Lecture en commun - Mervyn Peake : Titus d'Enfer

je ne voulais pas créer de polémique à propos d'Alice (je déteste juste ce livre et j'aime beaucoup Titus, d'où peut-être mon rejet de toutes comparaisons possibles ).

Ce qui est étonnant chez Peake, c'est que la lecture se fait très simplement, le livre se lit sans accrocs, presque avidemment, alors qu'il ne se passe pas grand-chose, il y a une magie dans l'écriture qui la rend ensorcelante, compulsive... sans être extraordinaire ou révolutionnaire. On a suffisamment de repères pour ne pas se perdre et en même temps l'histoire est inclassable ; on ne sait pas ce qui d'un chapitre à l'autre nous attend...

je me demande encore (arrivée à la trois cent dixième pages) pourquoi Peake a appelé son roman : Titus d'enfer ... l'arrivée de Finelame au sein du château semble en tout cas bien plus sismique que ce bébé dont on nous a dit trois mots (yeux violets, crâne bizarre, laideur énigmatique)... Et s'attaquer à une bibliothèque a quelque chose d'atroce, de révoltant, d'ignoble !

shanidar a écrit:

Et s'attaquer à une bibliothèque a quelque chose d'atroce, de révoltant, d'ignoble !

C'est par là que j'ai laissé tomber...
Trop sensible sans doute!

Finelame aiguise sa lame, Lenflure fait de même (au sens propre) excellente scène ou Craclosse qui tremble et craque de plus en plus, se hisse sur un tonneau pour voir à la fenêtre Lenflure dans son entreprise de projection de meurtre, images garanties.
On fait la connaissance d'Irma la soeur de Salprune, aussi déchenillée que les autres.
Fuchsia la douce s'interroge sur Finelame et le reste.
Les deux soeurs jumelles Cora et Clarice font un étalage monumental de leur sottise et de leur soif de pouvoir devant Finelame qui n'en attendait pas moins pour esquisser son diabolique projet.
Lord Tombal, ivre de mélancolie, se réfugie dans sa chère bibliothèque où l'idée d'une grande cérémonie en l'honneur de Titus va prendre forme.
Nannie Glu chargée des invitations, redoute de ne pas y arriver et son coeur palpite de plus en plus.

Seule la Comtesse est absente, mais pour combien de temps ?

shanidar a écrit:

je me demande encore (arrivée à la trois cent dixième pages) pourquoi Peake a appelé son roman : Titus d'enfer ... l'arrivée de Finelame au sein du château semble en tout cas bien plus sismique que ce bébé dont on nous a dit trois mots (yeux violets, crâne bizarre, laideur énigmatique)...

Patience, son heure de gloire n'est pas encore arrivée mais elle viendra

je n'en doute pas et de toute manière je trouve la narration très subtile, inattendue. Là où l'on pense que les choses vont exploser, l'auteur passe les évènements sous silence (l'après incendie = grosse ellipse), et en menant de front plusieurs intrigues (Keda et ses amoureux, la rivalité Lenflure/Craclosse, l'ambition dévorante de Finelame, les Salprune...), la narration va ronronnante, parfois s'accélérant, d'autre fois en mode de croisière, jamais lâche, parfois palpitante, en tout cas jamais vraiment là où on l'attend (ou du moins là où je l'attendais, je pensais que le projet de Finelame serait un fiasco, et que s'il réussissait il signerait sa ruine, mais pas du tout...). J'attends la fin avec impatience... et compte bien me procurer les tomes suivants.

Citation :

en tout cas jamais vraiment là où on l'attend

Exactement comme cela que je l'ai ressenti : on ne s'attend jamais à ce qui va arriver, on est toujours pris par surprise alors qu'on pensait que...

Un roman qui fait référence à toute l'étiquette aristocratique et monarchique du début du vingtième siècle anglais : des rituels ininterrompus alors qu'on a oublié depuis longtemps leur fonction première, émergence d'une nouvelle classe sociale qui n'a peut-être pas le sang bleu mais la malice et la fourberie nécessaires pour parvenir au sommet de la gloire.

Cela me fait penser également au film Le guépard de Visconti vu dernièrement : « Nous étions les guépards, les lions. Ceux qui nous remplaceront seront les chacals, les hyènes. Et tous tant que nous sommes, guépards, lions, chacals, brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la Terre ». Tout est dit là.

Après un début difficile, le deuxième tome est encore meilleur ! Le troisième tome est malheureusement inachevé...

Quelques illustrations de l'auteur présents dans le premier tome dans la collection Phébus (libretto).


Le docteur Salprune et Fushia d'Enfer


Irma


La comtesse Gertrude

Finelame

sentinelle a écrit:

[
Un roman qui fait référence à toute l'étiquette aristocratique et monarchique du début du vingtième siècle anglais : des rituels ininterrompus alors qu'on a oublié depuis longtemps leur fonction première, émergence d'une nouvelle classe sociale qui n'a peut-être pas le sang bleu mais la malice et la fourberie nécessaires pour parvenir au sommet de la gloire.

Bien vu.

Je suis un peu inquiète car je ne vois plus Arabella
Serait-elle perdue dans les dédales de Gormenghast ?
Ou alors elle ne sort plus de la chambre aux chats.
Finalement elle doit prendre le thé avec les jumelles Cora et Clarice.

Pas lu une ligne de tout le week-end... Je m'y remets.

Je viens de lire la scène du Baptême puis l'escalade nocturne des murailles par Finelame qui se termine dans le grenier de Fuchsia aux premières lueurs du jour (belle séquence). J'ai particulièrement aimé l'observation à la dérobée du poète à la tête de gargouille et au coeur d'enfant qui termine son poème par: Je tourne en rond dans mon enfer!

darkanny a écrit:

Une chose qui m'a également frappée dans ce roman, c'est qu'à aucun moment l'auteur ne situe le château en temps ou lieu, complètement intemporel, à nous d'essayer de transposer cette histoire où et quand bon nous semble. L'auteur se permet une totale liberté, aucune référence littéraire, socioéconomique ou politique.

On pourrait être dans un passé médiéval ou dans le futur, sur une autre planète, ou dans un livre illustré un peu fou d'où le personnage de Finelame tenterait de s'échapper en s'éveillant à la réalité. En Enfer? Pourquoi pas... Je suppose que rien ne sera tranché et que cet univers restera abstrait et intemporel. Ce qui m'a fait trouver malgré tout cette phrase d'autant plus décalée:

Le Dr Salprune prononça le nom fatidique en montrant des dents aussi éblouissantes que des sabres de cavalerie lors d'une charge romantique. Première phrase qui évoque une époque ou un style littéraire d'un passé plus ou moins proche...

Un citation qui me plait au passage (p.162 de l'édition de poche):

Le regard n'a pas de recul. S'y reflètent une mouche, une demoiselle ou un cheval avec une immédiateté violente qui exclut tout jugement. Et la mouche, le cheval ou la demoiselle sont reflétés avec un essaim de rêves et de hantises, car ce qui obsède le coeur flambe et transforme la vision, rejetant dans l'ombre l'essentiel de la vie.

Je continue ma lecture.

Je prends Foutrement du retard. J'enrage de ne pas avoir le temps de me plonger correctement dans cette pépite (pour moi, c'est idéalement un livre de Noël. Genre Aventure et Folie, avec château, grincement de porte, froid et grisouille).
Finelame arrive à peine à terminer son escalade.

J'ai bien aimé la procession du baptême dans le jardin, juste ce petit bout où chaque personnage est associé à une bestiole ou une machine. Très juste. Très parlant. En deux mots on a l'image.
Jvous trouve l'extrait et je le poste !

Queenie a écrit:

Je prends Foutrement du retard.

Ben non! On en est au même point!