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| Marguerite Yourcenar | |
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Auteur | Message |
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shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Mer 24 Fév 2016 - 19:04 | |
| En attendant que Marko revienne de Bavay :
Mémoires d'Hadrien
Yourcenar précise dans les notes qui suivent son roman historique, qu'elle a écrit sur le règne d'Hadrien parce qu'elle a en tête depuis toujours cette phrase de Flaubert : "Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été".
[On remarque dans la phrase de Flaubert une figure de style appelée hyperbate qui consiste à intercaler entre deux mots d'autres mots ou à en inverser l'ordre classique des mots pour leur donner plus de poids ; Yourcenar utilise souvent cette forme assez rare en français ce qui donne à son style un relief tout à fait particulier ou pour le dire mieux un particulier relief.]
De cette phrase, de cette latence, de ce moment à la fois de grâce et de disgrâce, Yourcenar écrit une somme. Elle parvient à faire jaillir de la masse informe des documents, des lettres, des relevés archéologiques, des compte-rendu numismatiques, la matière qui formera son livre. Il faudra toute l'énergie d'une femme qui se sait un génie (ou tout du moins géniale) pour extraire de ce magma la substance royale de la vie de l'empereur. Et c'est en endossant le 'je' des Mémoires, que cette femme, vivant au XXème siècle, en Amérique parvient à rendre avec une parfaite détermination et une beauté étrange, les mots, les rêves, les puissances et les déboires d'un empereur qui apparait sous les traits à la fois d'un homme et d'un dieu.
L'énergie et la maîtrise sont pour moi les deux mots qui définissent le mieux à la fois le formidable travail de Yourcenar (travail d'érudite et travail de création, travail du style et travail de la forme) et son personnage central. Homme aux mille visages et aux mille vertus, Hadrien sut transformer ses vices en fortune et son ambition en volonté de faire le Bien. Attentif à l'humanité de chacun comme à la sienne, c'est en homme éclairé qu'il finit sa vie, espérant de tout son être maintenir une période de paix, d'entente des peuples et de lucidité. Car il sait bien, Hadrien, au bord de succomber que cette accalmie ne durera qu'un temps comme lui-même .
On pourra finalement être attentif aux volontés d'un grand politique et d'un fin stratège qui fit de la Paix son obsession finale et de l'amélioration de la vie de ses sujets sa préoccupation ultime. On pourra regretter que nos politiques n'aient pas lu Yourcenar, qu'ils n'aient pas compris l'immense profit qu'ils auraient pu tirer de la vie du César. On pourra recommander à ceux qui aiment la belle littérature, le bel esprit et la finesse du langage et des idées, de s'emparer très vite de ce très beau roman.
Merci Maline d'avoir proposé Yourcenar au portail et de nous avoir invité à découvrir ce roman en particulier.
Dans son commentaire Le Bibliomane précisait qu'il fallait lire et relire ce livre ; je suivrais son conseil.
Marko disait quant à lui lors de sa relecture avoir un peu survolé les passages concernant les questions politiques, j'ai utilisé le même subterfuge en me promettant d'y revenir, car au-delà de son amour insensé pour la Grèce, berceau de toutes nos civilisations, au-delà de la réflexion sur les contrées barbares dont les us nous étonnent voire nous scandalisent, au-delà de la question sur l'incertitude de la présence divine ; Yourcenar semble donner quelques clefs pour mieux appréhender notre monde contemporain, barricadé, frileux, moribond et malade du cœur.
Marguerite Yourcenar est un colosse monumental récitant des vers grecs, une armée furieuse avançant avec l'ordre des légions romaines, un cataclysme sûr, un adonis à la peau ferme, aux gestes froids ; elle est tout à la fois puissante, passionnée et tendre, ouragan et simple brise, scandaleuse et cachée. Enigmatique. Tout ça ne peut laisser indifférent. | |
| | | ArturoBandini Sage de la littérature
Messages : 2748 Inscription le : 05/03/2015 Age : 38 Localisation : Aix-en-Provence
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Mer 24 Fév 2016 - 19:28 | |
| Très beau commentaire. Tout cela ne peut laisser indifférent, tu as bien raison. J'avais eu une discussion avec Arabella, qui m'avait fait remarqué que je semblais peu apprécier les auteurs femmes. Eh bien, Yourcenar fait partie de mes élues. Un style érudit, qui allie finesse de l'analyse et beauté de la langue. | |
| | | églantine Zen littéraire
Messages : 6498 Inscription le : 15/01/2013 Age : 59 Localisation : Peu importe
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Mer 24 Fév 2016 - 19:44 | |
| Depuis le temps que je dis qu'il faut je relise Les mémoires d'Hadrien ! Ce fut un tel choc lors de ma première lecture ( en 92 , ça date ) . Merci pour ton commentaire Shanidar . | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Mer 24 Fév 2016 - 21:57 | |
| Pareil que toi, Eglantine : il faudrait que je relise l'Oeuvre au Noir et Les Mémoires d'Hadrien. Leur lecture remonte à bien loin... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Jeu 25 Fév 2016 - 0:06 | |
| - shanidar a écrit:
- En attendant que Marko revienne de Bavay :
Quelle bonne idée cette injection de rappel parce que ça m'était complètement sorti de la tête. Et c'est le moment d'y aller. Chouette! Et je partage le ressenti de ton beau commentaire. Une oeuvre d'une grande richesse. J'essaierai lors d'une prochaine relecture de m'attarder davantage sur les réflexions politiques. Et tout autant chez Mishima dont certaines considérations me laissent complètement sur le bord de la route par ignorance crasse. Au moins ça motive pour s'améliorer un peu sans être sûr d'y parvenir! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Jeu 25 Fév 2016 - 0:23 | |
| encore quelques jours et j'arrive. ce qui me laissera du temps pratique pour réfléchir à ta vision de la chose. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Sam 27 Fév 2016 - 9:54 | |
| Mémoires d'HadrienLe moins que l'on puisse dire est que le projet est ambitieux. Une fiction très documentée et réfléchie qui nous projette dans la peau et dans la tête de l'empereur romain Hadrien né presque 1900 ans avant l'écriture du livre et presque 2000 avant notre lecture. Se présentant comme une très longue lettre adressée non pas au successeur mais au petit-fils (adoptif) et espéré futur empereur le texte associe de nombreux aspects. Il y a une forme de leg historique des actions d'un empereur qui se voulait bon à ce petit fils imaginé comme digne successeur et à nos temps actuels. Surtout dans la perspective du XXè entre les utopies et les abysses ça interroge. Vu du XXIè... pas moins. D'autant plus que l'exercice du pouvoir est à l'échelle d'un empire, c'est l'Europe de la Bretagne à la Syrie ! Les réflexions de cet homme accompli, à la fois soldat et lettré, qui s'écrit au crépuscule de sa vie, sa réflexion sur l'exercice du pouvoir, sur le mélange changeant entre volonté, erreurs, échecs et succès à un côté Art de la guerre (le classique de Sun Tzu). Le conflit est en somme omniprésent mais sa solution idéale serait que les conditions fasse qu'il ne fût pas. Une vision sans cesse mise à l'épreuve par les aléas de l'histoire et les ambitions politique de son camp ou des camps adverses. Ce qui se développe à travers et à côté de cette trame politique c'est une conception de la culture. Autour d'un socle gréco-romain se dessine un agrégat et une assimilation de pratiques et d'usages des peuples conquis. Notamment pour ce qui est des pratiques spirituelles (si ce n'est ésotériques). On assiste à un échange et à des emprunts autant qu'à des ajouts qui peuvent surprendre et dégagent un parfum certain d'exotisme mais cette approche pacifiée fait réfléchir. Pacifiée mais pas simpliste ou sans application de la force et pas non plus sans problèmes irrésolus, Jérusalem ? Évoquer techniquement la spiritualité et son usage politique ne doit pas faire oublier qu'il s'agit d'une composante majeure de la vie de tous les jours et d'une vie, au même titre que les amours. Les mœurs libres de l'époque laissent beaucoup de place à quelques débauches savamment organisées mais pas toujours goûtées par notre empereur qui ne manque pas du besoin de s'éprendre et de le concrétiser. De façon amicale avec Plotine sa belle-mère adoptive et amoureuse et charnelle avec Antinoüs, un jeune protégé. Une relation étrange qu'on entrevoit comme un culte à double sens et aux pratiques différentes. Une part d'apaisement vient de ces relations mais le plus grand repos est celui plus austère apporter par la nature. Rudesse ou douceur, notre homme est sensible aux climats et aiment à prendre ses distances avec Rome pour retrouver le contact avec le monde. Mais le livre pourrait presque se décrire à l'envers tant les trames sont entremêlées. On pourrait aussi ajouter beaucoup à cette description. La bonne surprise est que le livre est très lisible même si on manque cruellement de savoir face à cette masse d'érudition en mouvement littéraire. Il suffit de passer la première impression, ou de s'y habituer, de densité, de pompe presque qui fait craindre le fastidieux alors qu'on s'installe sans s'en rendre compte dans un état dépassionné qui n'est pas sans charme. Surtout que cette tonalité va à merveille avec le sujet. avec l'époque aussi. Les espoirs les plus grands, l'action, et la noirceur des grands drames de l'histoire, l'idée de culture, le tournant de l'individu et du monde par le geste même on retrouve des thématiques littéraires très XXè siècle. En plus de penser à L'Art de la guerre on peut penser à Malraux, en plus réfléchi ? (Ce qui n'enlève ni à l'un ni à l'autre). Pour le flux aussi, l'écriture et le reste de mélancolie hallucinée. Drôle d'expérience pour un panda mais expérience. | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Sam 27 Fév 2016 - 14:32 | |
| Drôle mais intense expérience de panda apparemment ! | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Dim 28 Fév 2016 - 12:14 | |
| Ah mais finalement tu as aimé animal... et ton commentaire met bien en relief les liens existants entre cet empire romain (qu'on croit connaître à travers quelques images d'Epinal) et nos époques contemporaines (qui de la même manière se résument parfois à des étiquettes trop rapides).
Je viens de finir L'Œuvre au Noir, qui m'a un peu moins séduite que Mémoires d'Hadrien, car même si ce roman brasse énormément de notions passionnantes (en particulier les problématiques religieuses auxquelles nous ne pouvons échapper), il ne possède pas la force des Mémoires. Sans doute en ayant sacrifier l'exaltation du style des Mémoires à un récit plus 'classique', Yourcenar a perdu une partie de cette énergie qui faisait de la lettre à Marc Aurèle un morceau de bravoure (et d'anthologie). Ici la prose est moins tendue, s'assouplissant aux rythmes de dialogues ou d'une vaste chronologie, s'accolant à de nombreux personnages, elle impose moins sa démesure et sa puissance. Mais L'Œuvre au noir reste tout de même un roman atypique et passionnant à bien des égards.
Je ne garde pas un bon souvenir de ma lecture d' Alexis - Le Coup de grâce et je ne sais pas si j'ai envie de retenter l'aventure quelques 20 ans plus tard... En revanche, je pense relire Ana, soror... en espérant y retrouver le grand bonheur, la grande exaltation que j'avais éprouvé lors de ma première lecture. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Dim 28 Fév 2016 - 14:42 | |
| ce n'est pas le gros kif ou le kif évident. c'est à la fois très cérébral et déterminé et en recherche d'une atmosphère particulière et complexe, ça donne énormément de composants qui créent une distance changeante. dans ce genre de situation je suis friand de l'effet provoqué dans la durée et avec ce livre très cohérent la sensation est au rendez-vous. à voir sur le plus long terme après la lecture.
je serai bien obligé un jour de m'embarquer dans un autre ouvrage. | |
| | | eXPie Abeille bibliophile
Messages : 15620 Inscription le : 22/11/2007 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Dim 28 Fév 2016 - 21:38 | |
| - shanidar a écrit:
- Mais L'Œuvre au noir reste tout de même un roman atypique et passionnant à bien des égards.
Sans compter tout ce qui nous échappe (enfin, à moi, du moins), comme dans les oeuvre de Brueghel et de Bosch. Je m'étais dit qu'il me faudrait le relire et enchaîner avec un livre d'analyse... | |
| | | Marko Faune frénéclectique
Messages : 17930 Inscription le : 23/08/2008 Age : 56 Localisation : Lille
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Dim 28 Fév 2016 - 23:29 | |
| - eXPie a écrit:
- shanidar a écrit:
- Mais L'Œuvre au noir reste tout de même un roman atypique et passionnant à bien des égards.
Sans compter tout ce qui nous échappe (enfin, à moi, du moins), comme dans les oeuvre de Brueghel et de Bosch. Je m'étais dit qu'il me faudrait le relire et enchaîner avec un livre d'analyse... J'ai beaucoup aimé celui-là: | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Lun 29 Fév 2016 - 10:34 | |
| - eXPie a écrit:
- shanidar a écrit:
- Mais L'Œuvre au noir reste tout de même un roman atypique et passionnant à bien des égards.
Sans compter tout ce qui nous échappe (enfin, à moi, du moins), comme dans les oeuvre de Brueghel et de Bosch. Je m'étais dit qu'il me faudrait le relire et enchaîner avec un livre d'analyse... En effet, comme pour Mémoires, Yourcenar donne dans ses notes finales quelques une de ses recettes romanesques et quelques sources (je n'ai pas été étonnée d'y retrouver Carl Gustav Jung d'ailleurs...) ; mais un livre d'analyse (plus particulièrement sur les différents courants sectaires créés par la Réforme) serait le bienvenu. Malheureusement celui que tu proposes Marko n'est pas à la médiathèque et celui de la collection folio (même format que celui proposé par eXPie pour Mémoires d'Hadrien) est manquant... Quant à la biographie de Josyane Savigneau, elle ne s'y trouve pas non plus... Grrr... | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Mar 1 Mar 2016 - 12:43 | |
| Anna, soror...
J'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir les sensations éprouvées il y a quelques années à la lecture de ce livre. Une espèce de fièvre dévorante, un plaisir des sens qui nait des sons, du rythme, de la tenue incroyable de ce roman d'à peine cent pages. Une terrible urgence à lire les pages de cet amour insensé et incestueux entre deux êtres dévorés et consentants, loin de toutes les oppressions sociales ou religieuses de l'époque et malgré toutes les peurs. Ces deux-là par delà le Bien et le Mal vont vivre cinq jours de fièvre et de bonheur. Le reste ? Le reste compte aussi parce qu'il sert à rendre encore plus emblématique, plus dévorant, plus vorace l'amour d'Anna et de Miguel.
Ce livre qui semble avoir été écrit d'un jet représente pour moi ce que Yourcenar a écrit de plus intense et de plus incroyable, à la fois séditieux, brûlant et rare, il exprime sans fard ce qu'une jeune femme de vingt-deux ans rêve de vivre un jour. Il est à cet égard luxueux de ne pas lire sous la plume d'une si jeune personne l'expression du péché, ni même du remords mais celui de l'exaltation, du souvenir et du désir. | |
| | | shanidar Abeille bibliophile
Messages : 10518 Inscription le : 31/03/2010
| Sujet: Re: Marguerite Yourcenar Lun 14 Mar 2016 - 10:06 | |
| Souvenirs pieuxC'est à la lecture d'un livre protéiforme que nous convie Yourcenar. Souvenirs pieux est tout à la fois reconstruction historique (dans la lignée de Mémoires d'Hadrien), autobiographie fictive (d'une belle modernité, Yourcenar désirant imprimer sa vérité plutôt que de laisser sa vie en pâture aux pilleurs-biographes), narration sans concessions qui sabre les idées reçues autour d'une femme de lettres septuagénaire et académicienne. Car qu'on ne s'y trompe pas, dans cette fausse autobiographie (où il est essentiellement question de Fernande, mère de Marguerite, morte en accouchant de sa fille et de la famille maternelle), Yourcenar n'a rien d'un auteur consensuel qui raconterait mollement en sirotant son thé à la bergamote un passé de tranquille aristocrate ,non. Lire Yourcenar, c'est découvrir la grande classe d'une femme d'esprit capable en deux mots de fulgurants raccourcis qui écorchent salement tous les bénis oui-oui. Qu'on en juge : - Citation :
- Pierre [le Grand] profite de ses voyages pour avancer l'industrialisation de son pays ; ce charpentier-autocrate qui mettra à mort son fils, jugé trop rétrograde, ressemble plus aux hommes de la faucille et du marteau qu'à ses timides héritiers qui périront dans une cave d'Ekaterinbourg.
Plus loin, c'est à nous-mêmes qu'elle s'en prend, ne renonçant jamais à dénoncer le sort fait aux animaux et aux pauvres, elle constate (amère ?) : - Citation :
Je pensais aux habitants de l'ancien village (…). Eux aussi avaient par ignorance souillé la terre et abusé d'elle, mais l'absence d'une technique perfectionnée les avait empêchés d'aller très loin dans cette voie. Ils avaient jeté à la rivière le contenu de leurs pots de chambre, les carcasses du bétail qu'ils assommaient eux-mêmes et les saletés du corroyeur ; ils n'y déversaient pas des tonnes de sous-produits nocifs ou même mortels ; ils avaient à l'excès tué des bêtes sauvage et abattu des arbres ; ces déprédations n'étaient rien auprès des nôtres, qui avons créé un monde où les animaux et les arbres ne pourront plus vivre. (…) Soumis à la force des choses, ils ne l'étaient pas encore au cycle de la production forcenée et de la consommation imbécile. Il y a cinquante ans ou trente ans à peine, ce passage d'une existence précaire de bêtes des champs à une existence d'insectes s'agitant dans leur termitière semblait à tous un progrès incontestable. Nous commençons aujourd'hui à penser autrement. Lire Souvenirs pieux, c'est un peu comme ouvrir un de ces cahiers Panini dans lesquels, enfants, nous collions des vignettes de personnages plus ou moins connus, on y trouve ainsi la silhouette de Saint-Just dont on devine l'attachement presque amoureux éprouvé par Marguerite pour le beau révolutionnaire, on retrouve le jeune cavalier Hadrien prévenant Trajan qu'il est empereur (et c'est peut-être là, dans ce galop imperturbable, cette course inassouvie, que se cache ou se révèle la force du style de l'écrivain toujours allant, toujours alerte), on découvre aussi la personnalité de Mathilde, la grand-mère inconnue de Marguerite, femme épuisée par ses dix grossesses pour laquelle l'auteur semble éprouver une forme de tendresse et puis la figure de l'oncle Octave, dont Yourcenar nous relate en une seule journée la destinée un peu molle comparée à celle, rebelle, du frère suicidé. C'est à un jeu des sept familles que nous convie l'auteur, tirant à elle une carte, elle cherche à en exprimer la quintessence, ce qui la rapproche d'elle et ce qui l'en éloigne, ce qui l'explique et ce qui la trouble. A travers les récits réinventés, elle dit l'Autre et elle se définit elle-même, dessinant des êtres et des lieux qui lui permettent de s'interroger sur sa propre destinée, sur ses désirs de voyage, son amour pour la Grèce, ses exils, ses expatriations, ses douleurs cachées, ses improbables irrévérences… Beau texte que celui-ci, toujours sublimement écrit et même si certains personnages ont moins retenu mon attention (l'oncle Octave par exemple), j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à plonger aux côtés de l'écrivain dans sa grande malle à souvenirs. | |
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