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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
Littérature, forum littéraire : passion, imaginaire, partage et liberté. Ce forum livre l’émotion littéraire. Parlez d’écrivains, du plaisir livres, de littérature : romans, poèmes…ou d’arts…
Un soir de pauvreté comme il en est encore Dans les rapports de mer et les hôtels meublés Il arrive qu'on pense à des femmes capables De vous grandir en un instant de vous lancer Par-dessus le feston doré des balustrades Vers un monde de rocs et de vaisseaux hantés Les filles de la pluie sont douces si je hèle À travers un brouillard infiniment glacé Leur corps qui se refuse et la noire dentelle Qui pend de leurs cheveux comme un oiseau blessé Nous ne dormirons pas dans des chambres offertes À la complicité nocturne des amants Nous avons en commun dans les cryptes d'eau verte Le hamac déchiré du même bâtiment Et nous veillons sur nous comme on voit les pleureuses Dans le temps d'un amour vêtu de cécité À genoux dans la gloire obscure des veilleuses Réchauffé de leurs mains le front prédestiné.
(Extrait de "Poésie la vie entière", œuvres poétiques complètes"/Seghers)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Ven 27 Jan 2012 - 13:58
Lettre à Jules Supervielle
Je pense à vous ce soir Jules Supervielle Je pense à vous et c'est l'automne en ce pays C'est toujours à tort que l'on parle l'amour en tête Mais je vous parle Jules Supervielle
Entre nous de longs enfants des filles de préférence Des grandes journées en Uruguay Les flammes de la pampa
Je pense aussi à Oloron le gave lèche les pierres J'y fus fus voici combien d'années C'était à la Maison Pommé Il y mourait des jeunes gens
J'aime ces pays dont vous parlez et qui ont l'allure des femmes On dit que les chevaux s'emballent Comme un foulard à la portière du wagon
Pardonnez-moi Jules Supervielle je devais écrire un article Où j'aurais dit la grande la douce solitude de vos écrits Et je me laisse soudain aller à quelque chose d'informe comme un poème Simplement parce que j'ai vos livres sous les yeux et que je vous aime
Ah voyez-vous c'est difficile de s'interdire Dans cette vie quelques minutes de loisir Et de parler à coeur ouvert à un ami qui vous ignore Comme on peut avec les ridicules moyens du bord
Je me suis dit ce soir après l'école ne tarde pas Il y a un ami qui t'attend Il est là-haut dans ta chambre avec toutes sortes d'animaux J'entendais un grand pas partout dans la maison Et vous marchiez peut-être à ce moment dans la rue Vital Ou dans un chemin creux de Saint-Gervais-la-Forêt Qui est sûrement un patelin merveilleux
J'ai dit parlant aux ombres qui voyagent Voici la pomme et la statue Et voici Jules Supervielle Ah vous voici cher Supervielle dans le miroir à peine éclos de la fenêtre Ecartelé avec ce monde qui bat en vous sur le côté
Voici Jules Supervielle dis-je et dans la certitude obs- cure de demain Enfin voici un grand bonhomme sur le chemin Une silhouette jeune comme le vent et la luzerne Voici la haute lanterne là-bas dans le domaine du cheval Voici l'auberge le rendez-vous de tous les jours et le festin le plus original
Ah Saisir Et rien n'échappe à ce grand corps qui se redresse Aussi haut que la pomme et le sein des déesses
Dans l'étendue lunaire et sans spectacle A vous seul comme vous en faites des miracles
Bien sur vous n'attendiez rien de moi Car l'on n'attend rien de personne Je vous écris depuis longtemps C'est un bonheur de vous écrire
Il semble un peu qu'on se rapproche de ces pays qui n'ont un sens qu'à travers vous On marche aux pas des animaux faciles Parmi tous les amis connus et inconnus
Il y a celui-là si grand qui nous rassemble L'homme pareil à l'Homme La troublante effigie
Et malgré tout je n'ai rien dit de mon amour Jules Supervielle.
(Extrait de "L'Aventure n'attend pas le destin")
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Sam 28 Jan 2012 - 13:25
Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires Dans les années de sécheresse quand le blé Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait Vers toi que je portais déjà sur mes épaules Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encore que par quelques paupières Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées Je ne voyais en toi que cette solitude Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie Ce grand tapage matinal qui m'éveillait Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays Ces astres ces millions d'astres qui se levaient
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères Où nous allions tous deux enlacés par les rues
Tu venais de si loin derrière ton visage Que je ne savais plus à chaque battement Si mon cœur durerait jusqu'au temps de toi-même Où tu serais en moi plus forte que mon sang.
1945
(Extrait de "Quatre poèmes d'amour à Hélène" )
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Dim 29 Jan 2012 - 16:12
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui Que chaque nœud du bois renferme davantage De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt II suffit qu'une lampe pose son cou de femme A la tombée du soir contre un angle verni Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris Car tel est le bonheur de cette solitude Qu'une caresse toute plate de la main Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes La légèreté d'un arbre dans le matin.
(Extrait de "Les biens de ce monde")
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: René Guy Cadou Lun 30 Jan 2012 - 8:12
merci Constance !
ce dernier extrait me plait beaucoup (II suffit qu'une lampe pose son cou de femme)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Lun 30 Jan 2012 - 11:55
Bédoulène a écrit:
merci Constance !
ce dernier extrait me plait beaucoup (II suffit qu'une lampe pose son cou de femme)
En la poésie de Cadou, grâce et délicatesse tiennent du divin.
L'enfant précoce
Une lampe naquit sous la mer Un oiseau chanta Alors dans un village reculé Une petite fille se mit à écrire Pour elle seule Le plus beau poème Elle n'avait pas appris l'orthographe Elle dessinait dans le sable Des locomotives Et des wagons pleins de soleil Elle affrontait les arbres gauchement Avec des majuscules enlacées et des cœurs Elle ne disait rien de l'amour Pour ne pas mentir Et quand le soir descendait en elle Par ses joues Elle appelait son chien doucement Et disait "Et maintenant cherche ta vie "
(Extrait de "Les amis d'enfance")
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Mer 1 Fév 2012 - 9:55
Ravensbrück
A Ravensbrück en Allemagne On torture on brûle les femmes
On leur a coupé les cheveux Qui donnaient la lumière au monde
On les a couvertes de honte Mais leur amour vaut ce qu'il veut
La nuit le gel tombe sur elles La main qui porte son couteau
Elles voient des amis fidèles Cachés dans les plis du drapeau
Elles voient Le bourreau qui veille A peur soudain de ces regards
Elles sont loin dans le soleil Et ont espoir en notre espoir
(Extrait de "Pleine poitrine")
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Ven 3 Fév 2012 - 21:15
A Pierre Reverdy
Ami Pour mesurer la parole et la fièvre Je me perche A la fraicheur rafraîchissante de tes lèvres
Je traverse d'un bond les pampas de ton coeur Sans aile je te prends des plumes tes couleurs
Tu fermes l'horizon Et le port de Solesme Je ne sais plus si c'est ton silence que j'aime Le ciel sous le hangar Ou le triste jardin comme un guide de départ
Je t'aperçois Tirant vers la nuit ton échelle La bouche de ton sang s'accroche à la tonnelle Et tu dis Suppliant les aubes d'avancer Regardez C'est la vie qui vient de commencer.
(Extrait de "La vie rêvée")
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Sam 4 Fév 2012 - 10:26
La nuit surtout
La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois J'entends je marche au bord du trou J'entends gronder Ce sont les pierres qui se détachent des années La nuit nul ne prend garde C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde Et rien ne vivra plus en moi Comme un moulin qui tourne à vide L'éternité De grandes belles filles qui ne sont pas nées Se donneront pour rien dans les bois Des hommes que je ne connaîtrai jamais Battront les cartes sous la lampe un soir de gel Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel ? Les lunes et les siècles passeront Un million d'années ce n'est rien Mais ne plus avoir ce tremblement de la main Qui se dispose à cueillir des oeufs dans la haie Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait Et toujours la même heure imbécile à la montre Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit Je suis debout dans la nuit noire et je m'agrippe A des lampions à des fantômes pas solides Où la lucarne ? Je veux fuir ! Où l'écoutille ? Et je m'attache à cette étoile qui scintille Comme un silex en pointe dans le flanc Ivrogne de la vie qui conjugue au présent Le liseron du jour et le fer de la grille
(Extrait de "Le diable et son train", in Comme un oiseau dans la tête/ Coll.Points)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Dim 5 Fév 2012 - 19:53
Toujours
Tu peux bien m'enfermer Dans la neige et les fleurs Me défendre d'aimer Une saison nouvelle Je regarde le ciel Et je te porte en moi
Tu sauves les vergers Ton rire mieux qu'une aile Apprivoise en passant Une étoile égarée Les lièvres les oiseaux Boivent dans tes prunelles
Tu es toute la vie La glaise et le feuillage Si j'écarte le vent Je trouve ton visage Dormant comme un ruisseau Plein de frai lumineux
Ta main va se poser Sur ma plus haute branche Tu plantes des bleuets Tout autour de mes yeux. L'océan accompagne Au loin ta robe blanche
(Extrait de "La Vie rêvée", in "Comme un oiseau dans la tête" / Collec.Points)
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: René Guy Cadou Dim 5 Fév 2012 - 21:27
La nuit surtout est un très joli texte. J'ai un peu plus de mal à accrocher aux autres... Je les lis en ayant l'impression que le charme est toujours sur le point d'agir, mais j'atteins la fin du poème sans que ce ne soit le cas. Merci Constance de partager ces textes avec nous.
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Lun 6 Fév 2012 - 11:54
La rencontre avec un poète se fait ou ne se fait pas, Colimasson. Néanmoins, certains rendez vous se doivent d'être différés pour pouvoir les savourer.
Et en musique ?
Hélène Cadou dans les années quarante
Les chevaux de l’amour
Les chevaux de l'amour me parlent de rencontres Qu'ils font en revenant par des chemins déserts Une femme inconnue les arrête et les baigne D'un regard douloureux tout chargé de forêts
Méfie-toi disent-ils sa tristesse est la nôtre Et pour avoir aimé une telle douleur Tu ne marcheras plus tête nue sous les branches Sans savoir que le poids de la vie est sur toi
Mais je marche et je sais que tes mains me répondent Ô femme dans le clair prétexte des bourgeons Et que tu n'attends pas que les fibres se soudent Pour amoureusement y graver nos prénoms
Tu roules sous tes doigts comme des pommes vertes De soleil en soleil les joues grises du temps Et poses sur les yeux fatigués des villages La bonne taie d’un long sommeil de bois dormant Montre tes seins que je vois vivre en pleine neige La bête des glaciers qui porte sur le front Le double anneau du jour et la douceur de n'être Qu'une bête aux yeux doux dont on touche le fond
Telle tu m'apparais que mon amour figure Un arbre descendu dans le chaud de l’été Comme une tentation adorable qui dure Le temps d’une seconde et d’une éternité.
(In Quatre poèmes d'amour à Hélène, 1945)
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Mar 7 Fév 2012 - 21:07
Veux-tu je te prendrai en travers de ma selle Je te prendrai ou si tu veux te jetterai Comme une bonne couverture de laine Sur mon cheval je te prendrai
Je te prendrai à ta famille A la fenêtre où tu souris
Je te prendrai à ta coquille Douce perle de la nuit
Je te prendrai comme un long bain qui se prolonge Très tard dans les après-midi d'été Dans un haut-lieu couvert de feuilles ma colombe Je te prendrai je partirai
Je partirai sans rien savoir du paysage Ni des forêts d'automne traversées La main posée sur l'encolure de ma bête Comme un petit oiseau fâché
Je partirai pour mieux t'avoir à bout de course Un matin dans la grande solitude des prés Tu glisseras dans mes genoux comme une source Je te prendrai je partirai.
(Hélène ou le Règne végétal)
Hélène fut également une grande poétesse, dont l'oeuvre est reconnue :
Près du noyer prends garde à l'ombre
l'herbe est profonde sous tes pas les œufs fragiles dans ta main
une barque attend derrière le mur
il est de l'autre côté depuis l'hiver
quelqu'un l'a vu dans le petit matin au bord du pré l'eau de vie brûlait le ciel
les cuivres ne chanteront plus.
Hélène Cadou
(49 poèmes, Editions Jacques Brémond)
Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
Sujet: Re: René Guy Cadou Mar 7 Fév 2012 - 22:16
une belle Femme Hélène !
avec moi la rencontre se fait
merci Constance
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: René Guy Cadou Mar 7 Fév 2012 - 22:25
Pas un instant, je n'ai douté de cette rencontre, Bédoulène.