le plus doué saurait-il jouer si vrai ? Aurait-il poussé son personnage jusqu’à revêtir une chemise aussi sale, aussi repoussante ? Probablement pas. L’indigence de l’individu n’est pas feinte. Il s’interroge de nouveau, surveille l’homme, s’irrite de ne pas trouver. Quand la certitude de l’avoir identifié le gagne enfin : un pickpocket ! L’homme est un voleur à la tire, le premier que le narrateur contemple dans son œuvre. Il va même jusqu’à quitter sa place à la terrasse pour se déplacer et trouver un poste de guet plus idéal. Il va alors regarder le maître en action et s’émerveiller de sa dextérité, de sa hardiesse, de sa prudence également, du choix de ses victimes, de ses hésitations et de ses multiples tentatives. Zweig est corps et âme dans la peau du personnage. Il transpire avec lui, craint d’être découvert. L’adrénaline exacerbe sa vigilance : il envoie continuellement des messages muets à son nouvel ami : attention danger à droite, pourquoi n’essaies-tu pas le gros à gauche ?

Zweig est aux anges : cette expérience unique lui fait comprendre à quel point pickpocket peut-être dangereux. Il fait brusquement l’apologie du délit élevé au rang d’art.

Son coup fait, le voleur s’éloigne rapidement, notre narrateur sur ses talons. Zweig le suit, ne le lâche plus. Il veut tout savoir de cet homme, tout savoir de cette profession qu’il a découvert de façon si inattendue. Mais déçu par son maigre gain, l’homme est obligé de replonger dans la foule pour une seconde tentative. Et sélectionnant les portefeuilles bien remplis, il dirige ses pas vers l’Hôtel Drouot. Le narrateur aimerait l’arrêter, lui dire sa folie, les risques immenses de se faire prendre et de perdre sa liberté. Dans une salle aux enchères, le voleur est tout près de lui. Zweig le surveille pour ne rien rater du moment clé, de cette main qui se glissera dans une poche. Il veut voir cet instant suprême. Quand subitement il prend conscience que cette fois la victime désignée est… lui-même !
Une nouvelle fascinante ! Je suis convaincu que Stefan Zweig relate ici une expérience vécue ou une anecdote qui lui a été conté précisément. Car pour dresser un portrait si juste, si criant de vérité il faut être non seulement un très grand écrivain – ce qu’il est évidemment –, mais avoir la scène sous les yeux. Cette excitation dévorante, cette peur qui prend aux tripes, peur d’affoler le voleur en le surveillant trop ouvertement, peur de le voir démasqué par quelqu’un d’autre que lui, peur de voir la victime dépossédée et placée dans une situation de gêne… Le cas de conscience permanent l’obligeant à choisir entre alerter la foule et laisser faire afin d’assouvir sa curiosité.

Magnifique !
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