Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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 Michel Tournier

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colimasson
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyDim 27 Sep 2015 - 22:09

Le Roi des Aulnes (1970)


tournier - Michel Tournier - Page 2 Cvt_le10

Pour devenir le Roi, il aura fallu jeter une femme, une profession, une image sociale, et s’enfermer à l’écoute des élans profonds de son être. Retrouver la beauté qu’on espère. Tiffauges aperçoit le diamant pur, encore intact, dans l’âme et le corps de l’enfant.


On craindrait de se perdre dans cet idéalisme qui sonne creux mais le parcours de Tiffauges procède d’un accomplissement qui a tous les attributs du matérialisme.  Sa conversion est progressive. Sans crise mystique, elle ne résulte pas d’une crise consciente mais d’une épreuve de vie lentement destructive, érodée jusqu’à ce que l’ultime goutte d’aigreur ne vienne faire déborder un vase prêt à rompre. La seconde guerre mondiale représente cette rupture avec le monde précédent et donne la possibilité à Tiffauges d’embrasser une nouvelle vie. La réalisation spirituelle s’accomplit par le biais d’un matérialisme entier fait de corps en chair et en os, d’animaux puissants et de viande crue, d’appétit orgiaque, de fleuves de laits, de petites têtes tondues et de théorisation sanguine. Comme l’écrit Michel Tournier lui-même, ce parcours se fait comprendre comme  « la destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l’œuvre décapante d’une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l’être et de la vie, puis sur cette table rase la création d’un monde nouveau sous forme d’essais, de coups de sonde, de découvertes, d’évidences et d’extases ».


La figure de saint Christophe, ce héros géant qui traversa une rivière en portant sur ses épaules un petit garçon -le Christ-, guide Tiffauges dans sa réalisation depuis sa rupture avec Rachel jusqu’à sa réalisation en tant que maître d’une Napola. Dans ces écoles paramilitaires du IIIe Reich destinées à la formation de jeunes garçons, Tiffauges apprendra qu’il ne s’était jamais connu jusqu’alors.  Il n’était comme personne et il lui fallait connaître une vie comme aucune autre pour le savoir. Sa rupture avec Rachel, compagne à la fois tendre, brave et intelligente, figurait déjà l’instinct anticonformiste de Tiffauges. Ses illusions sur la sexualité et l’amour bourgeois étaient déjà mortes depuis longtemps mais il n’avait encore jamais réussi à en délaisser la pratique. Autre vie, autres mœurs. La guerre et le régime nazi lui font découvrir d’autres extases : l’alimentation crue, brute et animale, la défécation, la jouissance de se perdre jusqu’à se sentir soi, enfin la phorie. La phorie : porter littéralement et métaphoriquement, de jeunes garçons. Littéralement sur les épaules, se transformer en cheval vigoureux qui grise le cavalier. Métaphoriquement en maître, conduire le germe à son éclosion, l’enfant étant une promesse ouverte à une multitude de possibilités. En abandonnant la sexualité dans sa définition classique, Tiffauges découvre qu’il est possible de se lier plus authentiquement au monde. En vivant pour soi, rien que pour soi, sans femme qu’il faut aimer et dont il faut être aimé sous peine de perdre son sens, Tiffauges atteint la quintessence de la matière. A partir de là, la question de la révolution spirituelle ne se pose plus. Elle devient acte à son tour et nous convie à un banquet de belles chairs ondulantes, de reconnaissance pour la vie, de violence passionnée, rien qui ne contredira l’origine du nazisme mais tout qui condamnera la léthargie qui voulut s’y opposer, les compromis, et le sursaut alarmé.


tournier - Michel Tournier - Page 2 Maytre10
Peinture de Maître de Saint Christophe

En retenue, la métamorphose se prépare :

Citation :
« En vérité, je m’acquitte de mes fonctions –comme j’ai été soldat, comme j’ai eu des femmes, comme je paie mes impôts- en homme éteint, en somnambule, rêvant sans cesse d’un éveil, d’une rupture qui me libèrera et me permettra d’être enfin moi-même. […] Je l’ai dit, le masque tremble sur ma face. »

Citation :
« Il n’y a sans doute rien de plus émouvant dans une vie d’homme que la découverte fortuite de la perversion à laquelle il est voué. »


La chair crue :

Citation :
« Je compris que j’obéirais d’autant mieux à mes aspirations alimentaires que j’approcherais davantage l’idéal de la crudité absolue. […] J’ai compris ainsi l’attirance qu’ont toujours exercée sur moi ces étals et ces crochets qui exposent aux regards la farouche et colossale nudité des bêtes écorchées, les blocs de chair rutilante, les foies visqueux et métalliques, les poumons rosâtres et spongieux, l’intimité vermeille que révèlent les cuisses énormes des génisses obscènement écartelées, et surtout cette odeur de graisse froide et de sang caillé qui flotte sur ce carnage.
[…] Par ailleurs, la qualité de mon cœur sera attestée –s’il en était besoin- par un autre goût que j’ai, celui du lait. Ma gustation rendue à sa finesse originelle par la viande non cuite et non épicée, et qui sait découvrir des mondes de nuances sous la fadeur apparente des crudités, a trouvé matière à s’exercer dans le lait qui est devenu assez vite mon unique boisson. Il faut aller loin dans Paris pour trouver une crémerie dont le lait n’ait pas été tué par les pratiques infâmes de pasteurisation et d’homogénéisation ! En vérité, il faudrait aller à la ferme, à la vache, à la source même de ce liquide synonyme de vie, de tendresse, d’enfance, et sur lequel s’acharnent les hygiénistes, puritains, flics et autres pisse-vinaigre ! Moi, je veux un lait sur lequel flottent avec des remugles d’étable un poil et un fétu, signes d’authenticité. »


La défécation :

Citation :
« La constipation est une source majeure de morosité. Comme je comprends le Grand Siècle avec sa manie de clystères et de purges ! Ce dont l’homme prend le plus mal son parti, c’est d’être un sac d’excréments à deux pattes. A cela, seule une défécation heureuse, abondante et régulière pourrait remédier, mais combien chichement cette faveur nous est concédée ! »


Le principe de la phorie : une sublimation.

Citation :
Il ne me sied pas de nouer des relations individuelles avec tel ou tel enfant. Ces relations, quelles seraient-elles au demeurant ? Je pense qu'elles emprunteraient fatalement les voies faciles et toutes tracées soit de la paternité soit du sexe. Ma vocation est plus haute et plus générale.

Citation :
« Mon premier geste avec un enfant inconnu, c’est de lui poser la main sur la nuque, un peu plus bas que la nuque. Frêle ou musculeuse, frisée ou rase, cambrée ou ployante, cette racine essentielle est la clé à la fois de la tête et du corps. Elle me dit incontinent quelle résistance ou quels abandons je peux attendre. Le geste n’engage à rien et peut être rétracté sans bavures. Mais il peut aussi s’épanouir tout naturellement, prendre possession du dos, gagner les épaules, descendre jusqu’aux lombes, point d’équilibre pour le soulèvement de terre, l’enlèvement, le port. »

Citation :
« L'Enfant Jésus sur les épaules de Christophe est à la fois porté et emporté. C'est là tout son rayonnement. Il est enlevé de vive force, et très humblement et péniblement soutenu au-dessus des flots grondants. Et toute la gloire de Christophe est d'être à la fois bête de somme et ostensoir. Dans la traversée du fleuve, il y a du rapt et de la corvée. »
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 28 Sep 2015 - 19:09

Un ouvrage fort, très étrange. Je l'ai oublié dans la liste des livres qui m'avaient marqué honte
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ArturoBandini
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 28 Sep 2015 - 20:22

Je note, je l'ai dans ma PAL depuis un bail. J'avais bien aimé son Robinson, même si je préfère celui de Defoe.
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 28 Sep 2015 - 22:28

ArenSor a écrit:
Un ouvrage fort, très étrange. Je l'ai oublié dans la liste des livres qui m'avaient marqué honte

Arf,vais-je te pardonner ? Wink

ArturoBandini a écrit:
Je note, je l'ai dans ma PAL depuis un bail. J'avais bien aimé son Robinson, même si je préfère celui de Defoe.

Allez, go ! et moi faudrait que je lise son Robinson...
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyMer 4 Nov 2015 - 12:03

Au hasard d'une balade en voiture, je tombe sur la voix de Michel Tournier, qui parle magnifiquement de la solitude (à propos de son Robinson) : extrait de « Au cours de ces instants », France Culture, 20/02/1968 (à partir de 41:00).

« L’existence même est reliée au problème de la société et de la solitude. Autrui est le gage de la stabilité des choses et de l’existence des choses. Si autrui disparaît, tout devient douteux. Et Robinson se met à douter de tout. Il se met à douter de la lumière, de la pesanteur. Il se demande s’il ne rêve pas mais la seule preuve que nous ayons que nous ne rêvons pas c’est autrui qui nous le dit. Si autrui n’était pas là pour nous le dire… »

Lecture d'un extrait de Vendredi ou les Limbes du Pacifique : « Robinson n'avait jamais été coquet et il n'aimait pas particulièrement se regarder dans les glaces. Pourtant cela ne lui était pas arrivé depuis si longtemps qu'il fut tout surpris un jour, en sortant un miroir d'un des coffres de La Virginie, de revoir son propre visage. En somme il n'avait pas tellement changé, si ce n'est peut-être que sa barbe avait allongé et que de nombreuses rides nouvelles sillonnaient son visage. Ce qui l'inquiétait tout de même, c'était l'air sérieux qu'il avait, une sorte de tristesse qui ne le quittait jamais. Il essaya de sourire. Là, il éprouva comme un choc en s'apercevant qu'il n'y arrivait pas. Il avait beau se forcer, essayer à tout prix de plisser ses yeux et de relever les bords de sa bouche, impossible, il ne savait plus sourire. Il avait l'impression maintenant d'avoir une figure en bois, un masque immobile, figé dans une expression maussade. À force de réfléchir, il finit par comprendre ce qui lui arrivait. C'était parce qu'il était seul. Depuis trop longtemps il n'avait personne à qui sourire, et il ne savait plus ; quand il voulait sourire, ses muscles ne lui obéissaient pas. Et il continuait à se regarder d'un air dur et sévère dans la glace, et son cœur se serrait de tristesse. Ainsi il avait tout ce qu'il lui fallait sur cette île, de quoi boire et manger, une maison, un lit pour dormir, mais pour sourire, personne, et son visage en était comme glacé. »

En creusant un peu, j'ai aussi déniché une lecture de Vendredi par Denis Lavant. (Personnellement, "l'ambiance sonore" de Romain Humeau ne me séduit pas du tout mais bon, les goûts et les couleurs...  Cool  ).
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyMer 4 Nov 2015 - 16:51

Et je n'ai toujours pas lu Le Roi des Aulnes Embarassed ... Merci pour ces quelques mots MezzaVocce...
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 18 Jan 2016 - 22:01

L'écrivain Michel Tournier est mort aujourd'hui à l'âge de 91 ans (19 décembre 1924 - 18 janvier 2016).

Voici un romancier français dont l'œuvre restera indubitablement associée à l'Allemand (oui, il différencie nettement entre les quatre langues allemandes, celle de la RFA, la RDA de son temps, l'Autriche et la Suisse alémanique). Reprenez donc un des ses romans, ses recueils de nouvelles ou un des ses essais et n'attendez pas la sortie de ses œuvres romanesques en Pléiade courant 2016.


Dernière édition par Maline le Lun 18 Jan 2016 - 22:11, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 18 Jan 2016 - 22:02

Quelle série !
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 18 Jan 2016 - 22:12

Je n'osais pas l'écrire, Marco, mais Michel Tournier a atteint un bel âge au moins.
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyLun 18 Jan 2016 - 23:07

Maline a écrit:
Je n'osais pas l'écrire, Marco, mais Michel Tournier a atteint un bel âge au moins.
oui comme Pierre Boulez Very Happy
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MessageSujet: Re: Michel Tournier   tournier - Michel Tournier - Page 2 EmptyVen 22 Juil 2016 - 16:57

J'ai lu dernièrement les Lettres parlées à son ami allemand, Helmut Wahler et cela m'a captivée. Il s'agit, comme on s'en doute, de lettres enregistrées (sur presque trente ans) qu'Helmut Wahler a eu l'excellente idée de conserver. C'est passionnant pour qui connaît bien l'oeuvre de Tournier car apprend beaucoup de choses sur la genèse de ses romans ou de ses essais. On découvre aussi ses doutes, ses satisfactions, les pistes qu'il a abandonnées, les recherches qu'il a faites. On a aussi beaucoup d'informations sur ses relations avec les éditeurs et on suit son parcours de vie sur trente années.
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