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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Mishima Yukio Lun 26 Mar 2012 - 23:50
J'aime également beaucoup ces 5 nô modernes dont on peut voir l'adaptation à l'opéra par le compositeur Toshio hosokawa et la chorégraphe Sasha Waltz de Hanjo (ils ont aussi adapté un vieux Nô du XIVe siècle: Matsukaze). C'est une bonne porte d'entrée pour découvrir cette oeuvre à travers une musique qui fait le pont, comme Mishima, entre la tradition ancestrale et la modernité. Un spectacle hypnotisant qui est régulièrement repris. J'ai du en parler quelque part sur le fil opéra.
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 27 Mar 2012 - 8:16
Marko a écrit:
J'aime également beaucoup ces 5 nô modernes dont on peut voir l'adaptation à l'opéra par le compositeur Toshio hosokawa et la chorégraphe Sasha Waltz de Hanjo (ils ont aussi adapté un vieux Nô du XIVe siècle: Matsukaze). C'est une bonne porte d'entrée pour découvrir cette oeuvre à travers une musique qui fait le pont, comme Mishima, entre la tradition ancestrale et la modernité. Un spectacle hypnotisant qui est régulièrement repris. J'ai du en parler quelque part sur le fil opéra.
En avril à Bruxelles mon prochain opéra après La Métamorphose sera Hanjo de Toshio Hosokawa, compositeur japonais contemporain qui adapte ici Mishima. C'est une reprise de ce spectacle qui a eu beaucoup de succès (mis en scène par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker). Il sera suivi en mai de Matsukaze:
Citation :
Matsukaze
Deux soeurs, Matsukaze et Murasame, se sont éprises d’un noble en exil. Des années plus tard, après leur mort, leurs âmes continuent à errer et à le convoiter. Matsukaze danse comme une démente, accoutrée du chapeau et du manteau de son amant, et croit le reconnaître dans la silhouette d’un pin… Comme pour Hanjo en 2004, Toshio Hosokawa s’inspire pour son nouvel opéra de la tradition du nô. Une même approche intimiste, une même atmosphère onirique donnent le ton de cette nouvelle composition pour quatre personnages et un petit choeur, accompagnés d’un orchestre de chambre. Après Anne Teresa De Keersmaeker, qui avait mis en scène Hanjo, la Monnaie fait appel pour cette création mondiale à une autre chorégraphe de talent, Sasha Waltz. Elle revient à l’opéra après les productions de Dido & Aeneas de Purcell et Médée de Dusapin que la Monnaie a présentées ces dernières saisons.
En juin au Luxembourg puis à Berlin.
Extrait de Hanjo:
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 27 Mar 2012 - 21:29
La Mort de Radiguet (Radige no shi, "Tokyo, 25 septembre 1953"). Nouvelle traduite du japonais en 2012 par Dominique Palmé. NRF. 35 pages (texte en français, suivi ou précédé, selon le point de vue, du texte en japonais). Hors commerce, édité à l'occasion du Salon du Livre 2012. En exergue, on trouve une citation de Raymond Radiguet : "Ceci est une fausse biographie qui a toutes les apparences du Vrai". Puis la nouvelle commence :
Citation :
"En 1924, Jean Cocteau avait trente-cinq ans. Comme il séjournait à Villefranche, à l'extrémité Est d'un rivage de mer bleu ardoise, il avait pris l'habitude, chaque soir, de venir s'asseoir seul devant le port. Grâce à cette habitude vespérale, Cocteau connaissait l'ordre dans lequel les étoiles commencent à briller. [...] Le 12 décembre de l'année précédente, Raymond Radiguet était mort dans une clinique parisienne de la rue Piccini et, depuis lors, le coeur de Cocteau était perpétuellement en crise." (page 9).
Puis suit une petite biographie de Radiguet, Mishima cite un "essai récent du critique R.M. Albérès"... L'effet est curieux, on s'attendait à une nouvelle, on a finalement une biographie novellisée.
Citation :
"Alors que la Grande Guerre touchait à sa fin, Max Jacob avait présenté à Cocteau un jeune inconnu. Le poète Jacob était un homme grassouillet, aux faux airs de curé de campagne. Quant au garçon qui l'accompagnait, il sortait de l'ordinaire : petite taille, cheveux hirsutes, et ce teint livide qui, d'après Lombroso, est « celui du génie ». Il portait un veston mal ajusté et, l'air arrogant, tenait une canne sous le bras. Dans son allure, Cocteau découvrit cette « morgue propre aux élèves paresseux » qu'il s'était plu déjà à évoquer." (pages 11-12).
Dans le présent du début du texte, Max Jacob parle avec Cocteau de Radiguet, décédé. Et on a, en flash-backs, quelques scènes de leur vie commune, à Radiguet et Cocteau. Leur problème d'insomnie, quelques conversations... Et Radiguet tombe malade. Radiguet vient d'écrire Le Bal du Comte d'Orgel. Cocteau lui dit : "- Moi, j'y vois un chef-d'oeuvre, cela ne fait aucun doute. Pourtant, écrire un tel roman à vingt ans, c'est une redoutable trahison envers la vie. C'est aussi le signe que tu méprises ses lois. Etant un peu plus âgé que toi, j'ai pu voir quelles vengeance cruelle la nature exerce contre ceux qui enfreignent ces lois. La vie, c'est la danse de l'équilibriste sur sa corde. En écrivant Le Bal à vingt ans, tu as rompu l'équilibre. Comment vas-tu t'y prendre pour le trouver ? C'est d'autant plus ironique que Le Bal est justement l'oeuvre dans laquelle cet équilibre parfait est constamment préservé. »" (page 29).
Citation :
"Le 9 décembre, le jeune homme, remuant des lèvres fendillées par la fièvre, déclara à Cocteau : « Ecoute, il se passe une chose terrible. Dans trois jours, je vais être fusillé par les soldats de Dieu. » Cocteau, qui se sentait étouffer de larmes, essaya de persuader Radiguet du contraire, en inventant des renseignements médicaux. Radiguet, les yeux fixés au plafond, reprit en haletant : « Tes renseignements ne sont pas aussi exacts que les miens. L'ordre m'a été donné. J'ai entendu l'ordre. »" (page 32).
Une recherche sur Wikipedia, permet d'avoir un extrait de la préface de Cocteau au Bal ; il parle de la mort de Radiguet : "« Voici ses dernières paroles : “ Écoutez, me dit-il le 9 décembre, écoutez une chose terrible. Dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu ”. Comme j’étouffais de larmes, que j’inventais des renseignements contradictoires : “ Vos renseignements, continua-t-il, sont moins bons que les miens. L’ordre est donné. J’ai entendu l’ordre. ” Plus tard, il dit encore : “ Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur. ” Je lui demandai s’il fallait les chasser. Il répondit : “ Vous ne pouvez pas les chasser, puisque vous ne voyez pas la couleur. ” Ensuite, il sombra. Il remuait la bouche, il nous nommait, il posait ses regards avec surprise sur sa mère, sur son père, sur ses mains. Raymond Radiguet commence. »"
Peut-être ce texte un peu appliqué, documenté (les dialogues manquent souvent de naturel), qui hésite entre plusieurs genres, a-t-il été écrit dans le but de faire connaître Radiguet et Cocteau ? La nouvelle n'est pas inintéressante, mais paraît un peu anecdotique dans l'oeuvre de Mishima. C'est quand même un bon choix dans le cadre du Salon du Livre, puisqu'il montre évidemment l'intérêt que peut porter un écrivain japonais à la littérature française.
Détail de la très belle fresque de la Chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer, oeuvre de Cocteau, 1957, empruntée au site http://www.le-sud-jean-cocteau.org/route_jean_cocteau/chapelle_saint_pierre.html
Esperluette Sage de la littérature
Messages : 1660 Inscription le : 09/04/2012
Sujet: Re: Mishima Yukio Mer 11 Avr 2012 - 21:19
Quelle chance, Expie!
Ce livre a l'air prometteur! Question de curieuse : tu lis et parles japonais?
HS : En faisant des recherches sur la toile à propos de Kawabata je suis tombée sur ton site : Il est vraiment très bien documenté! C'est là que je me suis aperçue que tu avais un livre que je convoite (car épuisé chez l'éditeur) : Cécile Sakai et son précieux Kawabata clair-obscur. Fin du HS
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Mishima Yukio Mer 11 Avr 2012 - 21:40
Esperluette a écrit:
Quelle chance, Expie!
Ce livre a l'air prometteur! Question de curieuse : tu lis et parles japonais?
HS : En faisant des recherches sur la toile à propos de Kawabata je suis tombée sur ton site : Il est vraiment très bien documenté! C'est là que je me suis aperçue que tu avais un livre que je convoite (car épuisé chez l'éditeur) : Cécile Sakai et son précieux Kawabata clair-obscur. Fin du HS
Ah oui, tiens, il est épuisé... ça ne fait pas longtemps (il y aura peut-être une réimpression ?). J'ai bien fait de me l'acheter, alors (je l'avais emprunté pas mal de fois en bibliothèques). Hélas non, je ne parle pas et ne lis pas le japonais... Je me dis toujours qu'il faudrait que je m'y mette un peu, et les années passent...
Spoiler:
Merci pour les gentillesses concernant mon petit site, j'aime toujours quand on en dit du bien
Esperluette Sage de la littérature
Messages : 1660 Inscription le : 09/04/2012
Sujet: Re: Mishima Yukio Mer 11 Avr 2012 - 21:54
eXPie a écrit:
Ah oui, tiens, il est épuisé... ça ne fait pas longtemps (il y aura peut-être une réimpression ?). J'ai bien fait de me l'acheter, alors (je l'avais emprunté pas mal de fois en bibliothèques). Hélas non, je ne parle pas et ne lis pas le japonais... Je me dis toujours qu'il faudrait que je m'y mette un peu, et les années passent...
Spoiler:
Merci pour les gentillesses concernant mon petit site, j'aime toujours quand on en dit du bien
J'espère une réimpression car en vérifiant sur le site de ma médiathèque j'ai pu constater, avec dépit, qu'il n'était pas en rayon! Une seule solution : adresser une prière quotidienne à Sainte-Rita!
Spoiler:
Je suis en admiration devant autant de travail abattu! L'idée me trotte dans la tête depuis un moment d'ouvrir un blog alors je furète à droite et à gauche! Et résultat, j'en suis toujours au même point! Mort!
Esperluette Sage de la littérature
Messages : 1660 Inscription le : 09/04/2012
Sujet: Re: Mishima Yukio Jeu 12 Avr 2012 - 11:31
Citation :
eXPie Hélas non, je ne parle pas et ne lis pas le japonais... Je me dis toujours qu'il faudrait que je m'y mette un peu, et les années passent...
Oui, je comprends tes regrets! Cette langue et cette culture exercent une certaine fascination. Je suis toujours saisie de vertige lorsqueje vois ces "signes " qui restent pour moi "cabalistiques". Un jour peut-être au fil de rencontre, de voyages ... Je te le souhaite!
Agréable journée!
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 15 Mai 2012 - 16:47
Il faut que je trouve le temps de parler du Pavillon d'or. C'est absolument génial mais pour une fois je trouve ce roman tellement riche et complexe que je ne sais pour l'instant pas trop par quel bout l'aborder. Je reviens plus tard quand le déclic se fera... Pas mal d'entre vous l'ont lu mais pour les autres n'attendez pas! C'est une bombe! J'ai lu sur amazon un lecteur dire qu'il était déçu et qu'il ne trouvait pas l'écriture assez littéraire! Mais si Le pavillon d'or n'est pas de la grande littérature alors là je n'y comprends plus rien!
Esperluette Sage de la littérature
Messages : 1660 Inscription le : 09/04/2012
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 15 Mai 2012 - 21:23
Ce roman est une pure merveille, complètemen d'accord! Je l'ai lu il y a un petit moment déjà, juste après Confession (magnifique aussi). Je ne comprends toujours pas pourquoi Mishima n'a jamais reçu de prix. Quand tu auras le déclic, fais signe! Je reviendrai aussi ... Quant au lecteur en question, il ne doit pas savoir ce qu'est LA littérature !!!
eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 15 Mai 2012 - 22:00
Esperluette a écrit:
Je ne comprends toujours pas pourquoi Mishima n'a jamais reçu de prix
Enfin, aucun prix... quand même pas. Il a reçu notamment le Prix Yomiuri, pour Le Pavillon d'Or, justement. Ce n'est pas un prix nul, il suffit de voir que Kenzaburō Ōe, Yoshimura Akira, Masuji Ibuse, Abe Kōbō, Ikezawa Natsuki... l'ont obtenu.
Avadoro Zen littéraire
Messages : 3501 Inscription le : 03/01/2011 Age : 39 Localisation : Cergy
Sujet: Re: Mishima Yukio Mar 15 Mai 2012 - 23:58
En effet, Marko, Pavillon d'or est un grand Mishima. Je préfère de peu Neige de printemps dans ma hiérarchie de l'auteur mais c'est une lecture indispensable. Il faudra que je m'y replonge.
Esperluette Sage de la littérature
Messages : 1660 Inscription le : 09/04/2012
Sujet: Re: Mishima Yukio Dim 20 Mai 2012 - 21:25
eXPie a écrit:
Esperluette a écrit:
Je ne comprends toujours pas pourquoi Mishima n'a jamais reçu de prix
Enfin, aucun prix... quand même pas. Il a reçu notamment le Prix Yomiuri, pour Le Pavillon d'Or, justement. Ce n'est pas un prix nul, il suffit de voir que Kenzaburō Ōe, Yoshimura Akira, Masuji Ibuse, Abe Kōbō, Ikezawa Natsuki... l'ont obtenu.
Merci de cette information eXPie, je ne connaissais pas l'existence de ce prix. Je suis ravie d'apprendre (il serait temps ) que ce livre ait été primé. Heureusement que tu passais par là.
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Mishima Yukio Dim 10 Juin 2012 - 21:15
Le Pavillon d'Or
Un livre parfait. L'écriture est poétique, méticuleuse, pleine d'images originales, travaillées, obsessionnelles, l'écriture est aussi spirituelle (philosophique) et le texte soulève des questions essentielles : qu'est-ce que la Beauté ? Peut-elle se condenser dans un seul objet (ici le pavillon d'Or d'un temple bouddhiste de Kyôto) ? La laideur du personnage principal, une laideur des traits mais aussi une infirmité (il est affligé d'un bégaiement tenace) ne le rend-elle pas plus fort ? Ce personnage plein de rage et de colère choisit de se retirer du monde, de ne plus parler (en dehors de l'essentiel) puisque les mots qui sortent de sa bouche ne sont que des onomatopées douloureuses, qui invitent les autres à la moquerie. De ce handicap, le héros va faire une arme, il va transformer ce qu'il pense être une infériorité en un troublant complexe de supériorité, un complexe qui va le conduire à la plus grande des folies : détruire la Beauté. Au-delà encore de ce schéma se pose deux questions : le Mal existe-t-il ? à cette question le bouddhisme semble répondre par la négative, alors comment qualifier les actes du personnage, comment donner un sens à ce qui l'emporte vers le pire, le mensonge, la malhonnêteté, le vice ? et la seconde question : si la matière n'est rien alors le geste de détruire n'a aucune incidence sur le monde. Tout le roman se joue autour de cette ultime question : est-ce que je peux changer le monde ? est-ce que le monde peut me changer ? Quel pouvoir avons nous sur les choses, quel est le pouvoir des objets sur nous ? Tout cela est absolument passionnant mais...
quel ennui ! j'ai rarement éprouvé autant de lassitude en lisant un livre qui aurait pu être (et qui est) plein d'images, de pensées, de fulgurances (voir les portraits de femmes qui sont de véritables merveilles) mais qui, à force d'introspection, de procrastination et de questions stériles noie son propos et sa beauté dans une sorte de délayage assommant ! Le personnage passe le plus clair de son temps à tenter d'imaginer ce que les autres pensent de lui (et les autres sont peu nombreux, le Prieur et deux 'amis') et puis ensuite il se demande comment il devrait réagir face à d'hypothétiques positions, alors que le lecteur sait pertinemment que sa seule possibilité sera le silence puisque son handicap l'empêche de s'exprimer.
bref, je regrette terriblement d'être passée complètement à côté de cette lecture et d'avoir éprouvé tant d'ennui alors que le propos était si riche.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Mishima Yukio Lun 11 Juin 2012 - 15:40
Un livre parfait, comme le dit Shanidar, mais qui m'a au contraire complètement fasciné et envoûté par sa beauté troublante et mortifère. Il me hante encore et je suis frustré de ne pas avoir plus de connaissances en matière de culture japonaise car on sent notamment l'influence très importante du shintoïsme et du bouddhisme zen dans cette fable initiatique qui s'interroge sur les liens entre la beauté, la mort et la perversité. Cela tient à la fois du traité de philosophie (on pourrait l'appeler "La beauté et le néant") et du plus pur roman dont les descriptions de la nature et des états d'âme sont d'une rare puissance tout en restant sobres et somptueuses. Un peu à l'image de ce pavillon d'or, hiératique, solaire et crépusculaire en même temps. Et ce qui est magique c'est qu'il arrive à rendre intensément vibrant ce qui pourrait sembler trop théorique ou abstrait. Car il raconte en même temps un fait divers et l'histoire d'un homme qui s'interroge sur le sens de son existence. On peut y trouver des échos aux romans de Dostoïevski dans la mesure où il reprend certains questionnements de Dmitri dans les frères Karamazov concernant la terreur que lui inspire la beauté ou le vertige existentiel de Raskolnikov dans Crime et châtiment. Il peut se lire à différents niveaux suivant qu'on l'envisage de façon psychanalytique, théologique, esthétique, symbolique... On peut aussi le lire comme une très belle histoire douloureuse d'un jeune homme souffrant de sa laideur et de son handicap qui est révolté et terrassé par la beauté insultante du monde qu'incarne le pavillon d'or. Il lui faut bien développer une haine paranoïaque toute puissante pour devenir plus fort que lui et le détruire. Ce qui revient à un suicide finalement.
Sur son parcours Mizoguchi est guidé par deux personnages symboliques que sont Tsurukawa et Kashiwagi. Sortes d'Apollon et de Dionyos qui lui montrent un chemin entre tradition et modernité, bien et mal, maîtrise et jouissance, bonté et perversité. On le voit hésiter, basculer, s'auto-détruire en brûlant le temple. Les échanges qu'il a avec eux sont fabuleux. L'érotisme y est aussi à la fois magnétique et pervers comme si la proximité immédiate du temple générait une aura maléfique et contagieuse.
Shanidar évoque des questions stériles, de la procrastination, du délayage... Et je ne comprends pas bien cette vision parce que j'ai trouvé au contraire que les réflexions y étaient sidérantes d'intelligence et absolument passionnantes, parfois hermétiques aussi mais cela donne envie d'approfondir, de se documenter pour mieux comprendre. J'aime ces romans qui ont la fulgurance du style et de la profondeur tout en nous faisant deviner des pans de réalité et d'abstraction à découvrir. Comme s'il nous invitait nous aussi à questionner le sens de l'existence. Il n'y a pas deux questions mais une multitude et il y a avant tout un récit dont la concision, la densité et la beauté d'écriture permettent de découvrir une nature et des lieux à la fois exotiques et intemporels. Les saisons passent, le voyage en train nous conduit sur les traces de son enfance, les joutes oratoires avec Kashiwagi sont extrêmement troublantes dans leur fascination maléfique et vitale. Il y a une grande souffrance qui se consume au contact de ce pavillon solaire absolument maléfique et indifférent. Comme la vie elle-même dans sa dualité et ses énigmes morales et existentielles ou comme une divinité intransigeante. Ce roman est d'une beauté subjuguante.
Extrait du film de Paul Schrader "Mishima" qui évoque dans un chapitre Le Pavillon d'or avec en introduction la première rencontre avec Kashiwagi:
"It's too beautiful"
Invité Invité
Sujet: Re: Mishima Yukio Lun 11 Juin 2012 - 16:01
shanidar a écrit:
quel ennui ! j'ai rarement éprouvé autant de lassitude en lisant un livre qui aurait pu être (et qui est) plein d'images, de pensées, de fulgurances (voir les portraits de femmes qui sont de véritables merveilles) mais qui, à force d'introspection, de procrastination et de questions stériles noie son propos et sa beauté dans une sorte de délayage assommant ! Le personnage passe le plus clair de son temps à tenter d'imaginer ce que les autres pensent de lui (et les autres sont peu nombreux, le Prieur et deux 'amis') et puis ensuite il se demande comment il devrait réagir face à d'hypothétiques positions, alors que le lecteur sait pertinemment que sa seule possibilité sera le silence puisque son handicap l'empêche de s'exprimer.
bref, je regrette terriblement d'être passée complètement à côté de cette lecture et d'avoir éprouvé tant d'ennui alors que le propos était si riche.
Ma lecture remonte à des années, mais tu résumes parfaitement ce que j'ai pensé de ce roman, beaucoup de beauté, de profondeur et d'intelligence (là je rejoins aussi Marko) perdues dans des tergiversations et questionnements sans fin, au mieux ennuyeux, au pire irritants. Et donc une vague honte de ne pas avoir su apprécier ce chef d'oeuvre tellement encensé. Et ce que j'ai lu de Mishima ensuite a été du même acabit: des passages magnifiques et très inspirés voisinant avec d'autres très décevants. Je me suis souvent demandée si c'était la fameuse barrière culturelle ou juste un style inégal ?