Si vous en avez l'opportunité, poussez jusqu'à Lille pour vous baigner dans cette exposition qui n'est pas gigantesque , mais à laquelle l'unité thématique donne âme et densité.
On est accueilli dans l'immense halle du Palais des Beaux-Arts de Lille, aux voûtes majestueuses, par deux lustres gigantesques et colorés,
Deux sacs pour Lille, installés par Gaetano PESCE.
On chemine ensuite dans les premières salles, où les céramiques, présentées telles des pierres dressées, expriment la volonté du musée d'allier la qualité des œuvres à la qualité de leur présentation, de jouer avec l’espace des salles d'un gigantisme austère et solennel.
On passe ensuite dans une partie reconstruite, où le béton est roi, à la fois doux et gris, dans une sobriété majestueuse. Par quelques marches monumentales, on descend vers le géant tableau d’ Anselm Kiefer, très structuré, aux confins du représentatif et de l’abstrait, où les épaisseurs de peintures donnent à l’architecture relief et luminosité . On prend le temps de se perdre dans ce monde de chaos déshabité.
On entre ensuite dans l'unique salle d'exposition, vaste bunker, aveugle mais lumineux, où l'espace muséographique est découpé en zones thématiques, délimitées par des barrières à claire voie. Celles-ci, tout à la fois séparations et cimaises pour les œuvres, sont constituées de pieux peints en rouge, de tailles inégales, levés vers le ciel. Là s’ordonnent selon un acheminement réfléchi 85 œuvres d'artistes du XXe et XXIe siècles : photos, photomontages, tableaux, sculptures, installations, vidéos, planches de BD…
La première œuvre proposée est la reproduction de La tour de
Babel de Pieter Brueghel, seule œuvre non contemporaine, signant, au-delà de l'universalité du thème choisi, son omniprésence temporelle. Le format très agrandi de la photographie, permet de profiter de la finesse hallucinante des détails.
La tour de
Babel fut construite par l'effort conjugué des hommes rescapés du déluge. L’œuvre aurait dû être le symbole de l'intelligence et de la solidarité humaine, œuvre puissante et complexe d'une multitude.
Claude Courtecuisse Babel axonométrique
Wolfe Von Lenkiewicz Heaven is Made of Iron, 2012 102 x 84 cm
Hilary Bersteh, Programmed liveCertains artistes s’en tiennent à une représentation plus ou moins classique de la tour de
Babel, d’autres se tournent vers des représentations fantastiques voire fantasmagoriques
Claude Genisson, Tour de Babel 1963-1974
Gilles Barbier, Sans titre (Tour de Babel) 2004
Yang Yongliang, Heavenly city, 2008Des videos de Samuel Rousseau : Brave Old New York, ICI sont extraites les deux images suivantes
On pense aussi à nos constructeurs de cathédrales, avec Wim Delvoye, 1965
Mais c'est La Tour est aussi l'expression d'une dérive, car les humains, dans leur faiblesse, ne sûrent rester modestes, courant peu à peu après des chimères de grandeur et de puissance. Ce délire de grandeur , cette utopie est nous parle d’autre dérives.
Artificial wonderlands, Yang Yongliang
Florian Joye, Bawadi, de la série Desert Gate, 2006, 62,5x80 cm Tout ce qui évoque le grouillement, le gigantisme, la multitude, la démesure, et par là la perte d’une certaine humanité, nous parle de la tour de
Babel Thomas Kneubühler, office 4, 2000
Eric De Ville, Eden garden Jean-François Rauzier, Versailles, 2009
Série de Eric De Ville sur la Tour de Bruxelles
.Xiang Liqing - Rock Never, 2002
Eric de Ville - Intimité (2008) Le beau projet courut donc à l'échec, d'autant que Dieu, qui avait demandé aux hommes de se répandre sur la terre, décida de les punir pour leur désobéissance, mais aussi leur bassesse, leur inconséquence, leur vanité, les dispersant pour marquer sa puissance. Ainsi de ce qui devait être un symbole d'intelligence, de savoirs et de sagesses naquirent les langues et les différents peuples de la terre.
Bien que cela n'apparaisse pas dans le récit biblique, la tradition considère que la tour de
Babel fut détruite et quels sont pas s'attendre s'apparentent donc aussi dans l'imaginaire à la destruction, à la ruine, au chaos
Liang Yongliang, Greece
Vik Munit, The tower of Babel after Pieter Brueghel
John Isaacs, The Architecture of Aspiration, 2003
… à un monde déshabité et inhumain
Artifial wonderland, Liang Yongliang
Vik Muni, www picture of junk, 2008
Des analogies se construisent avec d’autres déchaînements de la colère divine
...avec les tours jumelles
Zhenjun Du, L'accident, 2010
Jean-François Rauzier, Abu Dhabi towers…avec la bombe atomique
Yang Yongliang, Haevently city…avec la Shoah bien sûr
Ces deux images sont des détails de l’œuvre de Jake et Dinos CHAPMAN, No woman no cry, dont vous pourrez mieux appréhender l’horreur et la démesure dans la video ICI
Mais la Tour de
Babel a aussi à voir avec le langage, le savoir, la connaissance et la culture universels
Installation de Jakob GAUTEL
Gilles Barbier, Le monde en forme d’histoires tissées (la goutte), 2010
Bibliothèque idéale - Jean François RAUZIER, 2009
François Schuiten (1956)Et donc, nous rappelle le devoir de mémoire
Archief 2 – 2007 - Marjan Teeuwen
Archief 3 – 2007 - Marjan Teeuwen
Jean-François Rauzier, Montjuic - 300x170, 2010 Symbole de la vanité de la puissance, la Tour de
Babel abandonne les hommes dans leur impuissance et leur multitude, tenus à une humble vigilance.
New York project de Janine Von ThungenUne thématique unique, s'organisant autour de symbolisations multiples, comme toute représentation mythologique (théologique ?), des choix d'artistes exigeants aux multiples formes de d'expression. Cette exposition aussi instructive qu’émotionnellement forte exerce sur le visiteur, pris pour intelligent, une fascination durable ou le sens et la curiosité sont pleinement rassasiées
Zhenjun Du, Old Europe, 2010Je précise que je suis très astucieusement arrivée à l’exposition avec mon appareil photo dont la batterie était vide
, et que toutes les photos viennent d'internet.