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| Mikhaïl Boulgakov [Russie] | |
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colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Sam 11 Juin 2011 - 9:29 | |
| Cœur de chien (1925) de Mikhaïl Boulgakov « Ouah-ou-ou-ou-ou-Ouah-ou-Ouah-ou ! Jetez un œil sur moi, je me meurs. Sous le porche, la tempête rugit la prière des agonisants, et je hurle avec elle. Je suis fichu. Un gredin à la toque crasseuse - le cuisiner de la cantine d’alimentation normale des employés du Conseil Central Economique du Peuple - m’a arrosé d’eau bouillante et brûlé le flanc gauche. Une ordure et un prolétaire par-dessus le marché ! Seigneur Dieu, ce que ça peut faire mal ! L’eau bouillante a pénétré jusqu’à l’os. Je hurle maintenant, mais hurler, ça sert à quoi ? »Nous voici donc plongés dans les pensées d’un chien. Ca commence bien. Sincèrement, cette idée m’a emballée, moi qui aie toujours rêvé de savoir ce qui pouvait bien se passer dans la tête d’un cabot… La lecture du livre selon ce point de vue ne dure qu’un assez bref passage mais est succulente et participe aussi à l’ébauche (simplifiée) de la description de la société telle que Boulgakov voulait la présenter à son lecteur. Partagée entre les bons et les mauvais (vision manichéenne mais que voulez-vous, nous sommes dans la tête d’un chien…), l’explication tient en une ligne : les méchants sont ceux qui ont faim, et les autres doivent certainement être bien nourris. « Celui-là, il mange abondamment, il ne vole pas, il ne va pas vous donner de coups de pied, lui-même, il n’a peur de rien, et, s’il n’a peur de rien, c’est qu’il est toujours repu. »Bouboul, notre cher petit chien, est finalement recueilli par Philippe Philippovitch Transfigouratov (que j’abrégerai en PPT pour me faciliter la vie ). Après l’émerveillement consécutif à la découverte de ce qui sera son nouvel environnement, Bouboul subira une trépanation bien en règle et échangera son hypophyse et ses testicules contre ceux d’un homme. On a l’impression que PPT s’amuse aux dépens d’une pauvre bestiole mais non, l’expérience est vraiment très sérieuse, et elle dépassera sans doute les prévisions du professeur puisqu’au fil des jours, Bouboul subira une métamorphose aussi bien physique que mentale qui le fera ressembler de plus en plus à l’être humain dont il a reçu les organes… Pas de chance, ce dernier était un ivrogne, voleur et menteur ! Beaucoup de joie dans le bureau du prof en perspective… Ici encore, on change de point de vue et l’évolution de Bouboul est décrite à travers l’agenda de Bormenthal, l’assistant de PPT. « 9 janvier. Depuis ce matin, son vocabulaire s'enrichit (en moyenne) d'une nouvelle expression toutes les cinq minutes, et de phrases. On dirait qu'elles étaient gelées dans sa conscience, qu'elles fondent et ressortent. Depuis hier soir, le phono a noté "Pousse pas", "Salaud", "Descends du marchepied", "Je vais te faire la fête", "La méconnaissance par l'Amérique", "Le réchaud". »J’ai apprécié de pouvoir suivre l’histoire depuis la conscience de chacun des trois personnages principaux de ce livre. Il permet de les présenter sous des facettes à chaque fois différentes et traduit très bien le sentiment de suspicion caractéristique de la société de Boulgakov à l’époque où il a écrit cette nouvelle. Bouboul nous semble innocent et gentil, mais à travers le regard de Bormenthal, c’est le pire des voyous. PPT veut nous faire croire que ses expériences permettront à l’humanité de progresser, mais Bouboul nous indique clairement que cette croyance n’est qu’une grossière erreur de jugement. Quant au gentil petit assistant Bormenthal, il passe pour un disciple assoiffé de puissance aux yeux de Bouboul. « Dans le cabinet, il a ri. Son sourire est déplaisant et pour ainsi dire artificiel. Puis il s’est gratté la nuque, a regardé autour de lui et j’ai noté un nouveau vocable distinctement prononcé : « les bourges ». Il a juré. Les gros mots lui viennent méthodiquement, sans interruption et, apparemment, sans le moindre sens. Ils ont un caractère quelque peu phonographique. On dirait que l’individu a jadis entendu quelque part ces jurons, les a inscrits automatiquement et inconsciemment dans son cerveau, et les recrache maintenant par paquets. Cela dit, que le diable m’emporte, je ne suis pas psychiatre. »Rien n’échappe à la critique acerbe de cette nouvelle, et surtout pas le communisme, représenté par une bande de moussaillons qui essaie de destituer PPT de son appartement sous prétexte que celui-ci posséderait bien plus de chambres qu’il n’en a réellement besoin. Bouboul, d’abord moqueur vis-à-vis de cette troupe, finit cependant par se laisser convertir par la doctrine communiste et la ramène dans le bureau du médecin, essayant de traduire les quelques concepts qui ont réussi à s’implanter dans son cerveau avec sa conscience maladroite d’ivrogne mêlée à du chien. « Chez vous autres, il faut que tout soit comme à la parade, dit-il. La serviette –là, la cravate- ici, et « veuillez m’escuser » et « s’il vous plaît-merci », mais pour ce qui est d’être naturel, jamais de la vie. Vous vous torturez à plaisir, comme sous les tsars. »La science n’échappe pas non plus à la virulence de Boulgakov : « Que le diable m’emporte…Cela faisait cinq années que j’étais là, à extirper les hypophyses des cerveaux…Vous savez quel travail j’ai fait, c’est inconcevable pour l’intelligence. Et voilà que, maintenant, la question se pose : à quoi bon ? Pour transformer un beau jour le plus adorables des chiens en une ordure à vous faire dresser les cheveux sur la tête. - C’est quelque chose d’extraordinaire. - Entièrement d’accord avec vous. Voilà, docteur, ce qui arrive lorsque le chercheur, au lieu de suivre à tâtons un chemin parallèle à celui de la nature, viole la question et soulève le rideau : tiens, le voilà, ton Bouboulov, et bon appétit ! - Philippe Philippovitch, mais si c’était le cerveau de Spinoza ? - Oui ! jappa Philippe Philippovitch. Oui ! A condition que le chient n’ait pas la malchance de crever sous mon bistouri. Or, vous avez vu de quel genre d’opération il s’agissait. En un mot, moi, Philippe Transfigouratov, je n’ai jamais rien accompli de plus difficile de ma vie. Il est possible de greffer l’hypophyse de Spinoza ou de quelque autre farceur du même style et de concocter à partir d’un chien un être supérieur. Mais pourquoi diable ? Voilà la question. Expliquez-moi, je vous prie, pourquoi l’on devrait fabriquer artificiellement des Spinoza alors que n’importe quelle bonne femme peut en produire un n’importe quand. Après tout, la dame Lomonossov n’a-t-elle pas accouché de son illustre rejeton à Kholmogory ? Docteur, l’humanité s’en occupe elle-même, et du fait de l’évolution, produit obstinément chaque année, sur fond de toutes sortes d’ordures, des dizaines de génies transcendants, qui seront les ornements de la planète. »Avec beaucoup d’humour et un sens de l’ironie très développé, Boulgakov parvient donc à trancher dans le vif de la société soviétique des années 30. Il faut parfois se faire plus bouffon que les bouffons pour échapper à leur jugement, et l’histoire d’un chien qui devient homme semble avoir été assez grotesque pour éviter la censure. Enfin, le meilleur pour la fin (le médecin demandant à l’homme-chien de sa création le nom qu’il désire adopter) : « -Alors, quel nom souhaitez-vous prendre ? L’homme rectifia son nœud de cravate et répondit : -Polygraphe Polygraphovitch. -Ne faites pas l’imbécile, répondit Philippe Philippovitch, l’air sombre. »Une analyse de l'oeuvre très intéressante : ICI | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Sam 11 Juin 2011 - 9:49 | |
| Commentaire de la petite-nièce de Boulgakov, Hélène Sedakoff Boulgakov : - Citation :
- « Il est aujourd’hui considéré comme un des quatre plus grands écrivains du XXème siècle avec NABOKOV, PASTERNAK et BOUNINE, le plus original, le plus fort pour citer le Dictionnaire Amoureux de la Russie . On dit qu’il est le Molière russe et peut être également comparé à Kafka, bien qu’il descende d’une lignée typiquement russe de satiristes métaphysiciens commencée avec Gogol, continuée par Saltykov-Chtchedrine, manifiée par Dostoëvski, prolongée dans le modernisme de Maïakovski, de Zamaitine et de Platonov. »
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| | | Queenie ...
Messages : 22891 Inscription le : 02/02/2007 Age : 44 Localisation : Un peu plus loin.
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Sam 11 Juin 2011 - 9:57 | |
| Merci, il donne bien envie ce livre ! | |
| | | tina Sage de la littérature
Messages : 2058 Inscription le : 12/11/2011 Localisation : Au milieu du volcan
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Jeu 12 Jan 2012 - 14:58 | |
| Le maître et MargueriteBouh... Livre dont j'ai dévoré et adoré la 1ère partie, mais qui me fait peiner dans la seconde, en fait avec l'arrivée de Marguerite qui se transforme en sorcière. (Certains passages que je trouve longs et inutiles) Je suis comme vous, j'ai bien la sensation de tenir quelque chose de géant entre les mains mais j'ai parfois décroché, surtout au bal de Satan. Pour moi, Satan représente la subversion (en gros) plus que le mal. D'ailleurs, avec sa clique bancale, il prête plutôt à rire. Les meilleurs passages sont pour moi ceux qui évoquent Ponce Pilate car on s'y croirait. Il y a là une puissance évocatrice qui me coupe le souffle ! (comme j'ai eu mal avec Jésus... ). C'est intense, expressif et tellement bouleversant. Parfois, j'ai été transportée. Parfois, plus sceptique. Il me reste 100 pages, je reviendrai déposer mon dernier sentiment. Seul regret : je n'ai pas toutes les clefs pour tout apprécier. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Jeu 12 Jan 2012 - 23:47 | |
| - tina a écrit:
- Le maître et Marguerite
Bouh...
Livre dont j'ai dévoré et adoré la 1ère partie, mais qui me fait peiner dans la seconde, en fait avec l'arrivée de Marguerite qui se transforme en sorcière. (Certains passages que je trouve longs et inutiles) Je suis comme vous, j'ai bien la sensation de tenir quelque chose de géant entre les mains mais j'ai parfois décroché, surtout au bal de Satan. Pour moi, Satan représente la subversion (en gros) plus que le mal. D'ailleurs, avec sa clique bancale, il prête plutôt à rire. Les meilleurs passages sont pour moi ceux qui évoquent Ponce Pilate car on s'y croirait. Il y a là une puissance évocatrice qui me coupe le souffle ! (comme j'ai eu mal avec Jésus... ). C'est intense, expressif et tellement bouleversant.
Parfois, j'ai été transportée. Parfois, plus sceptique. Il me reste 100 pages, je reviendrai déposer mon dernier sentiment.
Seul regret : je n'ai pas toutes les clefs pour tout apprécier. Je l'avais lu en édition de poche ; là, j'ai la chance de l'avoir dans La Pléiade, qui dispose d'un appareil critique important... Mais c'est sûr que c'est le genre de texte codé, ou métaphorique, avec de nombreux niveaux de lectures, et que la connaissance de la vie de Boulgakov, des problèmes qu'il a rencontré et de la politique de l'époque a une grande importance... Mais tant qu'on peut l'apprécier également avec nos clefs, c'est déjà bien. Ah oui, je me souviens encore de la puissance évocatrice, comme tu dis, des passages situés à l'époque du Christ... c'est vraiment quelque chose ! | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Lun 18 Mar 2013 - 9:00 | |
| A parcourir ce fil, j'ai envie de relire Le maître et Marguerite ... | |
| | | Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Lun 18 Mar 2013 - 9:59 | |
| - GrandGousierGuerin a écrit:
- A parcourir ce fil, j'ai envie de relire Le maître et Marguerite ...
Moi il est noté dans les 100 classiques que je veux lire et en lisant les commentaires parfumés, je suis bien contente qu'il y soit | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| | | | Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Mar 19 Mar 2013 - 22:50 | |
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| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Ven 6 Sep 2013 - 1:59 | |
| Récits d'un jeune médecin traduit du russe par Hélène Gibert
J'aurais un gros reproche à faire à ce livre, il est beaucoup trop court. Et mon édition ne comportait pas la nouvelle ( autobiographique elle-aussi) intitulée Morphine. Ce sont donc six récits inspirés du séjour qu'a fait lui même Mikhaïl Boulgakov dans un hôpital civil de la province de Smolensk , où il avait été affecté en 1916. Situation un peu extrême du fait de l'isolement géographique et des conditions climatiques pour un jeune médecin fraichement diplômé mais sans aucune expérience pratique. Comme tous, donc. A partir de cas cliniques rencontrés , Boulgakov construit des récits d'un réalisme parfait, on s'y croirait.. Et surtout, parvient à transmettre ( peut être que cela parlera plus à certains qui ont déjà fait ce genre d'expériences d'une angoisse infinie, où on se sent tellement nuls)la différence entre savoir théorique et confrontation à des situations concrètes. Avec, dans la progression de ces récits, un cheminement qui est finalement toujours le même, la peur et l'obligation de l'affronter sous le regard de ceux qui vous prennent pour quelqu'un qui, du fait de ses pseudo-compétences , va dominer le problème ( et de là, l'intelligence de comprendre, il l'explique très bien, que finalement, les diplômes ça ne sert pas à grand chose, et qu'il faut absolument accepter l'aide de ceux qui n'ont pas le bout de papier, mais qui ont l'expérience), puis la réussite une fois, quelquefois par le plus grand des hasards.Et après une reprise de confiance en soi qui se termine toujours par une surestimation, et là, l'échec ( il n'y en a pas beaucoup, d'échecs vraiment graves dans ces récits, c'est dommage) , le retour sur terre et la nécessité de redémarrer .
La lecture de ces récits devrait être rendue obligatoire à tous les étudiants en médecine, ils sont très fins, très bien écrits bien sûr et même si l'on n'est plus dans la Russie de 1916, cela n'a aucune importance, la leçon donnée , l'expérience racontée n'ont ni âge ni lieu. | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Sam 7 Sep 2013 - 13:10 | |
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| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Mar 10 Mar 2015 - 22:48 | |
| - Coeur de chien (1925). Traduit du russe par M. Roman (2012). Editions Sillage. 155 pages. On trouvera plus bas deux comparaisons de traductions avec la version de Françoise Flamant (volume 1 des Oeuvres de Boulgakov dans la Pléiade). Il s'agit de la troisième nouvelle fantastique de Boulgakov écrite entre 1923 et 1925, après Endiablade et Les Œufs fatidiques (ou Les Oeufs du Destin). " L'imaginaire qui, dans Endiablade, est de nature onirique relève, dans Coeur de Chien, comme dans Les Oeufs du Destin, de l'anticipation scientifique terrifiante. Dans ces deux dernières nouvelles, un savant génial, émule russe du docteur Faust, est aiguillé par le hasard sur une découverte d'abord prometteuse, qui se révèle ensuite catastrophique pour l'humanité." (Françoise Flamant, Notice, La Pléiade, pages 1582-1583). Les découvertes scientifiques qui mènent à une catastrophe, on en trouve aussi, à la même époque, chez Karel Čapek. Voici le début de la nouvelle : Version M. Roman (Sillages) | Version F. Flamant (Pléiade) | "Ouh ouh ouh ouh ouh ouh ! Ouh ! Ouh ! Ouh ! Ah ! Regardez, regardez-moi, je meurs ! La tempête de neige sous ma porte cochère me hurle une dernière prière et je hurle avec elle. Je suis fini, fichu !" (page 17). | "Hou-ou-ou-ou-ou-ou-houhou-ouou ! Oh, regardez : vous me voyez ? je meurs ! La tempête, sous le porche, me rugit la prière des agonisants, et je la hurle en même temps. Je suis mort, fini !" (page 193) |
C'est le début de la nouvelle ; nous suivons un chien qui pense mourir de froid. Version M. Roman (Sillages) | Version F. Flamant (Pléiade) | "Le chien, pour sa part, ne quitta pas sa porte cochère ; souffrant de son flanc mutilé, il se colla contre le grand mur froid et, le souffle court, résolut de ne plus en bouger : il allait mourir ici, sous cette porte cochère. Le désespoir s'abattit sur lui. Le coeur chagrin, amer, en proie à la peur et à la solitude, il se mit à verser de petites larmes de chien, semblables à des pustules, qui séchaient aussitôt." (pages 20-21). | "Le chien, lui, resta sous le porche et, souffrant de son flanc mutilé, il se rencogna contre le grand mur glacé et là, le souffle coupé, il prit la ferme résolution de ne quitter cet endroit pour aucun autre ; c'était ici, sous ce porche, qu'il crèverait. Le désespoir l'avait mis K.O. Il avait le coeur si lourd et si douloureux, si grandes étaient sa peur et sa solitude, que de petites larmes de chien, telles de fines papules, lui sortirent des yeux, aussitôt séchées." (page 196)
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Mais voilà qu'un mystérieux individu s'approche... Et il a du bon saucisson, une Spécialité de Cracovie, ô joie ! - Citation :
- "Il s'étrangla aux larmes avec la neige et le saucisson : dans sa gloutonnerie, il avait manqué avaler la ficelle. Encore, encore ! Je vous lèche la main ! Je vous baise le pantalon, cher bienfaiteur !" (pages 23-24)
Notre ami canin suit l'homme, un certain Filipp Filippovitch, un professeur génial - il est un " fleuron de la science européenne", page 48 - qui a été épargné par le pouvoir soviétique. Il dispose d'un appartement de sept pièces ! Rapidement, le nouveau comité d'immeuble rapplique pour s'entretenir avec lui de la " compression des appartements" (page 43). C'est l'occasion d'un échange amusant : - Citation :
- "C'est justement de la salle à manger que nous voulions vous parler. L'assemblée générale vous demande de la céder, au nom de la discipline du travail. Personne n'a de salle à manger, à Moscou.
- Même pas Isadora Duncan ! piailla la fille." (page 44). Notre professeur envisage, un jour qu'il aura du temps, de se "livrer à une étude du cerveau pour démontrer que toute cette agitation sociale relève au fond d'une forme de délire." (page 53). Il parle des événements qui ont commencé en 1917... Etre génial ne suffit pas. Il a surtout du piston, et va donc s'en tirer, après quoi il va pouvoir passer à table et bien manger : caviar, vodka... Il discute avec un collègue : - Citation :
- "Remarquez, Ivan Arnoldovitch, qu'il n'y a que les derniers hobereaux non encore massacrés par les bolchéviques pour prendre en entrée des zakouskis froids et de la soupe. Un individu qui se respecte opère avec des zakouskis chauds." (page 50).
Et là, hop, notre ami le chien profite de la générosité du professeur. Mais, au fait, pourquoi est-il là, notre ami canin ? Le professeur aurait-il fait preuve de charité ? Pas exactement, bien sûr. Il conduit avec beaucoup de succès des expériences sur le rajeunissement, et il se trouve qu'il a besoin d'un cobaye pour une opération stupéfiante... qui donnera des résultats incroyables et totalement inattendus. L'Humanité pourra en être changée ! Par contre, ce qui est beaucoup plus attendu, c'est que le texte n'a pas franchi le cap de la censure (il est même difficilement imaginable d'oser soumettre à la censure un texte pareil en 1925). Sergei Chepik, Portrait de Mikhail Boulgakov, 2006-2007. Technique mixte sur papier. Françoise Flamant insiste sur la diversité des procédés et des styles de la nouvelle. "Le discours prêté aux personnages tantôt se réduit au cri inarticulé ou à l'imprécation, tantôt inclut des bribes d'opéra ou de mélodies classiques, parodie tour à tour la langue de bois marxiste-léniniste, le slogan, le genre des propos de table, se coule dans celui de l'entretien philosophique." (page 1583). La version de M. Roman est souvent plus amusante que la version Flamant. Par exemple, on a " Nom d'un chien" (page 107) au lieu de " Mon Dieu" (Pléiade, page 261). Coeur de chien est une très bonne nouvelle, très amusante, très efficace. Le caractère satirique est évident. Une partie nous échappe forcément : les allusions à des personnages connus de l'époque, tout d'abord. Mais pas seulement. Ainsi, à un moment, Filipp Filippovitch et son collègue, face à une certaine situation problématique (sans trop en dire...), adoptent deux attitudes différentes, illustrant ainsi " chacun une étape dans l'évolution de l'intelligentsia de l'idéalisme à l'idéologie." (Pléiade, notice, page 1593). Le lecteur moyen entrevoit l'ampleur de ce qui lui avait échappé... Mais il y a encore beaucoup plus. C'est ce que nous apprend F. Flamand, toujours dans sa notice de l'édition Pléiade : " La cohérence de nombreux signaux dispersés dans le texte autorise en effet une lecture biblique - sinon « orthodoxe » de la nouvelle." (page 1588). Ce qu'elle en écrit est extrêmement convaincant, et finalement bluffant quand on y réfléchit après coup. Et comme ce n'est pas encore tout, elle parle aussi précisément des relations avec Les Douze, le poème d'Alexandre Blok... Sans compter que certains ont aussi établi des relations avec Les Frères Karamazov... La richesse du texte est finalement assez incroyable mais pas forcément visible sans les explications adéquates (merci à la notice de la Pléiade...). "[...] tout cela fait de Coeur de chien, dans le genre de la nouvelle, une oeuvre tout aussi magistrale que Le Maître et Marguerite". (page 1594).
Dernière édition par eXPie le Jeu 12 Mar 2015 - 8:13, édité 1 fois | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Mar 10 Mar 2015 - 22:52 | |
| - colimasson a écrit:
- semble avoir été assez grotesque pour éviter la censure.
En fait, il n'a pas évité la censure, le texte n'a pas été publié du vivant de Boulgakov (comme un paquet de ses oeuvres, d'ailleurs). - colimasson a écrit:
- Enfin, le meilleur pour la fin (le médecin demandant à l’homme-chien de sa création le nom qu’il désire adopter) :
« -Alors, quel nom souhaitez-vous prendre ? L’homme rectifia son nœud de cravate et répondit : -Polygraphe Polygraphovitch. -Ne faites pas l’imbécile, répondit Philippe Philippovitch, l’air sombre. »
Une analyse de l'oeuvre très intéressante : ICI Je ne sais pas si c'est expliqué dans la version que tu as lue, mais une note de la Pléiade explique : " Le calendrier soviétique avait remplacé les noms de saints par ceux de grandes réalisations économiques et sociales. « Poligraf » désigne l'Imprimerie d'Etat. [...]" Ainsi, on comprend mieux le burlesque de la chose. Suite de la note : " Le choix de ce prénom bizarre et le commentaire auquel il donne lieu sont aussi un clin d'oeil adressé à Gogol : dans le Manteau, le prénom du héros et son patronyme sont redondants, le prénom est choisi par sa mère dans le calendrier parmi plusieurs noms de saints rarement usités." Il faudra vraiment que je relise Gogol... | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Sam 14 Mar 2015 - 21:02 | |
| Merci eXPie pour ta lecture avisée et minutieuse. Les commentaires de la Pléiade semblent vraiment indispensables... je remarque être passée à côté de beaucoup plus de choses que je ne le pensais... | |
| | | Avalon Espoir postal
Messages : 17 Inscription le : 04/04/2016 Age : 40 Localisation : Nantes
| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] Lun 11 Avr 2016 - 19:14 | |
| Je débute la lecture du Maître et Marguerite, dans une versions sans annotation. Il se peut que je passe donc à côté de pas mal de subtilités ! Le début du roman est effectivement assez étrange, énigmatique, on se demande où l'écrivain souhaite nous mener ! Un personnage meurt violemment à peine introduit, un autre devient fou, tout cela entrecoupé par un étrange récit sur Ponce Pilate. A voir ce que réserve la suite ! | |
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| Sujet: Re: Mikhaïl Boulgakov [Russie] | |
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| | | | Mikhaïl Boulgakov [Russie] | |
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