Art brut

Il ne me semble pas avoir vu de fil traitant encore de l'art brut...
Aussi, après avoir lu un article intéressant et emprunté un livre sur le sujet à la bibliothèque, j'ai eu envie d'en ouvrir un...
Mais allons tout de suite droit au but !

D’après le concept de l’art brut proposé par Jean Dubuffet en 1945, l’art brut seraient : « Des œuvres exécutées par des personnes indemnes de culture artistique. […] Leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond, et non pas des poncifs de l’art classique ou à la mode. »

Peut-on alors qualifier les créations des patients hospitalisés en institut psychiatrique d’œuvres d’art brut ? Michel Thévoz, longtemps directeur de la Collection d’art brut de Lausanne, tempère l’enthousiasme : « Parmi les travaux exécutés en institution psychiatrique, les œuvres vraiment inventives constituent, comme partout ailleurs, l’exception. »

Ci-dessous, des œuvres de patients d’un hôpital psychiatrique dans lequel le psychiatre Leo Navratil introduisit dans les années 50 la pratique artistique comme outil de diagnostic :

Parmi les patients qui ont été reconnus comme artistes, on peut citer Adolf Wölfli :

Ou encore Aloïse Corbaz :


Photos que l’on peut retrouver dans le hors-série Sciences et Vie n°255 : La folie à travers les âges

Et dans Beaux-Arts Magazine n°276 :


« Né sous l’étoile soviétique, Aleksander Pavlovitch Lobanov (1924-2003) appliqué comme un enfant psychotique et obsessionnel, aime la colorier. Sourd et muet, interné, autodidacte, Lobanov était fait pour l’art brut : le candidat idéal. A la fois naïf, populaire et guerrier, son dessin déglingue l’art officiel en le faisant passer du chromo au crayon de couleur pastel, de la célébration à l’hallucination. Blason fantasmé du monde intérieur de Lobanov. Il y a bien quelque chose qui cloche dans ce dessin, quelque chose comme « On est où là ? ». Entre l’ordre des icônes soviétiques –blé, étoile, faucille, marteau- et le désordre de la profusion mentale : armes anachroniques en pagaille, globes terrestres greffés sur des fusils, bras mutants à deux mains. Mythologie militaire, propagande ornementale, mais contaminées par une poussée surréaliste… Sacrilège de l’artiste qui bousille les icônes. »

J'aime bien cette idée d'un art gratuit, effectué en réponse à un besoin intérieur et pas forcément extérieur (mais je pense que ce point de vue peut se discuter : la psychose coupe peut-être les ponts avec une grande partie de la réalité, mais il reste peut-être encore des ancrages anciens, et un besoin de reconnaissance stimulé malgré tout au quotidien par les relations sociales ?)

Ah oui c'est quelque chose à voir ces créations par tous ces gens qui sont devenus des marginaux de la société. Très souvent c'est répétitif leurs façons de s'exprimer par des peintures, dessins, sculptures c'est une obsession pour eux.
Au musée à coté du tableau exposé il y a une courte bio du créateur pour faire connaissance de sa vie, des fois c'est glauque ce qu'on apprend mais ça fait partie du personnage. C'est impressionnant à voir , ça remue le ventre. C'est à voir .

Et dire que je n'ai encore jamais été dans ce fameux musée de Lausanne...

colimasson a écrit:

Et dire que je n'ai encore jamais été dans ce fameux musée de Lausanne...

Ce musée lausannois vaut toujours un détour.
Collection de l'Art Brut, 11, avenue des Bergières à Lausanne (en face du Palais de Beaulieu).

Très bonne idée, Coli !

A lire les écrits de Dubuffet et pas seulement voir l' ouvre du peintre...
Et puis tout ce qu 'on englobe sous le nm d' Art brut... qui offre ce qu' il y a de plus singulier, de hors normes...

C' est là aussi que je peche des idées d' avatars parfois...

Hier soir je réfléchissais ou est-ce qu'on avait déjà parlé d'art brut, voilà, c'est sur le fil du film Séraphine ici
Colimasson si tu n'a pas vu ce film il faut le voir il est très bien.

Merci Maline pour le lien !
Premier samedi du mois gratuit... voilà une info à retenir !

Et Rivela, j'ai bien vu le film Séraphine. J'en garde un bon souvenir, et certaines de ses peintures sont représentées dans l'ouvrage que j'ai emprunté à la bibliothèque. J'en mettrai quelques extraits

Nous avons la fierté dans le Nord d'avoir probablement le plus beau musée d'art brut d'Europe enrichi par les collections de l'Aracine. Il faut venir visiter l'extension récente de ce musée d'art moderne de Villeneuve d'Ascq (le LAM) qui lui est entièrement consacré sur 900 m2. En plus on a en ce moment une exposition temporaire d'oeuvres d'Adolf Wölfli qui était schizophrène et a beaucoup créé en hôpital psychiatrique.



Les salles du musée sont réparties par thèmes, de l'art asilaire à l'art médiumnique, des inventeurs de machines imaginaires aux autodidactes qui créent des palais fantastiques ou des totems profanes...



On peut aussi voir dans la région beaucoup d'habitations devenues célèbres et entièrement transformées par ces artistes qui ont été pour certains découverts et mis en avant par Dubuffet. Comme celle d'Arthur Vanabelle:



Pas mal d'hôpitaux psychiatriques (notamment à Armentières) ont mis en place des ateliers d'art thérapie où certains patients font preuve d'une grande créativité et exposent régulièrement.

Des images et des textes tirés du livre Les primitifs du 20e siècle de Jean-Louis Ferrier :
Hors des institutions psychiatriques, on trouve Augustin Lesage, décrit comme « une sorte de parangon de l’art brut ».
« Totalement étranger au monde de l’art, il n’avait jamais manifesté de dispositions artistiques, jamais visité de musée, sinon, pendant son service militaire, le Palais des beaux-arts de Lille, visite qui n’avait éveillé en lui aucun intérêt particulier. Il était âgé de 35 ans et travaillait au fond de la mine quand, par deux fois, il entendit nettement une voix lui dire : « Un jour, tu seras peintre ». Huit à dix mois plus tard, au cours d’une séance de spiritisme, les esprits se manifestèrent à nouveau et un message lui fut dicté : « Sois sans crainte, suis bien mes conseils. Oui, un jour tu seras peintre et tes œuvres seront soumises à la science. Tu trouveras cela ridicule dans les débuts. C’est nous qui tracerons par ta main ». Puis, ils lui donnèrent l’adresse d’une boutique à Lillers où il trouverait le matériel nécessaire à l’exercice de l’art. »

Ses œuvres :

« Figurent côte à côte des accumulations de motifs architecturaux qui semblent venus de civilisations ensevelies : portails, colonnes, panneaux ornés, frises dans lesquelles s’insèrent de minuscules personnages. Sans que nous soyons devant une imitation, on pense à une imprégnation extrême-orientale dans la facture et l’agencement des sujets, comme s’il s’agissait de soies brodées ou de tapis. Lesage, qui lui-même ignorait tout des sources de son inspiration, exécutera de très nombreuses œuvres similaires. Il commençait par tracer à la règle et au moyen d’un crayon une grande verticale qui divisait la toile en deux parties égales, puis, à des hauteurs différentes, quelques horizontales délimitant l’espace avant de se mettre au travail. Souvent apparaissent des scarabées, des oiseaux, des inscriptions hiéroglyphiques. »

Des travaux d’Adolf Schudel :


« Adolf Schudel, l’auteur des crapauds et des chevaux que Klee admirant dans la collection Prinzhorn au point de les préférer à ses propres œuvres, avait été photographe, et l’on retrouve dans ses dessins le flou caractéristique des retouches photographiques qu’il pratiquait avant son internement. »

La collection Prinzhorn est du nom du médecin à la clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg. Il prit en charge, dès 1919, la constitution et l’étude scientifique de la collection d’oeuvvres d’aliénés :

« Son idée de base consiste à montrer que les artistes aliénés sont, pour ainsi dire, des artistes à l’état de nature, non corrompus par la société. Il situe la genèse de leurs œuvres dans les couches les plus profondes du psychisme et considère les malades mentaux comme des élus qui ont accès aux vérités ultimes. »

Vision un peu idéaliste qui a certainement beaucoup moins d’influence aujourd’hui qu’au temps de la publication du livre de Prinzhorn…

« Sous l’impulsion de l’expressionnisme, Prinzhorn cherchait chez les artistes aliénés des « peintres à l’état de nature » et, bien sûr, cette idée est fallacieuse : comme chacun sait, un nourrisson est, dès sa venue au monde, englobé dans un réseau humain de paroles et de gestes qui l’amèneront à parler, à dessiner, à marcher. Il va de soi que les artistes malades mentaux n’échappent pas à la règle, et les psychiatres s’accordent à admettre qu’ils occupent, au surplus, une place à part, relativement aux autres malades, car ils exercent une activité à laquelle les médecins s’intéressent et qu’ils favorisent, et reçoivent des interlocuteurs venus les interroger ou voir leurs travaux, que parfois ils acquièrent. Toutes choses qui leur donnent un statut social au sein de la vie asilaire, et offrent maintes analogies avec celui des artistes culturels qui exposent et vendent leurs œuvres, font l’objet d’éloges ou de critiques. Ce à quoi s’ajoute le fait déjà mentionné que certains d’entre eux ont suivi un enseignement artistique avant d’être internés. »

@ Coli, si l'art brut t'intéresses, tu devrais aller faire un tour du côté d'Henri Michaux (ses dessins comme sa poésie sont représentatifs de cet art). Tu trouveras son fil ici mais il n'est pas très (assez) fourni...

colimasson a écrit:

Et Rivela, j'ai bien vu le film Séraphine. J'en garde un bon souvenir, et certaines de ses peintures sont représentées dans l'ouvrage que j'ai emprunté à la bibliothèque. J'en mettrai quelques extraits

l'auteur qui a écrit le livre a aussi écrit un très bon livre sur Marcel Storr qui est aussi rapproché de l'art brut, le fil est ici

Merci pour les liens !
Je les note et j'irai fureter dès que j'aurai le temps

Après le Douanier Rousseau, on parle aussi des peintres « du dimanche » comme Séraphine (justement) et André Bauchant.

A propos de Séraphine de Senlis :

« Elle était fille de pauvres paysans et l’on ne sait pratiquement rien des origines de sa vocation artistique. Avec une sureté étonnante, elle rassemblait dans ses tableaux, en gerbes énigmatiques, des fleurs, des feuilles, des fruits étranges où un œil s’ouvre parfois au milieu des corolles et dans lesquelles les étamines évoquent des cils et des pétales des lèvres. Tourmentée d’obsessions religieuses, elle fut finalement internée à l’asile de Clermont, où elle mourut en 1930. »


A propos d’André Bauchant :

« Horticulteur et pépiniériste tourangeau, il peignit ses premiers tableaux pour glorifier sa généreuse terre natale. Il était incapable de tracer une perspective correcte, de rendre les ombres et les lumières, et de plus dessinait assez maladroitement. Mais ses pommes et ses poires qui font leurs pépins, ses arbres où l’on devine la poussée des sèves jusqu’à ‘ultime rameau, dans des œuvres qui hésitent entre le paysage et la nature morte, et plus encore ses toiles inspirées de la mythologie grecque et romaine, dont le récit l’avait enflammé à l’école communale, font de lui un artiste de premier plan. »


Hum, dire que Séraphine et André Beauchant font de l’art brut m’étonne un peu… Je croyais qu’ils appartenaient plutôt à la catégorie de l’art naïf, mais je me trompe peut-être ? …

Dans un autre genre, on trouve aussi des créations d’Auguste Forestier, tel cette marionnette ci-dessous, réalisée avant 1958 :


« Auguste Forestier, dont les troublants monstres sculptés à dents humaines participent des règnes végétal et animal, est également l’auteur de plaisants jouets que les médecins et les infirmiers de l’asile où il était interné lui achetaient pour leurs cadeaux de Noël. »

Ci-dessous, une peinture de Joseph Wittlich :


« Wittlich trouvait le thème de ses œuvres non pas directement dans la réalité, mais dans des images : reproductions de peintures académiques, et notamment de scènes de batailles, photos du pape, de généraux, de couples princiers et de vedettes de cinéma, publicités pour des vêtements féminins, c’est-à-dire dans des sources iconographiques pauvres qu’il transfigurait au moyen d’une formalisation rigoureuse. Souvent, nous ne sommes pas loin de la bande dessinée, ce qui a permis de dire que Wittlich faisait du pop’art naïf car, comme celui-ci, ses peintures prennent en charge la violence guerrière, l’angoisse sexuelle, l’agression de la vie moderne. »