Un roman : style ou/et histoire ?

J'ai participé hier soir à un café littéraire : mon presque ami ( à force de le côtoyer dans quelques salons du livre) Luc Mérandon présentait son roman "Les portes de Nazca". Cela m'a interpellé en ce sens :
Jusqu'ici je pensais , comme pas mal de gens, que l'histoire elle-même importait finalement peu et que le style, l'écriture, étaient essentiels, fondamentaux, totalement prioritaires.
Or son roman, d'après ce que j'en ai compris, est très très événementiel, fourmillant de rebondissements. Pendant une heure et demie il a raconté le début de l'histoire (il n'a pu en faire plus, la séance étant limitée en temps et son livre faisant 410 pages environ, mais ça je ne le savais pas, ne sachant où s'arrêtait son histoire). Au bout d'un moment j'ai craint qu'il ne reste plus rien à découvrir, car j'ai eu l'impression qu'il disait presque tout.
J'étais comme fasciné par ce qu'il racontait, on aurait dit un conte et j'étais comme un enfant avide de connaître la suite.

En même temps cela m'a troublé : alors, quid du style lui-même ???
Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire et mon presque malaise : l'histoire semblait prendre le pas sur le reste...

En tout cas, je vais prendre plaisir à , cette fois, lire vraiment le roman. Peut-être trouverai-je une réponse.

Il faut aussi bien savoir raconter une histoire !

Le style parait moins travaillé, moins plein de métaphores, de tournures de phrases, de changement de rythme, et de mots Importants, de Phrases Incontournables, mais il a la force d'un style qui englobe, qui happe, qui entraîne.
Et ce n'est pas donné à tout le monde.

Oui, Queenie, tout ça, je sais , mais là ma stupeur vient de la force de fascination et d'entraînement de la SEULE histoire, tu vois, au point que le style paraît ne plus importer.
cela a remis en cause toutes mes convictions.

monilet a écrit:

Oui, Queenie, tout ça, je sais , mais là ma stupeur vient de la force de fascination et d'entraînement de la SEULE histoire, tu vois, au point que le style paraît ne plus importer.
cela a remis en cause toutes mes convictions.

Parce qu'il racontait l'histoire ?
Ne crois-tu pas qu'il a une façon de raconter, qui s'apparenterait au style, qui justifierait cette fascination ?


Cela dit je comprends cette remise en cause de tes convictions, je crois avoir passé un peu la même "crise", d'ailleurs, je ne suis pas certaine d'en être sortie.
Il faut aussi accepter qu'il y a plusieurs points de force dans la littérature. Qu'on ne cherche pas toujours la même chose en tant qu'écrivain ou/et en tant que lecteur. C'est tout. Tout peut exister. Tant que c'est bien fait, bien écrit, c'est forcément bon.

Pour répondre à ta question : je dirais non, il a d'abord précisé qu'il n'était pas très grand orateur (sans être mauvais, ajouterais-je). Et quand je lui ai presque reproché d'en dire déjà beaucoup trop, il a invoqué son manque d'habitude et d'aisance dans l'exercice.(oui, il racontait l'histoire).
La lecture m'en dira plus : j'ai été "choqué", c'est la première fois que je vis un tel apparent divorce entre les rôles du style et du récit lui-même.

Il faut dire aussi qu'il y a un très fort support historique mi-réel-mi-imaginaire.

Il y a des écrivains qui content mieux qu' ils écrivent. Je veux dire verbalement. J' ai ai un exemple en tete, mais je ne le citerai pas, de crainte d' etre injuste. Et d' ailleurs je pense à d' autres aussi. En tout cas, après avoir écouté plusieurs fois ce romancier à la radio, j' ai enfin acheté un de ses livres. L' enchantement s' est malheureusemnt dissipé. Ce qui était enlevé et bien raconté oralement devenait simplement pitoresque. Ce n' est pas péjoratif d' ailleurs. Il y a toujours eu des raconteurs d' histoire, conteurs, griots, magiciens du verbe et jongleurs de traditions orales bien avant l' écriture.

Par contre je connais quelques écrivains, comme Mabanckou, ou Jorn Riel, Dany Laferrière, Panait Istrati, Andric, Milovanoff..., qui arrivent à concilieir leur art de conteur à l' écrit comme à l' oral. Ce quii me fait dire que le style prime quand meme.

Mais pour te rejoindre, monilet, je dirai qu' Alexandre Dumas est meilleur conteur que styliste, et on peut dire aussi que les histooires dans l' Histoire, le mouvement et les personnages nous emportent sans qu' on cherchent à chicaner l' auteur pour ses répétitions, ses clichés ou ses redondances.

Oui, bix, j'ai eu l'impression que là il s'agissait du simple intérêt de l'histoire elle-même ( à tiroirs multiples) plus que de l'art de la raconter. (mais est-ce qu'au final inventer une histoire prenante n'est pas le soubassement premier de l'art du conteur, bien avant l'art oratoire ?).

on peut penser que la manière de dire est une façon de dire, représente quelque chose, de même que le style peut aussi signifier beaucoup (et combien de constructions hybrides sont alors possibles). Il y a des histoires simples vraies ou non auxquelles la simplicité va très bien et des choses élaborées, voire tarabiscotées qui sont une horreur. L'attention est captée (ou non) par ce qui est donné (ce qui capte plus facilement que de prendre) : histoire ou histoire dans le style, même discret.

L'art de raconter peut faire de grandes choses avec rien en apparences ou en faits.

J'aime bien quand je lis sentir qu'un auteur s'est appliqué à raboter et ajuster pour créer un effet. J'ai aussi du plaisir avec les sauvages qui font exprès de ne pas raconter ce qu'ils font miroiter... Mais ils ont envie de donner une vision et c'est comme s'ils faisaient pour cette vision.

Je me souviens d'une discussion un peu lointaine, je crois que je vois ce que tu veux dire, alors je dirai donc pour résumer : peut-être, mais il y a beaucoup de façons : l'organisation de péripéties ou de développements définis sur la longueur a bien des possibilités. (tu as tenté Ramuz au fait ?).

Eh non, Ramuz, pas encore, ani.

Je reviendrai sur tes propos. Là je vais partir. Merci de ton avis.

C'est une question que je me pose souvent et je n'arrive pas à trouver de réponse, sauf une, évidente : un bon roman est LES DEUX.

Genre : PROUST.
C'est pour cela qu'il reste gravé dans l'histoire de la littérature.

Mais je pense qu'on peut quand même prendre du plaisir à un style sympa sans trop de fond (notamment, quand c'est caustique, inventif, etc...), ou à une histoire passionnante pas trop ciselée.

Bon, je ne fais pas avancer le débat.

Maintenant, s'il fallait hiérarchiser, faut-il posséder le style avant l'histoire ou l'inverse ?

Dans le cas 1, tu peux verser dans la préciosité (beurk).
Dans le cas 2, ça risque de rester fade.

Pauvres écrivains, de vrais prolos du verbe.

L'exemple de Proust n'est dans mon cas perso pas pertinent ; j'ai lu la Recherche quasiment 2 fois en entier(c'est du masochisme) : eh bien, ça m'ennuie ; rien ne m'y éblouit.

Dans le cas du livre de Luc Mérondon, je verrai si le style ajoute quelque chose à une histoire et un agencement de celle-ci que j'ai beaucoup appréciés lors de leur présentaztion orale. Le livre sera ma prochaine lecture : ça m'intrigue.

monilet a écrit:

L'exemple de Proust n'est dans mon cas perso pas pertinent ; j'ai lu la Recherche quasiment 2 fois en entier(c'est du masochisme) : eh bien, ça m'ennuie ; rien ne m'y éblouit.

Dans le cas du livre de Luc Mérondon, je verrai si le style ajoute quelque chose à une histoire et un agencement de celle-ci que j'ai beaucoup appréciés lors de leur présentaztion orale. Le livre sera ma prochaine lecture : ça m'intrigue.

Et moi, maintenant, je suis curieuse de savoir ce que tu vas penser du livre !

Je le dirai, Queenie. Pas encore fini le Modiano.

Bon, je n'ai lu que 55 pages effectives : j'ai d'emblée remarqué la qualité de la langue : riche, complexe tombant à propos et avec naturel, la maîtrise absolue de l'orthographe, en particulier sur les structures difficiles.
L'histoire, nourrie de détails multipkles, est encore plus passionnante que dans sa version orale :
je n'ai qu'une peur : être déçu par la suite du livre qui compte 410 pages !