Henry Bauchau [Belgique]

L'enfant bleu (extraits)

« Je vois que les élèves ne sont pas partis et qu’ils regardent Orion absorbé, qui dessine toujours sur son pupitre. Au moment où je reviens, il semble s’éveiller, jette un coup d’œil sur l’endroit où se trouvait son cartable et pousse un cri désespéré : “Mon sac !” Ses camarades sortent en vitesse de la classe et, groupés à la porte, rient bruyamment. Orion hurle encore : “Mon sac !”, mais ils ne font que rire plus fort. Avant que, stupéfaite, j’aie pu tenter de l’arrêter, Orion, avec une vigueur inattendue, saisit un banc et le jette en direction de ses camarades. Ceux-ci, rieurs et terrorisés, se sont enfuis. Ils reviennent narguer de loin leur victime qui saisit un autre pupitre et le lance de toutes ses forces contre le mur où il se casse.
Je vois à ce moment Paule, une des filles de la classe, m’indiquer de la main le lieu où ils ont caché le cartable. Je vais le chercher pendant qu’Orion fait en bousculant les pupitres un fracas épouvantable. Quand je reviens, il ne me voit plus, il ne voit pas son cartable. Fort pâle il saute sur place, très haut, en roulant des yeux, dans la salle dévastée.
Les autres se sont rapprochés dans le couloir, ils le regardent fascinés et prêts à filer. Je demande à Paule :
“Pourquoi faites-vous ça ? Regardez dans quel état vous l’avez mis !
— On ne peut pas s’en empêcher, Madame, lui qui a toujours peur de tout, il devient formidable. C’est plus terrible qu’à la télé.”
Puis, comme Orion, cessant de sauter, saisit son sac pour en vérifier le contenu, elle ajoute :
“Quand il aura fini, il va pleurer, vous devrez le consoler. Nous, on a trop peur. D’ailleurs c’est l’heure, on s’en va !”
Elle se sauve et je les entends descendre en riant l’escalier des élèves. »

« Orion pleure maintenant à chaudes larmes, il se laisse tomber en gémissant : “Sous-le-Bois… aller à Sous-le-Bois. Ici, c’est toujours les rayons !”
Une secrétaire est encore là, je lui demande de l’aide. Elle connaît les crises d’Orion, nous parvenons à le faire se lever, à l’amener à mon petit bureau. Je lui donne un morceau de chocolat, il hésite puis commence à le manger. Je demande à la secrétaire : “Sous-le-Bois et les rayons, c’est quoi ?
— Sous-le-Bois, c’est chez sa grand-mère, à la campagne, très loin je crois. Les rayons, il dit que c’est le démon. Il est un peu fou parfois. »

“Qu’est-ce que tu griffonnes tout le temps là-dessus ?
— On est obligé, madame, des dessins chahutés du démon, ceux qu’on ne doit pas voir !
— Pas comme ton île.
— L’île, c’est pour s’enfuir de lui.
— Sous-le-Bois, c’est une île ?”
J’ai eu tort de poser cette question. Il se tait, puis soudain, comme un secret :
“On ne sait pas, madame.”
Nous avons terminé, il me tend une main molle, un peu humide, celle pourtant qui tout à l’heure lançait les pupitres en l’air, et s’en va en rentrant les épaules, comme pour se cacher. »

« Dans les mois qui suivent, je le recueille souvent dans mon bureau, en larmes après des crises de violence ou désemparé, ne sachant plus où il est lorsqu’il a, comme il le croit, reçu trop de rayons. Je me familiarise un peu avec lui, ses étranges réactions et son langage, comme il dit, chambardifié.
Souvent aussi, lorsqu’il sent qu’une crise menace, il vient frapper à ma porte et, si je suis seule, il me demande une feuille et des crayons et se met à dessiner. Toujours des dessins très violents : bombardements, explosions, éruptions volcaniques que je ne puis regarder sans malaise. A la fin des cours, il se lève brusquement, que le dessin soit terminé ou non, me dit au revoir et s’en va de son air traqué, le corps de profil pour être moins visible. »

On attend la suite Colinette

sentinelle a écrit:

On attend la suite Colinette

La suite?....
Mais j'ai posté mon commentaire (voir un peu au-dessus... )

ah oui, je l'avais loupé celui-là
Je vais lire tout ça tout de suite

sentinelle a écrit:

ah oui, je l'avais loupé celui-là
Je vais lire tout ça tout de suite

Ah...ces gens qui ne lisent que le dernier post...

C'est le post de sousm' qui m'a troublée, du coup, je n'ai plus vu ce qu'il y avait au-dessus

Bon, j'ai encore un livre à ajouter dans ma PAL

sentinelle a écrit:

Bon, j'ai encore un livre à ajouter dans ma PAL

Je croyais que tu l'avais déjà lu...C'est un livre pour toi...

Trop pour moi, justement, c'est pour cela que je ne l'ai pas encore lu
Mais je crois que je ne vais pas y échapper, quoi que je fasse, je viendrai vers lui un jour ou l'autre

Pour info, deux ouvrages récents sur et de Henry Bauchau :

* Henry Bauchau , dans la tourmente du XXème siècle, Configurations historiques et imaginaires par Geneviève Duchenne, Vincent Dujardin, Myriam Watthée-Delmotte - Biographie parue le 05/2008

Citation :

Né en 1913, Henry Bauchau a traversé le siècle. Il ne publie son premier recueil poétique qu’en 1958. Pourtant, il y a un poète qui s’ignore dans le chroniqueur d’avant-guerre, dans le combattant de 1940, dans le citoyen engagé dans l’action sociale sous l’Occupation ; il y a un être d’action dissimulé dans l’écrivain. Ce sont ces deux pans de la vie de Bauchau qui sont abordés dans ce travail, fruit des efforts conjugués de deux historiens et d’une spécialiste de la littérature contemporaine.

* L'atelier spirituel d'Henry Bauchau, Actes Sud, mars 2008

Album d'oeuvres graphiques de l'écrivain assorties de ses propres textes.

-Le boulevard périphérique-

Oui, un livre dense et fort qui m'a parfois déroutée voire agacée, mais aussi beaucoup touchée parfois.

Ce que j'ai aimé: cette profonde humanité qui transparait tout au long du récit. Dans les rapports du narrateur avec son fils, du regard de la mère qui veille sur sa fille, dans ces pensées qui accompagnent ce dernier lorsqu'il emprunte quotidiennement le périphérique qui le ramènent à son passé et à l'éternel recommencement de la vie fait de retards, de loupés, d'attentes et d'une existence ordinaire ou magnifiée.

Ce que j'ai moins aimé: la personnalité trouble et perverse de Shadow, les rapports entre Stéphane et lui, cette espèce de relation dominant-dominé où l'homme est prisonnier y compris dans son esprit et lié à son bourreau jusqu'à la fascination...

Et puis bien sûr, il y a ce regard chargé de regrets, de reconnaissance et d'amour envers cet ami par lequel l'auteur a appris le dépassement de soi, et accepté trop tard les liens qui les unissaient.

Donc, un roman particulier, sensible et déroutant, qui ne peut laisser indifférent car il traite de sujets existenciels de façon simple, même si le cheminement pour y arriver est assez complexe.
...Et surtout poignant à l'image de cette phrase:
"qu'est ce qu'on veut quand on ne veut plus vouloir ?"

Quel passionnant débat au sujet d'Henry Bauchau. L'opinion d'Aériale sur le personnage de Shadow, dans Le Boulevard périphérique, m'a réconforté. Je craignais d'être le seul à éprouver un profond malaise devant ce SS sulfureux. J'en arriverais à dire que ce roman aurait été bien plus admirable et bouleversant avec un Shadow réduit à un passage purement anecdotique.
Le livre, cité par Sentinelle et publié en février 2008, est très intéressant comme introduction à l'oeuvre de Bauchau. Sa configuration historique, dans sa partie 40-43, laisse malheureusement dans l'ombre des éléments à charge. Une remarque d'un des auteurs m'a amusé (page 160). Je la livre telle quelle aux dames de l'assemblée : ..une fois en uniforme, mêmes les femmes ont " l'air d'un homme " ! Voilà un beau thème pour les épreuves du bac.
Dans la même étude sur Henry Bauchau, un des commentateurs définit Le Boulevard périphérique comme une " autofiction " correspondant au vécu personnel de l'auteur. Son âge, sa première épouse Mary, son fils aîné professeur d'université en Suisse, l'épouse de ce fils décédée d'un cancer dans les années 80 constituent le socle non-imaginé, très réel, du récit. On peut y ajouter son ami Stéphane, sondeur de mine, fondateur d'un Cercle Alpin, adjoint de Bauchau de 40 à 43, et dont le nom figure sur un monument aux morts dans la banlieue de Bruxelles. En fin de compte, Shadow est peut-être le seul personnage de fiction dans ce récit. De là provient mon inquiétude quant à une manipulation de l'Histoire dont Henry Bauchau n'était pourtant pas coutumier dans ses oeuvres précédentes.
Pour terminer, je signalerai l'une ou l'autre négligence, plus attribuable à l'éditeur qu'à l'auteur. J'en retiens deux.
Page 115 : " Ni Dieu, ni maître, devise du blason nihiliste " ! Je ne suis pas certain qu'anarchisme et nihilisme se confondent.
Page 37, Henry Bauchau rappelle ce haut fait d'armes d'un aviateur belge qui a attaqué le siège de la Gestapo à Bruxelles. Il cite le tir de deux obus, alors que la version officielle parle d'un mitraillage et d'une pluie de balles.
J'ai beaucoup apprécié L'Enfant bleu. Merci à Coline.

l'enfant bleu

mon grain de sel sur ce livre :
Ce livre ne peux pas laisser indifférent !! moi il m'a vraiment bouleversé....et il me poursuivra longtemps....
C'est l'histoire d'une jeune psychanalyste "débutante" qui raconte, comme si elle se confiait à son journal, sa rencontre et le suivis, l'accompagnement, le soin, l'accompagnement qui est le sien, qui est son travail, auprès d'adolescents qui ont des troubles très graves du comportement.
C'est surtout d'un jeune qu'elle parle. Orion il se nomme !! Elle le raconte si bien que j'ai l'impression de le connaitre un peu maintenant moi aussi :)

grain de sel a écrit:

mon grain de sel sur ce livre :

Précisons que tu parles de "L'enfant bleu"...

coline a écrit:

grain de sel a écrit:

mon grain de sel sur ce livre :

Précisons que tu parles de "L'enfant bleu"...

en fait Grain De Sel met le titre des romans dans le titre de son post, je le rajoute dans le post en lui-même pour plus de lisibilité.

Queenie a écrit:

coline a écrit:

grain de sel a écrit:

mon grain de sel sur ce livre :

Précisons que tu parles de "L'enfant bleu"...

en fait Grain De Sel met le titre des romans dans le titre de son post, je le rajoute dans le post en lui-même pour plus de lisibilité.

Vu...