Nathalie Sarraute

Citation :

Il n'empêche ce livre rejoint en partie certaines de nos discussions sur le forum (à propos du pastiche, des sources, des références, des 'fait exprès'), ce qui n'est pas le moins troublant, ni le moins divertissant !

tu m'étonnes.

ça ne gratouille personne ?

par rapport aux personnalités il y a une belle distorsion dans le livre surtout qu'au début encore plus c'est très flou, et que la personnalité implique une autorité, ça renvoie donc une tension plus intime... c'est infernal.

on peut aussi voir une sorte de miroir tendu dans Les Fruits d'Or : ne sommes-nous pas parfois méprisants ou condescendants ou à l'inverse moutonniers, naïfs, suiveurs ? c'est impossible de dire ce qu'est le 'bon goût' ou une 'grande oeuvre', c'est impossible de croire qu'on aimera toujours ce que l'on a aimé un jour. Le livre pose aussi des questions sur notre propre manière de lire, d'aimer, de défendre des oeuvres, d'échanger nos avis (pontifiants, sensibles, référencés...).

tout cela me donne envie de ressortir mes vieux Sarraute et de poursuivre l'aventure !

Jamais lu Sarraute. J'ai tort?

animal a écrit:

ça ne gratouille personne ?

je l'ai commandé

topocl a écrit:

Jamais lu Sarraute. J'ai tort?

OUI ! Sarraute est sans doute l'une des personnalités littéraires les plus intelligentes et les plus innovantes de sa génération (avec Duras). Il FAUT lire Sarraute ! (Enfance est celui que l'on conseille en général pour commencer).

J'avais lu Enfance et je m'étais particulièrement ennuyé... J'avais trouvé le style un brin ordinaire et le récit ne m'avais pas apporté beaucoup d'attrait... Mais je dois avouer que c'était une lecture obligatoire pour le collège et donc je ne devais pas être trés motivé.

extrait des Fruits d'Or (encore) :

Enfin... ce que je veux dire, c'est que moi, pour me sentir comme eux content et en lieu sûr, il me faut trouver... et cela n'importe où... même dans une grande fresque, pourquoi pas ? je n'ai pas de préjugés... il me faut éprouver... je ne sais pas bien ce que c'est... c'est quelque chose comme ce qu'on sent devant la première herbe qui pousse sa tige timidement... un crocus encore fermé... c'est ce parfum qu'ils dégagent, mais ce n'est pas un parfum, pas même encore une odeur, cela ne porte aucun nom, c'est une odeur d'avant les odeurs... iL me semble que c'est cela... C'est quelque chose qui me prend doucement et me tient sans me lâcher... quelque chose d'intact, d'innocent... comme les doigts fluets d'un enfant qui s'accrocheraient à moi, la main d'un enfant qui se blottirait au creux de ma main. Une candeur confiante se répand partout en moi... chaque parcelle de moi en est imprégnée...


j'ai lu ce texte dans le jardin, hier, en fin d'après-midi, les crocus se recroquevillaient et les jonquilles piquaient de la tête, légèrement endormies, légèrement balayées par un vent qui m'apportaient les premières fragrances des violettes et tout à coup le livre devenait moi, les mots prenaient un autre sens, s'élargissaient, devenaient forme, réalité, consistance, une sorte de métamorphose, de magie bien venue...

elle est souvent classique la langue de Sarraute, pas d'effets de manche, pas de travestissements, c'est une langue évidente mais mise au service d'une pensée, d'une fonctionnalité de la littérature qui transforme la vision pure du lecteur, lire Sarraute c'est se poser la question du langage, du mot, de son évidence, de sa place, de sa force, de sa banalité.

Et vous qu'est-ce qui vous fait vous sentir bien en lisant une oeuvre ? l'impression de sentir une odeur d'avant les odeurs, la sensation d'une main d'enfant qui se glisse dans la votre ? le sentiment de revenir à la maison ou de partir à l'aventure avec un baluchon d'idées ?

shanidar a écrit:

Et vous qu'est-ce qui vous fait vous sentir bien en lisant une oeuvre ? l'impression de sentir une odeur d'avant les odeurs, la sensation d'une main d'enfant qui se glisse dans la votre ? le sentiment de revenir à la maison ou de partir à l'aventure avec un baluchon d'idées ?

on pourrait ouvrir cette question en fil à part..

shanidar a écrit:

Et vous qu'est-ce qui vous fait vous sentir bien en lisant une oeuvre ? l'impression de sentir une odeur d'avant les odeurs, la sensation d'une main d'enfant qui se glisse dans la votre ? le sentiment de revenir à la maison ou de partir à l'aventure avec un baluchon d'idées ?

Disons qie si je savais répondre à cette question, je ne passerais pas mon temps à commencer des livres et les arrêter. C'est tellement impalpable ce qui fait qu'oin se sent bien dans un livre... j'ai même souvent du mal à l'expliquer...

Moi c'est dêtre pris dans le récit à un point que je suis totalement perdu dans ma réalité, submergé par mes questions et mes émotions tant et si bien que j'en oublie mon quotidien

on ne peut pas savoir avant d'avoir commencé la lecture si elle nous prendra, cette sensation est au-delà des idées exprimées, peut-être dans la manière de dire les choses, l'atmosphère qui se dégage d'un son, d'un mot, d'une sensation évoquée. Dans les Fruits d'Or, le lecteur se trouve immergé à l'intérieur de la bouche des personnages (ils parlent, ils pensent et nous les entendons), cette position quasie amniotique n'est pas sans être angoissante et parfois tendre, en tout cas délicate et stimulante, j'ai parfois aimé et parfois trouvé désagréable cette complicité non recherchée, cette espèce de violence et de contrat passé avec les personnages, je crois que cette situation est assez rare en littérature et du coup plutôt fascinante (dans ce que la fascination a de répulsif et d'attirant, d'effrayant et de séduisant).

tout à fait de l'avis de shanidar. Pour moi, Sarraute est un génie

L'ère du soupçon est le premier ouvrage que j'ai lu de la plume de Nathalie Sarraute. Espérant récolter quelques avis sur le forum pour confirmer quelques impressions, j'ai été ramené à d'autres lectures éventuelles. Quoi qu'il en soit, dans L'ère du soupçon, nous constatons une démarche étudiée de la part de Nathalie Sarraute. Ne craignant pas aller contre les idées reçues, elle pose les caractéristiques du Nouveau roman. Bien sûr, tout en lisant une biographie de Marguerite Duras et sa parenté avec le mouvement du Nouveau roman, j'ai pu mieux cerner les contours et les ambitions de ce courant littéraire du XXe siècle. Ce que je retiens dans la démarche de Nathalie, c'est sa réflexion à propos des dialogues et leurs caractéristiques. Ceci dit, la plume de Sarraute est tout aussi brève qu'énergique bien que nous pouvons dénoter un soupçon de démarche intellectualisée.

"disent les imbéciles"

Grande ressemblance de structure et de méthode avec Les fruits d'or mais 13 ans les séparent. Et quelques autres choses. Comment faire semblant de résumer pour présenter le décor... une attendrissante réunion de famille qui tourne à la descente aux enfers ou plutôt à la mise au ban d'un des individus présents. On le retrouve plus tard, ainsi qu'une figure d'autorité, peut-être sont ils le même, une femme aussi, âgée plane mystérieusement au dessus de cet univers. Une femme enceinte, un vieil homme, des inconnus qui se connaissent entre eux... des tableaux anonymes de dialogues et d'introspection.

Derrière le rideau, qui se prend des coups de canifs pas piqués des vers, on remarque deux tendances forte : une qui est une sorte de dissociation de l'individu d'avec son image, ou des autres, ou d'avec la pensée, une pensée ? Autre tendance : l'autonomie de la pensée, jamais ici, elle pendule et vivote entre bouche et oreille, remède et poison violent autant qu'énigme. Mais pas autonome, objet et à double tranchant, mal nécessaire irrémédiablement lié à celui qui l'adopte ou qui s'y colle.

Diaboliques micros récits fragmentaires, infernaux recommencements et retournements. Mais de façon plus forte et plus impliquée apparaissent le temps, un étrange temps à échelle humaine qui se garde bien de cadrer complètement ou d'être uniquement littéraire à travers l'alternance des personnages ou positions et les échos qui se font. Et plus encore aussi l'utilisation des sensations, tactiles ! pour mener le lecteur dans ce jeu abusivement abstrait. Le fantastique malaise progresse le long d'une structure presque brutalement précise (on sent les inflexions qui guident vers le sens au milieu de ce référentiel éclaté) pour faire dévier et converger les oppositions faire une énigme qui n'est pas tout à fait un compromis.

Presque une malédiction du besoin de l'autre, de la communauté et de la nécessité du mot.

Je regrette de n'avoir pas toujours été à la hauteur physiquement de la lecture, il faudrait une relecture plus concentrée et plus suivie pour profiter plus sûrement de tout ce que touche ce roman, son intention sauvage et sa stupéfiante structure. Et cette fois aussi, si l'auteur jongle en partie avec des concepts ce n'est pas en pirouette que ça se finit mais en union avec la forme et avec attributs du roman (douceurs, répulsion, personnages, luttes... ).

Réjouissant, horrifiant, stimulant. Et la capacité et la manière d'emmener dans un monde ou référentiel déstabilisé, sensation très spatiale, avec des miroirs, des éclatements, des distorsions pour provoquer un sens.

Ça ressemble à de l'exercice de style mais sans faux semblant. Ça bouge !

Merci de ton avis animal! Je croyais avoir tout lu de Sarraute mais celui-ci ne me rappelle rien...