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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Un des meilleurs moments du festival Etonnants Voyageurs cette année:
Citation :
À l’origine était un rêve, diablement romanesque, celui d'Evguéni Iakovlev, homme de culture : mettre en images le roman le plus mystérieux de la littérature russe, le chef-d’œuvre de Mikhaïl Boulgakov, Le maître et Marguerite. Pour cette folie, à la démesure du roman, il engage l’actrice Isabelle Adjani dans le rôle de la belle amoureuse, et le non moins célèbre photographe de mode Jean-Daniel Lorieux.
Jean-Daniel Lorieux Un « shooting » pharaonique à travers les rues, les parcs et les hôtels années 1930 de Moscou, plus de cent "acteurs" mobilisés, figurants, techniciens, habilleuses pour un budget de 3 millions d’euros… et au final, une incroyable création baroque que cette série de tableaux vivants, voluptueux et tragiques, dont la dramaturgie est sublimée par des extraits du roman !
les photos étaient exposées dans la Chapelle Saint Sauveur, Intra Muros:
Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
Ils devraient en faire un livre illustré avec le texte et les photos.
le moment que je suis entrée dans la chapelle, j'ai vu près de la porte sur une table deux, trois livres avec photos et texte.. et je me suis demandée si c'était déjà fait, et je voulais le feuilleter après - mais après avoir vu les photos et ayant reçu l'autorisation de faire des photos de l'expo, j'étais tellement enthousiaste de pouvoir garder un souvenir des plus belles photos, je n'y ai plus pensé en sortant
Emmanuelle Caminade Envolée postale
Messages : 204 Inscription le : 06/11/2009 Age : 74 Localisation : Drôme provençale
Sujet: Boulgakov Sam 4 Sep 2010 - 14:25
Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, chef d'oeuvre de la littérature russe du XXème siècle - ce qui n'interdit pas de formuler quelques réserves - démarre d'une intrigue simple pour développer un projet ambitieux à l'aide d'une architecture vertigineuse.
A la fin d'une journée printanière, le diable débarque à Moscou qu'il met à feu et à sang en bouleversant toutes les certitudes d'une société matérialiste athée qui, avec l'arrogance scientiste, pense pouvoir maîtriser le monde et permettre l'avènement d'un homme nouveau en faisant table rase du passé. Faisant fi des arguments rationalistes qui sous-tendent la folie stalinienne, Boulgakov recourt au fantastique pour en éclairer le non-sens. Il rend manifeste le surnaturel, montre le pouvoir de l'imaginaire sur le réel et affirme, par diable interposé, sa croyance en Dieu, sa foi en l'immortalité de l'âme et en la dimension sacrée de la littérature.
C'est un roman diabolique placé sous le signe de la réversibilité du bien et du mal qui recourt au fantastique en s'inscrivant dans la tradition russe. C'est un livre à double tonalité servi par deux styles différents : un comique virulent, ironique, jubilatoire et terrifiant, à la fantaisie exubérante, mais aussi une gravité émouvante, douloureuse ou apaisée, soutenue par de belles images poétiques et oniriques.
Roman dénonciateur - et parfois vindicatif- Le Maître et Marguerite m'apparaît également comme le livre testamentaire et initiatique d'un auteur désireux de témoigner qu'il existe "en ce bas monde" un amour "véritable", désintéressé et fidèle, et surtout une vraie littérature dont "les manuscrits ne brulent pas"et à laquelle il se réfère abondamment. Et, si Boulgakov espère la fin de ses tourments terrestres et se préoccupe de sa rédemption, il semble vouloir aussi sortir les "hommes ordinaires" de leur "hypnose collective" en leur montrant qu'ils ne sont pas tout à fait abandonnés.
La relecture de ce roman à la richesse inépuisable, après une douzaine d'année, m'a enthousiasmée et il me semble que j'y ai vu bien plus de choses. Je l'ai ressenti comme très musical et ai souvent entendu à sa lecture des airs d'opéras, cités explicitement ou non par l'auteur. J'ai fait ainsi un rapprochement entre certains extraits du Maître et Marguerite et des airs de La damnation de Faust de Berlioz qu'ils m'avaient fait entendre !
Il s'agit de la scène XX, Le Ciel et L' Apothéose de Marguerite qui termine l'opéra de Berlioz.
Dans le ciel, un choeur de séraphins absout Marguerite l'infanticide car "elle a beaucoup aimé", l'arrachant à "ses terrestres douleurs". Un choeur sublime qui pour moi retentit à deux moments : - Quand Marguerite demande la grâce de Frieda l'infanticide (référence manifeste à la Margarete de Goethe) Et, surtout, à ce beau passage que je cite dans l'extrait 5, à la fin du dernier chapitre intitulé Grâce et repos éternel, quand le Maître et Marguerite s'éloignent vers leur éternel repos et voient se lever l'aube promise.
Extrait 5, p.512/513
(...) -Adieu! lançèrent d'une seule voix le Maître et Marguerite. Et insoucieux des routes et des chemins, le noir Woland se précipita en grand fracas dans l'abîme, suivi de sa bruyante escorte. Alentour, il n'y eut plus ni rochers, ni plateau, ni chemin de lune, ni Jérusalem. Les chevaux noirs avaient disparu aussi. Et le Maître et Marguerite virent se lever l'aube promise......Elle succéda immédiatement à la pleine lune de minuit. Le Maître marchait avec son amie, dans l'éblouissement des premiers rayons du matin, sur un petit pont de pierres moussues. Ils le franchirent. Le ruisseau resta en arrière des amants fidèles, et ils s'engagèrent dans une allée sablée. - Ecoute ce silence, dit Marguerite, tandis que le sable bruissait légèrement sous ses pieds nus, écoute, et jouis de ce que tu n'as jamais eu de ta vie - le calme. Regarde, devant toi, voilà la maison éternelle que tu as reçu en récompense. Je vois déjà une fenêtre à l'italienne, et les vrilles d'une vigne vierge, qui grimpe jusqu'au toit.Voilà ta maison, ta maison pour l'éternité. Je sais que ce soir, ceux que tu aimes viendront te voir - ceux qui t'intéressent et qui ne te causeront aucune inquiétude. Ils joueront de la musique, ils chanteront pour toi, et tu verras : quelle lumière dans la chambre, quand brûleront les chandelles! Tu t'endormiras, avec ton éternel vieux bonnet de nuit tout taché, tu t'endormiras avec le sourire aux lèvres. Ton sommeil te donnera des forces, et tu te mettras à raisonner sagement. Et tu n'auras plus jamais l'idée de me chasser. Quelqu'un veillera sur ton sommeil, et ce sera moi. Ainsi parla Marguerite, en se dirigeant avec le Maître vers leur maison éternelle, et le Maître eut le sentiment que les paroles de Marguerite coulaient comme un filet d'eau, comme coulait en murmurant le ruisseau qu'ils avaient laissé derrière eux. (...)
La Damnation de Faust, S. Cambreling, Fura del baus (théâtre extrème), Salzburg 1999, (DVD Juillet 2000) avec le Staatskapelle Berlin et le Tölzer Knabenchor ( soliste : Ludwig Mittelhammer)
Je partage ton enthousiasme pour ce livre. Et sur la nécessité de la relecture... Je crois que les grands livres ou simplement ceux qui nous ont ému, enchanté, ou encore ceux qui ont été des rendez vous manqué, devraient etre relus. En tout cas, je le fais...
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Merci pour ce beau commentaire Emmanuelle ! Ca donne envie de le lire. Mais cet auteur m'impressionne un peu, j'ai l'impression que c'est truffé de références et je me demande si je ne passerais pas à coté de beaucoup de choses en le lisant...
Arabella Sphinge incisive
Messages : 19316 Inscription le : 02/12/2007 Localisation : Paris
Il ne faut pas être impressionnée par Boulgakov, Camille, on peut lire et apprécier Le maître et Marguerite sans comprendre toutes les références, d'ailleurs je crois que personne ne les comprend toutes. C'est aussi un livre très drôle, par moment désopilant, et une belle histoire d'amour. Il faut se laisser emporter tout simplement par la plaisir de lecture.
Camille19 Main aguerrie
Messages : 484 Inscription le : 24/06/2009 Age : 34
Mais cet auteur m'impressionne un peu, j'ai l'impression que c'est truffé de références et je me demande si je ne passerais pas à coté de beaucoup de choses en le lisant...
Il y a beaucoup de notes en bas de pages et sans elles je serais passée à côté de bon nombre de références ! Et, de toutes façons, le livre est si riche que passer à côté de certaines d'entre elles n'est pas bien grave .
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Pas facile de résumer un livre aussi dense , mais je tente :
Sur fond de terreur et de régime stalinien bien implanté , l'auteur imagine un quatuor pour le moins original : Woland (une incarnation de Satan) , Kororiev (associé n° 1), Azazello (associé n° 2) et Béhémoth (associé n° 3 : un gros chat noir qui se comporte comme un humain) , ensemble parfaitement démoniaque , malicieux comme Lucifer , et semant le trouble à sa guise sur des personnes , qui la plupart du temps sont des fonctionnaires plus ou moins zélés , et dont la vie se trouve chamboulée.
Les événements sont tour à tour cocasses , absurdes , picaresques , on est très proche de la farce façon Molière. Les pauvres individus malmenés par Woland et sa troupe se retrouvent soit : - dans un cercueil (après avoir glissé sur une plaque d'huile de cuisine et été projeté sous les rails d'un tramway , la tête du malheureux sectionnée et ayant roulé quelques mètres plus loin - à la Milice (on les prend vite pour des cinglés , vu l'incohérence de leurs discours) - et bien sûr , à la clinique du Docteur Stravinski , puisqu'ils sont considérés comme dingues
On leur dit qu'ils vont bien alors que ce n'est pas le cas et quand ils tentent une explication sensée ,on les considère comme fous , d'où l'absurdité qui émane de ce récit , au fil des chapitres , ce ne sont que disparitions , hallucinations , personnes qui entrent par les fenêtres , chats qui volent , qui paient un ticket de tramway .
Du fantastique certes , mais le message politique apparaît clairement , Bougalkov dénonce tour à tour la bureaucratie tatillone , la corruption des fonctionnaires , les disparitions , les interrogatoires , l'anti religionisme , bref toute la terreur qui sévissait à l'époque dans les années 30 en Russie.
Des passages épiques et très instructifs sur la vie à Moscou (les appartements en communauté par exemple , ça devient grotesque passé un certain âge) les hiérarchies dans tous les services et les fonctions aussi invraisemblables qu'inutiles qu'occupaient certains fonctionnaires .
Un roman foisonnant avec des références multiples (Chappy les a bien évoquées sur le fil de l'auteur) et un récit dans la ligne directe du romantisme allemand surtout dans la 2ème partie , la 1ère s'apparentant davantage à la farce de Molière. De belle références gothiques empreintes de romantisme , d'esthétisme et de mélancolie.
C'est passionné et passionnant , le texte a été maintes fois remanié , Boulgakov a mis toute son âme tourmentée dans ce récit , il mourra peu après la dernière version.
ça donne envie de relire Faust de Goethe , d'écouter Berlioz , Stravinski , de lire aussi La vie de Jésus de Renan , de se replonger dans les écrits romantiques allemands , et bien sûr d'aller à Moscou , et de s'imprégner un peu de cette âme russe , si complexe , souvent tourmentée .
Bref , j'ai adoré , parce que le style est très vif , c'est comme une épopée , et le fantastique sert ici une cause très chère à l'auteur , celle du droit de publier et d'être accepté en tant qu'écrivain , donc artiste .
Merci à Chaperlipopette pour cette suggestion , on a l'impression qu'on sort de cette lecture moins bête. vivement la prochaîne chaîne de lecture !
Bien vu, Darkanny ! Boulgakov s' interessait beaucoup à Molière, et il a meme écrit Le roman de Monsieur de Molière. Une biographie de Molière revue par Boulgakov...
darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
Je n'ai connu Molière qu'au lycée mais ça m'est resté , c'est vrai qu'on ne peut s'empêcher d'y penser , à travers les événements de la 1ère partie où des individus respectables et respectés sont mis à mal par des galapiats .