Troubadours

ECOUTEZ !

L' amour, plein de fausseté,

Prend le miel, laisse la cire,

Et pèle pour lui la poire,

Ecoutez !

Pour qu' il soit doux comme la lyre

Il suffit de le couper.



Bien fait pacte avec le Diable,

Qui fraye avec Fausse - Amour,

Verge il donne pour le battre,

Ecoutez !

Tel sans rien sentir se gratte

Qui enfin s' écorche vif.



L' amour est de sale race ;

Sans glaive il tua mille hommes.

Je ne sais plus grand sorcier ;

Ecoutez !

Du plus sage il fait un fol

Dès qu' il le tient dans ses rets.



Il ressemble à la cavale

Qui tout le jour vous emporte

Sans vous donner nulle treve ;

Ecoutez !

Et vous traine sur les lieues

Sans souçi de votre faim.



Je ne sais, pour moi, si l' amour

Est aveugle ou s' il est bigle.

C' est le miel sous le venin ;

Ecoutez !

S' il pique moins fort qu' abeille

Il est plus long d' en guérir.



Qui se règle sur la femme

En patit avec justice.

L' Ecriture nous l' enseigne,

Ecoutez !

Malheur, malheur à vous tous

Qui ne vous en gardez point !



Marcabrun par Marcabrune

Fut produit sous un tel astre

Qu' il sait comme Amour dévide.

Ecoutez !

Onc il n' en aima aucune

D' aucune il ne fut aimé.

Comme je vous le disais, Marcabrun n' aimait pas les femmes !

eXPie a écrit:

Et avec de la musique, c'est également chouette.

shanidar a écrit:

une chanson ? (je vous livre la deuxième strophe qui a retenue mon attention)(je recommande le CD de l'ensemble Sequentia d'où est tiré l'extrait suivant)

deux belles découvertes, merci à vous

kenavo a écrit:

eXPie a écrit:

Et avec de la musique, c'est également chouette.

shanidar a écrit:

une chanson ? (je vous livre la deuxième strophe qui a retenue mon attention)(je recommande le CD de l'ensemble Sequentia d'où est tiré l'extrait suivant)

deux belles découvertes, merci à vous

Je me joins à Kenavo! Merci de ce partage!
Je ne fais que passer et vais réfléchir à deux fois avant de poster ma contribution!

On aime ces musiques et l' inventivité de ceux qui le font, mais j' insiste sur le fait que n' est sans doute pas celle que l' on entendait à l' époque. D' abord, tous les poèmes n' étaient pas mis en musique et la notation de l' époque pose encore problème.

Bien, je feuillette ma bible sur la littérature du Moyen Age et je poste mes trouvailles tantôt!!

Jaufre RUDEL

Je l' ai déjà mentioné, la vie des troubadours est soit douteuse et lacunaire soit carrément réinventée. Mais la légende est belle !

Jaufre Rudel n' échappe pas à la règle. Le peu qu 'on connait de lui, le charmant récit de sa biographie n' est qu' un roman tiré tout entier de de ses poésies. Pierre Bec écrit :

J. Rudel, "prince" et seigneur de Blaye (Gironde) partit pour kla croisade en 1147 avec Louis VII, Hugues VII de Lusignan et Alphonse Jourdain de Toulouse et il est probable qu' il n' en revint pas. Mais l' amour mystérieux qu' il éprouva, dit-on pour la comtesse de Tripoli, a fourni un des thèmes les plus poétiques de la lyrique de nos troubadours : celui de l' amour lpointain et inaccessible.
La dame lointaie a trouvé ches Rudel une expression particulièrement harmonieuse et émouvante, et c' est la seule chose qui doit compter.

La postérité poétique et la légende le prouve, ont inspiré les poètes, de Pétrarque à Rostand et de Heine à Browning.

Ne sait chanter qui ne dit rien

Ni vers trouver qui ne dit mot

Nul ne sait comme il va des vers

Si leur mouvement ne l' anime

Ainsi commence ici mon chant

Plus l' ouirez, plus il plaira.



Que nul de moi ne s' émerveille :

J' aime qui jamais me verra,

D' autre amour en mon coeur il n' y a

Sauf d' une dame jamais vue

Nulle joie ne me réjouit

Je ne sais quel bien m' en viendra.



Coup de joie me frappe et m' occit

Et le dard d' amour me déssèche

La chair dont tout mon coeur maigrit.

Jamais je ne reçus tel coup,

Pour nulle autre tant me languit

Jamais cela ne s' est produit.



Jamais si doux ne m' endormis

Que mon esprit n' aille là-bas

Je n' eus jamais tant de tristesse

Que mon coeur ne fut plus ici

Quand je me réveille au matin

Tant mon beau délice s' en va.



Bien sais que d' elle n' ai joui

Jamais de moi ne jouiraa

Ni pour son ami me tiendra,

Ni promesse ne m' en fera ;

Ne m' a jamais dit vrai, ni ne mentit

Ne sais si jamais ne le fera.



Bon est ce chant, je n' y faillis,

Toute chose y est bien en place

Celui qui de moi l' apprendra

Qu' il ne l' abime ou le massacre

Car ainsi l' auront en Quercy

Bertrand et Comte de Toulouse.



Bon est ce chant, et qu' ils en fassent

Quelque chose qu' on chantera.

Guillaume, VIIème Comte de Poitiers, IX ème duc d'Aquitaine, amateur d'histoires paillardes et précurseur de la fin'amor.


Traduction

"Dans la douceur de la prime saison, feuillent les bois et les oiseaux chantent, chacun dans son langage, sur le rythme d'un chant nouveau. Il est donc juste qu chacun épanouisse son cœur à ce qu'il désire le plus.

De là-bas, où est toute ma joie, je ne vois venir ni messager ni lettre scellée; aussi mon cœur ne dort ni ne rit; et je n'ose faire un pas de plus jusqu'à ce que je sache si notre réconciliation est bien telle que je le désire.

Il en est de notre amour comme la branche d'aubépine qui, la nuit, tremble sur l'arbuste, exposée à la pluie et au gel, jusqu'à ce que, le lendemain, le soleil inonde ses feuilles vertes et ses rameaux.

Il me souvient encore de ce matin où nous mîmes fin à la guerre; elle me fit un grand don, son amour et son anneau. Que Dieu me laisse encore vivre assez pour que j'aie [un jour] mes mains sous son manteau.

Car je n'ai cure de ces propos étrangers qui pourraient m'éloigner de mon "Beau-Voisin"; je sais ce qu'il en est des paroles et de ces brefs discours que l'on répand; tel peut se vanter de son amour, tandis que nous, nous en avons la pièce et le couteau."

Anthologie des troubadours, édition bilingue, P. Bec, 10/18, 1979. (pp. 76-77)

J'ai d'autres documents à mettre sur ce texte.

Très bien cette anthologie bilingue en 10/18, Esperluette ! C' est celle que j' utilise aussi. Conseillée aussi à tous les lecteurs. A bien y regarder, on se rend compte que l' occitan de cette époque se lit plus facilement que la langue des trouvères de la meme époque ou à peu près. Et Bec donne quelques grilles de lecture bien utiles.
A propos des trouvères, lisez Chrétien de Troyes, l' un des premiers grands écrivains de fiction, inspiré du cycle Arthurien.

bix229 a écrit:

A propos des trouvères, lisez Chrétien de Troyes, l' un des premiers grands écrivains de fiction, inspiré du cycle Arthurien.

En ancien français, sinon ce n'est pas drôle!

Les 2 extraits musicaux sont fichtrement impressionnants !

Merci.

Petite précision sur le "senhal" (surnom).

Citation :

Pour tenir secrète l’identité de leurs dames, les troubadours utilisent un senhal, un surnom qu’ils choisissent et qui souvent mascunalise la donna, marquant ainsi le renversement des rapports opérés dans la relation courtoise. Dans la chanson Ab la dolçor …, le senhal est « Beau Voisin » (Bon Vezí ); ; on trouve ainsi « Bel Diaman », « Bel Cors Joios » (Beau corps de Joie) … Le senhal « dit, s’il est choisi par un maître, à la fois l’essence de la dame concrète et l’essence de la canso qui la chante. Il tend à l’universel. »

Jacques Roubaud, Les troubadours, Paris, Seghers, 1980, p.26

Il me plairait bien le livre en 10/18 mais je n'arrive pas à le trouver d'occaz.

Tina, peut-être qu'il n'attend plus que toi, coincé entre deux pavés, sur les rayonnages de ta médiathèque?

ce fil m'avait échappé !

merci Bix et Esperluette !

Oh je n'y suis pour rien, Bédoulène! Mais merci quand même ...
Tout le mérite revient à Bix et à sa curiosité insatiable!
Merci à lui.