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| Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] | |
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Auteur | Message |
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Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Jeu 19 Sep 2013 - 17:36 | |
| j'ai fini, euh avalé plutôt Derborence et La grande peur dans la montagne.
GGG et Topocl ont parfaitement commenté, je suis tout à fait d'accord avec eux.
Comme le souligne Topocl dans la Grande peur dans la montagne, le jeu des couleurs, l'opposition des silences et des bruits sont très marqués, ainsi que les mouvements.
extraits : "Il n'y avait plus de soleil. Il n'y avait plus que cette grande ombre qui a été sur nous, puis on l'a vue courir en arrière de nous grimpant aux pentes avec une grande vitesse, les pentes d'herbe d'abord, puis les premiers rochers, et un peu moins vite à ces premiers rochers ; tandis que les choses changeaient d'aspect, et la couleur de tout et même le climat changeaient. On passait tout d'un coup d'une des saisons de l'année à l'autre, et du coeur de l'été à une fin d'automne, sans aucune préparation, en même temps qu'on tombait de plusieurs heures dans la journée et vers la nuit."
"Ils ont fait tout ce long chemin, ce long chemin de la montagne ; d'abord, dans l'herbe pleine de fleurs de tout côté par grosses taches, puis entre les sapins, sur le tapis des aiguilles tout taché lui aussi de taches rondes et brodé d'or ; - les prés, la forêt, le soleil, le soleil et l'ombre ; puis la grande gorge et puis plus rien que l'ombre ; puis la rocaille qui commence, les éboulis, alors le soleil de nouveau "
"Elle descendait, il restait assis, elle courait un bout de chemin ; elle s'arrêtait, elle se tournait vers lui, elle agitait son mouchoir."
"là il l'a vue encore, puis il ne l'a plus vue"
quand l' aimée est morte :
"Lui il ne bouge plus. Il a porté une premier regard entre les poutres, il regarde de nouveau fixement par la fente comme s'il n'avait pas bien vu la première fois, comme si ce qu'il avait vu ne pouvait pas être vrai. Il regarde donc encore ; il ferme les yeux de nouveau un moment, comme pour leur laisser le temps de se reposer. Puis il les rouvrit, il ne les rouvrit qu'avec de grandes précautions. Très lentement, peu à peu, comme pour bien s'assurer qu'ils n'allaient pas se tromper à nouveau"
L'attitude de gens de ces villages de montagne est dépendante il me semble du poids de leur croyance et de l'époque.
le prochain ce sera la vie de Samuel Belet | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Jeu 19 Sep 2013 - 22:44 | |
| en plus du reste merci pour les citations, à les relire encore je crois qu'on y décèle aussi le singulier rapport au temps de la phrase. Si on aurait tendance à ralentir la lecture ça peut toujours jouer des tours à la perception. | |
| | | GrandGousierGuerin Sage de la littérature
Messages : 2669 Inscription le : 02/03/2013
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Ven 20 Sep 2013 - 9:46 | |
| Mon ressenti de lecture persiste ... et me donne presque envie de voir cette vallée de Derborence .... Une prochaine rencontre parfumée sous les auspices de Ramuz ? | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 5 Oct 2013 - 12:16 | |
| Je termine Vie de Samuel Belet.
J'aime ce récit de vie des gens modestes, des travailleurs, de vies "ordinaires" mais combien l'écriture de Ramuz n'est pas ordinaire.
Le travail qui fait vivre (faut bien se nourrir comme il le dit) le travail qui fait survivre à toutes sortes de disparition, de perdition ; la mort de sa mère alors qu'il est enfant, la déception de son premier amour, la perte de l'ami (son premier ami avec qui il partira à Paris), la perte de sa femme, de son beau-fils et enfin le retour au Pays pour y travailler, encore, jusqu'au bout, parce que travailler c'est vivre.
et comme l'a souligné Animal, une aide précieuse, le vin.
Avadoro l'a dit, les relations avec la nature, l'environnement sont importantes et les descriptions poétiques de Ramuz sont superbes.
Quelques extraits
« Elle m’était entrée dans le cœur sans que je m’en fusse aperçu, c’est la meilleure façon. Elle avait ouvert la porte si doucement que je n’en avais pas entendu le bruit ; la porte s’était refermée. Et quand même j’étais fatigué, le soir, que j’avais grand-peine à tenir mes yeux ouverts, cette présence que j’ai dite faisait que régulièrement à ma petite table. Il me fallait un grand effort, mais tout m’était facile et tout m’était plaisir, quand je me disais : « C’est pour elle ».
Je regardais encore une fois devant la rue avec son gros pavé et ses toits avançants ; dans la maison d’en face, où habitaient deux vieilles demoiselles, les rideaux s’écartèrent un peu, et une tête se montra ; le bruit du fer qu’on bat venait de chez le maréchal ferrant ; c’était comme si tout cela eût été déjà du passé, et moi je flottais dans le vide. C’est drôle que même nos joies soient ainsi mélangées de petits chagrins.
De nouveau il semblait que rien ne fût passé. Les vrais changements dans la vie ne sont pas toujours ceux qu’on remarque le plus.
Je ne savais pas aimer, il a fallu que j' apprenne ; quand j' ai su, c' était trop tard. Ceux-là qui s' en étaient allés loin de moi qui auraient eu besoin de moi ; je ne trouvais plus que le vide là où ils avaient habité ; il n' y avait plus que du silence là où avaient été leurs voix.
Il ne me reste qu’à attendre et à vivre de mon mieux jusqu’au terme fixé. Car l’essentiel est qu’il faut vivre quand même et il faut mourir encore vivant. Il y en a tant qui son t déjà morts quand la mort de la chair vient les prendre. Ils sont morts dans leur cœur longtemps déjà, quand arrive la mort du corps ; et c’est ce cœur que je veille, afin qu’il dure jusqu’au bout.
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| | | Cachemire Sage de la littérature
Messages : 1998 Inscription le : 11/02/2008 Localisation : Francfort
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Mar 22 Oct 2013 - 10:56 | |
| Si le soleil ne revenait pas
Je me joins aux beaux commentaires de Marko et Animal pour louer ce roman. Je voudrais rajouter que les jeux de langue de Ramuz (il tord la syntaxe, s'amuse à dire les choses un peu autrement) donnent beaucoup de charme à son œuvre et contribue à renforcer l'atmosphère de ses livres. De son vivant pourtant, on l' a beaucoup critiqué pour ça... à tort à mon avis.
La métaphore du soleil est très parlante dans ce roman. Et la montagne et la neige des éléments très présents. | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 2 Nov 2013 - 0:44 | |
| Fête des vignerons Lac Léman et vignoble à Yvorne, où Ramuz enfant et adolescent vendangeait... - animal a écrit:
- Passage du poète (1923-1929)
- Spoiler:
Un village des bords du lac, la vigne et le passage du vannier Besson. Personnage double du poète écrivain, étranger et observateur, révélateur de la beauté mais aussi qui redonne une langue au peuple et la beauté par ce fait. La grande mission de Ramuz que d'exprimer la communauté, sa communauté de cœur et les puissants courants fondateurs qui l'animent. Cette image est indéniable, cependant le vannier est presque absent de ce qui n'est pas tout à fait un récit.
Le vannier est un peu une intrusion, un élément à la fois étranger et naturel qui passe, six mois, dans ce village, le travail de la vigne, le travail de la terre de la vigne, la vie de la communauté. Il fascine les enfants et sa simplicité est acceptée par le sens villageois du partage, partage symbolisé par celui du vin et la vie assistée dans la communauté du vieillard Congo. Mais le vannier s'il apparait comme le déclencheur n'est pas le principal acteur, il est plus le témoin, serait-ce son observation des voix intérieures des solitudes et des tourments de tous les âges du vigneron ? La narration s'éclate en fragments de tableaux solitaires entre les murs de la vigne et du village et le lac. Et petit à petit, la renaissance par la saison, le soleil et l'expression révèle la communauté dans sa simplicité et sa grandeur.
C'est bien d'un écrit de célébration très ramuzienne qu'il s'agit, avec les particularités qui vont avec (ce qui gênera peut-être les réfractaires) mais c'est un tableau aux multiples fragments qui font sens et se rejoignent et font sens encore. Et plus qu'une grande fresque, c'est presque un tableau cubiste qui assemble les perspectives et les traits pour former son ensemble et révéler son message, fait d'ombres et de lumières. Le jeu des rythmes est incroyables entre des instants et des longueurs vivantes qui sont sans temps, le jeu des formes l'est tout autant. Et à cela s'ajoute celui des solitudes, pas seulement le regard extérieur du poète qui sait, pas non plus celui d'un oiseau de mauvais augure qui sait lui aussi, mais celui des individus qui se redressent de leurs peines pour accueillir l'extérieur et ainsi révéler à eux-mêmes leur essence et leur vie.
Il y a donc une fois de plus la confrontation à l'image de la société, tant à une facette de la modernité qu'à une conserve trop fermée d'une tradition figée. Il est question, il est enjeu, d'esprit qui vit et qui revit (incroyable et fantastique thématique de la résurrection), d'une acceptation de l'être et d'un rapport au monde (un monde qui regarde l'autre rivage de la Savoie et un peu plus loin encore), d'une solidarité d'âme. Et l'histoire du livre est celle de son écriture, indissociable. Et à sa façon l'auteur, dans toute sa tension et son lyrisme, compose au delà de la présence du vannier, cherchant presque à se faire oublier dans cet ensemble baigné par les lumières et les reflets et les ombres.
Si ce n'est pas la lecture la plus simplement marquante de l'auteur, la composition, la radicalité, l'audace et la détermination des choix sont frappants. Si cela suffisait à dire qu'il n'est jamais trop tard pour le découvrir et le redécouvrir ? Ce langage qu'on n'est pas bien sûr de comprendre, comme celui des mains du vannier, mais qui fait sens quand même et fait qu'on trouve en soi la surprise de se dire et de se trouver dans les autres ?
Cet auteur est fascinant. - nezumi a écrit:
- Passage du poète
- Spoiler:
Lorsque le vannier itinérant Besson arrive, à l'orée du printemps, dans ce village de vignerons des bords du Léman, ses habitants sont englués dans leurs soucis personnels. Il s'y installe, tresse ses paniers sur la place du village, et peu à peu sa présence tranquille et silencieuse, sa silhouette aperçue arpentant les coteaux environnants agissent sur les villageois, les rendent plus sensibles aux petits bonheurs quotidiens. "Pendant ce temps, sur la place, Besson continue à faire ses paniers, disant le pays et le refaisant, mettant les lignes de l’osier l’une sur l’autre, comme l’écrivain ses vers ou sa prose; - disant le pays et ses murs par les tiges de l'osier dont il met les unes en travers et les autres viennent s'y nouer;" A mesure que la saison avance et que les travaux viticoles s'enchaînent, ils s'éveillent à la beauté de ce qui les entoure, au sens et la portée d'un travail ingrat et peu rémunérateur mais qui les unit à cette nature qu'ils remodèlent depuis des siècles, à la terre, à la montagne, à l'eau, au ciel. Et c'est quand cette unité est réalisée, entre les hommes de la communauté, entre les hommes et la nature, que la mission de Besson s'achève et qu'il peut disparaître dans la nuit pour la poursuivre ailleurs.
On a vu que dans la Beauté sur la terre et Le Garçon Savoyard, l'arrivée de la beauté est perturbatrice, sa vision éblouit mais la réalisation qu'elle est inatteignable provoque désir, violence, désespoir et désunion. Passage du poète développe ce thème de manière bien plus apaisée car le personnage du poète, ici de façon métaphorique le vannier Besson, est présenté par Ramuz comme l'intermédiaire nécessaire entre les hommes et la beauté. Le rôle du poète est de révéler aux hommes la beauté nichée dans les détails du quotidien, de leur apprendre à la reconnaître et à devenir poètes à leur tour, pour que graduellement cette beauté les élève vers l'unité et le divin. Entre réalisme et mysticisme, ce beau roman profond mais accessible semble démontrer que plus qu'un art littéraire, la poésie est tout simplement l'art de vivre. Fête des Vignerons est un peu une reprise, une variation sur le thème (comme on dirait en parlant de musique) de Passage du Poète, dont Animal et Nezumi vous parlent avec talent et ferveur dans les deux messages rappelés ci-dessus . Passage du Poète avait été tiré à 1400 exemplaires, dont 400 pour la France. Le tirage était épuisé. En 1928 Henri Pourrat lance une collection intitulée "Champs" avec pour objectif que les livres y paraissant constituent, je cite, " une suite d'oeuvres inédites qui procèderont de la nature, de la grande paysannerie, du soleil et de l'âme. Des oeuvres non pas régionalistes, mais régionales mais surtout terriennes. Un appel d'air".Même si l'oeuvre ne peut pas tout à fait être considérée comme inédite stricto sensu, cette ré-écriture de Passage du Poète amène ses variations, et colle complètement au coeur de définition de la collection. Besson le vannier voit son rôle décentré. Il est, disons, en gravitation autour, et non plus central à l'ouvrage. C'est du village qu'il s'agit (innommé, "Le" village), de quelques-uns de ces habitants, et de la vigne et des forces telluriques comme la montagne, ou encore le lac. La vigne, ça me parle, j'ai grandi dans une ferme viticole. D'où un écho particulier aux descriptions (toujours aussi originales, poétiques et soignées), aux paroles prêtées aux uns et aux autres des personnages (Bovard, etc...). J'ai dégusté très lentement ce nectar de livre, à la suite immédiate de Déborence et de La grande peur dans la montagne, que j'ai dévorés, eux ! Le tout à léger contretemps de son élection parmi les auteurs du mois . Pourquoi une telle lenteur, ce contraste avec les deux lectures de Ramuz qui précédaient ? Je ne sais. Pas envie de me presser. Envie de savourer, quelques pages, pas plus, par jour. En fait si, j'ai une hypothèse: cet ouvrage dégage une plénitude, a des vertus apaisantes. On a envie de faire durer, durer... Et quelle maestria d'écriture. Avec parfois quelques tournures, choix de vocabulaire ou de syntaxe peu usuels (je n'y reviens pas, c'est abondamment dit sur ce fil). Je vous livre un extrait parmi cent autres d'une facture aussi exquise, à partir de baigneuses au crépuscule Ramuz peint un tableau de maître, à petites touches de petits mots simples, attendrissants comme de minuscules endémiques en fleur dans un pierrier, ou les premiers bourgeons sur le vieux cep de vigne après l'hiver. - Spoiler:
- Citation :
- Elles ont été s'asseoir sous le saule. C'est le temps où les jours ne veulent plus finir. Le soleil a attendu tant qu'il a pu avant de nous quitter. Le sable est encore tout habité par lui; il n'y a plus de soleil au ciel, mais il vit encore dans le sable et dans les galets plats qui sont brûlants comme des fers à repasser.
Elles lèvent rapidement l'un après l'autre leurs pieds nus, en même temps qu'elles ont encore jeté un regard autour d'elles. La baie est là avec la ligne des maisons au fond et les peupliers dont l'image noire est dans l'eau comme des tombereaux de nuit qu'on serait venu y vider. Et toujours rien que la baie et l'étoile au ciel, cette seule étoile: alors elles montrent un bras, montrent l'autre; - neuf heures, temps où les jours n'en finissent plus, il fait jour encore, il y a encore un reste de jour, - les deux bras, puis les épaules, sous le saule, ne parlant plus: silence partout.
Une première fille s'est avancée; elle a un costume rose. Une deuxième s'avance dans un costume qui semble noir, parce qu'on ne voit plus bien les couleurs. Elles ont été deux, elles ont été trois; elles tiennent les bras écartés à cause des pierres pointues. "Aïe ! Aïe !" les pierres leur font mal aux pieds. Balançant les bras et puis: "Aïe!" tandis qu'elles vont, sombres contre l'eau pas encore tout à fait éteinte, dans le beau soir et vers la belle nuit, où elles balancent les bras comme le danseur de corde.
L'une d'elles s'est retournée: - Tu viens, Mathilde ? Mathilde est encore sous le saule, et Mathilde: - Est-ce qu'elle est bonne ? - Tu n'as qu'à venir essayer. Alors Mathilde vient à son tour, pendant que les autres se retournent: et elle, elle est vue autrement, elle n'est plus vue contre l'éclairage, elle est éclairée. - elle se hâte, parce qu'on l'attend. Mais elle s'arrête: - Qu'est-ce qu'on entend ? En effet, qu'est-ce qu'on entend ?
Toutes les quatre, elles reviennent en arrière. Il y a ce bruit dans le mont comme si le mont se réveillait; un drôle de bruit, dont on ne sait pas s'il vient de près où de loin, on ne sait pas bien ce que c'est, ni où il va, ni d'où il est parti; puis elles se mettent à rire: c'est le garde-voie sur sa draisine, le garde-voie qui fait sa tournée d'inspection comme chaque soir, quelqu'un de peu dangereux, parce qu'il ne peut pas quitter sa machine. - Et puis, si c'est celui qu'on croit, tu sais il n'a qu'un oeil...Est-ce seulement le bon qui est de notre côté ? Il n'a qu'un oeil, l'autre est crevé. Et elles s'avancent à nouveau; elles l'ont vu, un peu au-dessus d'elles, allant le long de sa ligne, sous les poteaux du télégraphe, sur sa machine, qui passe sans même s'être retourné, qui est devenu plus petit: et peu à peu on le voit qui s'en va.
Elles ont envie de l'appeler. - Eh ! là-bas, l'homme... C'est ce qu'elles ont fait, mais il n'entend pas: il fait trop de bruit. Et puis c'est un métier où on n'a pas droit de se laisser distraire. - Tant pis pour lui ! Peut-être qu'elles sont un peu fâchées. Et tout à coup voilà qu'elles aussi se sont mises à faire le plus de bruit qu'elles ont pu dans toute cette tranquillité. L'eau leur monte jusque sous les bras, jusqu'au cou, jusqu'au menton. Il y a leurs têtes sur l'eau comme quand le pêcheur vient de lancer sa ligne et l'hameçon avec l'appât descend, mais pas le bouchon. Avec la main on dérange une étoile, on cueille cette étoile comme si on cueillait une fleur. Doucement, les bras, les jambes. Du bout du pied on tâte le moelleux d'en bas, connaissant qu'il n'a pas de fin, et on se débarrasse du poids de sa personne. Il y en a une, à présent, qui fait la planche; une autre qui s'est mise debout. Et le bruit qu'elles font est comme quand il y a une bataille de cygnes: c'est quand elles s'envoient des paquets d'eau l'une à l'autre, et le beau miroir autour d'elles est cassé en mille morceaux.
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| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 2 Nov 2013 - 7:42 | |
| merci Sigismond pour ton commentaire et ce bel extrait.
je vais y revenir à Ramuz ! | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 2 Nov 2013 - 10:10 | |
| (youpi !)
tu l'as lu dans quelle édition ? | |
| | | Sigismond Agilité postale
Messages : 875 Inscription le : 25/03/2013
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 2 Nov 2013 - 15:05 | |
| Un petit éditeur, Editions Séquences, 16140 Aigre (1984). Puisqu'on parle Ramuz et éditions, La grande peur dans la montagne illustrée par Samivel est vraiment une réussite. | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Sam 2 Nov 2013 - 18:10 | |
| Il parait oui ! Séquences ça n'existe plus (si je ne dis pas d'ânerie) mais pour Ramuz au moins c'est repris par Le Lérot (mais il faudrait vérifier pour savoir si celui là est actuellement disponible, j'ai un doute).
Il me tarde d'y revenir... | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Mer 6 Nov 2013 - 21:40 | |
| Une correspondante éloignée nous fait parvenir ses impressions ! - Marie de Tahiti a écrit:
L'almanach valaisan/Le village dans la montagne
C'est un livre qui date de 1908 ( Ramuz est mort en 1947..) Dans l'édition originale figuraient 170 estampes, dessins et croquis du peintre valaisan Edmond Bille. Que l'on ne retrouve pas dans cette édition ( Les Amis de Ramuz), dommage.
C'est donc la chronique d'une petite communauté montagnarde au fil des saisons et de leurs activités diverses en fonction de ces mêmes saisons . Un mode de vie semi-nomade, finalement, puisque la moitié de la vie se passe sur les chemins.
Leur localisation précise n'est pas indiquée, le village n'a pas de nom, ni même de nationalité propre.. Pour permettre à Ramuz à la fin de ce livre de pouvoir proclamer la valeur universelle de son récit:
Et puis peut être qu'il ne faut pas aimer les hommes pour leurs différences, mais leurs ressemblances, et voir surtout en eux par où ils sont tous frères, ayant tous les mêmes douleurs, les mêmes joies, les mêmes peines, une même façon d'aimer. Les voir dans le durable, dans leur fond, non dans l'accident.
Les chapitres sont presque des petites nouvelles, chacune associée à un événement de la vie. Même si l'on suit certains personnages ici et là un peu plus loin dans leur propre parcours de vie.
Il n'y a aucune idéalisation,mais une tendresse pudique dans le regard, quelquefois admirative, et des descriptions toujours pleines de poésie.
Une telle intensité d'émotion et d'humanité irradie de ces notes..que l'on se demande ce qu'il faut le plus admirer chez Ramuz, de l'extraordinaire empathie de son regard, de sa sensibilité de poète ou sa subtilité de styliste très savamment naïf écrit Christian Morzewski dans la préface.
Cette chronique d'un village a permis à Ramuz d'élaborer un territoire imaginaire ( imaginaire, mais finement observé..) qui lui servira de trame pour ses futurs romans.
C'est très beau!
Innocente est devenue tout à coup une vieille femme, à cause du dur travail, des longs jours et des nuits trop courtes, et d'être mal nourrie, et d'avoir eu des couches difficiles, et à cause aussi que son mari boit. Alors on souffre à cause d'elle, et on a pitié de la voir creusée, jaune de teint, et triste, elle qui avait des joues rondes et fraîches, qui aimait tant à rire, et qui dansait si bien. On se dit qu'elle est comme beaucoup d'autres femmes sur la terre, qui ont de courtes joies à l'entrée de la vie, puis un long chemin de douleur. Toutes pareilles sur la terre, et qui baissent la tête et ne se plaignent même plus. Et puis un jour partiront toutes, comme a fait, à l'hiver, la vieille Catherine, leur montrant le chemin. Aujourd'hui ceux de la Cible ont eu leur tir. A présent, dans le soir, c'est un bruit d'orguettes qui sort de la petite maison brune, un chocard qui s'envole au-dessus des mélèzes clairs, un nuage qui traîne au sommet des rochers; c'est une première gentiane qu'on cueille, qu'on tient au bout des doigts par sa très courte tige,- et elle est comme un petit oeil.
illustrations ? edmond-bille.ch | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Mer 6 Nov 2013 - 21:54 | |
| Merci à Ramuz (via animal) de nous rendre Marie pour un temps . | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Ven 8 Nov 2013 - 0:15 | |
| oh encore un commentaire qui donne envie de se replonger dans Ramuz !
merci à Marie et Animal | |
| | | colimasson Abeille bibliophile
Messages : 16258 Inscription le : 28/06/2010 Age : 33 Localisation : Thonon
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Ven 8 Nov 2013 - 13:02 | |
| Les vieux almanachs savoyards peuvent donc contenir des trésors ? Faut que je feuillette les miens... | |
| | | topocl Abeille bibliophile
Messages : 11706 Inscription le : 12/02/2011
| Sujet: Re: Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] Dim 17 Nov 2013 - 21:08 | |
| Animal, j'ai voulu faire du prosélytisme cet après-midi. S'en est suivie une longue discussion pour savoir si on disant "Ramu" ou Ramuze". Tu as surement une opinion? (d'autres ont le droit de s'exprimer, d'ailleurs) | |
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| | | | Charles Ferdinand Ramuz [Suisse] | |
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