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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Mer 25 Jan 2012 - 16:06
coline a écrit:
Il y aura peut-être des Parfumés tentés par "l'expérience Castellucci", avec Le voile noir au prochain Festival d'Avignon...
Il a amélioré le spectacle d'origine (créé en mars 2011) qu'il ne trouvait pas prêt pour Avignon l'été dernier. Apparemment il retouche souvent ses spectacles au fur et à mesure. Mais tout le monde parle de l'incroyable tornade qui ouvre le spectacle. Je vais d'ailleurs en profiter pour lire la nouvelle de Hawthorne dans son recueil de contes et récits.
Sachant qu'il l'adaptera forcément très librement...
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Mer 25 Jan 2012 - 16:52
Pour ceux (on se sait jamais!) qui comme moi découvriraient Castellucci sur le tard, on peut rattraper un certain retard en regardant ces vidéos rassemblées dans un coffret de 3 DVD+CD+Livret de son grand projet Tragedia Endogonidia qui a donné droit à plusieurs spectacles entre 2002 et 2004. C'est sous-titré en français et je vais vite regarder tout ça.
Le livre évoqué 3 posts au-dessus étant une visite commentée de cet univers.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Jeu 2 Fév 2012 - 20:03
Hey Girl (2006)
Citation :
La pièce de Castellucci transforme la psychologie féminine en différentes matières sensorielles et offre ainsi aux spectateurs une expérience immersive libérée du discours dramatique. A leur arrivée dans la salle de la Comédie, les spectateurs découvrent une strate en forme de nuage de fumée qui recouvre la scène. C’est le premier indice qui prépare les esprits à entrer dans le domaine de l’illusion. Le corps d’une femme allongée sur une table est recouvert d’une matière entre la peinture et la gélatine, et dans un mouvement très lent, la femme s’éveille et s’extrait de la masse visqueuse qui s’égoutte. Une vision contemplative et poétique nous projette dans un monde de sculpture-vivante qui entretient la tension du regard et provoque une impulsion psychique. Chaque geste devient un signe symbolique qui s’articule avec les suivants pour former un ensemble porté par des vibrations sonores, des mini-mots projetés, des odeurs de parfum brûlé et un éclairage particulièrement sophistiqué. Les décors de Hey Girl ! sont comme les signes perçus face à un tableau du Moyen Age, ils rappellent que le metteur en scène est effectivement inspiré par ce moment de l’histoire de l’art. L’écriture scénique de Hey Girl ! fonde une scène aventureuse et propose une vision entre l’imaginaire et le réel dont l’interprétation constitue une véritable expérience sensorielle. (Yi-hua Wu)
A défaut d'avoir vu ce spectacle de 2006 on peut en regarder quelques images:
Citation :
Propos de Romeo Castellucci Mon mouvement part d’une amnésie essentielle tant du théâtre que de l’immense archive du geste occidental. Tout à inventer. Tout à voir. Croire complètement et à fond au théâtre ; est-ce possible ? Hey girl ! sera un travail sur le mouvement. Spectacle sans contenu sinon celui, inconnu, que tout geste en réalité révèle chaque fois qu’on l’effectue. Une trace dans l’air, une voie dans l’ouvert. Existe-t-il une histoire du geste ? Les gestes, qui tracent des points dans l’espace, sont-ils en mesure de s’accorder avec le temps ? Sont-ils en mesure de pénétrer dans la durée, c’est-à-dire dans ce règne où rien ne se laisse plus fixer ni mesurer, parce que toute chose se meut en engendrant continuellement de la nouveauté ? Le geste répété, comme emprisonné en soi-même, apparaît comme étant l’essence du geste, lequel ne renvoie à rien d’autre qu’à la trajectoire de son propre poids. Le geste répété paraît annuler le domaine rectiligne qui voit à ses deux extrémités début et fin ; il paraît vaincre l’ordre naturel des choses, l’ordre spatial du temps. Hey girl ! est linéaire, plan, pareil au parcours d’un fleuve dans une plaine descendant vers la mer ; mais en cette mer tout son contenu va se perdre, devient méconnaissable, n’est plus. C’est comme si une représentation était jouée à fond. Rien qui renvoie à autre chose qu’au geste nu et à son évaporation. Représenter le monde seulement avec ce que l’on a, quand on n’a rien, quand on ne doit rien avoir, maintenant, sinon soi-même, seul. Une jeune femme décide, pour la première fois, comment est le monde. C’est une personne nouvelle, aux prises avec sa propre nouveauté singulière. La solitude, ici, n’est pas un sujet, mais regarde chaque geste. Chaque geste est nouveau, seul, assené puis confié à l’immense dépôt de toutes les choses sans trace. Est-il possible de créer une histoire sans traces ? C’est-à-dire, uniquement avec des gestes nouveaux ? Une jeune femme court dans un circuit où gymnastique et agonie condensent le maximum de pathos et le minimum d’expression ; où l’intime est répandu entièrement à l’extérieur et où l’aspect extérieur est impénétrable comme l’âme. Est-ce le spectacle qui regarde le spectateur ? Ou peut-être le regard du spectateur qui se courbe jusqu’à voir sa propre nuque ; jusqu’à se voir, seul et de dos, dans la salle de ce théâtre. La personne nue, sous le regard de tous, c’est justement lui, le spectateur. La honte – la sensation intime –, convoquée et mise en cause en toute représentation, aura toujours été la sienne.
Citation :
Castellucci et ses compagnons pratiquent un rapport très particulier aux images, aux interprètes, et enfin à leurs propres oeuvres.
Aux images : évocatrices ou provocatrices, le plasticien iconoclaste qu’est Castellucci, en les mettant au point, semble doser finement les archétypes les plus profondément enfouis avec des éléments empruntés à la technologie la plus contemporaine. Le clinique et le corrompu, le pur et l’obscène, le rituel et le dérisoire paraissent parfois s’y greffer l’un sur l’autre pour produire des créatures scéniques inouïes.
Aux interprètes : on le sait, la Societas a souvent donné à voir des corps (malades, blessés, souffrants, difformes) dont la censure est si profondément ancrée dans nos habitudes et nos modes traditionnels de représentation qu’elle semble aller de soi. Ce retour de l’organique, subvertissant le primat du «beau corps» de l’être humain adulte, rationnel et doué de langage, se complète naturellement d’une présence accrue de l’animal ou de l’enfantin : «le geste polémique que nous avons à l’égard de la tragédie attique», écrit Castellucci, «est de ramener sur scène l’animal en faisant un pas en arrière. Repasser la charrue sur ses propres pas, voir un animal en scène, signifie se rapprocher de la racine théologique et critique du théâtre. Un théâtre prétragique renvoie, tout d’abord, à un théâtre enfantin».
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Romeo Castellucci Ven 3 Fév 2012 - 16:12
Quel univers!... Quelle belle découverte pour moi!
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Ven 3 Fév 2012 - 16:39
coline a écrit:
Quel univers!... Quelle belle découverte pour moi!
Et il faut le lire. Ses écrits sur son travail et sa conception du theatre sont d'une richesse étonnante. Il écrit comme un poète et un visionnaire.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Romeo Castellucci Ven 3 Fév 2012 - 16:41
Marko a écrit:
coline a écrit:
Quel univers!... Quelle belle découverte pour moi!
Et il faut le lire. Ses écrits sur son travail et sa conception du theatre sont d'une richesse étonnante. Et il écrit comme un poète.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Sam 4 Fév 2012 - 18:35
Etrange installation au festival d'art contemporain de Taipei l'année dernière en janvier 2011:
Io Penso
Citation :
A dark, scantily furnished room with few artifact of human inhabitance seems to be the aftermath of an apocalypse. The only source of light is from a small crack on the opposite wall, inviting viewers to look through. On the other side of the wall is a surreal world – a melodramatic play unfolds in a forest – reminiscent of Alice in Wonderland.
Italian stage director and artist Romeo Castellucci takes the title of this installation from the theory of Emmanuel Kant. He intended to create a window of conscience and evoke thoughts and appreciation for nature. However, what the viewers see is a perplexing maze of symbolism and an overwhelming aesthetic experience.
Castellucci is renowned for his provocative works incorporating different genres of artistic expression. His works often encompass installation, music, set design, and performance that take the viewers on a sensational and meditative journey. His artistic practice comes from his background in scenography, painting and theater. He founded his theater company, Socìetas Raffaello Sanzio, in 1981 and has been developing original stage art.
“And the images, they are coming from everywhere. Of course painting – the history of painting. Sculpture. Architecture. But also the images of the people you see on the street. Or the images you have in the newspaper, magazines. And every image has to be taken into consideration. Is important,” says Romeo Castellucci on his source of material in an interview after a performance of L. #09 London episode of the Tragedia Endogonidia.
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Romeo Castellucci Sam 4 Fév 2012 - 18:42
C'est très étrange... Il tient toujours le spectateur en tension...
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Sam 4 Fév 2012 - 18:43
coline a écrit:
C'est très étrange... Il tient toujours le spectateur en tension...
On se doute que c'est une vidéo qui est projetée de l'autre côté du trou mais on dirait pourtant qu'on pénètre un espace réel bien que décalé par ce rituel mystérieux de liens qui se font et se défont.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Mer 4 Juil 2012 - 9:37
Très bon article sur Roméo Castellucci dans le Telarama de cette semaine. Je suis impatient de découvrir son nouveau spectacle au festival d'Avignon dans quelques semaines.
Extrait de cet article:
Citation :
Êtes-vous hérétique?
Je ne pourrais payer ce prix. Je suis lâche. Et je ne comprends plus toujours les limites de la liberté de l'artiste dans ce monde sans tabous où elles bougent tout le temps. J'ai un sentiment d'échec. La seule chose dont je dois sur, c'est qu'au théâtre on n'a pas le droit de montrer la réalité. La vraie violence, le vrai sang. Au théâtre, l'interdit, c'est la réalité. Je ne crois pas au théâtre-vérité. Au théâtre, c'est la pure fiction, l'impossible conjonction de l'espace et du temps, l'ailleurs. Car seul le faux permet le travail de l'intelligence, fait que le spectateur n'est pas l'otage de ce qu'il voit. Vous connaissez le fameux paradoxe des sophistes grecs: celui qui est trompé connaît mieux la vérité que celui qui ne l'est pas... La vérité figé, empêche le sens de rayonner, enferme dans la mort. C'est un poids dont il faut se libérer. Il faut cacher, voiler la vérité. Le plaisir du théâtre est obscur.
Un artiste doit casser la loi. Pour donner un accès plus haut à l'esprit humain. C'est quoi la "loi" au théâtre? Selon Antonin Artaud, le plateau vide est déjà un loi. Je pense comme lui qu'il faut réinventer à chaque fois des supports différents pour s'exprimer, même le langage doit être renouvelé. Alors seulement on pourra penser autrement.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Ven 20 Juil 2012 - 19:06
Accueil triomphal de l'ensemble de la presse pour le spectacle de Castellucci au festival d'Avignon. Je ne tiens plus en place en attendant mardi soir!
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Romeo Castellucci Sam 21 Juil 2012 - 21:38
Marko a écrit:
Accueil triomphal de l'ensemble de la presse pour le spectacle de Castellucci au festival d'Avignon. Je ne tiens plus en place en attendant mardi soir!
De quoi en prendre plein les yeux et les oreilles...Cela me ferait presque un peu peur...Mais je suis impatiente moi aussi...
Le bruit du vent stellaire tel qu’on l’entendrait au cœur d’un trou noir est d’ailleurs ce par quoi s’ouvre ce spectacle. Une bande-son assourdissante dont l’opacité renvoie au noir qui envahit à plusieurs reprises le plateau. Un noir qui alterne avec l’éblouissement à travers des décharges violentes de lumière. Des effets qui évoquent bien sûr la peinture de Rothko où domine le noir, mais aussi des états de perplexité face à l’énigme du monde. Source: Les Inrocks
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Sujet: Re: Romeo Castellucci Mer 25 Juil 2012 - 22:52
The Four Seasons Restaurant
Citation :
Romeo Castellucci veut sonder « le rapport entre représentation et négation de l'apparence qui, depuis la tragédie grecque, soutient tout rapport de l'homme occidental à l'image ». Mark Rothko a d'ailleurs toujours considéré la tragédie grecque comme fondement de sa peinture. Une fois encore, hors de tout naturalisme, hors de toute référence explicite, les images venues de l'imaginaire de Romeo Castellucci feront naître la forme au milieu du chaos, pour nous permettre de ne plus seulement voir mais d'entrer dans «le tableau humain de Rothko» et de prendre conscience que la décision du peintre «trace l'orbite de l'absence», cette trajectoire courbe sans retour qui peut nous pousser jusqu'au bord de l'abîme.
Ambiance électrique 1h avant l’entrée dans la salle. La liste d’attente est démente et ceux qui ont leur billet ont le sentiment de faire partie de la secte des heureux élus prêts à assister à la grand messe. La notoriété de Castellucci s’est accrue de façon fulgurante depuis 3 ans et chacun sent qu’il va assister à une expérience artistique et sensorielle unique. La suite ne les démentira pas…
Très grande salle en amphithéâtre du gymnase Aubanel, scène immense avec un rideau noir qui masque les frissons à venir. On distribue des boules quies, les oreilles sensibles sont susceptibles de souffrir d’un niveau sonore très élevé annoncé. La tension monte…
Description
La lumière s’éteint progressivement. Le noir est total. Un bruit sourd démarre, se dilate, monte de plus en plus fort. On dirait des sonorités électromagnétiques qui nous pénètrent jusqu’à nous mettre en tension maximale. Le bruit est supportable bien que très puissant. Une projection apparaît comme un petit écran de cinéma muet qui diffuse des explications scientifiques sur l’existence des trous noirs et de leurs propriétés. Nous voilà aspirés par sa force qui absorbe toute matière, le son se rétracte et s’arrête, le rideau s’ouvre…
Scène immaculée, décor minimaliste qui ressemble à un gymnase avec son espalier, un ballon, quelques objets épars. La lumière est vaguement trouble, laiteuse, donnant une impression irréelle, comme si la scène était une bulle d’espace-temps absorbée et révélée par le trou noir, suspendue dans le vide. Des jeunes filles magnifiques comme dans les tableaux de Botticelli entrent par la gauche en file indienne. Elles ont des tenues qui rappellent les communautés mormones ou des vêtements ruraux de l’époque de la guerre de Sécession (comme les drapeaux étoilés aperçus ultérieurement le suggèreront).
Elles commencent un étrange rituel très dérangeant en prenant l’une après l’autre une petite paire de ciseaux qu’elles portent à leur bouche pour se couper ce qui semble être un bout de langue avant de déposer une goutte de sang sur le sol ou dans un mouchoir. Une jeune spectatrice à côté de moi est prise d’une crise de tétanie bien réelle et non prévue, elle gémit et son ami manifestement habitué la rassure, elle s’apaise. L’écho entre ce qui se passe sur scène et dans la salle me met dans un drôle d’état. D’autant plus que quelques minutes plus tard une des comédiennes simulera elle-même une crise épileptique faisant partie de la pièce… Heureusement il n’y aura plus rien de morbide par la suite et la jeune spectatrice pourra profiter du spectacle jusqu’à la fin.
Les jeunes filles forment un cercle fermé et peuvent alors commencer une sorte de représentation théâtrale reprenant de larges extraits de La Mort d’Empédocle d’Hölderlin. L’ambiance est pastorale, la gestuelle élégante et ritualisée à l ‘antique (un peu comme chez Robert Wilson mais en plus subtil). Elles s’échangent le rôle d’Empédocle qui est représenté par une couronne de lauriers dorée. Les voix subissent néanmoins par intermittence des distorsions. Tantôt directes, tantôt amplifiées, parfois sans mouvement des lèvres… Altération du langage comme si une mécanique se déréglait. Tout le long de cette représentation elles forment des figures géométriques ou des groupes très chorégraphiés et presque imperceptibles. Elles déroulent également de curieux drapeaux de la guerre de Sécession.
Au moment de la mort d’Empédocle, le suicide est remplacé par un coup de pistolet que l’une d’elle tire sur le groupe des autres. Puis une succession de curieuses scènes d’auto-enfantement des unes par les autres les conduit ensuite à être totalement dévêtues avant de quitter la scène. Fin de la narration. Début de la seconde partie intégralement non verbale et abstraite…
Le rideau noir se referme et vont s’enchaîner une série de tableaux hallucinatoires qui tiennent de la magie pure ou de l‘hypnose. Le rideau s’ouvre et un autre rideau bleu venu du fond de la scène avance vers nous puis recule en révélant d’abord un corps de cheval mort puis lors du second aller-retour une série de sphères noires.
Le rideau se ferme à nouveau. Noir total, le rideau s’entrouvre et des éclairs stroboscopiques avec une pulsation sonore très violente révèlent un espace vide d’où émerge un nuage de vapeur blanc qui à chaque décharge s’amplifie. Le rideau se referme et les éclairs continuent en arrière plan. On entend un lieder magnifique parfois recouvert par les pulsations électroniques comme sur un vieux phonographe qui crépite et qui exprime l’amour perdu ou quelque chose d’approchant. L’ensemble s’apaise et le noir se fait à nouveau.
C’est alors que commence la dernière scène sidérante qui révèle lors de l’ouverture du rideau une gigantesque tornade indescriptible. Tourbillon de cendres, de plumes et d'autres matières indéfinissables. Cela tient du cyclone, du cataclysme, de l’approche de l’épicentre du trou noir probablement. Le son est dantesque, le chant lointain de la mort d’Isolde de Wagner s’élève en même temps que la violence de ces vents électro-magnétiques. C’est subjuguant! Peu à peu une silhouette semble surgir du chaos, elle porte un drapeau qu’elle plante à son sommet, écho des guerres, des premiers pas sur la lune, que sais-je encore…
En arrière plan apparaît le portait géant du visage d’une jeune fille sereine aux yeux fermés, sorte d’icône parfaite qu’adule notre groupe d’actrices nues et en adoration devant elle. L’image disparaît. La tornade peut s’arrêter. Le spectacle s’achève et le public est stupéfait par la force physique, esthétique et métaphysique de ce qu’il vient de voir en ouvrant mille questionnements. Un choc.
Tentative d’interprétation
Le titre Four Season Restaurant fait allusion, selon Castellucci lui-même, au refus du peintre Mark Rothko d’exposer en 1958 une série de toiles abstraites essentiellement de couleur noire tendant vers le rouge dans ce restaurant chic New-Yorkais. Ce refus d’un commerce qui transformerait son œuvre en objets décoratifs est un acte artistique en soi, une façon de soustraire l’image au regard pour mieux rappeler la vraie mission de l’Art qui consiste à ouvrir des portes vers des espaces de réflexion, de méditation, de questionnements métaphysiques, d‘expériences esthétiques… Rothko exposant d’ailleurs ses toiles à une hauteur très proche du sol comme autant de portes vers un ailleurs et non pas suspendues au milieu des murs pour décorer la salle de restaurant ou le salon de tout un chacun. Castellucci mène depuis toujours une réflexion sur la représentation, la fonction de l’image et la manière de lui redonner du sens à une époque où elle se banalise, où on consomme l’art comme d’autres produits. Il est héritier du théâtre de la cruauté d’Artaud et revisite la tradition notamment antique pour générer des visions cathartiques pour le spectateur.
Il est en train également de créer une série d’œuvres autour du conte d’Hawthorne Le voile noir du pasteur où le fameux voile noir avait pour fonction de rompre le contrat social en suscitant, par ce renoncement à l’exposition au regard des autres, des réactions contradictoires et parfois violentes de la population ne supportant pas de ne pas comprendre le sens de ce geste.
Pour le spectacle actuel il est parti d’une autre forme de contrat social rompu qui est celui du philosophe Empédocle renonçant aux honneurs et à la gloire proposés par la communauté ancrée dans la tradition et les usages ancestraux. Préférant se suicider pour les inviter à réfléchir sur la véritable valeur de la vie, de notre rapport à la nature, à la mystique… Le texte d’Hölderlin lui sert de matrice en ce qu’elle exprime, en utilisant le langage, cette idée de l’acte créateur par l’effacement.
Le trou noir est par essence ce qui absorbe toute matière, qui permet en le traversant d’abandonner progressivement toute forme de représentation qui démarre par le corps, la communauté, le langage puis atteint le niveau du symbole pour s’achever par l’image seule, l’icône, la représentation même de ce qui a été, une trace qui va à son tour s’effacer.
Pénétrer le trou noir de Castellucci c’est traverser la toile de Rothko, soulever le voile du pasteur, rejoindre Empédocle dans sa rupture avec la vie. Et le spectacle montre cette absorption du sens et de la représentation pour revenir vers le mystère essentiel du vide et de la mort. Tout est à rebours. Les femmes se tranchent la langue comme renoncement au langage, puis le temps remontant son cours elles expriment le texte d’Hölderlin comme survivance d’une autre époque qui s’échappe déjà dans le néant et où on sent les prémisses de la dissolution du langage. Ensuite elles régressent jusqu’à s’enfanter pour abandonner leur enveloppe et disparaître. Abolition du corps, du langage, de l’expression. On entre alors dans le monde des symboles et des images à leur tour vidés de sens. Cette vache qui n’a plus de fonction figurative ou naturaliste, ces sphères plus abstraites qui sont un degré de représentation encore plus symbolique. Enfin il reste à abolir l’image, l’icône, ce visage idolâtré qui va s’évaporer dans le néant à l’extrémité du trou noir aux accords encore suspendus de la mort d’Isolde. Sublime dernier élan artistique qui nous pousse vers l'abîme. Il n’y a à présent plus rien.
Et cette régression cosmique a pris la forme d’une œuvre d’art inouïe comme seul Castellucci en a le secret. Je ne sais pas s’il y a aujourd’hui beaucoup d’ artistes capables d’atteindre une telle puissance de pensée et de vision. Et je n’ai même pas épuisé tout ce que contient ce spectacle où je sens, sans pouvoir vraiment les analyser, bien d’autres échos et correspondances avec les œuvres citées au cours du spectacle et qui servent de terreau. Vivement la suite de son parcours… Je serai là à chaque fois au rendez-vous!
coline Parfum livresque
Messages : 29369 Inscription le : 01/02/2007 Localisation : Moulins- Nord Auvergne
Sujet: Re: Romeo Castellucci Dim 29 Juil 2012 - 23:51
Superbe commentaire...que je n'aurais su faire...Quel spectacle extraordinaire! Quelle expérience!... J'y reviendrai peut-être en quelques mots...mais cela m'est difficile... Je ne sais pas vraiment donner un sens à ce que j'ai vu...et tant pis... Je resterai marquée par tout ce que j'ai ressenti à l'extrême et qui m'habite encore...La beauté, la pureté et la violence inouïes de ce spectacle.
Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
Je resterai marquée par tout ce que j'ai ressenti à l'extrême et qui m'habite encore...La beauté, la pureté et la violence inouïes de ce spectacle.
c'est vrai que Castellucci monte tout ce qui fait la force de la tragédie à un dégré d'intensité inégalé. On passe par toutes les émotions et visuellement c'est un ensorcellement. On dirait des tragédies antiques qui seraient recréées par des entités extra-terrestres dans un monde futuriste. Un peu comme la séquence de la chambre à la fin de 2001. C'est archaïque et profondément novateur. Il fait de chaque spectacle une expérience d'une très grande intensité sensorielle, esthétique et métaphysique. Il me ferait presque trouver le théâtre supérieur au cinema par cette immersion et cette proximité qui nous impliquent totalement.