Patrice de La Tour du Pin
Point de fil Patrice de La
Tour du Pin ? Ses vers du recueil
"La Quête de joie" font les petits délices réitérés de mes menus estivaux.
Ici un
site dédié, qui me permettra d'être sommaire sur sa biographie et sa bibliographie !
Quelques mots de celles-ci quand même:Né le 16 mars 1911 à Paris. Son père est tué à la bataille de la Marne, tout au début de la guerre de 14-18.
Enfance dans une atmosphère très familiale, entre sa grand-mère, sa mère, sa sœur et son frère aîné, entre Paris et Le Bignon-Mirabeau (dans le Gâtinais).
Ses études le mènent au lycée Janson-de-Sailly, puis à Sciences-Po; C'est à cette époque qu'il écrit le recueil intitulé
"La Quête de joie", écrit à 19 ans et paru en 1933, avec l'appui de Jules Supervielle à qui il avait osé apporter le manuscrit, et qui avait publié son poème "Les enfants de septembre".
- Les enfants de septembre:
Les Enfants de septembre.
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluie et silencieux;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace
J'avais senti siffler leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu'ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.
Après avoir surpris le dégel de ma chambre,
A l'aube, je gagnai la lisière des bois;
Par une bonne lune de brouillard et d'ambre
Je relevai la trace, incertaine parfois,
Sur le bord du layon, d'un enfant de Septembre.
Les pas étaient légers et tendres, mais brouillés,
Ils se croisaient d'abord au milieu des ornières
Où dans l'ombre, tranquille, il avait essayé
De boire, pour reprendre ses jeux solitaires
Très tard, après le long crépuscule mouillé.
Et puis, ils se perdaient plus loin parmi les hêtres
Où son pied ne marquait qu'à peine sur le sol;
Je me suis dit : il va s'en retourner peut-être
A l'aube, pour chercher ses compagnons de vol,
En tremblant de la peur qu'ils aient pu disparaître.
Il va certainement venir dans ces parages
A la demi-clarté qui monte à l'orient,
Avec les grandes bandes d'oiseaux de passage,
Et les cerfs inquiets qui cherchent dans le vent
L'heure d'abandonner le calme des gagnages.
Le jour glacial s'était levé sur les marais;
Je restais accroupi dans l'attente illusoire,
Regardant défiler la faune qui rentrait
Dans l'ombre, les chevreuils peureux qui venaient boire
Et le corbeaux criards, aux cimes des forêts.
Et je me dis : je suis un enfant de Septembre,
Moi-même, par le cœur, la fièvre et l'esprit,
Et la brûlante volupté de tous mes membres,
Et le désir que j'ai de courir dans la nuit
Sauvage, ayant quitté l'étouffement des chambres.
Il va certainement me traiter comme un frère,
Peut-être me donner un nom parmi les siens;
Mes yeux le combleraient d'amicales lumières
S'il ne prenait pas peur, en me voyant soudain
Les bras ouverts, courir vers lui dans la clairière.
Farouche, il s'enfuira comme un oiseau blessé,
Je le suivrai jusqu'à ce qu'il demande grâce,
Jusqu'à ce qu'il s'arrête en plein ciel, épuisé,
Traqué jusqu'à la mort, vaincu, les ailes basses,
Et les yeux résignés à mourir, abaissés.
Alors, je le prendrai dans mes bras, endormi,
Je le caresserai sur la pente des ailes,
Et je ramènerai son petit corps, parmi
Les roseaux, rêvant à des choses irréelles,
Réchauffé tout le temps par mon sourire ami...
Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d'autres voies en de mêmes espaces !
Et je me suis dit : Ce n'est pas dans ces pauvres landes
Que les enfants de Septembre vont s'arrêter;
Un seul qui se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en un soir, compris l'atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?
Suivent
"L'Enfer" (1935) et
"Le Lucernaire" (1936). Jusqu'à la guerre de 39-45, ce sont divers poèmes, fragments de ce qui constituera sa
"Somme de poésie" qui paraissent avec parcimonie et régularité.
Vient la guerre de 39-45 et une captivité de trois années en Allemagne.
Dès son retour de détention, en octobre 1943 il épouse Anne de Bernis, et se remet à publier, épars, des petits fragments de la future
"Somme".
Il vit alors au Bignon-Mirabeau avec son épouse, de cette union naîtront quatre filles. Il affine la
"Somme", ajoute un tome II. Le tout paraîtra en 1959. Il publie au compte-gouttes, de brefs recueils de poèmes: Un
"Bestiaire fabuleux", illustrations de Jean Lurçat, un
"Noël des eaux" (1951), une
"Pépinière de sapins de Noël" illustrations de Jacques Ferrand (1957).
Retour à Paris, et publication du
"Petit théâtre crépusculaire" - qui est, concrètement, le début du tome III de sa
"Somme", tome III qui demeurera inachevé.
En 1964, après Vatican II, il est invité à faire partie de la
Commission liturgique de traduction, chargée de rendre en français les textes latins de la liturgie, y compris les hymnes, chants et psaumes. N'allez pas croire que ce fut un dérivatif, ou une sinécure.
La
Tour du Pin y connut les affres de se confronter à des matériaux scripturaux vivants, portés par près de deux millénaires, et la dimension théopoétique à restituer dut lui sembler charge écrasante. Passer d'un
"Agnus Dei" ou d'un
"Kyrie Eleison" magnifié par (entre cent autres ou davantage !) des chants grégoriens, J-S Bach, des W-A Mozart ou des C Saint-Saëns à
"agneau de Dieu" ou
"Seigneur prends pitié"...rendez-vous compte
!
Mais ceci fait que beaucoup de gens écoutent la Parole, chantent, entonnent, communient et prient à partir de textes traduits, travaillés ou créés par Patrice de La
Tour du Pin le dimanche, sans le savoir !
- Wikipédia a écrit:
- Il participera particulièrement à partir de 1964 à la rédaction des psaumes dans le cadre de la Commission liturgique de traduction.
Il a aussi rédigé un grand nombre des premiers chants liturgiques post-conciliaires pour la liturgie catholique du bréviaire en langue française, mis en musique pour beaucoup par Didier Rimaud et Joseph Gelineau.
Son chant le plus remarqué reste sans conteste Amour qui planait sur les eaux (cote SECLI KP72-1).
Ses chants se prêtent mieux au milieu monastique, mais il n'est pas rare de les entendre aussi lors des assemblées dominicales.
Il publie encore en 1970
"Une lutte pour la vie" et en 1974
"Psaume de tous les temps", psaumes de sa propre composition.
Il décède à Paris le 28 octobre 1975.
Mon avis:Poète en décalage de son temps, qui aimait à pratiquer encore la rime quand le vers libre était dans les mœurs depuis belle lurette. Il fut balayé par la vague de la contre-culture et disparut à peu près du paysage littéraire depuis son décès, et était assez confidentiel avant celui-ci.
Au reste, ses œuvres peuvent parfois être ardues à dégotter (je signale une anthologie intitulée
"Poèmes choisis", parue à la NRF en novembre 2010, facile à trouver et excellente entrée en matière).
Sa simplicité langagière ne met pas toujours le lecteur à l'abri de certaines difficultés, pouvant passer pour de l'hermétisme.
Ses vers très ciselés, aux doux chants fluides,
"à l'ancienne" pour son époque, à savant dosage rimes plates / rimes croisées, et à nombre de pieds à l'exactitude d'horlogerie, cèlent des harmonies qui sont loin de n'être que formelles.
Difficile, alors, d'y voir un poète qui ose et qui apporte du neuf ?
Et bien pas du tout, et là est son paradoxe !
La forme versifiée rend ainsi, par le biais d'un relatif académisme, comme un ordonnancement créatif du chaos.
"Je suis l'oiseleur qui a piégé dans l'âme" , peut-être est-ce un de ses vers qui pourrait le définir ?
N'allez pas, non plus, croire en une poésie incantatoire, éthérée.
Les explorations de Patrice de La
Tour du Pin composent des vers où de belles fulgurances s'invitent, bien plus d'audace que le style et la personnalité présumée l'auteur ne sauraient laisser croire de prime abord.
Ce goûteur de sauvagine, de grands espaces solitaires, peut s'avérer fort subtil. .
Car chez lui la poésie ramène toujours à l'homme, quelque soit le lointain des
"allées intérieures" dans lesquelles poète s'engage.
Il surmonte
"la peur d'être le jeune homme riche qui habite ses seules propriétés sans en sortir, aussi bien celles de l'esprit que celles de la terre", ou encore son
"angoisse d'être trop heureux au milieu des misérables", et va sans crainte au devant du côté chtonien, avec un détachement audacieux, par sa vie (ou sa voie, ou sa voix) intérieure.
Et il y parvient, au milieu des massacres et génocides inouïs du siècle le plus violent de l'Histoire, en restant persuadé que
"l'homme est une histoire sacrée". D'où l'ambivalence, tout à fait intéressantes, de ses vers.
Voyez par exemple le poème ci-dessus ("Les enfants de septembre", sous spoiler). Le poète s'incarne en gibier "sauvage":
Et je me dis : je suis un enfant de Septembre,
Moi-même, par le cœur, la fièvre et l'esprit,
Et la brûlante volupté de tous mes membres,
Et le désir que j'ai de courir dans la nuit
Sauvage, ayant quitté l'étouffement des chambres.Puis ce moi poétique peine à s'étendre à l'ensemble du décor, qui aussi empreint d'une certaine sauvagerie, au mieux s'y fondre, plus sûrement en être écrasé:
Mais les bois étaient recouverts de brumes basses
Et le vent commençait à remonter au Nord,
Abandonnant tous ceux dont les ailes sont lasses,
Tous ceux qui sont perdus et tous ceux qui sont morts,
Qui vont par d'autres voies en de mêmes espaces !Ailleurs, il écrira, en prolongation à moins que ce ne soit en écho:
J'ai des bas-fonds aussi, farouches et secrets,
Des basses régions que des brouillards de rêve
Isolent dans la paix fiévreuse des marais [...]
Des pentes d'ombre et de hauts gagnages déserts [...]Merci, cher poète, outre de les avoir saisis, de nous de transporter avec une telle virtuosité formelle, de
bas-fonds en
hauts gagnages de l'âme !