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| Marcel Proust | |
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Auteur | Message |
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Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Marcel Proust Jeu 27 Nov 2014 - 0:01 | |
| - anagramme a écrit:
- Elle s'appelle Sidonie.
Merci de la correction, Anagramme ! | |
| | | anagramme Agilité postale
Messages : 909 Inscription le : 29/08/2008
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 1 Déc 2014 - 19:02 | |
| Dans Contre Sainte-Beuve il y a une première version de la madeleine qui n'était pas une madeleine mais du pain grillé :
L’autre soir, étant rentré glacé par la neige, et ne pouvant me réchauffer, comme je m’étais mis à lire dans ma chambre sous la lampe, ma vieille cuisinière me proposa de me faire une tasse de thé, dont je ne prends jamais. Et le hasard fit qu’elle m’apporta quelques tranches de pain grillé. Je fis tremper le pain grillé dans la tasse de thé, et au moment où je mis le pain grillé dans ma bouche et où j’eus la sensation de son amollissement pénétré d’un goût de thé contre mon palais, je ressentis un trouble, des odeurs de géraniums, d’orangers, une sensation d’extraordinaire lumière, de bonheur ; je restai immobile, craignant par un seul mouvement d’arrêter ce qui se passait en moi et que je ne comprenais pas, et m’attachant toujours à ce bout de pain trempé qui semblait produire tant de merveilles, quand soudain les cloisons ébranlées de ma mémoire cédèrent, et ce furent les étés que je passais dans la maison de campagne que j’ai dite qui firent irruption dans ma conscience, avec leurs matins, entraînant avec eux le défilé, la charge incessante des heures bienheureuses.Alors je me rappelai : tous les jours, quand j’étais habillé, je descendais dans la chambre de mon grand-père qui venait de s’éveiller et prenait son thé. Il y trempait une biscotte et me la donnait à manger. Et quand ces étés furent passés, la sensation de la biscotte ramollie dans le thé fut un des refuges où les heures mortes – mortes pour l’intelligence – allèrent se blottir, et où je ne les aurais sans doute jamais retrouvées, si ce soir d’hiver, rentré glacé par la neige, ma cuisinière ne m’avait proposé le breuvage auquel la résurrection était liée, en vertu d’un pacte magique que je ne savais pas. Mais aussitôt que j’eus goûté à la biscotte, ce fut tout un jardin, jusque-là vague et terne, qui se peignit, avec ses allées oubliées, corbeille par corbeille, avec toutes ses fleurs, dans la petite tasse de thé, comme ces fleurs japonaises qui ne reprennent que dans l’eau. De même bien des journées de Venise que l’intelligence n’avait pu me rendre étaient mortes pour moi, quand l’an dernier, en traversant une cour, je m’arrêtai net au milieu des pavés inégaux et brillants. Les amis avec qui j’étais craignaient que je n’eusse glissé, mais je leur fis signe de continuer leur route, que j’allais les rejoindre ; un objet plus important m’attachait, je ne savais pas encore lequel, mais je sentais au fond de moi-même tressaillir un passé que je ne reconnaissais pas : c’était en posant le pied sur ce pavé que j’avais éprouvé ce trouble. Je sentais un bonheur qui m’envahissait, et que j’allais être enrichi de cette pure substance de nous-mêmes qu’est une impression passée, de la vie pure conservée pure (et que nous ne pouvons connaître que conservée, car en ce moment où nous la vivons, elle ne se présente pas à notre mémoire, mais au milieu des sensations qui la suppriment) et qui ne demandait qu’à être délivrée, qu’à venir accroître mes trésors de poésie et de vie. Mais je ne me sentais pas la puissance de la délivrer. Ah ! l’intelligence ne m’eût servi à rien en un pareil moment. Je refis quelques pas en arrière pour revenir à nouveau sur ces pavés inégaux et brillants, pour tâcher de me remettre dans le même état. C’était une même sensation du pied que j’avais éprouvée sur le pavage un peu inégal et lisse du baptistère de Saint-Marc. L’ombre qu’il y avait ce jour-là sur le canal où m’attendait une gondole, tout le bonheur, tout le trésor de ces heures se précipitèrent à la suite de cette sensation reconnue, et ce jour-là lui-même revécut pour moi.
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| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 12:07 | |
| Du côté de chez Swann(livre proposé par Méphistophélès dans le cadre de la chaine de lecture janvier 2015) CombrayProust fait appel aux senteurs, saveurs et sensations pour que le souvenir surgisse. Surtout, nous dit le narrateur en guise d'avertissement : ne pas tenter d'aller à la recherche du souvenir, il serait alors totalement inopérant et peut-être même frelaté, pour ne pas dire réinventé… Non, le souvenir doit surgir de lui-même, aidé par la rencontre avec une image (celle d'un clocher qui soudain rappel violemment celui de Combray et de cette pâle église aux vitraux presque laids…), par la vague affolante d'un goût de l'enfance qui revient en mémoire comme cette fameuse madeleine au thé qui soudain précipite le narrateur dans la chambre de sa tante ou bien encore toutes les odeurs qui hantent le narrateur : l'odeur de vétiver d'une chambre qu'il faut apprivoiser pour éviter l'angoisse et la nervosité à l'heure de se coucher, l'odeur des aubépines déposées sur l'autel de l'église, l'odeur de renfermé de l'ancienne habitation de l'oncle avec lequel la famille est fâchée. Toutes ces sensations ne tenant presque à rien. Le temps du souvenir, celui qui mêle irrésistiblement la conscience du présent indiscutablement lié au passé se retrouve dans le 'plumage' des asperges, lesquelles laissent également un parfum inoubliable dans le pot de chambre du narrateur et ainsi de suite, à l'infini, à travers un prosaïsme qui peut surprendre mais qui le plus souvent prête à sourire… Nous ne sommes que la résultante de notre enfance semble murmurer Proust. Nous n'existons que parce que nous avons existé, parce que nous avons un passé, une vie d'avant qui nous revient subitement sans même nous avertir et qui nous bouscule, nous reconstruit, nous malmène et nous guette. A travers une langue dont on ne dira jamais assez l'étonnante fluidité et l'impénétrable rythmique, Proust se fait magicien du temps qui passe et c'est en évoquant les plus infimes et délicats moments d'une vie sans intérêt qu'il devient fantastiquement universel, touchant et souvent drôle*. Car il ne faudrait pas croire que Proust est un poseur, un artiste de la belle image, non, il se cache derrière cette prose magnifique un satiriste et un puissant connaisseur de l'âme humaine, un détracteur, un libertaire et un coquin, un gredin de la bourgeoisie qui manipule les travers de son époque, de son milieu pour faire rougeoyer les cieux normands comme des bonbons de fête foraine et pour dézinguer les idées reçues tout en faisant sourire et parfois même franchement rire. Le narrateur attire son lecteur dans un monde à quatre dimensions : l'espace, le temps, le réel et le souvenir se mêlant en un indissociable maelström de sensations et d'explorations des sensations. Mais qu'est-ce que cette réalité, quand elle se retrouve prisonnière du livre, du texte, de la prosodie, à travers les confidences de l'enfant qui cherche dans la lecture à trouver beauté et vérité ? Et ne faut-il pas voir dans l'art prosodique de Proust, l'image exacte des enchâssements de la pensée qui naissent de l'éducation artistique de son jeune narrateur ? En effet, le lecteur apprend que la grand-mère de l'enfant, désireuse d'éduquer sa jeunesse, lui donne à voir non pas des photographies de Rome ou de Venise mais bien les représentations picturales de peintures célèbres, elles-mêmes photographiées par des photographes célèbres… cet enchâssement de l'image, que l'on retrouve dans l'enchâssement successifs des pensées, des sensations, grâce au procédé révélateur du point-virgule, donne l'exact mesure de l'art de Proust. La réalité n'est qu'une image d'image, une métaphore de la vie, un évènement forcément sublimé par le souvenir et transformé et réinventé ad libitum… La réalité, le temps et l'espace n'existent donc qu'à travers le prisme du souvenir lequel est forcément une déformation du réel… L'idée infiniment créative qu'il existe toujours un décalage entre le sentiment et l'expression du sentiment, trouble le jeune narrateur, tout autant que la prose de Proust s'en fait l'écho. Marko, dans son commentaire note l'importance spatiale des deux axes verticaux et horizontaux représentés par la maison et ceux qui y vivent (Harelde y souscrit également). Je suis de mon côté fascinée par une autre construction, celle de l'imbrication, le fait de mettre une image dans une image et encore une autre image, cet enchâssement dont je parle plus haut, qui est à la fois le levier des rêves de l'enfant-narrateur mais également le moyen trouvé par Swann pour tomber amoureux d'Odette. Je m'explique : l'enfant se promenant seul, rêve d'une femme qui viendrait le rejoindre pour l'aimer et cette femme prend la forme d'une paysanne dont l'image n'est possible que parce qu'elle est sublimée par la statuaire du portail d'une église, tout comme Théodore (jeune aide de l'épicier) ou le chauffeur Rémi sont sublimés parce qu'ils sont les portraits vivants de toiles ou de statues. Mais celle qui déchire le voile, celle qui donne le sentiment exactement inverse qu'attendu (une personne vivante dont on retrouve l'image dans un portrait qui n'est pas elle) c'est Odette, Odette qui est l'incarnation terrestre d'une bergère et qui ne pourra être aimé de Swann qu'à partir du moment où elle sera imagée-imaginée, détachée du réel, mise en abyme grâce à la peinture de Zéphora, de Boticelli que l'on voit sur les fresques de la Chapelle Sixtine (il fallait au moins ça pour que s'incarne l'amour de Swann). Ce qui est troublant c'est qu'il ne fait pas d'Odette la femme de Moïse mais que Zéphora s'incarne en Odette, il prend l'image pieuse, précieuse, la figure artistique qu'il plaque sur les traits d'Odette et c'est Odette qui se transforme pour ressembler à la peinture. Alors que Swann ne voyait que les défauts (les trop grands yeux, les petites rougeurs sur les joues) d'une femme que tout le monde s'accorde à trouver belle, il lui faut lui donner les habits d'une représentation picturale pour qu'elle trouve enfin grâce à ses yeux. C'est exactement ce que fait l'enfant cherchant à retrouver sous les traits d'une paysanne la beauté de la statuaire religieuse, ou retrouvant dans le ventre gonflé de la fille de cuisine l'accoutrement et le visage de la Charité de Giotto ; comme si les êtres ne pouvaient exister, apparaître, être, qu'au moment de leur incarnation en une chose, une représentation, une image, une peinture, une statue, quelque objet figé, en quelque sorte 'mort'… Cette contradiction fait à mon avis l'une des grande beauté du texte de Proust mais aussi sa récurrence et son mystère… Là où l'alchimiste prend de la matière vile pour en soutirer de l'or, Proust travaille l'opération inverse, il prend les ors des peintures pour draper les cocottes, les demi-mondaines et les paysannes, qui ainsi, et seulement ainsi peuvent émouvoir le cœur des hommes. Il n'y a alors qu'un pas à franchir pour aboutir à cette étrange affirmation : la Nature imite l'Art. Zephora, Boticelli La Charité, Giotto Et pourtant et pourtant, je ne peux m'empêcher de me demander à quoi tient la magie de Proust. Car il faut bien reconnaitre, à l'instar de topocl ou de colimasson (mais dans une moindre mesure pour ma part car Combray est vraiment éblouissant) que certains passages m'ont parfois ennuyée, que les atermoiements de Swann creusent parfois jusqu'à l'étouffement la sensibilité d'un homme. J'avoue avoir peu de goût pour les récits d'enfant, peu d'intérêt pour le snobisme décrit par Proust, peu d'allant pour les hommes malheureux qui ne savent profiter de l'instant qu'au moment où celui-ci appartient au passé, peu de fascination pour les cocottes en Victoria (quoique…). Alors ? Alors d'où vient le plaisir de lire et découvrir la grande banalité de la vie des ces personnages qui n'atteignent jamais au statut de Personnage, c'est-à-dire de Héros (Parsifal ou Zéphora ne sont que des images bien éloignées d'Odette ou de Swann) et se contentent d'être, de vivre sous nos yeux, pleinement, entièrement ? Sans doute est-ce justement dans la familiarité que l'on finit par éprouver que se cache une partie de la réponse. Swann, Odette, le narrateur et son angoisse du coucher, ses petits êtres sans surface sont finalement si proches de nous qu'ils nous parlent à l'oreille de nos propres fatuités, de notre pusillanimité et de nos rêves d'amour… Ils nous racontent sans le laisser voir la parcelle la plus enfouie de notre personnalité, de notre pâle et piètre humanité, ce canevas banal de nos piteux destins décrit par Baudelaire. A travers sa philosophie (et j'entends ici l'idée que toute philosophie n'est que questions, questionnements infinis et quête d'une vérité toujours fuyante) Proust parvient à nous dire tellement bien les minuscules rouages qui fonctionnent dans nos cœurs qu'on ne peut qu'en être estomaqué. Sans compter que Proust parvient (exactement comme il parvient à le faire à l'intérieur de son roman) à sublimer cette Banalité, cette familiarité en y inscrivant , en y incrustant, y sculptant son Art (à la fois références intellectuelles et incroyable style). Par cet écran, Proust parvient à sublimer son roman tout comme Swann sublimait Odette en la comparant à un Boticelli. Dès lors, force est de constater que Proust n'est sans doute pas mon genre d'écrivain mais que j'ai bien fini par l'aimer... La Victoria, Béraud (*) A propos de l'humour de Proust, auquel je reviendrai sans doute plus tard, il faut noter que dans ses écrits sur Proust, Walter Benjamin parle plus volontiers du comique de l'auteur que de son humour, comique que l'on découvre avec grand plaisir dans Combray mais qui semble dériver vers le sarcasme et l'ironie dans Un amour de Swann (en dehors de l'éblouissant et drôlissime passage chez Mme de Saint-Euverte). Ce qui pousse à penser que Swann est avant tout un être malheureux et déchiré, un être qui a choisi de ne pas évoluer dans le milieu qui lui convient parce que précisément plus aucun milieu ne peut lui convenir. Ce qui nous amène à une seconde notion défendue par Benjamin, à savoir que la dénonciation du snobisme (qu'il soit celui des petits-bourgeois du clan Verdurin, de Swann lui-même ou de la haute-bourgeoisie) annonce la fin du décadentisme et le passage à la modernité. Une modernité qui serait celle de l'avènement de la bourgeoisie moyenne, de l'électricité et de la révolution russe… En décrivant les nombreuses mortifications de Swann mais en même temps son refus de succomber aux mauvaises paroles des uns comme des autres, Proust fait le portrait d'un homme tiraillé, qui n'assume pas encore ce que le changement du monde apporte au changement des statuts (en cela, on peut imaginer un rapprochement non dénué d'intérêt entre Proust et Houellebecq…). J'ai donc commencé A l'ombre des jeunes filles en fleurs et je remercie infiniment Méphistophélès de m'avoir, grâce à la chaine de lecture, enchainée pour un temps à la Recherche... | |
| | | Heyoka Zen littéraire
Messages : 5026 Inscription le : 16/02/2013 Age : 36 Localisation : Suède
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 14:04 | |
| - shanidar a écrit:
- et je remercie infiniment Méphistophélès de m'avoir, grâce à la chaine de lecture
Je le remercie aussi ! Quand j'ai dit que j'avais hâte de lire tes impressions, je ne m'attendais pas à un tel plaisir. Quel commentaire ! Vraiment impressionnant Shanidar, chapeau et merci. J'ai encore plus envie de découvrir Swann maintenant... | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 14:10 | |
| ton commentaire m'impressionne vraiment Shanidar, et je ne me sens pas de m'aventurer à la rencontre. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 16:05 | |
| En tout cas il ne faut pas avoir peur du premier tome qui se lit vraiment facilement et avec plaisir. A suivre... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 18:50 | |
| - shanidar a écrit:
- En tout cas il ne faut pas avoir peur du premier tome qui se lit vraiment facilement et avec plaisir. A suivre...
On ne le dit jamais assez. Proust se lit très facilement et avec un plaisir grandissant. Le style s'apprivoise très vite. | |
| | | Méphistophélès Main aguerrie
Messages : 407 Inscription le : 01/11/2012 Age : 32
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 12 Jan 2015 - 20:51 | |
| - shanidar a écrit:
- Du côté de chez Swann
J'ai donc commencé A l'ombre des jeunes filles en fleurs et je remercie infiniment Méphistophélès de m'avoir, grâce à la chaine de lecture, enchainée pour un temps à la Recherche... Whouah, ton commentaire est vraiment impressionnant, il dépeint si bien l’œuvre de Proust ! C'est un réel plaisir d'avoir pu faire partager mon coup de cœur et de voir qu'il se communique encore à d'autres membres du forum. ^^ Et je confirme, cet auteur a beau paraître difficile d'accès, dès qu'on ouvre À la Recherche du temps perdu, on se laisse très vite emporter par la rythmique proustienne. | |
| | | anagramme Agilité postale
Messages : 909 Inscription le : 29/08/2008
| Sujet: Re: Marcel Proust Ven 13 Fév 2015 - 19:36 | |
| Je viens de commencer Un été avec Proust | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Lun 23 Fév 2015 - 18:01 | |
| A l'ombre des jeunes filles en fleurs
Un roman sur le sentiment amoureux bien sûr mais surtout sur l'aspect déceptif des rêves lorsqu'ils deviennent réalité ou quand la réalité les épuise. L'enfant-narrateur rêvait de voir la Berma (sorte de Sarah Bernhardt fantasmée), tragédienne reconnue et auréolée d'une gloire attractive que le narrateur-adolescent aura le malheur de voir. Malheur, car il passe totalement au travers de la représentation, n'y voyant qu'une femme figée dans une déclamation sans émoi. L'horreur ! Tout comme la rencontre avec l'écrivain Bergotte sera, là aussi, accompagnée d'un lourd sentiment de déception ; l'homme n'arrivant pas à la cheville de l'Auteur imaginé par l'enfant. De la même manière, l'amour que le narrateur porte à Gilberte (la fille de Swann et Odette de Crécy) s'achèvera dans une sorte d'élan atone, tournant indéfiniment sur lui-même pour finir dans l'immobilité d'une image perdue, oubliée, effacée, défunte. La seconde partie du roman se passe aux bains, dans la fameuse cité de Balbec, à l'église historiée et aux jeunes filles aguichantes. Hélas, celles-ci n'arriveront qu'au bout de 450 pages (sur les 630 que compte le roman) et il faudra passer bien des heures en calèche avec Mme de Villeparisis avant de découvrir le peintre Elstir et ses fabuleuses peintures de rivages et de falaises. Il faut reconnaitre que cet opus (qui recevra le prix Goncourt grâce aux efforts tenaces de Léon Daudet) est un poil en dessous de Du côté de chez Swann. Moins humoristique, plus prosaïque, moins poétique et bucolique, Proust semble avoir ici un peu délayé son propos, comme s'il cherchait à travers l'amour évanescent de la jeunesse à raconter une histoire pâle, toute en couleurs passées-pastels, sans les reliefs et les abymes qu'il avait pu décrire dans la passion de Swann. Ici, le temps s'égrène dans une lenteur de goûter et de thé au salon, de jeux naïfs sur les falaises en compagnie de jeunes filles à peine délurées. On reconnaitra malgré tout un attrait certains pour les descriptions de ces jeunes filles, toujours changeantes, toujours différentes du souvenir qu'elles ont laissés dans la mémoire du narrateur, parce que justement ces jeunes êtres sont en devenir, elles ne sont encore que les esquisses d'elles-mêmes, pas encore formées, définies, mais encore interchangeables, intouchables et enfantines. Le narrateur en forme de cœur d'artichaut s'éprend tour à tour de l'une et puis de l'autre, jusqu'à ce que (un peu par hasard) il finisse par porter son attention sur Albertine. Le tout manque un peu de mystère, de drôlerie et de rythme mais il faut tout de même reconnaitre qu'après avoir délaissé plusieurs semaines l'ouvrage et m'attendant à devoir relire ce que j'avais déjà lu, je suis retombée sans aucune gêne en plein souper, en compagnie de Saint-Loup dans cet hôtel de bord de mer où le rang de chacun détermine fatalement la place à table. Car s'il est bien un motif qui sous-tend l'ensemble du texte c'est bien celui de la caste, de la place sociale, du rang. Je vous laisse (comme je l'ai fait aussi) réfléchir longuement sur cette obscure affirmation (laquelle me parait-être le résumé lapidaire de l'ensemble de ce tome) : - Citation :
- Sauf chez quelques illettrés du peuple et du monde, pour qui la différence des genres est lettre morte, ce qui rapproche, ce n'est pas la communauté des opinions, c'est la consanguinité des esprits.
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| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Mar 3 Mar 2015 - 10:45 | |
| Du côté de Guermantes ITroisième opus de la Recherche et un volume qui se veut plus politique, militaire et clérical. Certains (dont Thierry Laget, rédacteur de la préface Folio) y ont vu la description méticuleuse et de l'intérieur du snobisme. C'est vrai mais ce n'est pas ce qui a retenu mon attention, ni éveillé mon plaisir. J'ai lu essentiellement un roman fascinant autour de l'Affaire Dreyfus, cette affaire qui est d'abord un énorme scandale militaire, l'Armée condamnant un peu rapidement un obscur soldat juif et refusant de revenir sur cette condamnation injuste, scandale qui trouve un écho politique puisqu'à l'époque les ministres de la Guerre sont des généraux et qui par ricochet plombe les relations diplomatiques avec l'Allemagne, jusqu'à révéler l'antisémitisme d'une partie de la population française laquelle se scinde en deux camps luttant à mort. Notre narrateur délicieux, petit-bourgeois maladif, désireux de pénétrer le monde fabuleux dans lequel évolue la Duchesse de Guermantes, dont le nom est une source infinie de fantasmes comme le fut le nom de Balbec, décrit de l'intérieur les réactions anti ou philosémite du monde interlope des salons parisiens. J'ai été vraiment particulièrement intéressée par cette radioscopie d'une société qui en 1898 se met à craquer de toute part. La question religieuse, et en particulier celle de la judaïté est l'un des fils ténus des volumes précédents. Elle est toujours évoquée sous le sceau de la bienséance, de l'étiquette et du statut social, avec la question sous-jacente (qui n'a rien à voir avec une question de croyance, de foi ou de religiosité) : jusqu'à quel point l'aristocratie française doit-elle ouvrir ses salons aux riches juifs et en particulier aux élégantes juives ? Lesquels font partie (c'est ce qu'exprime très clairement Proust) d'une patrie étrangère, d'une race différente, de coutume et d'us particuliers (voir l'étonnante scène avec l'ami Bloch -lui-même juif- critiquant le nombre de ses coreligionnaires sur la plage de Balbec). Mais avec l'évocation récurrente de l'Affaire Dreyfus dans Du côté de Guermantes, la question prend une ampleur plus importante, plus inquiétante et dépasse largement la problématique de l'absorption dans le monde (sous-entendu le grand monde) d'une bourgeoisie riche et qui accède à la notoriété. On pourrait d'ailleurs s'étonner de voir notre narrateur rejoindre son ami Saint-Loup à Doncières, dans sa caserne, au milieu de la soldatesque, si cet épisode ne permettait pas à l'auteur de décrire avec une parfaite cohérence les deux partis qui s'affrontent au sein même de la caste militaire : les révisionnistes et les anti-dreyfusards. Etre militaire et pour Dreyfus, apparait ici comme un crime, un crime non seulement à l'égard de la gente militaire mais également contre le cléricalisme des gradés et donc contre la société dans sa totalité. Etre pour Dreyfus, c'est travailler pour le Syndicat, cet obscur et occulte société secrète dirigée par les juifs pour saper l'ensemble de la société française (on connait la rengaine fustigée par Zola en personne). Saint-Loup, qui, à voix basse se revendique comme révisionniste, fait partie de ces êtres libérés du joug de leurs ancêtres et qui jouissent d'une liberté totale, laquelle s'accompagne souvent (comme pour la duchesse de Guermantes) d'une certaine volonté d'aller contre, de renier, de sortir des lignes tracées par le nom, l'ascendance, le statut. Iconoclaste, décadent, dreyfusard, Saint-Loup est le type même du jeune homme fougueux brisant les limites de sa condition et flirtant avec le socialisme (il lit Proudhon, livre offert par la grand-mère du narrateur) et prône des idées résolument novatrices. Ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, de se comporter en vrai riche à l'égard de sa maîtresse-actrice-cocotte. De la même eau, la duchesse de Guermantes est une sorte de belle rebelle, qui parle et fait en général le contraire de ce que l'étiquette lui commande. Mais justement c'est son statut de demi-déesse qui lui permet d'aller à contre-courant de sa noblesse, de son rang, de son rôle, de ce qui est attendu, édicté. Elle est à la fois frivole et pleine d'esprit, équivoque et donneuse de leçon, en un mot une grande-dame. Mme Standish, photo Nadar, un des probables modèles pour la Duchesse. Il est d'ailleurs possible en prenant chaque personnage, assorti de chacun de ses ridicules (Villeparisis est une bas-bleu, Norpois un poseur, Bloch est une sorte de goujat dénué de toute bonne manière...) de trouver en chacun un contre-emploi, une excuse, une circonstance atténuante, un peu de bon goût en somme, c'est pourquoi le lecteur ne tombe jamais dans la détestation d'un milieu mais le regarde évoluer de l'intérieur, comme s'il devenait lui-même petit poisson dans la baignoire de l'Opéra . Il est alors à la fois impossible de rire pleinement ou de détester (snober ?) cette communauté d'âmes, aristocratique, élitiste et brillante, infatuée d'elle-même, parfois iconoclaste et souvent moutonnière. J'ai beaucoup aimé cet épisode (oui, la Recherche se lit comme un bon feuilleton, une série à rebondissements), surtout pour son côté politique (que je n'attendais plus à cette période de l'œuvre), pour sa réflexion sur l'affaire Dreyfus, cette cristallisation de l'opinion publique qui (à mon sens) marque une vraie rupture entre le temps de l'aristocratie (militaire, diplomatique et de salon) et l'émergence d'une bourgeoisie (riche, cultivée, avide d'atteindre les postes décisionnaires). Là encore, Proust se fait l'œil lucide d'une époque charnière, sorte de passage de relais fascinant entre une noblesse épuisée et une bourgeoisie pleine d'avidité. Le volume s'achève sur l'étonnante scène entre M. de Charlus (personnage à peine entrevu dans les tomes précédents) et le narrateur, scène durant laquelle M. de Charlus demande au narrateur s'il sera assez sérieux pour recueillir tous les secrets de la noblesse dont il souhaite lui faire don, comme une passation de pouvoir d'une vieille noblesse à une jeune bourgeoisie... Remarquable. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Ven 13 Mar 2015 - 9:58 | |
| Le côté de Guermantes IILa prouesse de Proust est sans doute ici de parvenir sur quelques 200 pages (le livre en compte 370) à raconter un dîner à la table de la duchesse et du duc de Guermantes, sans lasser son lecteur, alors même que la conversation n'a rien d'intéressant, alors même que cette noblesse est déjà moribonde. Cette conversation est même particulièrement décevante pour le narrateur qui avait mis tant de noblesse et d'intelligence dans le nom des Guermantes. Mais voilà, force est de constater (et en cela la leçon proustienne reste parfaitement d'actualité*) que cette noblesse vieillissante, insolente et superbe n'est pas capable (l'a-t-elle jamais été) de défendre la nouveauté, de s'approprier l'air du temps, d'être en quelque sorte à la pointe de la modernité, de la culture, de ce qui se dit comme de ce qui se pense. Incapable d'assimiler à son monde déliquescent, la nouveauté d'un Victor Hugo (dont la duchesse préfère Les Contemplations à La légende des siècles, parce que le premier est bien plus classique que le second), le naturalisme d'un Zola ( l'Homère de la vidange -formidable passage-), la poésie d'une botte d'asperges d'Elstir (auquel on préfère les portraits d'ancêtres), la duchesse de Guermantes marque ici la limite de son intelligence, de sa qualité de femme du monde, de femme de salon, d'intellectuelle. Edouard ManetIntellectuel étant d'ailleurs un terme qu'elle aurait sans doute renier puisque, inconnu jusqu'à l'Affaire Dreyfus, il caractérise en premier lieu les Dreyfusards, ce qu'elle n'est pas. Ce qu'elle n'est pas parce que justement il lui manque la possibilité de se renouveler, de prendre en compte la modernité d'une époque qu'elle trouve laide, insensible à la beauté, étrangère. La duchesse vit dans un autre monde, un monde qui sous la plume de Proust est en train de lentement sombrer dans l'oubli, le néant, les ténèbres. Ce monde, celui de l'aristocratie, celui de ces jeunes nobles qui détestent les juifs, les bourgeois, les artistes et ne se rendent pas compte qu'ainsi ils échappent à leur propre contemporanéité et filent tout droit vers la destruction, vers l'implosion de leurs prérogatives. Car bientôt (et c'est de cela précisément dont nous parle Proust) le nom, la naissance ne voudront plus rien dire, tout comme le nom de Guermantes ne dit plus rien au lecteur. Les Guermantes, famille mort-née de l'imagination proustienne est l'image même de cette grande lignée finissante, stérile, croyant encore dans son désœuvrement être grande et qui n'est déjà plus que l'ombre d'une ombre. Une absence. Et que de cette absence, Proust parvienne à tirer le chant du cygne d'une société toute entière, là est la part de magie, de vraie noblesse et sans doute de modernité d'un écrivain capable de raconter un dîner sur 200 pages, sans jamais évoqué ce qui se trouve dans les assiettes. Délicat. *En d'autres termes, ce n'est pas ceux qui imposent le 'bon goût' qui reconnaissent les talents de leur époque. | |
| | | darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
| Sujet: Re: Marcel Proust Ven 13 Mar 2015 - 10:41 | |
| Quand je pense qu'il me reste encore tout ça à lire, quelle joie ! | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marcel Proust Ven 13 Mar 2015 - 10:48 | |
| - darkanny a écrit:
- Quand je pense qu'il me reste encore tout ça à lire, quelle joie !
tu en es où darkanny ? Passé Combray ?? | |
| | | darkanny Zen littéraire
Messages : 7078 Inscription le : 02/09/2009 Localisation : Besançon
| Sujet: Re: Marcel Proust Ven 13 Mar 2015 - 11:37 | |
| Oui je viens juste de passer Combray, et je fais la connaissance des Verdurin et du"petit clan".
J'ai adoré cette première partie à Combray. C'est difficile de retranscrire les émotions ressenties, c'est très intime et ça fait appel à des choses qui regardent chacun, les lieux de l'enfance, les personnes adultes qui nous ont marqué, d'autant plus que chez l'auteur, enfant solitaire, tout prend une importance démesurée.
Alors en vrac comme cela, je retiens le personnage de la grand-mère (qui respire que quand elle est dehors, qui offre des cadeaux qui ont déjà vécu), la tante Léonie et ses relations avec Françoise, ces deux là me faisant immédiatement penser à certains sketchs de Madeleine Proust (et je comprends d'autant mieux ce pseudonyme qu'elle a choisi). Eulalie, et l'image de la Charité de Giotto, très brillamment décrite par l'auteur.
Et que dire des clochers! moi qui les regarde déjà beaucoup....ça va encore être pire.
Bref j'aime tout ce qu'il dit, la longueur des phrases ne me gêne en rien. Je crois qu'il ne faut pas absolument vouloir relier tous les éléments de la phrase, il faut se laisser porter et au besoin reprendre mais franchement, c'est tellement fluide et imagé que ce n'est pas une tâche mais un plaisir.
C'est une lecture qui fait rêver, imaginer, qui transporte, qui réveille des choses en chacun, on a l'impression que Proust dit ce que l'on a pas su dire ou transcrire sur notre enfance, sur la campagne, sur les soirées d'été, sur un tas de choses qui paraissent banales mais qui ont contraire ont marqué à tout jamais notre esprit.
Je pourrais en parler des heures, mais c'est tellement mieux de le lire, foncez!
Et c'est tellement tentant d'aller avec son livre à la campagne et tranquillement profiter du soleil pour encore mieux saisir cette nature et cette campagne si bien décrite, quel génie ! | |
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