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Auteur | Message |
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Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Lun 7 Juil 2008 - 18:08 | |
| "Celui que je suis marche vers les buissons, s'approche d'un immense eucalyptus, regarde les feuilles bleutées qui se balancent au vent de la savane. Il les observe et grimpe facilement, comme si ses muscles se mettaient en mouvement, sans aucun effort, j'imagine, plantant ses griffes dans l'écorce. Une fois en haut, toujours absent, il refuse de regarder le jardin et les enfants bien habillés et les éclats de rire et l'agave inutile. Il leur tourne le dos. Il regarde, je regarde de l'autre côté de la grille, sous le soleil, la ville infinie qui s'étend à mes pieds. Et je m'enferme. En moi-même, dans mon corps de grand tigre, dans mon silence, dans la ville qui existe malgré moi, très loin et vaste dans la savane. Et comme un grand tigre je pose ma grosse tête sur mes avant-bras et attends que les autres, comme le gros, comme la ville et le vent froid, se taisent aussi." (15 et 16)
"Arrivé en haut, après le chemin rouge, les mûres, les orties et les chiens sauvages, les deux canaux à sec que je franchis les yeux fermés, arrivé à la cime de ma montagne, je ne fais rien. Je grimpe à un autre arbre, un autre qui n'est pas le poivrier, ni le noyer, ni l'un de ces saules qui veulent mourir. Je grimpe sur un arbre élevé et maigre, bossu, un arbre timide qui se cache toujours au fond, derrière les autres, derrière les pierres, encore plus derrière. Un arbre ébouriffé et timide. Et grimpé là, je ne fais rien. Je sens la branche de l'arbre sous mes jambes, je sens que l'arbre regarde d'un autre côté encore, mais nous sommes là. Je réussis à serrer entre mes bras la branche, je pose ma tête sur l'écorce et je ne suis plus un tigre, un grand et lourd tigre qui regarde le monde. Je suis un autre tigre, différent. Un tigre de papier. Léger, transparent, vide d'air. Vide de la maison, qui n'a pas été emportée par un vent violent mais qui en revanche a disparu ; vide de la terre que je connais déjà ; vide de cet incendie du ciel si lointain qui n'est pas à moi ; vide de tout ce qui s'est passé dans la maison. Rien que de l'air dans un tigre de papier, rien, l'odeur de cet eucalyptus qui ne me regarde pas." (p 46)
In "Les oreilles du loup" d'Antonio Ungar | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Mar 8 Juil 2008 - 22:04 | |
| - Citation :
- Pour parvenir dans leur chambre il leur fallait traverser la mienne ; j'exerçais ainsi un inconscient droit de contrôle sur eux, qu'ils semblaient accepter, puisque les rares soir où ils se couchèrent tard, après quelques heures passées à Nice ou Monte-Carlo, l'un ou l'autre jetait un coup d'œil sur la fillette qui simulait le sommeil. J'ai souvent simulé le sommeil, dans ma vie. Pour surprendre ce que l'on voulait me cacher ? J'ai peu appris ainsi. Le plus souvent ce fut, me semble-t-il, pour dissimuler l'inquiétude causée par une absence, que je ne faisais encore que pressentir.
Apprendre à vivre, Clara Malraux | |
| | | Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Jeu 10 Juil 2008 - 12:06 | |
| "Elle accoucha en voyage, comme il était courant parmi les femmes nellagottines. Elle posa un bout de peau de castor dans le trou qu'elle avait creusé dans la forêt et s'y accroupit, appuyée sur ses genoux et ses mains. Elle entendait encore la voix des Indiens qui s'éloignaient lorsque l'enfant sortit et, gémissant à voix haute d'épuisement, elle le souleva et le détacha de son corps d'un coup de dent. Puis elle le lécha et se releva, étourdie. Elle l'enveloppa dans la peau, en tournant le côté taché de sang à l'extérieur, accrocha le ballot au bandeau qui entourait sa tête et suivit la tribu. Tout en marchant, elle envisagea la possibilité de fuir, mais repoussa immédiatement l'idée. Elle était trop fatiguée après l'accouchement et trop loin de la côte où vivaient les Inuit." (p 36 et 37)
Pendant son séjour chez les Kutchin, elle avait entendu, vu et appris énormément. Et même si les Kutchin ressemblaient beaucoup aux Inuit, leur nature et leur façon de vivre étaient autres. Ils étaient fiers, avides d'honneurs et adoraient les conflits. A l'inverse des Inuit, qui préféraient maintenir la paix à tout prix. Elle les avait détestés, mais jamais craints, car à bien des points de vue ils semblaient à la fois enfantins et ignorants. La terre était leur mère et personne ne pouvait la posséder. Shanuq avait souri à chaque fois qu'elle avait entendu cela, c'était si évident. Si évident qu'aucun être humain ne pouvait posséder ni la terre, ni le ciel, ni la mer. La guerre était leur père et celui-ci les menait sans cesse au combat. Ils luttaient pour les choses les plus futiles. Pour des femmes, des possessions éphémères. Pour voler des armes, des outils, des peaux et de la viande, et pour pouvoir découper le coeur et le foie de leurs ennemis, qu'ils mangeaient crus. Le mauvais sang de la guerre roulait dan sleurs veines, et elur cruauté était grande. Ils pouvaient entrer en conflit avec les Mangeurs de Caribous Sauvages, bien que ce soient des parents, et ils luttaient contre les Dogrib, les Cree et les Nahani quand ils les rencontraient. S'ils ne trouvaient pas d'hommes du peuple athabascan à tuer, ils montaient attaquer les Inuit dans le Nord. On ne pouvait faire aucune confiance à ces hommes." [p 37 et 38]
(In "Heq, le chant pour celui qui désire vivre" de Jorn Riel, éditions Gaïa) | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Au fil de nos lectures Jeu 10 Juil 2008 - 20:44 | |
| "Je regarde toujours Caroselli à la télévision, c'est le seul météorologue qui me plaise vraiment. Il a eu un jour, des mots qui m'ont réconcilié avec le printemps. Les gens lui demandaient souvent pourquoi il pleut au printemps. C'est une saison oisive, a expliqué Caroselli : pour renaitre, la nature doit s'abandonner, se laisser traverser." Antonio Pascale - L'entretien des sentiments. P. 8-9 | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Dim 13 Juil 2008 - 4:56 | |
| Il faut laisser les enfants lire des livres illisibles à eux. Ils faut qu'ils tombent dans l'ennui d'un été de guerre ou de vacances pour que l'abordage brutal des mots les bouleverse d'une absence, d'une plénitude obscures. Quelle opération mentale assortit aux mots le chiffre du monde, celui du coeur et du corps, de l'esprit? Pour déchiffrer, il faut qu'il y ait du chiffre, du secret, de l'opacité, des résistances occultes. Il faut laisser les enfants tomber dans ce qui ne les regarde pas, pour que cela les regarde. Il faut qu'ils ouvrent des livres qui ne sont pas écrits pour eux, et qu'ils passent les pages illisibles, en diagonale, à l'aventure, au petit bonheur la chance. Les laisser s'égarer, traverser des pans entiers de désert sans carte, mal lire. Bout à bout, anachronique, éclectique, hasardeux, on ne sait où ni quand les épiphanies adviennent quand s'ouvrent à eux les portes de l'imaginaire qui illumine leur vie.
L'enfant des ténèbres Anne Marie Garat p 612 | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Au fil de nos lectures Dim 13 Juil 2008 - 16:02 | |
| "Son vieil age venu, elle vécut seule dans la pièce unique de la cabane des Maytree, au milieu des dunes paraboliques. Le vendredi, elle traversait les dunes juqu'en ville, coté baie, et faisait des provisions pour la semaine. Un chapeau de paille conservait à son visage son teint clair. Au fil des ans, ses yeux s'enfoncèrent de plus en plus dans leurs orbites, cependant que s'amenuisaient ses paupières lavande. Les gens disaient que Maytree, ou alors le bonheur, ou la solitude, l'avaient rendue folle. les gens disaient que, petite fille, elle avait été laide ; ou encore que, dans son enfance, elle avait été une star du cinéma ; qu'elle avait hérité de sommes fabuleuses et que, malgré cela, elle vivait dans une cabane sans plomberie ni électricité ; qu'elle lisait trop ; que c'était l'ambition qui lui avait fait défaut : elle aurait pu épouser qui elle voulait ! Il lui manquait ce sens de la catastrophe propre aux femmes. Elle faisait ce qu'elle avait envie de faire : qui diantre pouvait en dire autant ? Toute sa vie, elle avait vu dans la dignité une forme d'arrogance. Elle dévalait les dunes en roulé-boulé".
Annie DILLARD - L'amour des Maytree.
Dernière édition par bix229 le Dim 13 Juil 2008 - 17:54, édité 1 fois | |
| | | Bédoulène Abeille bibliophile
Messages : 17270 Inscription le : 06/07/2007 Age : 79 Localisation : Provence
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Dim 13 Juil 2008 - 16:04 | |
| Bix, une bien jolie réponse de ce météorologue.
Marie le choix de ce passage fait que j'ai envie de connaître ce livre | |
| | | Chatperlipopette Zen littéraire
Messages : 7679 Inscription le : 24/02/2007 Age : 59 Localisation : Bretagne
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Lun 14 Juil 2008 - 17:27 | |
| Un peu de Science-Fiction
"Le monument. Tout d'abord, il ne s'agissait pas d'une statue (...) mais d'un pilier à quatre côtés au sommet lisse et conique. Constitué d'un matériau qui évoquait le verre, mais à une échelle ridicule et impossible. Il était bleu, de ce bleu profond et insondable des lacs de montagne qui parvient à paraître à la fois paisible et inquiétant. Malgré son opacité, il semblait translucide. Le côté face à nous - le côté nord - était couvert de croûtes blanches. J'ai identifié avec stupéfaction de la glace qui se sublimait lentement dans la lumière moite. Dans la forêt dévastée humide de brouillard, à la base du monument, des monticules de neige en train de fondre masquaient l'intersection entre l'objet et le sol." (p 22 et 23)
"Cinq étés, des étés chauds à l'actualité (...) dominée par la nappe aquifère d'Oglalla, en cours d'épuisement. Le Nouveau-Mexique et le Texas avaient déjà perdu presque toute capacité à irriguer leurs terres sèches. La nappe aquifère d'Oglalla, un plan d'eau souterrain de la taille du lac Huron hérité du dernier âge glaciaire, demeurait vitale pour l'agriculture du Nebraska, du Kansas, de l'Oklahoma et certaines parties du Wyoming comme du Colorado...Et elle continuait à baisser, aspirée toujours plis profond par des pompes centrifuges d'une efficacité implacable. Les journaux télévisés diffusaient à satiété d'âpres images d'exode rural: des familles à bord de camions de transport délabrés échoués sur l'autoroute, leurs enfants maussades avec webjouets qui se bouchaient les oreilles et se masquaient les yeux. Des files d'attente d'hommes et de femmes cherchant du travail à Los Angeles ou Detroit, les sombres dessous de notre économie florissante." (p 58 et 59)
"Malgré la distance, les bruits nocturnes de Portillo restaient perceptibles. Il n'y en avait d'ailleurs qu'un, une vague de bruit blanc, mélange de voix, de musique enregistrée, de crépitements de flammes, de rires et de hurlements. J'ai eu l'impression d'être confronté à la folie millénariste à laquelle nous avions échappé au tournant du siècle, ces centaines de hadjis tirant profit de la carte blanche que leur procurait sur le plan moral la garantie d'une fin du monde. Que Kuin soit rédempteur ou destructeur, le lendemain comme le surlendemain lui appartenaient, voire tous les lendemains, du moins dans l'esprit des hadjis. (...) Un grand nombre d'entre eux laisseraient probablement la vie dans le choc thermique et les secousses, mais s'ils le savaient, et selon toute probabilité ils le savaient, ils ne s'en souciaient pas. C'était une loterie, après tout. Gros lots et risques de tombeau. Kuin récompenserait les croyants....du moins les croyants qui survivraient." (p 271 et 272)
"Je me suis approché d'un fragment de la tête de Kuin, un morceau avec un bout de sourcil érodé et un oeil intact. L'accumulation de poussière et de pluie dans la pupille, une dépression concave de la taille d'un pneu de camion, avait permis à un chardon sauvage d'y pousser." (p 432)
In Les Chronolithes de Robert Charles Wilson | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Mar 15 Juil 2008 - 22:36 | |
| - Citation :
- Flo remontera chercher le plateau. Elle dira probablement : "Je vois que tu n'as pas perdu ton appétit" ou "As-tu aimé le lait au chocolat ? Ai-je mis assez de sirop dedans ?" selon l'humeur du moment. En tout état de cause, Rose aura perdu la face. Elle comprendra que la vie est prête à reprendre son cours, qu'ils seront bientôt tous de nouveau assis autour de la table, à manger ou à écouter les nouvelles à la radio. Demain matin, peut-être même ce soir. Aussi invraisemblable et indécent que cela puisse paraître. Ils seront gênés mais plutôt moins qu'on aurait pu s'y attendre, compte tenu de la façon dont ils se sont comportés. Ils ressentiront une étrange lassitude, une indolence de convalescents, assez proches de la satisfaction.
De sacrées raclées, Alice Munro | |
| | | Marie Zen littéraire
Messages : 9564 Inscription le : 26/02/2007 Localisation : Moorea
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Jeu 17 Juil 2008 - 5:39 | |
| A la tombée de la nuit, les grues se posent en flot continu. Par rubans, elles déroulent leurs trajectoires descendantes, lâches sur le fond du ciel. De tous les points de l'horizon, elles arrivent par flottaisons de douze et tombent avec le jour. Des populations de Grus canadensis s'installent sur le rivière en dégel. Elles s'amassent sur les bancs de sable où elles grappillent, battent des ailes et trompettent : premières vagues d'un exode massif, De minute en minute, les oiseaux se posent en nombre croissant et l'air rougeoie de leurs cris. Un cou s'allonge ; derrière flottent les pattes. De la taille d'un homme, les ailes s'incurvent vers l'avant. tendues comme des doigts, les rémiges basculent l'oiseau dans le plan du vent. la tête couleur sang s'incline et les ailes se touchent ; un prêtre en habit consacrant le pain. la queue se cambre et le ventre s'arque, surpris par le surgissement du sol. Les pattes lancent des talonnades, leurs articulations inversées battent l'air tel un train d'atterrissage endommagé. une autre grue plonge et trébuche, emportée vers l'avant ; elle lutte pour se faire une place sur cette aire d'attente surpeuplée, le long de ces quelques kilomètres d'eau assez larges et limpides pour laisser croire qu'ils sont sûrs. Le crépuscule arrive tôt, et il en sera ainsi quelques semaines encore. Sous l'empiètement des saules et des peupliers, le ciel bleu métallique flamboie d'un rose bref puis s'effondre dans l'indigo. Derniers jours de février sur la Platte, les brumes froides de la nuit stagnent au-dessus de l'eau, gelant les éteules restées là depuis l'automne, qui emplissent les champs près des berges. les oiseaux agités, grands comme des enfants, se pressent aile contre aile sur cet arpent de rivière qu'ils ont appris à trouver de mémoire. A la fin de l'hiver, ils convergent ici, comme de toute éternité, et tapissent la plaine humide. Dans cette lumière, quelque chose de saurien persiste en eux : les plus vieux volatiles de la terre, à un saut de puce du ptérodactyle. Alors que l'obscurité tombe enfin, le monde rejoint ses commencements, ce crépuscule vieux de soixante millions d'années qui vit débuter cette migration. Un demi-million d'oiseaux - les quatre cinquièmes des grues du Canada que compte la planète - rentrent au bercail sur la rivière. Ils empruntent le couloir central de migration, ce sablier posé sur le continent. Ils remontent du Mexique, du Nouveau-Mexique et du Texas : des dizaines de lieues par jour, et des centaines à couvrir avant d'atteindre le nid gravé dans la mémoire. pendant quelques semaines, l'étendue d'eau abritera cette volée longue de plusieurs kilomètres. Puis au coup d'envoi du printemps, les grues prendront leur envol et rallieront à l'estime le Saskatchewan, l'Alaska ou des destinations plus lointaines. La migration de cette année a toujours eu lieu. Quelque chose en ces oiseaux retrouve l'itinéraire tracé des siècles avant que leurs parents le leur montrent. Et chacun se rappelle le trajet à venir. Ce soir, de nouveau, les grues brassent les tresses de l'eau. Pendant une heure encore, leurs cris amassés résonnent dans l'air qui se vide. les oiseaux battent des ailes et chahutent, enfiévrés de migration. Certains arrachent au sol des brindilles gelées qu'ils lancent en l'air. Ici et là, des débordements nerveux tournent à l'affrontement. Peu à peu, les grues s'installent dans un sommeil vigilant et échassier, la plupart restent debout dans l'eau ; quelques-unes, plus loin, attendent dans les récoltes coupées. Un crissement de freins, le froissement de la tôle sur l'asphalte, un cri étranglé puis un autre éveillent la volée. Le camion décolle et part en tonneau dans le champ. Un panache fuse au milieu des oiseaux. Dans un sursaut, ils quittent le sol en voletant. Le tapis affolé se soulève, décrit des cercles puis retombe. Une clameur qu'on croirait venue de créatures deux fois plus grosses s'élève sur des kilomètres avant de s'éteindre. Au matin, ce tumulte n'a jamais existé. De nouveau, il n'y a que l'ici et le maintenant, le toron de la rivière, un festin de grains perdus qui porteront les nuées vers le nord, par delà le cercle polaire. Aux premières lueurs, les fossiles reviennent à la vie, testent leurs pattes, tâtent l'air glacial, se libèrent d'un bond, bec tendu vers le ciel, gorge déployée. Et puis, comme si la nuit n'avait rien retranché, oubliant tout sauf cet instant, les grues de l'aube se mettent à danser. A danser comme avant le début de la rivière.
La chambre aux échos Richard Powers p11-12 | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Au fil de nos lectures Ven 18 Juil 2008 - 23:46 | |
| " Alors, j'ai pensé à un tas de choses à la fois... aux enfants qui répètent toujours les memes choses, comme si c'était la première fois, et encore à cette façon qu'ils ont de poser des questions, prets à accueilir nimporte quelle réponse ; ainsi par association d'idées, je me suis imaginé un point d'interrogation élastique, qui s'étire sans trop faire de mal et, tant que j'y étais, je me suis demandé s'il est vrai qu'on apprend qu'une seule fois dans la vie, et surtout si cette fois est la bonne, si ce n'est pas plutot une autre coincidence que nous ne saurons jamais saisir au moment adéquat." Antonio PASCALE - L' entretien des sentiments. | |
| | | kenavo Zen Littéraire
Messages : 63288 Inscription le : 08/11/2007
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Sam 19 Juil 2008 - 22:59 | |
| ….les livres poses partout, sur les chaises, sur la table, les radiateurs, le carrelage de ciment gris brillant. Ce n’est pas un problème de place, c’est seulement que j’ai abandonné. Je n’ai plus assez de force d’âme pour avoir la cruauté de les mettre sur l’étagère d’une bibliothèque. « Vois-tu, dit-il, en chassant la poussière du dos d’un volume relié de cuir rouge, petit déjà, lorsque je restais éveillé toute la nuit à lire un livre, je ne supportais pas l’idée que les hommes et les femmes que je venais de voir doivent finir serrés et immobiles dans un bibliothèque. Je revois encore la sérénité de ces deux vieillards qui avaient cédé à l’amour après une longue vie d’attente. C’est là que ce désordre a commencé. Arrivé au dernier mot du livre, je n’ai pas supporté l’idée qu’après s’être attendus aussi longtemps, Fermina et Florentino soient contraints de goûter le court bonheur si désiré qu’il leur restait à vivre écrasés entre les livres d’une étagère exiguë. Alors, je les ai laissés libres de s’aimer dans tous les lieux de la maison où leur livre s’est déplacé au cours des années.» Il se leva pour aller prendre un petit volume posé sur une pile d’assiettes creuses. « L’erreur c’est de croire qu’un livre est un objet inanimé comme un vase ou une cuiller. »
Dario Franceschini, Dans les veines ce fleuve d'argent | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Au fil de nos lectures Mer 23 Juil 2008 - 15:49 | |
| Revenu dans sa famille, Georges Hyvernaud raconte ses souvenirs de prisonnier de guerre: "Mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D'abord ils manquent de noblesse. Ils sont meme plutot répugnants. Ils sentent l'urine et la merde. ça lui paraitrait de mauvais ton à la Famille. Ce ne sont pas des choses à montrer. On les garde au fond de soi, bien serrées, bien verrouillées, des images pour soi tout seul, comme des photos obscènes cachées dans un portefeuille sous les factures et les cartes d'identité. Et puis les gens sont devenus difficiles sur la souffrance des autres.
Pour qu'ils la comprennent, et encore, il faut qu'elle saigne et crie à leur tordre les tripes. Nous n'avons , nous autres, qu'une médiocre souffrance croupissante et avachie. Pas dramatique, pas héroique du tout. Une souffrance dont on ne peut etre fier. L'expérience de l'humiliation nest pas grand chose. Sauf pour celui qui est dedans, bien entendu : celui-là ne s'en débarrassera plus. Quand une fois une certaine confiance qu'on avait en soi et en l'homme a été ruinée, il n'y a pas de remède."
Georges HYVERNAUD - La Peau et les os | |
| | | animal Tête de Peluche
Messages : 31548 Inscription le : 12/05/2007 Age : 43 Localisation : Tours
| Sujet: Re: Au fil de nos lectures Mer 23 Juil 2008 - 22:02 | |
| Il y a un truc que j'aime bien dans les Juge Ti, c'est les en-têtes de chapitre : V
Le juge Ti disserte de l'universalité de la création avec le Chef des Eunuques ; un faux médecin découvre qu'une femme peut en cacher une autre.
VII
Le juge Ti fait une heureuse rencontre ; des béquilles habilement utilisées le tirent d'un mauvais pas.
VIII
Un capitaine de la Garde brûle de se rendre utile; une coquette abandonne sa garde-robe en même temps que son mari. délicieusement annonciateur ! | |
| | | bix229 Parfum livresque
Messages : 24639 Inscription le : 24/11/2007 Localisation : Lauragais (France)
| Sujet: Au fil de nos lectures Jeu 24 Juil 2008 - 20:58 | |
| "J' étais comme les autres. Je rejoignais mon unité... J'avais une vieille tenue, des souliers neufs, une valise. J'attendais l'autobus de Poitiers dans un petit café où l'on commentait les journaux en buvant de la bière... Il faisait tiède, calme, vieillot... Trois lauriers en caisse limitaient la terrasse. Au delà, on voyait la grande place, toute blanche dans le soleil, où une vieille dame en noir passait... La guerre commençait par cette grande tranquillité. Et meme il y avait dans ce bourg poitevin tant d'immobilité et d'absence qu'il semblait inconcevable que lui aussi fut offert à la guerre. Je regardais avec une tendresse désespérée ce petit morceau d'univers pétrifié dans la lumière sans age des étés. La place, le café, le tablier bleu du patron, les ronds humides sur le marbre des tables, la stupeur de cette petite fille qui venait de s'éclabousser en maniant un siphon d'eau de Seltz..." Georges HYVERNAUD - La Peau et les os | |
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