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Parfum de livres… parfum d’ailleurs
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André de Richaud (1907-1968) écrivain et poète français.
André de Richaud est né le 6 avril 1907 à Perpignan. Il passe une grande partie de son enfance à Nîmes chez son grand-père maternel. Son père meurt en 1914 lors d'un combat dans la Meuse et sa mère quelques années plus tard, en 1923. Il fréquente le collège de Carpentras dans les années vingt, période où il rencontre Pierre Seghers, André Gaillard, fondateur des «Cahiers du Sud» et Joseph d'Arbaud, directeur de la revue «Le Feu». Puis il suit des études de droit et de philosophie à Aix-en- Provence et écrit, pendant ses vacances de l'été 1927, "Vie de saint Delteil" qui sera publié l'année suivante. Il devient professeur de philosophie en 1929 et continue d'écrire et de s'intéresser au théâtre. Grasset édite en 1930 "La création du Monde" et son premier texte pour le théâtre "Le village" est joué cette même année au théâtre de l'Atelier. Mais c'est "La douleur", publié chez Grasset en 1931, qui le rend célèbre. En 1932, il fait son service militaire à Paris où il fréquente beaucoup Les Deux Magots et y croise Prévert, Queneau, Desnos ... Dans les années trente, il entreprend un voyage en Grèce qui le bouleverse et rencontre Fernand Léger chez qui il vivra quatorze ans en Normandie et à Paris. Il continue d'écrire pour le théâtre (L'Homme blanc) et de publier des romans chez Grasset : "L'Amour fraternel" en 1935, "La Barette rouge" en 1938. En 1943, il travaille avec Jean-Louis Barrault au projet du film "La fontaine des lunatiques" et fait de fréquents séjours chez les Léger, dans l'Orne, avec Picasso, Cocteau et Dominguez. L'année suivante voit paraître chez Laffont "La Nuit aveuglante" et son très important journal chez Seghers "La confession publique". En 1950, il s'installe à Paris rue des Canettes d'où il ne bougera quasiment plus. Il devient l'un des vagabonds célèbres de Saint-Germain et participe à l'ambiance des cafés et des caves de la Rive gauche. Il cesse peu à peu d'écrire sans pour cela tout arrêter. En 1954, Seghers édite "Le droit d'asile", recueil de poèmes déjà paru en 1937 mais regroupant cette fois les poèmes des dix dernières années et pour lequel il obtient le Prix Apollinaire. Une certaine activité continue autour de son théâtre et une société des amis de Richaud se regroupe pour l'aider. En 1958, il s'installe à Vallauris auprès de son amie Ginette Voiturin où il fait de petits travaux et fréquente de nombreux peintres. Après sa rencontre avec l'éditeur Robert Morel en 1965 et lors de la publication de "Je ne suis pas mort", la presse littéraire redécouvre Richaud. S'ensuivent de nouveaux projets d'écriture qu'il n'aura pas le temps de mener à bien. Il meurt de la tuberculose le 29 septembre 1968. (Source : Ed. Le temps qu'il fait)
"Les deux royaumes au coeur desquels A. de Richaud s’est longuement débattu : la grâce et la malédiction. [...] Tous ces ouvrages clament la passion d’un homme en proie à l’angoisse, à la solitude, à l’amour du monde, broyé par la condition humaine, avec sa faim d’absolu accrochée aux entrailles, douloureux prisonnier d’une enveloppe de peau rongée par les feux des énigmes." (André Laude)
(Ed. L'Arbre vengeur)
Bibliographie
Romans et nouvelless 1928 Vie de saint Delteil, 1930 La Création du monde, 1930 La Douleur, Grasset, 1931 Images de Saint Gens, revue Les Terrasses de Lourmarin, 1932 La Fontaine des lunatiques, 1932 Le Village, 1933 Le Château des papes, 1936 L’Amour fraternel, 1937 Le Droit d’asile, 1938 La Barette rouge, 1944 La Nuit Aveuglante, 1944 La Confession Publique, 1945 Le Mauvais, 1947 La Rose de Noël, 1956 L’Étrange visiteur, 1965 Je ne suis pas mort, 1970 Il n'y a rien compris, 1983 Automne, 1985 Le mal de la terre, 1985 Retour au pays natal, 1986 La Part du Diable, 2012 Échec à la concierge,
Théâtre 1931 Village, 1932 Le Château des Papes (mise en scène Charles Dullin, musique de scène Darius Milhaud) 1934 L'homme blanc, 1937 Hécube, 1942 La Carmen, 1947 La Chasse de Pierre Chanu, 1949 L'enchantement des images, 1953 Les Reliques, (mise en scène Michel de Ré, Théâtre du Vieux-Colombier, 1er octobre) 1955 Le secret, 1955 L'oiseau parleur, 1957 Le Roi clos, 1960 Alaska,
En 1946, André de Richaud, alors qu'il était-lui-même en suivi de sevrage, se vit confier la garde d'Antonin Artaud lors de ses sorties de l'asile de Rodez (quel duo fantasque dont j'aurais aimé entendre l'étrange saveur fantastico-poétique de leurs discussions !) André de Richaud présenta Luis Bunuel à Michel Piccoli qui jouait alors dans sa pièce "Les reliques". De Richaud, fervent admirateur de Joseph Delteil (au cas où, il existe un fil pour cet auteur), son ami de onze ans son aîné, a injustement sombré dans l'oubli.
Michel Piccoli évoque André de Richaud : ICI
Dernière édition par Constance le Mar 10 Sep 2013 - 11:25, édité 4 fois
Constance Zen littéraire
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Sujet: Re: André de Richaud Sam 17 Aoû 2013 - 19:00
"Rien ne sera jamais clair pour moi. La grande lumière accentue le noir des petites ombres et, comme tous les gens malheureux, je cherche les petites ombres" (André de Richaud, extrait de "Interdit au public")
La voie du sang
A Pierre Seghers
Cet amour dénoué à travers les champs
Ce poignard sanglant dans les rochers
Ce vent mortel traîné par de fausses hirondelles
Voilà ma pauvre vie.
Il faudrait pouvoir traverser le miroir
Pour vous atteindre ô vous qui m'aimez
Mais il y a du sang jusqu'au plus profond de ma jeunesse.
Je suis comme la mer plein de villes flottantes
Je suis comme le ciel peuplé de nuages ennuyés
Ma vie, au fond des ravins
Tremble chaque nuit jusqu'à l'aube
Et moi je rampe tout nu dans un songe de mort.
Bêtes de mon sommeil, regardez-moi qui tombe
Fontaines habitées
Fontaines de mes mains où les dix sources grondent
O collier des forêts !
Colliers d'arbres en fleurs par qui le monde espère
Vous m'étranglez chaque matin
Et chaque soir les bleus de vos ongles mystères
Etouffent l'avenir dont je suis possédé.
Ne pas pouvoir sortir de ce lacis de veines
Et cet étrange piétinement à gauche de ma poitrine
Contre lequel je ne peux rien ...
Ô mort regarde fixement cette ligne rouge à mon cou
Chaque nuit des cordes tendues m'entraînent au ciel.
Seules mes mains me guident parmi les planètes
muettes d'étonnement.
Aigles de cristal brûlant sur les cimes
Torches de plumes qui jalonnent ma vie
Sources fumantes dans l'amour qui tombe
Lorsque s'est levé le vent de l'au-delà
Vous êtes ce masque, qui riez quand je saigne
De toutes mes plaies cachées.
Quand je ferme les yeux un monde invisible étincelle
Quand j'ouvre mon cœur une fumée chargée d'oiseaux
Se lève à gauche derrière mon cœur.
O corps aimé qui me cherche sans jamais m'atteindre
et dont le regard d'argent m'étouffe
lacet de songe
et me tirera jusqu'aux abîmes miroitants de la mort.
La neige, la neige, la neige
Tuez-moi de la neige et que ce soit fini.
(Extrait de "Le Droit d'asile"/Seghers)
Dernière édition par Constance le Mar 10 Sep 2013 - 11:25, édité 1 fois
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Sam 17 Aoû 2013 - 19:05
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Quatrième de couverture :
Esther habite, seule, "La Barette rouge", une forteresse au pied du Ventoux que l'on dit hantée. Elle recueille un vagabond recherché par la police. Mi-homme, mi-bête, il inspirera à la jeune fille une passion étrange. Un livre éblouissant de force et de cruauté.
Résumé, extrait de la préface :
"La Barette rouge est le nom d'un château forteresse au pied du mont Ventoux, hanté, dit-on, par le spectre d'un cardinal renégat. La dernière des Murail, une pâle jeune femme, vit là dans la réclusion. Un soir pourtant, elle ouvre sa porte à un vagabond qui cherche à s'abriter de l'orage. Elle ne trouvera jamais le courage de le renvoyer. Entre Esther Murail et Siffrein Machot, mi-homme mi-bête traqué par une fatalité qui a fait de sa vie une longue suite de misères et d'horreurs, naît un sentiment proche de la passion amoureuse, passion qui ne s'exprimera que par la violence. Lorsque Esther apprend qu'elle abrite chez elle un assassin, elle sait soudain que c'est son propre destin qu'elle a reconnu en lui et à qui elle a ouvert la porte. La Barette rouge est un éblouissant roman plein de fureur et de silence lourd, où l'on voit le mal gagner les personnages comme un vertige. Le réalisme de l'horreur y atteint à une sorte de puissance poétique"
Rarement, je ne suis sortie aussi psychiquement bousculée qu'après la lecture de ce roman qui retrace le parcours d'un enfant martyr de condition misérable, mené à la démence meurtrière par la sauvagerie d'un père alcoolique et l'indifférence de sa mère à ses souffrances, parce qu'elle-même "était devenue presque idiote à force de recevoir des coups". Réduit dans son enfance à l'état d'objet, rendu incapable de se reconnaître dans l'altérité, et dominé par les pulsions premières, l'adulte Siffrein achèvera son parcours dans une effroyable tragédie. Le destin d'Esther, jeune femme idéaliste et mélancolique, sera scellé dès lors qu'elle lui aura ouvert sa porte. Les éléments d'un conte de fées sont réunis : l'atmosphère paisible et mystérieuse de la forteresse, une "immense salle que de nombreuses fenêtres en ogive, aux vitres couvertes de poussière et de toiles d'araignées, éclairaient faiblement" avec ses restes de fresques d'où émerge un beau visage d'adolescent, la blondeur nordique d'Esther, la beauté âpre et lumineuse des paysages ... j'ai espéré, je me suis plu à croire à une fin romantique, mais qu'Esther vive en ermite pour se protéger d'elle-même ou que Siffrein se comporte en mort-vivant pour échapper à son passé, aucune rédemption n'est possible pour ces prisonniers de la fatalité. Alors Esther et Siffrein ne se marièrent pas et n'eurent pas beaucoup d'enfants.
Concise, poétique, toute en finesse malgré le réalisme monstrueux de certains passages, l'écriture d'André de Richaud semble porter en elle les mystères de la tradition orale, du récit médiéval qui courait jadis le pays d'oc.
En exergue :
"Le rêveur et la personne dont il rêve ne sont qu'un, comme dans la tentation le tentateur et le tenté ne sont qu'un"
Paracelse (De fundamento sapientiae)
Extraits :
"Un silence léger planait dans l'air. Non pas encore le silence épais et chargé des rayons de l'été mais le silence du printemps, ce silence en boutons, chargé des parfums de mille fleurs écloses ou sur le point de l'être" (p.124)
"Du haut de la tour, la vue qui s'étendait autour d'elle lui arracha un cri d'admiration. Elle ne pouvait imaginer être dans une maison hantée en voyant le paysage qui s'étendait autour d'elle. Il était assis, comme cloué, à la plus sévère des réalités. La route sinueuse disparaissait puis reparaissait entre les bois de pins, sautant un torrent sur un pont pointu pour se perdre dans la plaine. Les champs d'oliviers moutonnés, étaient frangés d'argent comme des vagues immobiles. Aucun vent léger ne flottait dans le ciel et les nuages à l'horizon étaient harmonieusement arrangés pour dire à ceux qui comprennent leur langage qu'il ferait beau encore longtemps." (p.128)
"Il était dix heures du matin et l'on sentait que ce village frais et rond comme un énorme fruit entrait dans le jour comme un astre, reprenait l'équilibre magnétique qu'ont tous les villages du Comtat le matin, ce point extrême, cette densité pleine de joie. Tout semblait se préparer pour le mystère de midi. La fontaine, sous les platanes, continuait son chant, coupé seulement par un bruit métallique et froid quand une bonne femme venait y remplir son seau. Un maréchal ferrant était dans un angle de la place et le bruit de son marteau sur l'enclume était frais, au début de cette journée qui s'annonçait chaude, comme un chant de grenouille." (p. 226 et 227)
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
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Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 10:41
Jolie découverte et commentaire de Constance, notre paléontologue des "ensablés"
Constance Zen littéraire
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Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 15:25
GrandGousierGuerin a écrit:
Jolie découverte et commentaire de Constance, notre paléontologue des "ensablés"
Paléontologue ou archéologue, les deux me conviennent. Pour moi, la nouveauté réside dans la découverte d'un auteur, et non dans l'actualité littéraire. De tout, pour faire un monde de lecteurs, il faut.
Dernière édition par Constance le Dim 18 Aoû 2013 - 19:31, édité 1 fois
Constance Zen littéraire
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Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 15:34
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Quatrième de couverture :
Le scandale que causa La Douleur, lors de sa parution, n'est pas sans rappeler celui qu'avait provoqué auparavant Le Diable au corps de Raymond Radiguet. Les deux romans ont un point commun : La Douleur aussi est une histoire de guerre et d'adultère. Circonstance aggravante, c'est d'un prisonnier allemand que s'éprend Mme Delombre, veuve d'un officier français tué au front... Si l'anecdote a perdu le pouvoir de choquer qu'elle avait sur les lecteurs de 1930, la description d'une obsession charnelle qui parle plus fort que les sentiments sous lesquels elle tente de se dissimuler garde au livre toute sa puissance. La douleur évoquée par le titre n'est pas une douleur morale, c'est celle qu'entraînent les pulsions inavouables et les fantasmes combattus.
"Je le lus en une nuit, selon la règle et, au réveil, nanti d'une étrange et neuve liberté, j'avançais hésitant sur une terre inconnue. Je venais d'apprendre que les livres ne versaient pas seulement l'oubli et la distraction ... il y avait une délivrance, un ordre de vérité où la pauvreté, par exemple, prenait tout à coup son vrai visage. "La douleur" me fit entrevoir le monde de la création." (Albert Camus)
"Je ne connais pas André De Richaud. Mais je n’ai jamais oublié son beau livre, qui fut le premier à me parler de ce que je connaissais : une mère, la pauvreté, de beaux soirs dans le ciel. Il dénouait au fond de moi un noeud de liens obscurs, me délivrait d’entraves dont je sentais la gêne sans pouvoir les nommer " (Albert Camus, in Rencontres avec André Gide.)
A l'évidence, André de Richaud a puisé dans ses souvenirs d'enfance, puisque le drame se déroule à Althen-des-Paluds, village du Comtat Venaissin où il vécut avec sa mère après la mort de son père tué au front. Près de ce village se trouve la poudrerie nationale de Sorgues, où des Annamites et des Sénégalais fabriquaient des gaz toxiques et des munitions " c'était la lumière des poudreries de Sorgues [...] des Annamites mystérieux, qui semblaient avoir trempé dans l'acide picrique qu'ils manipulaient, allaient et venaient parmi les obus gris et immobiles". (p.68) Car, en fond de décor, la guerre est omniprésente : les réfugiés affluent du nord de la France, séparant les enfants de leur famille pour être placés chez l'habitant, et les prisonniers allemands, précieux palliatifs en l'absence des hommes partis au front, travaillent les vignes. Mais là s'arrêtent les ressemblances, pour pénétrer dans la fiction romanesque. Par petites touches habiles, André de Richaud prépare le lecteur à l'inéluctable rencontre entre Otto, travaillé par sa chasteté de prisonnier allemand, et Thérèse, disposée à offrir son corps enfiévré par les fantasmes sexuels qui la rongent. Puis, la guerre s'achève, sentant venir l'orage, Otto rompt en une inélégante douceur avant de regagner sa patrie; au village les bras des soldats allemands ne sont plus les bienvenus, les commères commèrent ... Thérèse recevra la punition des lâches pour son infamie, mais plus terrible sera le châtiment du fils trahi par sa mère.
"La douleur", c'est celle de la fin du monde de l'innocence d'un enfant de dix ans, la naissance de cette ligne de faille née du chaos des tourments de l'abandon maternel, de la découverte des faux-semblants du monde adulte, de la honte d'être né; c'est aussi et surtout "La douleur" d'une mère dévorée par le désir de la chair, travesti en sentiment amoureux, d'une mère aux prises avec l'intense tourbillon de la passion l'éloignant peu à peu de son fils, d'une femme faisant fi de la morale pour apaiser la faim charnelle qui la tenaille. Enfin, "La douleur" c'est le drame de la solitude d'une femme bravant l'interdit pour exister, se sentir vivante, pour jouir physiquement quand il est encore temps, car le temps passe ... cette même solitude menant à l'embrasement de l'imaginaire souffrant de son fils.
Avec son roman "Le diable au corps", Radiguet passa à la postérité par les mystères de l'histoire littéraire, alors que "La douleur", à mon sens, le dépasse amplement par la beauté de son style tout en retenue, par les descriptions poétiques de la campagne, et la lente montée en puissance de la dramaturgie toute en tension feutrée.
Alexandre Vialatte tient les violences douces et mystérieuses de son Auvergne au coeur, là où les rives d'Ambert épousent secrètement les courbes de la Dore, pour de Richaud, ce sont celles de sa Provence dans le triangle magique que tracent Carpentras, Avignon et Apt : deux âmes, deux frères à la dérive, asociaux, suicidaires, flamboyants, brûlants de l'intérieur, Vialatte soupirant tristement sur son adolescence perdue et André de Richaud sur celle de son enfance.
Extraits :
"Lorsqu’elle voyait un homme, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer son sexe. Elle ne pensait qu’à l’amour, qu’aux gestes de l’amour, qu’aux douleurs de la passion. Elle aimait éperdument. Une seconde jeunesse la saisissait. Elle essayait de se délivrer en aimant son fils, en se forçant à aimer son fils par de dures contraintes. [...] Elle aurait voulu pouvoir se confier à quelqu’un, demander des conseils ... Tout le monde semblait ignorer, dans le village, le mal dont elle souffrait. Pourtant, ces jeunes femmes dont les hommes étaient partis se battre, comment faisaient-elles ? " (p.32)
"Ennui. Thérèse Delombre ne se sentait plus vivre. Elle était dans cet état de somnanbule où tout ce qu'il y a de joie dans le besoin d'amour est noyé par la douleur de le savoir impossible à satisfaire : qui arrête le temps à mesure qu'il redouble notre impatience à vivre. Nous sentons qu'au fond de nous-mêmes, notre mort s'apprête, parce que nous ne pouvons faire la preuve essentielle de la vie" (p.54)
"Chaque maison du village, entre ses meubles familiers, avait son petit drame. Pourtant régnait sur ses places et dans les rues une apparence de paix. Si l'on n'avait vu une capote bleue étendue à un fil de fer, si l'on n'avait pas entendu, parmi les voix flûtées des gens d'ici, les accents pointus de celles des réfugiés, on aurait pu se croire encore dans ce pays calme et serein qu'était Comtat avant 1914. Une chose pourtant disait que l'on était encore, en temps de guerre. C'était le trio des boches : Otto, Frédéric, Oswald. (p.67)
"En elle, l'extrême joie voisinait avec l'extrême douleur. Une vague souffrance lui serrait le coeur. Elle souffrait de quoi ? Elle n'aurait pu le dire mais tant de souffrance la déchirait. [...] L'amour ou plus exactement le besoin d'être aimée, de sentir une autre chair que la sienne sous sa main l'aveuglait. Il semble que, au moment, où le corps va être satisfait, il exaspère ses besoins." (p.88)
"Les premières feuilles mortes tombaient au fond du puit et Georget, penché sur la margelle, voyait sa face recouverte, semblait-il, d'une mince pellicule de plomb. [...] Ou bien, au milieu du pré rasé, où l’ombre des platanes s’allongeait comme sur un tapis de velours, les bras étendus, il tournait, tournait jusqu’à ce qu’une épaisse envie de vomir lui monte au cœur. Une sorte de liquide épais remuait dans son cerveau; autour de lui, les fermes et les arbres tournaient une ronde silencieuse.[...]Sans qu’aucun mal précis n’accablât son âme, il était malheureux." (p.92 et p.93)
"Les lettres étaient maladroitement faites, mais implacablement lisibles. elles ne dansaient pas, pas même dans les yeux de Thérèse. Bien clouées au mur, on ne pouvait espérer les voir disparaître dans la minute. Noires, luisantes, répandant une bonne odeur de goudron frais. [... ] Il y avait écrit : BORDEL FRANCO-BOCHE "(p.147)
Dernière édition par Constance le Mar 10 Sep 2013 - 11:28, édité 1 fois
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 19:13
Avec de tels arguments, je ne cherche plus à combattre mon envie irrépressible de mettre de Richaud dans ma LAL ...
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 19:33
En tête de ta LAL, c'est une évidence, GGG.
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: André de Richaud Dim 18 Aoû 2013 - 20:29
Merci pour ce fil Constance !
La douleur dans ma LAL aussi. C'est le seul disponible aux bibliothèques de Genève... pas assez reconnu on dirait...
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Mar 20 Aoû 2013 - 17:41
colimasson a écrit:
Merci pour ce fil Constance !
La douleur dans ma LAL aussi. C'est le seul disponible aux bibliothèques de Genève... pas assez reconnu on dirait...
Chose promise, Coli ...
Comme tu l'auras sans doute remarqué, je m'intéresse plus aux "ensablés", qu'aux auteurs qui se vendent au mètre linéaire.
Dernière édition par Constance le Mar 20 Aoû 2013 - 18:13, édité 1 fois
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Mar 20 Aoû 2013 - 17:51
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Quatrième de couverture :
"En 1932, La fontaine des lunatiques avait ébloui et traumatisé la critique. C'est vrai qu'ouvrir un tel livre, c'est ne pas en revenir. Trois hommes vivent dans une grande maison à l'écart d'un village. Hugues, le fils de 18 ans, est d'une grande beauté. Son père, fou de musique, occupe ses nuits à jouer du piano. Dans sa chambre, le grand-père paralysé se tait. Sa mort et l'apparition d'une jeune femme enterrée depuis cinquante ans brisent les liens du père et du fils. Hugues entreprend alors un voyage initiatique et sensuel. Le père façonne un orgue d'argile et se consacre à l'alchimie musicale. Et Richaud, d'une prose merveilleuse scelle l'alliance de la poésie et du roman."
Au creux d'une combe, dans une grande bâtisse à l'allure de château appelée la Maison par les paysans, vivent reclus la famille Danis - le grand-père, le père, Charles, et son fils, Hugues; trois générations d'hommes - et la servante Malon, une vieille femme "cachottière" et silencieuse "qui savait où était cachée la grande jarre pleine de louis d'or, alors que Hugues ne le savait pas" Tout le jour, "frère de l'arbre et du vent", le jeune Hugues qui "avait l'air de quelque Divinité d'automne", court la montagne dans la forêt de pins qui entoure la Maison "d'une sorte de cercle magique", la Maison définitivement coupée du monde extérieur par la Vilore qui emporta le pont la reliant au village de Sabran, un jour de crue printanière. Chaque soir, à regret, Hugues regagne "cette maison vouée au silence et à l'obscurité" où son père ne l'attend guère, trop absorbé par sa passion obsessionnelle pour la musique. Quand M.Charles ne joue pas une Pastorale de Scarlatti au piano, il se joue "à lui-même des symphonies, les oreilles dûment bouchées aux bruits extérieurs par des bouchons", en quête de la note idéale. Chaque soir, la nuit tombée, les deux hommes rejouent le cérémonial du coucher du grand-père - trétraplégique depuis quinze ans suite à une attaque - le transportant de la fenêtre où il passe sa journée face à la campagne, jusqu'à son lit, tandis que ses yeux cherchent obstinément à ne pas "perdre de vue la fenêtre". " Que voulait voir encore le vieux dans ce trou noir ? " Les jours et les nuits s'écoulent en une apparente harmonie, au sein de cette famille étrange, mais l'aïeul décède ... sur la colline plantée de cyprès, dans le cimetière privé de la famille, on ouvre le tombeau d'une jeune fille morte la veille de ses noces avec un Danis, du cercueil s'échappe un souffle mystérieux ... et si la jeune fille avait été enterrée vivante ? Sans le courage que confère la liqueur de lune, Hugues et son père auraient-ils profané la sépulture de cette jeune fille, à la faveur de la nuit alors que "La lune se levait, une grande lune rousse, celle qui préside aux maléfices" ?
Dans la combe enchantée, sous l'influence néfaste de la lune rousse, se brise le huis-clos anesthésiant des non-dits, les blessures secrètes de l'âme suintent, les masques de la sérénité s'effritent. Sur le sommet de la montagne, un fou joue un concerto cosmique sur son orgue d'argile, et dans la vasque de la Fontaine des lunatiques, "quelque Divinité d'automne" se reconnaît dans la tête de marbre de la Jeunesse ... pourtant, au village de Sabran, chacun sait que l'imprudent qui s'abreuve à la Fontaine des Lunatiques sombrera dans la folie mélancolique.
André de Richaud s'est amputé de son pays natal, mais dans ce conte fantastique nimbé des sortilèges du cher Comtat venaissin de son enfance, il poursuit sa quête de l'innocence perdue, de l'authenticité du coeur dissimulée sous le masque mensonger des apparences. En une prose étourdissante de poésie, il dit la silencieuse violence de la solitude, le feu exigeant des affres de la sexualité, la fascination-répulsion pour la mort, l'angoissante décision du partir pour renaître ailleurs et sa quête de l'absolu nourrie par ses propres tourments existentiels avec, pour tragique dénouement, l'inéluctable défaite en une perpétuelle errance ou dans l'exil salvateur de la folie.
Exergues à la première partie, intitulée Automne :
What have you, my good friends deserved at the hands of Fortune, that she sends you prison hither ?
HAMLET
Chapitre IV :
One that was a woman, sir; but, rest her soul she's dead
HAMLET
Extraits :
Incipit : "Le jour d'automne, si court, mourait et, dans ce pays, les couchers de soleil ont un éclat tragique. Chaque soir, il semble que la lumière s'éteigne pour l'éternité"
"Le centre du pays n'est pas l'église, comme cela se voit ordinairement, mais la Fontaine des lunatiques, qui se trouve au milieu de la grand'place. C'est une grosse sphère en pierre, percée d'un trou à chaque point cardinal. La boule est gravée de signes mystérieux qui sont ceux d'un zodiaque fantastique, les animaux ordinaires de la carte céleste étant remplacés par des monstres. Par les trous de la boule s'échappe une eau pétillante, à reflets dorés qui - d'après la tradition - contient de l'or et rend fou." (p.67) "Le jeune homme avança la main, l'emplit d'eau et une jeune fille cria : - Ne buvez pas ! Ne buvez pas ! C'est l'eau qui rend lunatique ! ..." (p.68)
"Toute vie est suspendue à une mort. Nous attendons,craignons, désirons toujours la mort de quelqu'un. La haine est le désir de voir mourir son ennemi - avec tous les déguisements, tous les affadissements que peut prendre ce sentiment. L'amour n'est que crainte de voir mourir l'être aimé - avec tous les émois que peut donner la crainte de sa décomposition." (p.75)
"Bien qu'enterrée depuis plus de cinquante ans, elle était aussi jeune, aussi belle que si elle allait s'éveiller. Un coq chanta dans la campagne et l'on s'attendait à lui voir ouvrir les yeux. Sa robe de mariée (morte deux jours avant son mariage on lui avait donné la robe des jeunes épousées) était toute fraîche." (p.88)
"La solitude n'est jamais que l'absence de quelqu'un" (p.122)
"Il posa ses doigts tremblants sur le clavier. Un grondement parut du fond de la terre dans les tuyaux d'argile. Ce grondement donna du courage à M.Charles. Il attaqua l'Allegro. Ce fut comme si tous les vents de la terre étaient sortis de l'orgue. Chaque tuyau clamait dans l'ouragan. Voix d'enfants, voix guerrières, murmures des eaux et des bois, tout cela se précipitait en tumulte sur le haut de la montagne. Il n'avait pas encore donné tous les jeux et pourtant tous les échos de la vallée chantaient en coeur. Ivre de ravissement, les yeux au ciel, M.Charles jouait avec la nature entière ... " (p.161)
Les bienfaits de la lune
La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit: "Cette enfant me plaît." Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s'étendit sur toi avec la tendresse souple d'une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C'est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis; et elle t'a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l'envie de pleurer. Cependant, dans l'expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux; et toute cette lumière vivante pensait et disait: "Tu subiras éternellement l'influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j'aime et ce qui m'aime: l'eau, les nuages, le silence et la nuit; la mer immense et verte; l'eau uniforme et multiforme; le lieu où tu ne seras pas; l'amant que tu ne connaîtras pas; les fleurs monstrueuses; les parfums qui font délirer; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d'une voix rauque et douce! "Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j'ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l'eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu'ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d'une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie." Et c'est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques. (Le spleen de Paris, Charles Baudelaire)
Dernière édition par Constance le Mer 21 Aoû 2013 - 9:12, édité 4 fois
GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
Sujet: Re: André de Richaud Mar 20 Aoû 2013 - 19:45
Constance ne cesse de richau(d)ffer mon envie de faire croitre ma LAL, croyez-le bien !
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Mar 20 Aoû 2013 - 21:12
Toujours le jeu de mots facétieux aux lèvres, GGG .
colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
Sujet: Re: André de Richaud Jeu 22 Aoû 2013 - 12:51
Constance a écrit:
Comme tu l'auras sans doute remarqué, je m'intéresse plus aux "ensablés", qu'aux auteurs qui se vendent au mètre linéaire.
En effet, et je n'ai jamais été déçue par tes recommandations !
Merci pour cette dernière présentation.
Constance Zen littéraire
Messages : 4066 Inscription le : 27/04/2010
Sujet: Re: André de Richaud Ven 23 Aoû 2013 - 11:02
Nous avons tous notre propre univers littéraire qui, parfois, se rejoignent, Coli.
Sinon, je continue à creuser, et j'ai découvert que le premier écrit de René Char, paru dans "La revue Le Rouge et le Noir", numéro d' oct-nov 1927, portait sur une critique du premier roman d'André de Richaud intitulé "Comparses". J'ai donc cassé ma tirelire, et j'ai commandé "Comparses"
A propos de cette revue, qui fut publiée de janvier 1927 à janvier 1931, les noms de ses contributeurs qui, pour la plupart, y firent leur début en littérature, donnent une idée de sa haute qualité : René Char, René Clair, Jean Cocteau, Henry Daniel-Rops, René Daumal, Joseph Delteil, Louis Delluc, André de Richaud, Marceline Desbordes-Valmore, André Dhôtel, Georges Duhamel, Maurice Fombeure, Max Jacob, Pierre Louÿs, Pierre Mac Orlan, Heinrich Mann, Henry de Montherlant, Pierre Reverdy, Georges Ribemont-Dessaignes, Philippe Soupault, Jules Supervielle, Marguerite Yourcenar, etc ... quel beau monde, n'est-ce pas ?