Bret Easton Ellis

Cette seconde lecture de American Psycho confirme mon avis originel : c'est magistral. Aussi bien le fond que la forme, l'auteur maîtrise tout. D'aucuns diront que la lecture est rébarbative car très descriptive, détaillée et violente mais personnellement, je le lis quasi frénétiquement ce bouquin ! L'univers planté par Bret Easton Ellis dépeint avec force l'Amérique des années Reagan, sa superficialité et son individualisme. Le malaise étant que le récit n'a rien perdu de son actualité...

Ces yuppies sont tellement dépersonnalisés et clonés les uns sur les autres qu'il est très fréquent qu'on affuble Bateman d'un nom totalement fantaisiste. Ils se confondent les uns, les autres, ils ne sont qu'une masse informe qui vivote et ne jure que par l'apparence, le luxe et la mode. Mais le paroxysme de la vacuité est atteint lors d'une scène - hilarante - où Patrick Bateman et ses acolytes n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la réservation à faire pour le dîner. On assiste, éberlué, à un cirque ridicule où l'un réserve quand l'autre annule, ils s'embrouillent, font plusieurs réservations, ne savent plus où ils ont décidé d'aller... C'est burlesque et absurde au possible !

Les passages drôles comme celui-ci s'alternent avec des passages nettement moins amusants... D'ailleurs, en lisant certains passages, il devient inévitable de se demander comment Bret Easton Ellis a-t'il pu penser à tel détail, à telle atrocité ou à telle méthode de torture... Et la patience d'acharné qu'il lui a fallu pour écrire tous ces détails de mode, de marques et de futilités. L'exercice est parfaitement réussi mais si la lecture est éprouvante pour le lecteur, l'auteur a dû endurer encore pire. Qui plus est, il a certaines réflexions qui me sidèrent par leur justesse. On dirait qu'il est devenu Patrick Bateman pendant la phase d'écriture, il a réussi à entrer intégralement dans la peau de son personnage et à faire le deuil de sa propre morale. C'est à la fois brillant et effrayant, à l'image de cette observation :

Spoiler:

Pour le commun des mortels, il n'y a rien de plus atroce que la mort d'un enfant, qui d'autre qu'un psychopathe pourrait en arriver à cette conclusion ? Un écrivain de génie peut être. Voilà donc tout ce que je peux dire concernant American Psycho mais ce qu'on ressent en lisant un bouquin, ça ne s'explique pas, ça ne s'argumente pas. Je vis American Psycho et ça lui confère une place de choix dans mes petits papiers.