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| Patrice Desbiens | |
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Auteur | Message |
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jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Patrice Desbiens Jeu 11 Juil 2013 - 11:39 | |
| Patrice Desbiens (1948-...) est un poète franco-ontarien et québécois adoptif. C'est à peine si je le connais de nom et de réputation. Il serait un poète beat. Une de mes collègues en classe caresse le projet de faire une thèse de maîtrise sur son oeuvre. Ce dont je peux vous assurer, c'est que Patrice Desbiens est réputé dans ce qu'il fait. Son nom revient assez souvent au fil des années. J'y reviendrai. Pour plus d'informations sur son oeuvre, vous pouvez lire ici un texte le concernant de Jean-Sébastien Ménard : http://www.terranovamagazine.ca/43/pages/livre.html. - Citation :
- Récit poétique
1974 : Ici, Editions à Mitaine, 1977 : Les conséquences de la vie, Prise de parole, 1979 : L'Espace qui reste, Prise de parole, 1981 : L'Homme invisible, Prise de parole, 1983 : Sudbury textes 1981-1983, Prise de parole, 1985 : Dans l'après-midi cardiaque, Prise de parole, Finaliste du Prix du Gouverneur général, 1987 : Les cascadeurs de l'amour, Prise de Parole, 1988 : Poèmes anglais Prise de parole, 1988 : Amour ambulance, Écrits des forges, 1995 : Un pépin de pomme sur un poêle à bois, Prise de parole, Prix Champlain, 1997 : L'effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, Docteur Sax, 1997 : La fissure de la fiction, Prise de Parole,Prix de poésie des Terrasses Saint-Sulpice, 1999 : Rouleaux de printemps, Prise de parole, 2001 : Bleu comme un feu, Prise de parole, 2002 : Hennissements, Prise de parole, 2004 : Grosse guitare rouge, livre cd avec René Lussier, Prise de parole, 2005 : Désâmé, Prise de parole, 2007 : En temps et lieux, L'Oie de Cravan, 2008 : Homme invisible (L') / The Invisible Man suivi de Les cascadeurs de l'amour, Prise de parole, 2008 : Décalage, Prise de parole, 2008 : En temps et lieux 2, L'Oie de Cravan, 2009 : En temps et lieux 3, L'Oie de Cravan, 2011 : Pour de vrai, L'Oie de Cravan. 2013 : Les abats du jour, L'Oie de Cravan.
Document audio
1985 : La cuisine de la poésie présente: Patrice Desbiens, Prise de parole 1999 : Patrice Desbiens et les moyens du bord, avec René Lussier, Guillaume Dostaler, Jean Derome et Pierre Tanguay, Prise de parole 1999 : Ambiance Magnétique, CD | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Sam 15 Mar 2014 - 9:28 | |
| - Citation :
- 1995 : Un pépin de pomme sur un poêle à bois, Prise de parole, Prix Champlain,
Patrice Desbiens écrit une belle poésie. Il explore le phénomène de son identité franco-ontarienne. Dans le cas de ce recueil, il revient sur son enfance. C'est poétique en mausus. Je dois remonter à La promenade de Robert Walser pour comparer le type d'impression qu'il a laissé sur moi. Le début du recueil est fort évocateur. Je vous laisse le soin de lire. Je pige plus loin... - Patrice Desbiens, Un pépin de pomme sur un poêle à bois, 2011 [1995], Sudbury : Prise de parole, p. 32-33. a écrit:
Fleur-Ange Scanlan. Elle marie Alfred. Devient Desbiens. Il vient peut-être de la Gaspésie peut-être de la Côte-Nord. Personne le sait. Elle le rencontre à Montréal et tombe dans les pommes en amour avec le coeur qui se débat comme une patate au four. Mémére mémoire. Mémére miroir. Mémoire massacrée. Elle sait ce qui l'attend. Elle s'étend sur les draps de neige grise du Canada. Les jambes ouvertes et les yeux fermés comme si elle donnait déjà naissance elle reçoit l'idée de ses enfants. Vous pouvez avoir ici une idée du style de Desbiens. Il se promène entre la prose et les vers poétiques. En bon kerouacien, je trouve que Desbiens a bien intégré cet héritage nord-américain. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Sam 15 Mar 2014 - 10:02 | |
| - Citation :
- 2008 : Homme invisible (L') / The Invisible Man suivi de Les cascadeurs de l'amour, Prise de parole,
Patrice Desbiens remonte aux origines de la genèse de son projet poétique dans L'homme invisible. Il écrit en prose principalement dans ce livre. Mais ce n'est pas exactement en prose puisque distribué page par page et sur des lignes volantes. Les versions françaises et anglaises diffèrent. Patrice Desbiens écrit dans les deux langues. Je vous cite un exemple : - Citation :
- 27
(version française)
L'homme invisible se promène visiblement le long des rues. C'est ça qu'on fait quand on est sur le bien-être... Tout le monde qu'il rencontre lui est étrange. Tous ces visages d'étrangers. Il les connaît tous.
Monte la rue... Descend la rue... Descend la rue... Monte la rue... Ah si mon moine voulait danser... L'homme invisible se voit réfléchi partout, dans toutes les vitrines. Son regard se regardant. Les magasins fermés.
(version anglaise)
The invisible man goes on and on. Like someone driving from stop sign to stop sign. Looking for someone like somone keeping his eyes open for a last chance gas station. Looking for a country like someone fumbling for a light switch in the dark. Il fallait tout de même se montrer brave pour décrire la condition franco-ontarienne et parler d'homme invisible. Il explique que les Anglo-Canadiens et les Québécois d'origine francophone se voient comme une majorité, ce qui est différent des minorités franco-canadiennes. Un peu plus tard, nous pouvons lire en français : - Citation :
- 33
Dans la mémoire tampax de l'homme invisible, le sang des sou- venirs, le sang des images est absorbé à une vitesse lancinante. L'homme invisible n'ose plus rien dire, n'ose plus rien faire. Il devient un bateau dans une bouteille. Il développe des pouvoirs de caméléon. Il s'en sert de plus en plus souvent. Il glisse d'une personne à l'autre, d'une femme à l'autre, d'un pays à l'autre comme un lézard d'une roche à l'autre. Pour un moment, il pense à quelque chose, à quelqu'un. Mais l'instant d'après, il se secoue la tête et, d'un coup de sa langue fourchue, commande une autre bière... Patrice Desbiens est LE poète à voir chez les Franco-ontariens et Québécois d'adoption... son projet est assez unique et ambitieux. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Sam 15 Mar 2014 - 10:06 | |
| mmmh... tu aurais un autre ensemble en bilingue, juste pour voir ? | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Sam 15 Mar 2014 - 10:11 | |
| Ouaip... exemple assez évocateur... - Citation :
- 45
(version française)
Tiens... Où est l'homme invisible? Il était là il y a quelques instants. On frappe à sa porte. Fouille ses poches. Fait sonner le change dans ses poches. Frappe encore. Rien. Tiens...
(version anglaise)
The invisible man gets his last cheque from the bad movie's studio. He changes the money into American travellers' cheques.
Someone knocks at his apartment door. The invisible man doesn't live here anymore. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Ven 10 Oct 2014 - 10:13 | |
| «Jaco Pastorius» est un poème de la plume de Patrice Desbiens pigé dans le recueil rassemblé de François Hébert intitulé J'partirai. J'avais déjà relevé le poème en lisant Un pépin de pomme sur un poêle à bois. Sur le coup, je n'avais pas pensé à vous le retranscrire. Il est en tout cas assez emblématique de l'oeuvre de Desbiens : - Patrice Desbiens a écrit:
«Jaco Pastorius»
in memoriam
Juste comme on pense être éternel on nous sort du bar par le chignon du coeur.
Dehors c'est la mort qui nous attend souriante et bandée comme un bouncer qui flaire une proie facile.
On s'endort sur un matelas de sang et juste comme on pense être éternel on se réveille assassiné dans une ruelle au fond d'une ville sans nom et sans âme où seulement Dieu et sa gang sont éternels.
Les lumières de l'ambulance fouettent le corps comme des spots à un spectacle d'adieu et dans les loges les miroirs sont vides.
Il n'y aura pas de rappel. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Dim 25 Jan 2015 - 9:32 | |
| Je viens de reprendre mes lectures de Patrice Desbiens. C'est désormais le monstre sacré de la littérature franco-ontarienne. Il a émigré au Québec en plus, ce qui rend son expérience assez unique dans notre paysage. Je lis actuellement Poèmes anglais. Le pays de personne. La fissure de la fiction. À mon sens, il est encore plus important que Gaston Miron dans son travail de poète. Gaston Miron était à peu près inégalable comme ambassadeur de la condition québécoise du poème, mais avait négligé d'écrire une oeuvre encore plus étendue.
Patrice Desbiens me semble se rapprocher sur plusieurs plans d'un Charles Bukowski quoiqu'il soit encore plus proche des poètes de la francophonie canadienne. Je vous reviendrai sous peu avec quelques extraits de poèmes pour rendre compte d'une autre lecture enrichissante de ses poèmes. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Mer 28 Jan 2015 - 11:44 | |
| Patrice Desbiens est un poète de la narration. Il veut bien nous faire dire qu'il se lance dans un roman, mais il n'en revient qu'au poème qu'il nous dit. Avec humour et tendresse, il nous témoigne du souffle qui l'anime. En tant que poète, il est difficile de gagner sa vie en vivant uniquement de la plume. Il nous le décrit avec maestria dans les trois recueils poétiques assemblés que je viens de lire. Poèmes anglais. Le pays de personne. La fissure de la fictionC'est bien vite dit... la poésie de Patrice Desbiens est ample tout comme elle peut éclater par sa brièveté. Sans avertissement, il nous résume dans Le pays de personne : - Citation :
- «Sans-abri»
Sans-abri et sans voix
pour eux Les feuilles d'automne ne sont
ni poème ni chanson ni
maison Un peu plus loin, il prend prétexte pour parler de Félix Leclerc : - Citation :
- «Un poème pour Félix en écoutant Van»
Quand il chante il se plante comme un arbre sur la scène
Aucun éloge ne le déloge
Il chante et s'enracine dans les planches comme un peuplier
comme un peuple Pour ma part, j'ai préféré Poèmes anglais et La fissure de la fiction puisque Patrice Desbiens y excelle dans l'art de la narration qui est au mieux ample et tout de même compacte par ses traits successifs : - Patrice Desbiens, Poèmes anglais a écrit:
- VI
Je me promène d'un bout à l'autre de l'appartement. Je cherche le poème de Pâques. Je cherche le poème qui me fondra dans la bouche et non dans les mains. Je trouve le poème juste pour m'apercevoir que j'ai perdu mon verre. Je trouve mon verre et je perds le poème.
Je me lève du poème et je m'allume une cigarette.
Je me lève de moi-même je prends le cendrier et je le vide dans le plat de binnes qui mijote dans la cuisine.
Maintenant j'ai perdu mon verre j'ai perdu le poème je me suis perdu moi-même et un bon plat de binnes. Je tire ma cigarette et ma cigarette tire sur moi.
Toujours à la recherche de moi-même, je ne me trouve jamais, c'est toujours les autres qui me trouvent. Dans La fissure de la fiction, nous avons un bon aperçu de l'humour de Patrice Desbiens. Il ne se voit pas autrement qu'écrire : - Patrice Desbiens, La fissure de la fiction a écrit:
- On entend le vent qui siffle
Stella by Starlight dans la fenêtre. Il n'y a qu'une seule fenêtre. Ce n'est pas par erreur. C'est de l'architecture. C'est de l'écriture. Il écrit. La poésie c'est le fast-food de la littérature. Il aime le fast-food. C'est la littérature des pauvres. Il veut écrire un roman. Mais pour le moment il est trop pauvre.
Il regarde autour de lui. Il sait qu'il est près de tout mais il ne sait pas de quoi. Il sait qu'il est venu à Montréal pour écrire un roman. Il se réveille toujours avec l'impression d'être ailleurs.
Il se réveille avec une envie d'écrire de la fiction mais il réalise qu'il est trop près de tout pour écrire de la fiction. À chaque fois qu'il essaie d'écrire de la fiction, elle devient de la poésie. Il ne comprend plus rien. C'est aussi bien : ça l'aide à garder sa sainteté.
Le vent chante dans la fenêtre comme l'esprit d'un vieux moine zen. Il ne se fait pas de promesses. Il vit dans un pays où les griots deviennent des itinérants. Il vit dans un pays où la sagesse couche dehors printemps été automne hiver. Il vit dans un pays où il n'y a plus de fiction. Intuitivement, Patrice Desbiens étoffe le propos de son poème. Il a tant vécu, s'est promené et revisite les classiques de la littérature au pays. Il n'en revient qu'à l'alma mater qui garde les écrivains canadiens français bien vivants. Il n'hésite pas à dénoncer les travers de ses semblables franco-ontariens dans la perte de leurs repères linguistiques. Peu à peu, il renoue avec l'héritage québécois tout en appelant à l'héritage ontarien dont il est issu et dont les gens en oublient l'histoire. Forcément, son propos est engagé et pourtant il en reste au registre poétique pour témoigner de ce qui relève la condition humaine dans la banalité du quotidien. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Ven 1 Jan 2016 - 11:52 | |
| Je viens de lire pour une deuxième fois le recueil Vallée des cicatrices (2015) en deux jours. La poésie qui s'y lit coule comme de source. Patrice Desbiens a vécu à Montréal et on le sent. Nous le sentons taraudé par les conditions socioéconomiques qui touchent les poètes et les gens simples. Je n'avais pas encore lu le recueil, et il semble bien que j'avais deviné ses vers et les thèmes qui se dessinaient en cours de route. Il commence le recueil en force en évoquant les Hubert Aquin, Hector de Saint-Denys Garneau et Alain Grandbois, le dernier étant le seul nommé en bonne et due forme. Je vous livre un premier poème qui se dessine en filigrane : - Citation :
- «un chat, deux chats, tout disparaît»
1. un chat est soulevé comme un sac sale et fou poussé par le vent
un petit trou de ciel dans ses yeux
2. dans une fenêtre un chat fait gazouiller l'oiseau dans sa gorge
le chat cligne des yeux et la pluie disparaît de reculons dans les nuages qui disparaissent paresseusement
3. maison monde ville chat tout disparaît dans un poème qu'on n'écrira jamais
Vallée des cicatrices, 2015, p. 13. Un peu plus loin, il y a un passage qui me fait sourire car il évoque l'univers qui m'est familier de How I met your mother : - Citation :
- «drones»
dans la nuit fluide dans un silence d'anges des drones voltigent en vautours au-dessus de la ville
un jeune homme et une jeune femme luisants et souples sous leur parapluie nagent l'un dans l'autre dans l'eau jusqu'à
l'au-delà
Ibid., p. 17. À la fin du recueil, il y a une suite poétique sublime qui revient sur l'une de ses aventures avec les femmes, «elle et sa sorte», p. 47-57. Pour des questions évidentes de droits d'auteur, je vous livre en toute simplicité l'un des mécanismes de sa poésie assez fluide : - Citation :
- 6.
pelure par pelure poème par poème elle se pèle elle s'épelle elle se révèle comme un oignon
dans les confessionnaux les prêtres pleurent comme des madeleines
Ibid., p. 52. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Mer 3 Fév 2016 - 10:53 | |
| Je viens de relire Un pépin de pomme sur un poêle de bois. J'avoue que l'impression reste assez durable sur moi. J'appartiens a la contrée du poème. Je vous parlais de Walser et de La promenade pour comparer le genre d'impression que Desbiens avait eu sur moi. Je dirai en gros qu'il est difficile de reproduire un effet d'une telle magnitude dans une nouvelle, un roman, qu'on obtient dans un poème. Je conçois tout à fait qu'une impression de lecture convient mieux quand nous reconnaissons nos sensibilités de lecteur. Patrice Desbiens utilise la poésie narrative et dans ce recueil, le résultat est incomparable. Dans les recueils que Desbiens écrit, le résultat est variable. Assez souvent, la poésie sera hachurée, saccadée, avec une espèce d'effet décalé dans le rythme obtenu... Dans Un pépin [...], la fluidité est telle que le récit nous happe par le ton de confidence que Patrice Desbiens nous offre. La poésie s'offre à la suite. Elle est seulement entrecoupée de pauses tout aussi brèves qu'elles reprennent l'élan. La voix, le fait de parler de maman avec tendresse, tout ça fait en sorte que Desbiens est assez beat, assez tendre dans sa manière de raconter. Le propos est assez onctueux mais en même temps, le désabusement nous désarme. Non, ce ne serait pas juste de le dire. Desbiens a tout simplement sa manière de nous faire sentir le ton particulier d'une vie. Je vous laisse un extrait : - Patrice Desbiens, Un pépin de pomme sur un poêle de bois, 2011 (c1995), Sudbury : Prise de parole, p. 47-48. a écrit:
- J'écris ceci :
Je dors sous des viaducs sous un ciel bleu fer. Un ange aux robes sales est accroupi de tout son poids sur ma poitrine. Il est pesant comme une poutre et il suce mon souffle. Il me conte des histoires où il y a juste la queue et la tête. Les histoires me rentrent par une oreille et restent là. | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Mer 3 Fév 2016 - 19:01 | |
| La poésie c' est une belle "contrée", mais il faut vouloir l' atteindre et l' explorer. Desbiens, ça me touche. Le dernier poème d’amour
1. Je me rappelle des trains Je me rappelle des trains qui se promenaient de droite à gauche à droite dans les grandes fenêtres de ton grand appartement sous le petit ciel de Sudbury.
Deux ans si c’est pas plus et je n’oublie pas le goût de ton cou le goût de ta peau ton dos beau comme une pleine lune dans mon lit. Le goût de te voir et le coût de l’amour et nos chairs hypothéquées jusqu’au dernier sang.
Je me rappelle des trains qui ont déraillé dans tes yeux Le nettoyage a été long.
2. Dans le restaurant on vieillit autour d’un verre de vin. Dehors le scénario est toujours le même : une banque sur un coin une église sur l’autre. L’amour nous évite comme quelqu’un qui nous doit de l’argent. Tu es en face de moi et tu es en feu dans moi et je te désire. Ton manteau de fourrure ton sourire ô animal de mes réveils soudains.
Ensoleillée mais froide ta beauté s’étend comme des violons sur la neige brûlée. Tes yeux trempes tes yeux trompent.
Le silence se couche entre nous.
3. Cette photo de toi tu es quelque part dans ce brouillard de couleur tu pars dans ton char ton oldsmobile mouillée et rouillée c’est évidement l’automne ou peut-être même le printemps c’est une mauvaise photo du bon vieux temps un polaroid trop près de la mémoire.
Tu te peignes dans le rétroviseur je te colle sur mes paupières pour te voir quand je dors et soudainement tu es dehors avec le soleil dans les flaques d’eau et les jeux du jeune et tu es aussi belle en souvenir que dans la vraie vie et
nous sommes les seuls survivants de la guerre et ceci (Dans l’après-midi cardiaque, aussi inclus dans Sudbury, poèmes 1979-1985) est le dernier poème d’amour sur la terre.
– Patrice Desbiens, Le dernier poème d’amour
Référence : "Lunes funambules" : Reflets de la poésie d' ici et d' ailleurs
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| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Ven 5 Fév 2016 - 7:03 | |
| Ton enthousiasme fait plaisir à voir, Bix. Tu as bien choisi le dernier extrait pour nous montrer une facette un peu plus «crue» de la plume de Patrice Desbiens. Je t'encourage à lire quelques de ses recueils si jamais ils sont disponibles par chez vous... | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Ven 5 Fév 2016 - 7:29 | |
| Pour de vraiPatrice Desbiens se promène tout au long de son oeuvre de la poésie - ou même prose - ample pour finir par se spécialiser dans la poésie narrative de style assez bref. Dans Grosse guitare rouge, nous pouvons même voir une poésie chantée et inspirée de la forme d'un haïku je crois... Mais Desbiens est assez dynamique et efficace dans ses vers et leur succession... Je vous montre quelques extraits : - Patrice Desbiens, Pour de vrai, 2011, Montréal : L'Oie de Cravan, p. 13-14. a écrit:
- «Un jour devant le Théâtre d'Aujourd'hui»
C'est Antonin Artaud habillé en Patrick Straram habillé en Tonto qui boit sa bière tablette en cachette devant le Théâtre d'Aujourd'hui.
Au-dessus de lui les nuages dansent nus (juste pour lui) dans un ciel qui s'allume et s'éteint comme une marquise de casino.
C'est un Chippewa de Wawa c'est un créole de Capréol c'est un Sioux sans le sou sens dessus dessous de Sudbury.
Dormir là-dessus ou dormir là-dessous ou ne pas dormir du tout
il s'en fout.
Devant le Théâtre d'Aujourd'hui il est déjà demain et
son seul sanctuaire est l'air qu'il respire. - Ibid., p. 16. a écrit:
- «L'annonce faite à Marie»
Son sourire est à l'horizon qui n'attend que le rouge à lèvres d'un coucher de soleil.
Ces petits feux qui lui dansent autour et lui jouent des tours.
Elle se déshabille et assise sur une souche encore chaude de coupe à blanc et toute nue dans une forêt vierge encore fumante elle fredonne un air connu et pose pour les paparazzi. À mon sens, Patrice Desbiens apprécie se référer aux écrivains et poètes québécois. Il s'inspire notamment d' Hubert Aquin ici : - Ibid., p. 22. a écrit:
- «Trou de mémoire»
J'ai un trou de mémoire où j'avais une tache de naissance.
C'est de là que je viens et c'est par là que je m'en vas.
Je rentre et sors de mon pas si propre trou de mémoire. Encore là... - Ibid., p. 59. a écrit:
- «Pour de vrai...»
La fille me demande Profession? Je réponds Poète et elle dit Pour de vrai?... Dites-moi un poème...
Me sentant nu comme devant un médecin je perds mes facultés je perds mes dents et ça se met à piquer sous les points de suture de mon sourire et pas un poème me vient à l'esprit même pas un des miens même pas pour me sauver la vie pour de vrai cet après-midi dans les bureaux de l'assurance-maladie. Je vous encourage à lire «Tout le bruit de l'Amérique», p. 35-37 et «Le poète le plus laite...», p. 53-54 si jamais vous mettez la main sur le recueil... Desbiens a écrit l'un de ses bons recueils. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Lun 22 Fév 2016 - 7:39 | |
| J'ai suffisamment reposé ma lecture de Sudbury. Poèmes 1979-1985 pour y revenir et tomber sur un poème Dans l'après-midi cardiaque. Il s'agit de «Hearst». Nous y trouvons les éléments qui me font apprécier la finesse de la poésie de Patrice Desbiens. Il a dédié son recueil à Richard Brautigan de qui je viens de parler. Pour ma part, j'apprécie le recueil et une bonne partie de l'esthétique de Patrice Desbiens pour une raison précise : j'ai eu un grand-père qui avait des problèmes cardiaques. Tout ça donne une conscience des plus particulières face au côté dramatique d'une vie et la longue agonie qui peut en résulter. Cela nous fait aussi apprécier sa richesse. Sans plus tarder, je passe à «Hearst» : - Citation :
- «Hearst»
1. Il fait froid à Hearst La neige grimpe dans les rideaux. (arbres) Un homme dans une maison se vide un whisky. Un skidoo tourne au ralenti dans son coeur.
Une chanson triste passe à la radio. L'homme fait les cent pas dans la cuisine de sa maison. À un moment donné son poing part comme un douze et fait un trou dans le mur.
2. Plus tard sur la Main un homme écarte la foule comme un noyé les vagues.
On le court avec un extincteur.
Sa chemise de bûcheron est ouverte et révèle une poitrine en feu.
3. À la gare centrale il y avait des corneilles de la grosseur d'un avion de brousse et de la noirceur d'une soutane.
4. Le long de la 11 entre Hearst et Kapuskasing
une voiture sport écrasée non chiffonnée comme le papier d'emballage d'une barre de chocolat
un camion en poignard dans la forêt
toutou blanc dans la neige rouge.
5. Mes yeux tachés de sang sont témoins de la rigueur de Hearst.
Je suis dans le wagon-bar de l'ONR et ça roule ça rock ça se saoule ça se frôle et tout devient drôle et triste en même temps.
Exemple : le cuisinier a l'air de Claude Blanchard et la nourriture aussi. Autre exemple : le Grand Manitou est un gars de bicycle. Ou encore : des mains d'hommes serrent des coeurs de femmes comme des boules de bowling le vendredi soir.
6. Une tempête folklorique fouette les flancs du train.
À perte de vue une barbe d'arbres cache un sourire sans dents. Don't ever consider my willingness to embrace le destin d'une certaine poésie bien campée quelque part en terre d'Amérique. | |
| | | jack-hubert bukowski Zen littéraire
Messages : 5257 Inscription le : 24/02/2008 Age : 43
| Sujet: Re: Patrice Desbiens Dim 28 Fév 2016 - 9:07 | |
| Dans l'après-midi cardiaque (1985) Pour le moment, je me contenterai de critiquer le recueil dans son ensemble. Il s'agit d'un des meilleurs de Desbiens. Le cycle des poèmes de Sudbury le révèle à la maturité de sa poésie. J'avais délaissé le méga-volume avant de commencer à lire Dans l'après-midi cardiaque. Je dois remercier Bix pour m'avoir rappelé à mes devoirs quant à la lecture de ce recueil capital dans l'oeuvre de Patrice Desbiens. Patrice Desbiens doit sa consécration en tant que poète au fait d'avoir développé la capacité de décrire l'enfer de vivre dans une ville minière, que ce soit à Timmins ou à Sudbury... Voici un flash de cette fulgurance : - Patrice Desbiens, Sudbury. Poèmes 1979-1985, 2013, Sudbury : Prise de parole, coll. «Bibliothèque canadienne-française», p. 197. a écrit:
- «Timmins»
[...]
Quand j'étais à Timmins il y a très longtemps je vivais dans moi comme dans une mine comme dans la mémoire noire d'une mine remplie d'émigrants enterrés vivants.
[...] Je vous soumets un autre mini-extrait de poésie qui est caractéristique de sa démarche : - Ibid., p. 223. a écrit:
- «L'écriture c'est une discipline»
[...]
7. Mon ami le poète Robert Dickson me dit L'Écriture C'est Une Discipline. Je me vide un autre scotch et je me concentre. Il se vide un autre scotch et me regarde. La réalité nous regarde. La réalité de nos regards. Nos regards hagards. Nos regards hangars.
[...] Dans l'ensemble, le recueil est finement ciselé. La qualité ne souffre aucune anicroche. J'ai particulièrement accroché sur «Rigodon sur un air de Bo Diddley» et «Sainte colère». Tout comme Dany Laferrière a été adulé par ses fans et ses continuateurs parmi les écrivains, Patrice Desbiens est aujourd'hui le poète dont on se dit l'émule. Je vous dis, c'est difficile de faire mieux que ce qu'il fait comme poète. | |
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