La sourde violence des rêves
K. Sello Duiker s'empare des espoirs, des doutes et des peurs d'une jeunesse du Cap. Le contexte est celui de l'Afrique du Sud après l'apartheid, à la fois rempli de promesses et de cauchemars.
Tshepo est hanté par le traumatisme de son histoire familiale et libère des émotions brutales et exacerbées par les mots. Livré à lui-même, il tente de dépasser un environnement qu'il considère comme destructeur mais craque à plusieurs reprises, jusqu'à ivre des internements psychiatriques passagers. Il cherche à sortir d'une prison intérieure et sa quête prend des accents quasi mythologiques. L'écriture impressionne par sa troublante fascination et sa volonté de donner une reconnaissance à des êtres au bord d'un précipice. La seconde partie du roman se concentre sur la recherche de stabilité de Tshepo, qui travaille désormais dans un salon de message dont les «extras» déguisent un réseau d'escorts masculins. Les scènes sont à la fois très suggestives et étrangement sereines : l'identité sexuelle de Tshepo est un enjeu mais son parcours est plus ample, plus large. C'est une réappropriation de son intimité tout en saisissant la portée d'une ouverture au monde.
K. Sello Duiker insiste sur les barrières qui séparent encore Noirs, Blancs, «Coloured», la réalité d'une ségrégation géographique et le conditionnement social qui en découle. C'est à chaque individu de tenter de détruire une frontière symbolique et de combattre des frustrations et des déceptions. La présence de Mmabatho, amie la plus proche de Tshepo acceptant de l'accueillir et d'accompagner ses errances, apporte une force et une sensibilité d'apparence moins tourmentée mais tout aussi vive. Elle aussi doit écarter une colère pour s'affirmer et le regard de l'auteur s'enrichit de l'étendue des possibilités.
La sourde violence des rêves ne craint pas d'assumer l'héritage d'une part sombre, à la fois pour chaque être et pour l'Afrique du Sud dans sa globalité. La beauté poétique de l'expression permet alors de combler un manque et de dessiner de fragiles perspectives.