J'ai enchaîné avec une autre lecture qui m'a fait moins bon effet... voyons voir...
Les Mots (1963)
Après avoir critiqué le garçon de café dans
L’être et le néant, Jean-Paul
Sartre se prend au jeu de la mauvaise foi en écrivant
Les mots. Pas question pour bibi de se donner un pauvre rôle de serveur de brasserie : Jean-Paul
Sartre se prend pour un écrivain prédestiné et
Les mots, sous la forme d’une autobiographie à peine enjolivée, tente de nous convaincre de la fatalité de son destin.
Le livre se divise en deux parties : « Lire » et « Ecrire ». Si besoin était, Jean-Paul
Sartre nous rappelle qu’avant d’être intellectuel, il était comme tout le monde, et qu’il n’a pas appris à écrire avant d’apprendre à lire. Il s’amuse donc à revenir sur ses jeunes années en dressant le portrait-type –plein de mauvaise foi- du petit
Sartre, enfant unique adoré, proie de la tendre convoitise d’une famille morcelée qui se déchire l’amour du petit dernier comme une famille de corbeaux autour d’un dernier quignon de pain. Petit
Sartre qui veut plaire aux adultes, qui joue le rôle qu’on lui impose, et qui finit par perdre son identité en se fondant avec la volonté de ses aïeux. Mais si l’identité est perdue, que nous raconte le petit
Sartre devenu grand ? Des histoires. Mais des histoires tenues pour véridiques : un copier-coller rapidement mâché et digéré des théories psychanalytiques qui abusent de termes manipulés à mauvais escient. L’inconscient devient la justification maîtresse des aspirations littéraires –il évite surtout le devoir de cohérence. Ainsi peut-on gentiment farandoler :
« Je souscris volontiers au verdict d’un éminent psychanalyste : je n’ai pas de Sur-moi » -parler de soi sans fin, et parler un peu des autres, mais toujours avec ce même profond mépris qui saillait déjà dans des publications antérieures :
« L’heureux homme ! il devait, pensais-je, s’éveiller chaque matin dans la jubilation, recenser, de quelque Point Sublime, ses pics, ses crêtes et ses vallons, puis s’étirer voluptueusement en disant : « C’est bien moi : je suis M. Simmonnot tout entier. » »Malheureusement, Jean-Paul
Sartre ne nous donnera jamais l’explication de son mépris de l’humanité –ce qui n’aurait pourtant pas été de mauvaise foi. En se prenant pour l’exception, élu surhomme au-dessus de toute la plèbe, l’auteur se montre détestable et ennuyeux. Tout tourne autour de lui et la perspective des évènements décrits ne dépasse jamais le bout de son nez. Peut-on trouver de l’intérêt à lire un journal qui relève plus de l’onanisme biographique que de la véritable recherche existentielle ? Oui, si l’on apprécie soi-même la contemplation individuelle, et si l’on souhaite trouver un partenaire de jeu qui soit à la hauteur.
Au milieu de ce marasme d’autosatisfaction contrôlée,
Les mots prend parfois un peu de recul, se détachant de l’individu
Sartre pour parler plus généralement de l’inscription culturelle. Elle s’impose ici en termes de culture littéraire et familiale. Tout lecteur et écrivain de jeune âge pourra contempler des clichés de jeunesse mélancoliques et lire quelques considérations amusantes –même si l’humour n’est pas le maître mot de ce roman. Malgré tout, le temps semble parfois long. Jean-Paul
Sartre hésite entre plusieurs rôles. Quel est celui qu’il préfère ? Enfant prodige, enfant manipulé, enfant abusé ? Ecrivain tyrannique, écrivain délirant, écrivain passionné ? En attendant de choisir, il s’essaie à tous les rôles, n’en choisit aucun, nous lasse de ses hésitations et enchaîne les poses :
« J’ai passé beaucoup de temps à fignoler cet épisode et cent autres que j’épargne au lecteur ». Merci.
Enfin, Jean-Paul
Sartre avoue :
« Je n’écrirais pas pour le plaisir d’écrire mais pour tailler ce corps de gloire dans les mots ». Comment accueillir une telle déclaration lorsque tout le livre a lassé ? Un peu de pitié se mêle à la fatigue. Cette explication même ne convient pas. Allez
Sartre, crache le morceau, avoue ce qui te tourmente !
« La glace m’avait appris ce que je savais depuis toujours : j’étais horriblement naturel. Je ne m’en suis jamais remis ». On espère que depuis,
Sartre a réussi à accepter…
En flagrant délit de mauvaise foi : - Citation :
[…] Chacun de mes amis se barricadait dans le présent, découvrait l’irremplaçable qualité de sa vie mortelle et se jugeait touchant, précieux, unique ; chacun se plaisait à soi-même ; moi, le mort, je ne me plaisais pas : je me trouvais très ordinaire, plus ennuyeux que le grand Corneille et ma singularité de sujet n’offrait d’autre intérêt à mes yeux que de préparer le moment qui me changerait en objet.
- Citation :
- […] Mes infortunes ne seraient jamais que des épreuves, que des moyens de faire un livre.
Parfois, des traces d'un humour noir délectable... - Citation :
- Il y a plus de vingt ans, un soir qu’il traversait la place d’Italie, Giacometti fut renversé par une auto. Blessé, la jambe tordue, dans l’évanouissement lucide où il était tombé, il ressentit d’abord une espèce de joie « Enfin quelque chose m’arrive ! » […]
J’admire cette volonté de tout accueillir. Si l’on aime les surprises, il faut les aimer jusque-là, jusqu’à ces rares fulgurations qui révèlent aux amateurs que la terre n’est pas faite pour eux.
*caricatures de David Levine