C'est quoi, une civilisation?

Je ne sais pas.
Un "je ne sais pas" qui peut être l'occasion d'une bibliographie sélective hors polémique autour de :
Je n'ai pas lu les titres qui suivent mais Steven citait le livre d'Amin Maalouf : Les identités meurtrières.
Constance évoquait Edgar Morin.
Il y a Le Malaise des civilisations de Freud et L'Homme et la ville d'Henri Laborit (chez qui l'urbanisation accompagne la civilisation).

Bourdieu, dont on vient de commémorer les dix ans "après", en a-t-il parler?

Un excellent article de la revue internet "Herodote" :

Citation :

Vous avez dit «civilisations» ?...

À Paris, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a déclaré le 4 février 2012, devant des représentants d’une association étudiante : «Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas (…). Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique».

Le propos a fait polémique en raison du flou qui entoure le mot «civilisations» (au pluriel). Que recouvre ce mot, que le ministre français a employé sciemment en lieu et place du mot «sociétés» ?


Pour nous éclairer, nous nous sommes tournés vers nos grands ancêtres et vers l’un des historiens les plus illustres du XXe siècle, le britannique Arnold Toynbee (1889-1975), auteur d’une Étude de l’Histoire en 12 volumes.
Ainsi comprendrons-nous un peu mieux notre monde, au passé, au présent et au futur.

André Larané, avec la contribution d'Isabelle Grégor

La suite : ICI



En voici la conclusion qui devrait faire réfléchir certains tenants de la hiérarchie des civilisations :

Citation :

La civilisation occidentale, moins ancienne que les précédentes puisqu'elle n'a qu'un millénaire, aura-t-elle la même capacité de résistance que l'Extrême-Orient, tirera-t-elle de nouveaux profits de son ouverture au monde comme les Indes, ou succombera-t-elle à sa curiosité insatiable comme le Mexique des Aztèques ?

Nul ne peut le dire mais l'on peut conclure sans trop de risque sur une antienne :

«Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...). Tout ne s'est pas perdu mais tout s'est senti périr. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe (...)».
Publié en avril 1919 dans "La Crise de l'esprit", ce texte a été inspiré à Paul Valéry par la catastrophe de la Grande Guerre.

Amin Maalouf :

Citation :

En tout homme se rencontrent des appartenances multiples qui s'opposent parfois entre elles et le contraignent à des choix déchirants. Pour certains, la chose est évidente au premier coup d'œil ; pour d'autres, il faut faire l'effort d'y regarder de plus près. Qui, dans l'Europe d'aujourd'hui, ne perçoit pas un tiraillement, qui va nécessairement augmenter, entre son appartenance à une nation plusieurs fois séculaire - la France, l'Espagne, le Danemark, l'Angleterre... - et son appartenance à l'ensemble continental qui se construit ? Et que d'Européens ressentent aussi, du Pays basque jusqu'à l'Ecosse, une appartenance puissante, profonde, à une région, à son peuple, à son histoire et à sa langue ? Qui, aux Etats-Unis, peut encore envisager sa place dans la société sans référence à ses attaches antérieures - africaines, hispaniques, irlandaises, juives, italiennes, polonaises ou autres ? Cela dit, je veux bien admettre que les premiers exemples que j'ai choisis ont quelque chose de particulier. Tous concernent des êtres portant en eux des appartenances qui, aujourd'hui, s'affrontent violemment; des êtres frontaliers, en quelque sorte, traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou autres. En raison même de cette situation, que je n'ose appeler « privilégiée ». ils ont un rôle à jouer pour tisser des liens, dissiper des malentendus, raisonner les uns, tempérer les autres, aplanir, raccommoder ... Ils ont pour vocation d'être des traits d'union, des passerelles, des médiateurs entre les diverses communautés, les diverses cultures. Et c'est justement pour cela que leur dilemme est lourd de signification :
si ces personnes elles-mêmes ne peuvent assumer leurs appartenances multiples, si elles sont constamment mises en demeure de choisir leur camp, sommées de réintégrer les rangs de leur tribu, alors nous sommes en droit de nous inquiéter sur le fonctionnement du monde. « Mises en demeure de choisir », « sommées », lisais-je. Sommées par qui ? Pas seulement par le$ fanatiques et les xénophobes de tous bords, mais par vous et moi, par chacun d'entre nous. A cause, justement, de ces habitudes de pensée et d'expression si ancrées en nous tous, à cause de cette conception étroite, exclusive, bigote, simpliste qui réduit l'identité entière à une seule appartenance, proclamée avec rage. C'est ainsi que l'on « fabrique» des massacres, ai-je envie de crier ! Une affirmation un peu brusque, je l'admets, mais que je me propose d’expliciter dans les pages qui suivent.

Est-ce qu'une société civilisée ne se devrait-elle pas de permettre à chacun de trouver sa place, dans le respect de sa personnalité multiple, respect qui serait alors réciproque. L'exacerbation de la laïcité à la française, plus facteur d'exclusion que d'intégration, tel qu'il est mis en avant depuis quelques années n'est guerre constructeur d'une civilisation ouverte sur l'autre, plutôt que recroquevillée sur elle-même.

Hors sujet :
Il était une fois, mon sujet à l’oral du bac d’histoire : « Qu’est qu’une civilisation ? Qu’est qu’une culture ? »
Mais qu’est-ce que j’ai bien pu raconter à l’examinateur et pour cause à part le livre de Freud aucun des autres bouquins n’avait été écrit à l’époque

Civilisation, Chute de Civilisation, juste un à parte, on a tous appris que les romains avaient fortifié les limes pour se protéger des "invasions barbares", étranges bégaiements de l'histoire ne trouvez vous pas avec ces états européens qui construisent des murs le long de leurs frontières, certains y voient un recours contre la peur d'un envahissement, j'y vois un échec flagrant de la diplomatie...

En y pensant, à cette époque et à ce lieu, sommes-nous toujours bien encore en présence de toutes les caractéristiques qui ont fondé, par de longs cheminements, l'imparfaite mais parfois très aboutie sagesse humaine, socle commun civilisateur ?
 
Dans la notion même de civilisation, il n'y a pas de rupture générationnelle érigée en valeur, mais un continuum, mur porteur de la cohésion, le contraire de l'égotisme-jouisseur affranchi d'histoire et de lien, prôné comme nec plus ultra aujourd'hui.
Il y a un sacré, qui n'est ni méprisable ni arriéré si susceptible d'être sans cesse foulé aux pieds au nom d'une pseudo liberté d'expression magnifiquement bien démontée par Ellul dans la vidéo ci-dessous, qui consiste en une liberté d'éructer une violence verbale, de s'approprier une pseudo-puissance, et aussi d'abrutissement dérivatif de l'ordre de l'amusement/entertainment, au service de la pensée technicienne.
Cet ensemble, outre qu'il a supprimé toute spiritualité stricto sensu, a pris le pas sur notre liberté de penser (je rejoins tout à fait J Ellul), tout en nous laissant croire juste l'opposé.
Il y a une agriculture de type polyculture vivrière et traditionnelle, non industrielle et non capitalisée à fin spéculatives, pas au service de l'exportation au seul usage des détenteurs de la richesse.

Il y a, en outre, un rapport à la nature, le seul vrai biotope humain en somme, si l'on résume Ellul, dans les passages les plus accusateurs et sans doute les plus difficiles à digérer pour les anthropocentristes vainqueurs-asservisseurs puis pilleurs inconscients et court-termistes de la création que nous sommes devenus.

Dans la notion même de civilisation, il n'y a pas de flux globalisant-drainant, encore moins de déracinement:
Stade dépassé d'ailleurs, on en est à la culture humaine hors-sol de l'homo sapiens sapiens, et bien sûr il n'y a pas de chosification de l'être humain, ce qui nous ramène au message de Sullien d'hier 17:50 dans le topic "Vie de merde", et son lien frappant (mais on pourrait multiplier les exemples et illustrations)

Sullien a écrit:

Il faudrait un fil coup de gueule du jour.

Des SDF transformés en bornes wifi, ici, ou quand on décide de supprimer la distinction homme/objet.
Ce monde est à vomir.

"Je préfère jeûner avec les aigles que picorer avec les poules" a presque valeur de devise pour moi.
Même si, vivant et travaillant dans un lieu déterminé à une époque déterminée, et "ayant charge de famille", pour prendre une expression parlante mais très désuète, j'en suis à faire mes arrangements, mes concessions, d'ordre -disons- civilisationnel.
Mais de cet aspect-là aussi Ellul nous entretient.

Si vous avez une grosse demi-heure, ça vaut le coup:

(en bonus quelques images vintage Bordeaux années '80s )

je ne suis pas très convaincu et je ne crois pas aux visions trop positives du avant. il y a quelques gros siècles la France c'était des forêts, on n'a pas attendu hier pour couper des arbres, maintenant on replante. quand s'est on trompé ?

les peuplades dites primitives n'ont elles pas réduit à néant des espèces locales ou des voisins ?

les "parisiens" prennent tous une voiture pour aller comme des moutons voir la Méditerranée : ne faisaient ils pas déjà tous plus ou moins la même chose, autre chose mais la même chose les uns les autres bien avant la voiture ?

la technique c'est une chose mais ça ne fait pas tout, les logiques et mythes de profit et tout ce qui va avec c'en est une autre selon moi et de ce côté on peut considérer qu'on vit peut-être bien à la suite de quelques générations maintenant.

je ne vais pas pouvoir tout écouter mais je suis un peu déçu par cette écoute de Jacques Ellul.

avec quelques développements (parcours) de la wiki page c'est plus stimulant. d'éventuelles suggestions de lecture (des fois que) ?

Juste une petite précision : Jacques Ellul ne critique pas la technique en soi, il critique juste l'idée selon la quelle la technique est nécessairement génératrice de progrès. Or pour lui elle n'est ni positive, ni négative, ni neutre, elle est ambivalente. C'est d'ailleurs ce qui en fera un grand critique de Marx.

Comme le dit très bien ce commentateur d'Ellul :

http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-revolutions-14-jacques-ellul-exister-c-est-resister

animal a écrit:

avec quelques développements (parcours) de la wiki page c'est plus stimulant. d'éventuelles suggestions de lecture (des fois que) ?

Peut être l'essai de Samuel Huntington : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, le Choc des Civilisations, peut être pas si vieux que cela ce bouquin après tout....

Hannah Arendt : La crise de la culture
Condition de l'homme moderne.

Condorcet : Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain

ce n'est pas la critique de la technique qui me poserait problème mais plus la vision angélique d'un passé (pour faire sommaire) qui ressort de la vidéo. le raccourci possible de la technicité est aussi un vaste sujet c'est vrai.

(je voulais une suggestion de lecture de Ellul moi !)

Le bluff technologique
Le système technicien

sont des références pour comprendre Ellul. Et sont les plus accessibles à mon avis.