Rémy Rieffel [sociologie]

C'est parti pour le Rieffel du jour!

chapitre 5 : une culture polyphonique et adaptative : des écrits d'écran

L'essor de la communication électronique est la quatrième révolution dans l'évolution des modes de communication écrite, après l'apprentissage de l'écriture (-4000 ), l'invention du codex au troisième siècle, et de l'imprimerie en 1450. Le Web donne à lire tous les textes, quels que soient leur contenu, leur genre, leur fonction, sans ordre ni hiérarchie.

L'écriture électronique peut être modifiée sans limite, n'a pas de trace physique de la personne qui écrit, et est en ce sens, mouvante, instable et plus spontanée. Sa diffusion est facilitée (publication instantanée, aire de diffusion illimitée). Mais elle est aussi soumise à des contraintes qui restreignent cette liberté, correspondant au matériel de support technique ( par exemple langage SMS sur les téléphones portables) et aux logiciels qui imposent leurs normes.

les nouvelles modalités de lecture
Trois révolutions ont modifié le rapport au texte : à partir du XIIe siècle le passage de la lecture orale à la lecture silencieuse favorise la réflexion critique et la lecture privée. A partir de la fin du XVIIIe siècle s'est développée une lecture de distraction (romans, pamphlets, tracts, journaux). A la fin du XXe siècle, à travers les médias traditionnels et numériques c'est l'essor d'une lecture dynamique plus ouverte, plus réactive, qui n'est plus linéaire (liens hypertextes, moteurs de recherche).
Certains pensent qu'elle favorise le butinage, l'éparpillement (voire la noyade) , et c'est sans doute le cas si elle est pratiquée sans un apprentissage préalable. D'autres au contraire pensent qu'elle stimule notre curiosité intellectuelle, et nous aide à développer de nouvelles habiletés, dans une époque où le temps est une denrée rare, en contradiction avec l'augmentation de la masse des informations à intégrer. Elle induit de nouveaux plaisirs de lecture, par l'introduction de repères sensoriels plus riches, et parce qu'elle devient partage. De nouvelles dimensions affectives et culturelles ébranlent le modèle traditionnel de la lecture qui devient "augmentée", enrichie : c'est une « technique » nouvelle, ouverte, multimodale, en constante reconfiguration, une lecture active. Encore faut-il qu'on cela soit appropriée.

L'avenir du livre
On ne peut que prendre acte que la lecture ne se résume plus à l'imprimé et qu'elle est en train de migrer vers d'autres supports. Mais aussi, qu'on n'a jamais autant lu et écrit : la crise de l'imprimé ne doit pas être confondue avec la crise de l'écrit. Éditeurs, libraires, bibliothécaires ne doivent pas louper le coche de la révolution numérique s'ils veulent survivre.

l'acquisition des connaissances et des savoirs
De nombreux chercheurs opposent l' »attention profonde » qui ignore les stimuli extérieurs et s'inscrit dans la durée, à l' »hyperattention », qui combine des changements continuels de focalisation de l'attention, une recherche de sources d'information multiples et une faible tolérance à l'ennui. Si certaines étude montrent une baisse de nos performances dans ce type de situations multitâches, d'autres prouvent que les jeunes nés avec le numérique et certains internautes réguliers seraient capables de traiter une quantité d'informations plus grande grâce à une flexibilité cognitive accrue , illustrant notre plasticité cérébrale. Les zones cérébrales sollicitées lors de la lecture sur papier sont différentes de celles mises en jeu par la lecture numérique et certains spécialistes de psychologie cognitive envisagent que notre cerveau poursuit ainsi sa longue évolution.

"L'écriture électronique peut être modifiée sans limite, n'a pas de trace physique de la personne qui écrit, et est en ce sens, mouvante, instable et plus spontanée."  et parfois source de clash parce que pas assez réfléchie !

"Elle induit de nouveaux plaisirs de lecture, par l'introduction de repères sensoriels plus riches, et parce qu'elle devient partage. "  notre forum de Parfumés !

A propos de l'avenir du livre parle-t-il des liseuses ? parce que personnellement même en préférant le papier je pense que je pourrais éventuellement lire un livre  sur une liseuse mais pas devant un ordi (faut penser aussi à être en position confortable)

"Les zones cérébrales sollicitées lors de la lecture sur papier sont différentes de celles mises en jeu par la lecture numérique et certains spécialistes de psychologie cognitive envisagent que notre cerveau poursuit ainsi sa longue évolution."  je pense que c'est très juste, si je sens un assoupissement et que je j'utilise internet, la fatique s'estompe. Peut-être cette évolution jouera aussi sur notre mémoire ?

Merci Topocl,  nous sommes tous concernés  par cette étude il me semble !

Bédoulène a écrit:

A propos de l'avenir du livre parle-t-il des liseuses ? parce que personnellement même en préférant le papier je pense que je pourrais éventuellement lire un livre  sur une liseuse mais pas devant un ordi (faut penser aussi à être en position confortable)

Rieffel a écrit:

"On peut certes s'offusquer de ce « colonialisme numérique » qui impose de plus en plus sa loi, en appeler au retour de la lecture approfondie, à la préservation du livre papier qui reste sans aucun doute indépassable dans l'ordre du rêve et de l'imagination : le mouvement en cours semble toutefois irréversible."

Et dit qu'il est encore trop tôt pour savoir si lecture numérique et lecture papier vont rester en parallèle ou si l'une va finir par venir à bout de l'autre.

Moi aussi, Bédoulène , je pense que je finirai(s) par m'adapter à une liseuse, parce que c'est un objet qui a été conçu pour cela, contrairement à l'ordinateur. Je garde cependant un espoir de conserver une possibilité de lecture papier, quand je vois le regain d'intérêt dont sont sujets les disques vinyle qu'on avait crus éliminés par les CD.

Bédoulène a écrit:

"Les zones cérébrales sollicitées lors de la lecture sur papier sont différentes de celles mises en jeu par la lecture numérique et certains spécialistes de psychologie cognitive envisagent que notre cerveau poursuit ainsi sa longue évolution."  je pense que c'est très juste, si je sens un assoupissement et que je j'utilise internet, la fatique s'estompe. Peut-être cette évolution jouera aussi sur notre mémoire ?
!

Ce que tu dis est sûrement vrai (en changeant d'activité on ne met plus en jeu les mêmes zones au niveau cérébral et donc permet de repartir d'un meilleur pied). Mais ce dont Rieffel parle, c'est d'une évolution phylogénétique. Et qui s'applique aussi à la mémoire, il en parle.

merci de tes précisions Topocl !

j'attends le prochain chapitre !

Le voilà !

Troisième partie - un autre rapport à l'information et à la politique

chapitre 6 : une culture de l'information en temps réel : vers une inflexion des usages

un nouveau paysage médiatique
La surabondance informationnelle, la financiarisation du système et l'arrivée d'Internet ont amené de réels bouleversement du paysage médiatique qui passe par la montée en puissance de l'impact publicitaire, la recherche effrénée du scoop et de la vitesse, la rationalisation et la mise en scène de l'information, la primauté du direct et de l'information en continu.

Des mutations dans la fabrication de l'information.
Peu de sites ou journalistes échappent aux impératifs marketing, qui, avec leur logique d'audience et de rentabilité économique, amènent une homogénéisation des pratiques, une information redondante à faible valeur ajoutée où la mise en scène l' emporte sur le contenu.
On assiste à l'amplification d'un « journalisme assis » ( recueil de données, vérifications et commentaires en flux tendus au détriment de la mise en perspective) et à une généralisation d'un travail collectif et collaboratif entre journalistes, (auxquels est demandé toujours plus de flexibilité et de polyvalence),développeurs, chefs de projet et internaute, au risque de mélanger contenu éditorial et promotion des produits.
La relation du journaliste au public, qui était autrefois verticale tend à devenir horizontale. Les journalistes jouent un rôle d'organisation de discussions, suscitant une conversation démocratique. C'est l'émergence d'un « journalisme de lien » pour capter l'attention de l'internaute. Les amateurs jouent un rôle dans le contenu de l'information par leurs photos, vidéos, prises de position, témoignages etc. au risque d'une déprofessionnalisation et d'une remise en cause de l'autonomie des journalistes.

Des changements dans l'accès à l'information.
Chacun bricole son rapport à l'actualité en se servant gratuitement, et en tout temps, de multiples outils technologiques.
Il existe quatre modes d'accès aux nouvelles :
-éditeurs de presse en ligne reconnus et pure players (ex Mediapart), ces derniers laissant espérer une information alternative
-portails (ex Orange, Yahoo) et agrégateurs (ex Google) qui tentent de court-circuiter les professionnels des médias
-réseaux sociaux et sites participatifs pour une information sans sélection ni hiérarchie
-blogs tenus par des journalistes et des amateurs.

Contrairement aux États-Unis, la télévision reste pour l'instant le média principal d'information en France. Pour le moment, seule une minorité ne se contente pas de reproduire en ligne des habitudes acquises sur les médias traditionnels et a recours à une consommation multi-site, des envois de twits, ou des forums de discussion. La quête d'information sur le Web apparaît encore comme peu spécialisée, peu personnalisée. C'est souvent une information succincte et factuelle, qui, malgré l'éclatement initial de l'offre, se limite à quelques sites privilégiés. Les réseaux sociaux développent un usage opportuniste et aléatoire du recueil et de la diffusion de l'information au détriment d'un usage raisonné et stratégique. Dans ces différences de pratiques, Internet tend à creuser les différences socioculturelles et intergénérationelles.

La mise en conversation de l'actualité
La mutation dans le processus de l'information est marquée par les nouveaux modes de sociabilité. Le partage d'articles et de vidéos ne se limite pas à transférer une information, mais informe sur l'individu dont elle émane : ses goûts, ses opinions, ses intérêts. Les discussions et commentaires portent autant sur la relation de l'événement que sur la production journalistique dans une libéralisation (souvent cacophonique) de la parole profane.

Merci beaucoup Topocl pour ces résumés très détaillés.
Ça me rends un peu sinistre car j'ai l'impression que tous ces problèmes reviennent enfin à la faiblesse de notre esprit critique.
Très intéressant !

" la primauté du direct et de l'information en continu."

d'où redites et baisse de la qualité

" Les réseaux sociaux développent un usage opportuniste et aléatoire du recueil et de la diffusion de l'information au détriment d'un usage raisonné et stratégique. "

très visible notamment pour la politique.

" Les amateurs jouent un rôle dans le contenu de l'information par leurs photos, vidéos, prises de position, témoignages etc. au risque d'une déprofessionnalisation et d'une remise en cause de l'autonomie des journalistes."

ces amateurs sont parfois incités à délivrer leur videos aux journalistes professionnels mais il est vrai que certains internautes se prennent au sérieux !

" Le partage d'articles et de vidéos ne se limite pas à transférer une information, mais informe sur l'individu dont elle émane : ses goûts, ses opinions, ses intérêts."

inconsciemment ou pas !

merci !

Chapitre 7: Une nouvelle culture participative citoyenne : vers une démocratie électronique ?

Même si certains redoutent qu'elles ne reproduisent voire creusent les disparités socioculturelles, on peut espérer que les nouvelles modalités d'expression de la parole politique donnent naissance à une nouvelle ère de participation qui vivifie le débat politique.

On observe de nouvelles pratiques gouvernementales de communication, au risque de brouiller les frontières entre la communication de l'institution et celle de l'élu :
-consultation des citoyens sur les sujets de société (questionnaires, forums de discussions, pétitions en ligne). Les résultats en sont souvent décevant car elle ne touche qu'une fraction restreinte de la population.
-diffusion massive d'informations et de données publiques.

Les hommes politiques aussi essaient de tirer un maximum de profit des médias numériques, et notamment des réseaux sociaux comme l'ont illustré les campagnes électorales de Barak Obama utilisant le Web comme lieu de promotion, recrutement, et sensibilisation, ou de Ségolène Royal et sa plate-forme participative.
L'évolution des politiques reste cependant assez lente, avec une omniprésence de l'outil télévisuel, et conserve un usage vertical (news-letters, diffusion d'informations, mobilisation de sympathisants et de soutiens financiers)

La participation citoyenne en ligne
Certes Internet n'a pas encore fait émerger une nouvelle agora électronique, ni révolutionné le fonctionnement des démocraties. Mais les nouveaux modes d'intervention (auto-publication et échanges) amènent une nouvelle culture citoyenne participative qui déborde le champ de l'engagement politique traditionnel. Des voix et des points de vue souvent marginalisés ou peu audibles peuvent se faire entendre dans l'espace public, révélant des défaillances du système représentatif actuel. Mais la tyrannie des opinions les plus spectaculaires reste un risque qu'il faut conjurer.

L'Internet militant donne la parole à des initiatives issues de la lutte alter-mondialiste, ouvrant d'autres formes d'engagement qui ne reposent pas sur l'adhésion à un parti, mais sur l'agrégation progressive d'individus. Internet permet les trois dimensions de la contre-démocratie : vigilance, dénonciation et notation.

Des usages subversifs utilisent des actions provocatrices (piratage du site, détournement de vidéo, attaques ciblées contre les institutions au gouvernement). C'est le cas du mouvement hacker, qui allie une défense des valeurs de la Net-éthique à des objectifs politiques subversifs. Mais aussi du site Wikileaks qui œuvre pour la transparence des documents et données d'ordre politique et militaire. Internet, via les réseaux sociaux, est un puissant instrument de propagation et d'amplification des révoltes populaires contre la corruption et l'autoritarisme politique.

Si Internet permet la prolifération des paroles et des images, il renforce aussi les capacités de propagande, de contrôle et de répression des Etats.

Conclusion

Ce livre constitue une représentation sociologique figée d'un paysage hautement évolutif et cherche à saisir quelques grandes tendances, pose la question de savoir si on est en présence d'une simple mutation progressive des usages (déjà maintes fois observé dans le passé) ou d'une profonde révolution culturelle. L'auteur penche plutôt pour la deuxième hypothèse, en observant des rythmes variables selon les secteurs. Il rappelle les grands axes qui ont émergé de cette étude :
-modulation de notre identité individuelle
-nouveau marché de la visibilité
-estompage des différence entre créateurs et consommateurs
-démocratisation culturelle par une culture non propriétaire et gratuite et l'augmentation de la masse des contenus culturels accessibles.
On ne saurait en oublier les limites voire les dangers :
-la fin des intermédiaires, avec son risque de perte de la contextualisation et de la hiérarchisation
-une tendance au conformisme des contenus
-une valorisation de l'immédiateté et du court terme.
En outre il ne faut jamais oublier que nos conduites culturelles numériques sont la source d'un contrôle technologique, qu'il soit commercial ou politique.

Merci à ceux et celles qui ont suivi partiellement ou jusqu'au bout.

Pour ce qui est de mon avis personnel, je dirai qu'il s'agit d'un petit livre attractif d'accès aisé, dans lequel on n'apprend pas énormément de choses mais qui permet de clarifier ses idées, mieux comprendre et mettre en correspondance des mécanismes, mettre des mots sur des phénomènes que l'on observait jusque-là intuitivement. C'est loin d'être exhaustif et il reste certainement beaucoup à dire. Rémy Rieffel a le mérite de s'appuyer sur des études dans un réel travail scientifique et de ne pas être le reflet de rumeurs ou d'opinions personnelles.

merci à toi Topocl pour le temps que tu as pris pour ces résumés.

ce livre a accru ma conscience sur l'utilité et les dangers d'Internet, d'autant que son évolution me parait inéluctable.

topocl a écrit:

C'est parti pour le Rieffel du jour!


l'acquisition des connaissances et des savoirs
De nombreux chercheurs opposent l' »attention profonde » qui ignore les stimuli extérieurs et s'inscrit dans la durée,  à l' »hyperattention »,  qui combine des changements continuels de focalisation de l'attention, une recherche de sources d'information multiples et une faible tolérance à l'ennui. Si certaines étude montrent une baisse de  nos performances dans ce type de situations multitâches, d'autres prouvent que les jeunes nés avec le numérique et certains internautes réguliers  seraient capables de traiter une  quantité d'informations plus grande grâce à une flexibilité cognitive accrue , illustrant notre plasticité cérébrale. Les zones cérébrales sollicitées lors de la lecture sur papier sont différentes de celles  mises en jeu par la lecture numérique et certains spécialistes de psychologie cognitive envisagent que notre cerveau poursuit ainsi sa longue évolution.

Voilà ce qui m'intéresse tout particulièrement. On n'arrête pas d'embêter nos enfants avec leur hyperactivité (de génies, bien sûr) mais c'est surtout le résultat du pouce et du zapping. J'avais entendu parler d'une étude qui expliquait les différences d'utilisation de la mémoire (il s'agissait de l'écrit manuel et de l'écrit tapé, le manuel exigeant plus de lenteur et d'application, il nécessitait une plus grande mémoire alors que l'instantanéité du tapuscrit obligeait le cerveau à d'autres prouesses, ce qui ne dévalorisait d'ailleurs ni l'un ni l'autre). Je suis vraiment curieuse de voir comment nos cerveaux et du coup nos modes de fonctionnement vont évoluer confronter aux nouveaux défis numériques... Pourrons-nous, par exemple, rivaliser avec les ordinateurs ou aurons-nous forcément besoin de prothèses pour mieux digérer-appréhender-retenir les informations qui nous parviennent !!??