Volker
Kutscher est né en 1962. Il est germaniste et historien.
Il a débuté comme journaliste avant de se tourner vers le roman policier. Il vit à Cologne.
Le poisson mouillé Berlin, 1929: entre l'effervescence de la construction et l'ébullition sociale et politique, la République de Weimar tremble sous les émeutes communistes et les coups de mains des chemises brunes, les SA. Berlin, ville cosmopolite où les réfugiés russes hantent les boîtes de nuits et les coins d'ombre, ville où les plaisirs illicites attirent les nantis des quartiers ouest, histoire de s'offrir quelques frissons en côtoyant les malfrats et els professionnelles. Berlin où la police tente de lutter contre le crime, Berlin désireuse de concurrencer New York, Berlin à la pointe du progrès et des explorations artistiques; Berlin ville de tous les possibles même les plus sordides, ville phare d'une Mittel Europa qui lentement se dessine dans le paysage européen de l'entre deux guerre, ville où, en l'espace de quelques mois, les
"poissons mouillés", ces affaires criminelles classées sans suite, deviennent un peu trop nombreux.
Un corps est retrouvé dans une voiture au fond d'un canal: l'homme, non identifié, a été torturé et mutilé. A priori personne ne semble le reconnaître, sauf
Gereon Rath, jeune commissaire, de l'inspection E (les Moeurs), originaire de Cologne muté à Berlin en raison d'une affaire embarassante, qui l'a croisé quelques jours auparavant chez sa logeuse: en effet, cet homme, venait, tapageusement, voir le précédent locataire, un russe. Commence alors, pour
Rath, une enquête longue et délicate au cours de laquelle sa carrière se jouera de nombreuses fois. Très vite, il comprend que la police est infiltrée par les anciens de 14/18 qui barbotent des armes à l'armurerie, qui entretiennent des relations dangereuses avec des russes tsaristes, et qu'autour du cadavre du canal se greffent moults intérêts divergents, intérêts portés sur le mythique or d'une famille russe, l'or des
Sorokine.
Rath mettra tout en oeuvre pour élucider le meurtre, comprendre le pourquoi et le comment, car loin de se plaire aux Moeurs, il ne rêve qu'à une seule chose, revenir aux affaires criminelles et faire oublier la bavure de Cologne.
"Le poisson mouillé" est le premier volet des enquêtes du commissaire
Gereon Rath et je dois avouer que j'ai été agréablement surprise par la qualité du récit, le déroulement de l'enquête et surtout l'ambiance berlinoise de cette fin des années folles.
Volker Kutscher croque avec justesse le monde interlope des nuits de la capitale prussienne, il embarque son lecteur dans une quête difficile d'une vérité, ou plutôt de vérités qui ne seront pas toujours très agréables à dire: les groupuscules paramilitaires encadrés par les nostalgiques de l'Empire et ceux qui n'ont pas accepté les conditions draconniennes de l'Armistice de 1918, les groupes révolutionnaires communistes prônant une véritable révolution du peuple conspuant, comme leurs antagonistes SA, la République de Weimar qui se perd à vouloir mettre de l'ordre dans le chaos des aspirations allemandes. Les prémices d'un coups d'état sont en place (dans 4 ans, Hitler arrivera au pouvoir sans que lui soit opposée une grande résistance, avec une armée de l'ombre qui s'est lentement constituée sous la houlette d'anciens soldats de l'Empire) : stigmatisation de la mollesse socialiste ou du nombre de juifs dans les couloirs du pouvoir, rancoeur due à la défaite ou difficultés économiques des classes populaires. Au fil de l'enquête qui se déroule d'avril à juin 1929, la tension due à la montée en puissance du National Socialisme (à un moment, Rath appelle "nazis" les membres des SA), donnant à Berlin une atmosphère de fin d'époque et le lecteur pressent que plus rien ne sera comme avant.
Ce pavé se lit avec plaisir, malgré le foisonnement de personnages et d'histoires s'imbriquant les unes dans les autres (ce qui ne m'a guère gênée mais je suis une amatrice de l'enchevêtrement des personnages) qui pourrait freiner certains lecteurs: on s'attache très vite au personnage principal, à sa personnalité, à sa vision du monde et à sa fragilité, et on se promène avec bonheur dans un Berlin mythique et pittoresque (celui décrit par
Albert Döblin dans Berlin Alexanderplatz: le monde de la nuit, celui des vendeurs à la sauvette, celui des combines louches et minables, celui d'un petit peuple trimant pour tenter de s'en sortir) à la suite d'un
Rath infatigable mais faillible, tentant avec l'énergie du désespoir de réparer ses erreurs. La suite de ses aventures est en cours de traduction et c'est avec impatience que j'attends le retour de
Gereon Rath.