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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Art brut Dim 26 Juin 2011 - 23:42
Henry Darger
Un artiste dont la vie et l'oeuvre pourraient faire un film passionnant. Il existe d'ailleurs un DVD documentaire assez complet:
Citation :
Henry J. Darger, né le 12 avril 1892 et mort le 13 avril 1973 fut un écrivain et peintre américain.
Sa principale œuvre, composée tout au long de sa vie de solitude, est un récit épique illustré de 15 143 pages appelé The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion. Il y raconte la violente guerre entre les Angéliques et les Hormonaux. Plus de 300 compositions (aquarelle, dessins, collages) l'accompagnent et le complètent, donnant naissance à une œuvre graphique unique et originale, proche de l'Art brut ou outsider Art.
La découverte de cette oeuvre a été très immédiatement postérieure à l'invention par le critique d'art new-yorkais Roger Cardinal du concept du "Outsider Art".
Sa biographie peu banale:
Citation :
Henry J. Darger voit le jour le 12 avril 1892. Sa mère meurt lorsqu’il a quatre ans.
Du témoignage même de Darger, il fut bien traité par son père avec lequel il vécut jusqu'en 1900. Dans les temps précédents sa mort, ce dernier était trop faible pour s'occuper de son fils qui est pris en charge par l'établissement catholique qu'il fréquentait alors. Son comportement perturbe ses camarades qui ne tardent pas à le traiter de fou. Il parle seul, de manière irrépressible et inopinée. Il est probablement affecté par le syndrome Gilles de la Tourette. Persuadé d'avoir un don lui permettant de savoir quand les adultes lui mentent, il se montre très rétif à toute forme d'autorité. Sa pratique ponctuelle mais récurrente de l'onanisme en public (self-abuse comme le diagnostiquent pudiquement les docteurs qui l'examinent) finira par le faire interner en 1905. Il séjournera plus de 7 ans à l'Institut Lincoln (Illinois), réputé pour la sévérité des traitements que les internés y reçoivent. Il tenta de s’en évader à plusieurs reprises. C'est lors d'une de ces fugues, en 1908, qu'il est témoin d'une puissante tornade qui ravage alors le Comté de Brown dans l'Illinois. Ce cataclysme laisse des traces prégnantes dans l’imaginaire de Darger comme en témoigne le motif récurrent de la tempête à l’intérieur de ses tableaux.
À 16 ans, lors de sa troisième tentative d'évasion, il parvient à regagner Chicago. Il y trouve l'aide et le réconfort de sa marraine. Elle lui trouve un emploi de portier dans un hôpital catholique où il travaillera jusqu'à sa retraite, en 1963. Il commence alors à régler sa vie selon un emploi du temps immuable. Catholique dévot, il assiste à la messe jusqu'à cinq fois par jour. Il collectionne pour les amasser des détritus de toutes sortes (jouets, figurines religieuses, images de saints, chaussures, pelotes de ficelles, magazines et bandes-dessinées). Il consignait quotidiennement, dans un journal, l'état de l'atmosphère et les erreurs commises par les météorologues dans leurs prévisions. Cette vie de réclusion et de solitude est à peine infléchie par la seule amitié qu'on lui ait jamais connue et qui le lie à William Scholder. Tout deux s'investissent dans des œuvres de charité dédiées aux enfants abandonnés ou maltraités. Scholder décède en 1959.
De 1930 à 1973, Darger occupe la même chambre à Chicago, au 851 W Webster Avenue, non loin du Lincoln Center Park, dans le quartier de North Side. C'est là qu'il se consacre secrètement à l'écriture et à la peinture. Personne ne sait combien de temps lui ont demandé la composition de son œuvre. Outre les royaumes de l'irréel, il a rédigé son autobiographie (L'Histoire de ma vie, 5084 pages). Ce n’est qu’après sa mort que l’œuvre à laquelle il avait travaillé toute sa vie fut découverte. En 1973, Nathan et le Kiyoko Lerner, les propriétaires de l’appartement loué par Darger, mettent au jour les réalisations de l’artiste. Lerner est un photographe accompli et reconnu, ayant notamment travaillé pour le New York Times. Il perçoit immédiatement l'intérêt du travail de son locataire et se charge de créer une fondation destinée à mettre ce fonds en valeur. Il aidera beaucoup à la réalisation du documentaire de Jessica Yu sur la vie et l'œuvre de Darger.
Henry Darger est inhumé au cimetière All Saints de Des Plaines (Illinois), dans le carré réservé aux personnes âgées des petites sœurs des pauvres. Sur sa pierre tombale, il est décrit comme un artiste et un « protecteur des enfants ».
Une oeuvre au croisement d'Alice au pays des Merveilles et d'épisodes bibliques où des petites filles souvent nues sont menacées par des forces maléfiques. Il y a quelque chose d'un peu scabreux dans cet univers mais il a inventé un monde étrangement fascinant. J'aurais bien vu David Lynch s'intéresser à cet artiste... Il faudrait lui souffler.
Bande annonce du DVD:
Il a même sa chanson: The Ballad of Henry Darger de Natalie Merchant
Who'll save the poor little girl? Henry Darger Henry Darger
Who'll save the poor little girl? O, Henry...
Who'll tell the story of her? Henry Darger Henry Darger
Who'll tell it all to the world? O, Henry...
Who'll buy the carbon paper now? Henry Darger Henry Darger
Who'll trace the lines of her mouth? O, Henry...
Who will conquer foreign worlds Searching for the stolen girls?
Princesses you'll never fear The patron saint of girls is here!
Who will draw the calvary in Risk his very own precious skin To make our Angelinia a free and peaceful land again?
Henry
Who'll love a poor orphan child? Henry Darger Henry Darger
Lost, growing savage and wild? O, Henry O, Henry O, Henry
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Lun 27 Juin 2011 - 20:58
Très intéressante ta présentation d'Henry Darger, Marko ! Je ne connaissais pas...
Adolf Wölfli :
« L’un des artistes malades mentaux les plus célèbres est, à juste titre, Adolf Wölfli, peintre, écrivain, poète et musicien. Outre ses textes en prose, ses poèmes et ses partitions musicales qu’il était seul capable de déchiffrer, il produisit, pendant plus de vingt ans, des dessins aux crayons de couleur d’une invention constante qu’il accompagnait, au verso, d’une notice explicative. »
Adolf Wölfli, devant la pile de ses cahiers autobiographiques
« La vision du monde –ou « des » mondes- de Wölfli est la démesure, on le constate dans ses textes en prose, où tout ce qu’il décrit est gigantesque. Il dit avoir vu dans ses voyages des falaises de plus de 350 lieues de haut, 25 millions de lieues de long et 900 000 lieues de large, ainsi que la grande caverne de l’univers longue de 24 millions de lieues, large de 500 000 lieues et haute de 250 000 lieues. Il parle aussi d’arbres dont le tronc a un diamètre de 12 000 lieues et dans la frondaison desquels poussent plusieurs trillions de fruits d’une taille si monumentale qu’y prennent place « d’innombrables et très-respectables plateaux et terrasses, des caves géantes, des fortifications, des vallées géantes et des vallées transversales, ainsi que d’innombrables villes-géantes ». »
Côte ouest-européenne ou Océan Atlantique, 1911
Cambridge, 1 483 000 âmes, 1910
L’escalier des pauvres diables à Saint-Adolf-Höhn, 1914
Grande grande déesse Regenittia, 1915
A propos de cette œuvre : « [Elle] semble accueillir les bêes du paradis terrestre venues se placer sous sa protection. Il n’y a plus ici ni gigantisme ni démesure, mais un apaisement en même temps qu’une invention touchante, comme si l’œuvre provenait, par-delà les siècles, d’un mystérieux bestiaire médiéval. »
La tour Ysaar. Saint Adolf prisonnier, 1916
Santta-Maria château raisin géant : pesant unitif colère de tonnes, 1915
Pour la petite histoire d’Adolf :
« Au fil des ans, passionné par la création de son œuvre à laquelle il travaillait d’arrache-pied, il put être considéré guéri, si bien que le Dr Morgenthaler lui proposa insidieusement, quelques années avant sa mort, de recouvrir la liberté. Proposition à laquelle Wölfli rétorqua que cela ne se voyait peut-être pas, mais qu’il continuait à être réellement fou et devait, par conséquent, rester interné à Waldau. Sa cellule était devenue son atelier : artiste désormais reconnu, il avait le privilège d’être logé, nourri, blanchi par l’Etat mécène. Pourquoi y aurait-il renoncé ? »
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Mar 28 Juin 2011 - 20:57
August Neter :
« Les médecins diagnostiquèrent un processus schizophrénique aigu avec représentations délirantes dont la principale était une « apparition » qu’il disait s’être produite dans le ciel, près d’une caserne, un lundi à midi, dans la capitale d’une principauté. Cette apparition demeura dans son esprit et il la décrira en des termes identiques à différents moments de sa vie. »
Tête de sorcière, avant 1919
Berger merveilleux, avant 1919
Berger merveilleux, détail
« d’abord, il y avait un serpent à lunettes dressé en l’air, avec des reflets vert et bleu. Puis est venu s’ajouter le pied. Puis l’autre pied. Un navet a servi à le former. A ce deuxième pied est apparue la tête de mon beau-père de M. : la merveille du monde. Le front de l’arbre a été cassé sur le devant, de sorte que la fente a formé la bouche du visage. Les branches de l’arbre ont formé les cheveux. Puis est apparu, entre la jambe et le pied, un sexe féminin, celui-ci casse le pied de l’homme, c’est-à-dire que le péché arrive par la femme et provoque la chute de l’homme… L’un des deux pieds se dresse contre le ciel, ce qui signifie la chute en enfer. Puis est venu un Juif, un berger, ceint d’une peau de brebis. Il y avait de la laine dessus, rien que des W, ce qui veut dire que beaucoup de maux viendront… Ces W ont été transformés en loups ; c’étaient des loups féroces. Et ces loups ont été transformés en brebis : c’étaient des loups déguisés en brebis. Et puis les brebis ont couru autour du berger. C’est moi le berger…le Bon Dieu !... Les loups, ce sont les Allemands, mes ennemis… » August Neter, à propos du Berger Merveilleux
Bombardier, 1915
« Neter est mort à l’institution Rottweil, où il était interné, près de Rottermünster, dans le Wurtemberg, en 1933 ; ainsi, il n’eut pas à subir le sort que les nazis arrivés au pouvoir réservèrent aux malades mentaux, à savoir l’euthanasie, l’assassinat ou la déportation. Le comparant aux surréalistes, et notamment à Max Ernst, le psychiatre Henry Ey écrira : « Je ne connais rien de plus fantastique que cette production. » »
Marko Faune frénéclectique
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Sujet: Re: Art brut Mer 29 Juin 2011 - 13:21
colimasson a écrit:
Adolf Wölfli :
« L’un des artistes malades mentaux les plus célèbres est, à juste titre, Adolf Wölfli, peintre, écrivain, poète et musicien. Outre ses textes en prose, ses poèmes et ses partitions musicales qu’il était seul capable de déchiffrer, il produisit, pendant plus de vingt ans, des dessins aux crayons de couleur d’une invention constante qu’il accompagnait, au verso, d’une notice explicative. »
Je vais aller voir l'expo Wölfli en fin de journée au LAM. Le musée d'art moderne a fait un dossier pédagogique intéressant qu'on peut charger gratuitement ici: Adolf Wölfli
Et en vidéo: Rétrospective au LAM
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Mer 29 Juin 2011 - 21:00
Merci pour le lien vers le dossier pédagogique Marko. Et hâte de lire tes commentaires concernant cette exposition
Je reviens un peu sur Aloïse...
Aloïse à l’hôpital psychiatrique de la Rosière à Gimel, en Suisse
« [Aloïse] utilisait se scrayons jusqu’au bout et lorsqu’ils étaient devenus trop courts, en cassait l’enveloppe et réduisait la mine en poudre colorée qu’elle étendait du bout des doigts. Elle avait recours aussi, afin d’obtenir des transparences, à des sucs de pétales et de feuilles qu’elle trouvait dans le parc de l’asile. Il lui arrivait également d’utiliser de la pâte dentifrice et, durant les dernières années, des craies grasses, que lui apportait Mme Porret-Forel ; mais elle renonça, après quelques essais, à la gouache, trop compacte à son goût. »
Les premiers pas du roi de Rome, avant 1964
« [Aloïse] utilisait le bleu pour les yeux de ses personnages, car « au théâtre, on a toujours les yeux bleus », le vert, le brun, le jaune pour « la terre royale jetée dans l’espace » ; sa prédilection allait cependant au rouge, couleur de l’amour et de la puissance. « Le rouge, je dois obéir », revenait sur ses lèvres lorsqu’elle commençait un dessin et discutait avec elle-même. Ou encore : « Le rouge, vous savez, c’est beau pour les schizophrènes ». Ses amoureuses royales, en effet, portent des capes écarlates, et leurs amants des manteaux garance doublés d’hermine, et même le pape abandonne sa robe blanche pour des vêtements de pourpre somptueux. »
Château de Blümenstein, avant 1964
« Aloïse peignait apparemment ce qui lui suggéraient ses hallucinations, car elle disait : « Je copie ce que j’entends dans ma lunette à visions », mais non sans puiser parfois dans les images festives ou publicitaires des journaux. »
Adoration des mages, avant 1964
« Coloriste née, capable aussi bien de juxtaposer des tons violents que de créer des harmonies savantes, Aloïse s’apparente à la peinture fauve. Les visages, dans ses œuvres, sont orange ou jaune citron, les perruques mauves, les éléphants roses, leurs pattes bleues ou vertes. Malheureusement, durant les derniers mois de sa vie, un ergothérapeute lui imposa de travailler au marker sur du bristol blanc glacé. Exigence absurde, car le support buvant l’encre synthétique des feutres, toute trace du travail de la main disparaissait du même coup. Aloïse, à en croire ses biographes, exécuta quelques œuvres sans intérêt qui n’exprimaient plus que de vagues réminiscences formelles. Elle mourut peu après cette expérience malencontreuse, en 1964, à l’âge de soixante dix-huit ans. »
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Art brut Jeu 30 Juin 2011 - 0:04
Géniale l'expo Wölfli. J'y reviens dès que j'ai un peu de courage (déjà que j'ai 3 bouquins au moins non commentés encore...). J'ai pris quelques photos sur place ( C'était pas autorisé mais j'ai fait le naïf)
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Jeu 30 Juin 2011 - 21:00
T'as bien fait ! J'ai hâte de lire ton résumé !
Des travaux d'Oscar Deitmeyer :
Sans titre, non daté
Sans titre, vers 1893
L’homme représenté comme à la fois victime et bourreau des rapports qu’il entretient avec les femmes…
shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
Sujet: Re: Art brut Jeu 30 Juin 2011 - 21:39
J'aime beaucoup les dessins d'Aloïse que tu présentes Colimasson. Des sujets un peu enfantins mais un trait extrêmement mature, sûr de lui, séduisant. Les couleurs sont attachantes, lumineuses, elles donnent envie de toucher, de saisir la matière du dessin. Quelque chose de très manuel, artisanal (je ne sais pas comment le dire autrement) est à l'oeuvre ici, quelque chose de palpable, de prégnant. C'est touchant.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Jeu 30 Juin 2011 - 21:52
C'est vrai que les couleurs sont flamboyantes ! Et après un petit tour sur Google Images, on en ressort les yeux ébahis !
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: Art brut Sam 2 Juil 2011 - 20:58
Joseph Sell :
Projet CNL Niveau (détail), 1916
Projet Canal Niveau, 1916
« Sell signait ses nombreuses lettres adressées à des administrations et à des princes du nom de Niveau, Prince Niveau, Niveau de la Couronne de marbre ou Niveau, directeur mondial de la nature. Elles rapportent comment on lui enjoint de gouverner, depuis l’asile d’aliénés, une foule de dames mariées voulant être satisfaites et comment, dans la mesure où il n’y consent pas, on l’importune au moyen de ce qu’il appelle « l’appareil à comprimis ». Comment aussi on le nourrit, durant la nuit, d’odeurs de cadavres et lui fait subir les tortures les plus abjectes. Ses souffrances, qui sont constantes, lui sont envoyées, selon lui, par propagation des étincelles radio et s’accompagnent de sensations douloureuses, parmi lesquelles une forte démangeaison aux nerfs optiques, une électrisation de ses extrémités, un craquement des os crâniennes, des vertèbres cervicales et du dos, un chatouillement dans les paupières, les narines, le pharynx, le larynx et les organes génitaux. Il se plaint aussi d’odeurs de vomi, d’organes génitaux féminins, qui lui sont transmises électriquement, parle de l’injection ininterrompue qui lui est faite de vents intestinaux lui inoculant un cancer du rectum et l’empêchant pratiquement de marcher… »
Envers de l’univers (détail), non daté
« En bas, à gauche, c’est moi dans le bain, c’est terrible ce qu’on peut y subir : un vrai supplice ! […] On vous fait mariner cinq jours dans le bain, avec un vieux repas avarié qui nage à la surface ; l’acide de la salade entre par les pores et, en plus, l’acide d’orange si on attrape une écorce sur la tête –une mouche, si on l’asperge avec, meurt après quelques tours sur elle-même. L’univers se retourne, de sorte que toute la surface extérieure devient une surface d’estomac. Quand on a subi ça, l’envers de l’univers est pire qu’un Christ à l’agonie. » Joseph Sell
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Art brut Sam 2 Juil 2011 - 21:00
Franz Pohl :
Animaux fabuleux, non daté
« Grand amateur de théâtre et de maisons closes, pour lesquels Franz Pohl dépensait beaucoup d’argent, il vit son délire de persécution prendre de l’ampleur au cours de l’hiver 1897-1898, alors qu’il vivait à Hambourg. Il rapportait à lui-même ce qu’il subissait au théâtre, où il croyait entendre de tous les côtés des injures qui lui étaient adressées. Il était certain que les gens l’épiaient à travers sa serrure, de telle sorte qu’il se trouva contraint de déménager. Dans le tramway qu’il prenait pour rentrer à son domicile, lorsque le receveur criait en bout de ligne : « Terminé ! », il comprenait : « Il est toqué », ce qui le poussait à s’en prendre à lui. »
Autoportrait, non daté
« Pohl avait bénéficié d’une formation complète dans le domaine des arts avant de se détourner du monde. Peu après son internement, il se mit à dessiner des scènes de la vie asilaire : séance de rasage dans une cellule, devant une fenêtre grillagée, où l’on voit un malade de dos, assis sur une chaise, accompagné d’un infirmier qui tient un rasoir à la main ; études d’attitudes de malades qui posent pour lui ; vue intérieure d’une salle de repos avec son mobilier et quelques aliénés hagards ou affalés… »
Esquisse décorative, 1904
« Au premier plan, un sorcier –ou une sorcière- aux yeux multiples est entouré de gnomes déjà formés ou en cours de formation qui naissent de la vapeur maléfique d’une casserole dont le mystérieux contenu bout sur un fourneau. A l’arrière-plan, un champ limité par un mur et une maison battue par la pluie ajoutent à ce qu’il comporte d’obsessionnel. Preuve que la psychose, au lieu de démanteler un savoir-faire artistique assez médiocre au départ, peut, au contraire, l’exalter. »
L’ange exterminateur (détail), non daté
« L’ange, couronné de rayons étincelants, fait irruption d’en haut –son bras gauche terminé par une main crochue, tendue vers l’avant ; dans la main droite, une épée qu’il tient obliquement à hauteur de visage, presque pensivement. Entre ses bras, on aperçoit son pied gauche posé sur la gorge d’un homme qui porte la main droite à son cou et de sa main gauche tente de repousser celui qui fond sur lui. Les jambes de la victime, qui sont tordues et vues de dos, s’agitent le long du bord droit. La brutalité de l’horreur n’empêche pas une composition magistrale de l’enchevêtrement des membres. » Prinzhorn
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Art brut Dim 3 Juil 2011 - 21:00
Louis Soutter :
Photographie de Louis Soutter
« Soutter semble avoir présenté tous les symptômes de ce que Freud appelle la mélancolie, et c’est sans doute pour sauver les apparences que sa famille choisit de le placer dans une maison de repos plutôt que dans une institution psychiatrique. »
Seuls (détail), 1937
Saut à la croix (détail), 1937
« Sa grande période créatrice est la seconde : celle des dessins aux doigts. Atteint d’une baisse de la vue et d’une sclérose qui lui raidissait les doigts, Soutter se mit à en tremper le bout dans un encrier et à les utiliser comme un pinceau. Ces dessins expriment, noir sur blanc, la nuit mentale : ils montrent de longs corps décharnés, ayant à peine forme humaine, qui marchent et gesticulent dans un espace vide. »
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Art brut Dim 3 Juil 2011 - 21:02
Michel Nedjar :
Sans titre, avant 1986
« L’âme de la poupée – « la chair d’âme », comme Nedjar dira plus tard- est d’autant plus fascinante qu’elle se dérobe ; c’est elle que, dans son enfance déjà, il tentait de saisir inconsciemment. Aussi n’est-il pas surprenant que, dès son passage à l’âge adulte, les poupées aient constitué la première forme de son expression artistique. »
Sans titre, avant 1986
« Les poupées de Nedjar sont le fruit du tissage, du piquage, du ficelage, elles ont pour matériau des tissus usés, des chiffons, des toiles de sac, le tout malaxé et imprégné de terre jusqu’à n’offrir plus qu’une vague apparence humaine –sinon celle des momies ou des cadavres. »
Sans titre, avant 1986
« Après les poupées viennent les masques, sortes de gargouilles monstrueuses détachées d’impossibles cathédrales. Que l’homme y soit déjeté serait peu dire : il est méconnaissable, malgré son nez, sa bouche parfois, son front, ses orbites vides, et surtout il y est éliminé. […] Que s’est-il passé sur la scène du siècle pour que le visage humain soit, à ce point, dénaturé ? Nedjar aborde aux rives métaphysiques du mal. Ses masques occupent une place à part dans l’art brut : ils font de l’esprit une passion inutile, ils extirpent de nos vies tout espoir. »
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Art brut Dim 3 Juil 2011 - 21:05
En architecture aussi, l'art brut fait des merveilles !
Simon Rodia :
Les tours de Watts (environs de Los Angeles)
« L’art brut, différent en cela de l’art des malades mentaux, isolés du monde par leur détention asilaire, a donné également naissance à des monuments de grandes dimensions, comme les Tours de Watts, élevées dans un faubourg de Los Angeles par Simon Rodilla, dit Sam Rodia, un maçon italien immigré aux Etats-Unis […] »
Les tours de Watts, vue rapprochée
« Au nombre de sept, les Tours de Watts culminent à 30 mètres et sont reliées entre elles par un lacis d’arceaux. Les trois plus grandes portent les noms des caravelles de Christophe Colomb : Nina, Pinta et Santa Maria. Emergeant d’un immense ensemble de banlieue industrielle, dans le lointain d’un paysage triste de slum en décomposition, elles tiennent du prodige. L’ensemble comprend une grande variété d’éléments, les principaux étant l’enceinte recouverte de motifs d’une particulière richesse et l’entrée surmontée d’un porche. »
Les tours de Watts, vue rapprochée
« L’édifice est paré de matériaux variés tels que pierres, débris de mosaïque et de vaisselle, coquillages, fonds de bouteilles, verre pilé, dont résulte une brillante polychromie comparable à celle des constructions du parc Güell de Gaudi, à Barcelone. Rodia s’en allait faire sa récolte à la nuit tombante, un sac sur l’épaule, dans le but de transformer les déchets de la grande ville en une œuvre de beauté. »
Les tours de Watts, vue rapprochée
colimasson Abeille bibliophile
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Sujet: Re: Art brut Lun 4 Juil 2011 - 20:56
Le facteur Cheval :
Photographie du Facteur Cheval
« Un jour du mois d’avril 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin. Je voulus en connaître la cause. » Le Facteur Cheval
« Il remarqua alors, au milieu du chemin, une pierre revêtue des marques du songe. Il avait dépassé depuis trois ans « ce grand équinoxe de la vie qu’on appelle la quarantaine », c’est-à-dire la moitié des jours qu’il lui était donné de vivre. »
Le palais idéal, construit entre 1879 et 1912
« La pierre était de forme si bizarre qu’il la ramassa et l’emporta ; puis, le lendemain, revenu au même endroit, il en trouva d’autres. C’était le début d’un long charroi qui dura vingt-sept années au cours desquelles le Facteur Cheval transporta les concrétions, fossiles et quartiers de tuf, qu’il découvrait au hasard de sa tournée, soit dans ses poches, soit dans un panier ou une hotte, et finalement au moyen d’une brouette, ce qui faisait dire alentour : « C’est un pauvre fou qui remplit son jardin de pierres. » »
Les trois géants César, Vercingétorix, Archimède, façade Est du Palais idéal
« Entre les façades est et ouest se trouve une galerie de 20 mètres de long et 2 mètres de large et qui donne accès à chacune de ses extrémités à un labyrinthe aux sculptures hétéroclites : dans cette hécatombe on y trouve une foule de variétés que j’ai sculptée et façonnée moi-même rappelant assez les temps anciens, tels que cèdres, ours, éléphants, bergers des landes, cacasdes ; dans l’autre, on y remarque sept figures d’Antiquités au-dessus des autruches, des flamands, des oies, des aigles… On se demande si l’on n’est pas emporté dans un rêve fantastique chimérique dont les limites dépasseraient l’imagination : est-on dans l’Inde, en Orient, en Chine, en Suisse ? On ne sait, car les styles de tous les pays et de tous les temps sont confondus et mêlés. » Le Facteur Cheval