Murakami Haruki

"Chroniques de l'oiseau à ressort"

Je l'avoue à ma grande honte, je n'avais jamais, jusqu'ici, ouvert un roman de Haruki Murakami. Ce n'était ni par paresse, ni par manque d'intérêt, mais il se trouve que la quantité de livres de ma PAL atteint des proportions himalayennes. Quand j'achève la lecture d'un roman, le choix du prochain livre à découvrir est parfois dû au hasard ou au gré de mes envies, mais aussi à la nécessité – quand le livre a été emprunté à des proches ou à la bibliothèque – de rendre celui-ci au plus vite à son (sa) propriétaire.
Les « Chroniques de l'oiseau à ressort », de même que « Kafka sur le rivage » (que je n'ai pas encore ouvert) font partie de ma bibliothèque personnelle, ce qui explique le peu d'empressement que j'aie mis à découvrir cet auteur, sachant que ces deux romans m'attendaient, sagement posés sur leur rayonnage. J'ai donc temporisé jusqu'à cette journée ( froide et pluvieuse, faut-il le préciser?) de la fin du mois de mars où je me suis enfin décidé à prendre ce livre en main et à découvrir cet auteur dont j'avais entendu chanter les louanges depuis fort longtemps.

C'est ainsi que je me suis immiscé dans la vie en apparence banale de Toru Okada, un jeune chômeur confronté à la disparition de son chat. Ayant renoncé à une activité professionnelle pour laquelle il n'éprouvait que peu d'intérêt, Toru Okada est devenu homme au foyer, assumant les tâches domestiques tandis que Kumiko, sa femme, se rend tous les matins à son travail. Celle-ci lui donne pour mission de rechercher le chat qui n'a pas donné signe de vie depuis quelques jours.
C'est dans la ruelle, un passage abandonné qui donne sur l'arrière des jardins du quartier, que Toru Okada va se lancer à la recherche de l'animal disparu.
C'est en longeant l'un de ces jardins qu'il va faire la connaissance d'une étrange et fantasque adolescente : May Kasahara. Mais il va également recevoir à son domicile d'étranges coups de téléphone d'une inconnue, rencontrer tour à tour deux soeurs, Creta et Malta Kano, se faire narrer l'histoire cruelle du lieutenant Mamiya survenue dans les steppes de Mongolie lors du conflit russo-japonais, faire face à la disparition inopinée de Kumiko, à l'inquiétante personnalité de son beau-frère, Noboru Wataya, devenir l'associé de Muscade et Cannelle, mais aussi et surtout découvrir dans le jardin d'une maison abandonnée un vieux puits asséché propice à la méditation et à l'évasion, tout ceci sans oublier les trilles du mystérieux oiseau à ressort.

On l'aura compris, ce roman est irracontable tant il apparaît dense et touffu, émaillé de digressions de toutes sortes, d'images oniriques et de situations surréalistes. Dès la première page, on se laisse emporter par la petite musique que distille Haruki Murakami et l'on se laisse guider comme un aveugle qu'il aurait pris par la main afin de nous faire découvrir peu à peu le dédale que constitue son récit.
On se laisse ensorceler par cette narration qui semble partir dans tous les sens mais qui ne laisse pas de nous intriguer et de nous passionner tout au long de cette histoire débutant de manière apparemment si anodine et qui, progressivement, nous mène aux frontières de la réalité et du fantastique.
En cela, Haruki Murakami est un conteur exceptionnel, capable de nous envoûter par son récit, de nous faire redevenir de tous petits enfants béants d'admiration et de stupeur en écoutant les paroles distillées de manière à nous faire rester cois, la machoire pendante et la bouche ouverte, tant la magie de sa prose nous hypnotise, nous ensorcelle et nous laisse pantois une fois l'histoire achevée.

Ce fut pour moi une bien belle aventure que cette découverte de l'univers de Murakami, une expérience poétique et onirique qui m'a passionné de la première à la dernière page de son récit. Je me suis abandonné avec délectation au rythme hypnotique de ses images et de ses multiples récits imbriqués les uns dans les autres, parfois dérouté, mais toujours enchanté par cette prose que l'on dirait inspirée par l'Ange du Bizarre.

Bien sûr, la lecture de ce roman n'a pas fait de moi un fanatique de Murakami et je réserve pour plus tard l'occasion de découvrir plus intimement son oeuvre romanesque, ne voulant pas céder à une tentation qui s'apparenterait à de la boulimie. Cette première expérience s'est avérée concluante et je sais d'ores-et-déjà que je relirai un jour proche ou lointain d'autres oeuvres de Murakami, pour le plaisir de redevenir comme un enfant innocent, accroché et envoûté par les paroles du conteur.

Le Bibliomane a écrit:

Je l'avoue à ma grande honte, je n'avais jamais, jusqu'ici, ouvert un roman de Haruki Murakami.

Pas de honte à avoir, mais au contraire une chance que je t'envie, celle d'avoir encore tant de romans et nouvelles magiques à découvrir.
Je trouve ta critique particulièrement intéressante car elle explique bien ce qui charme le lecteur lisant Murakami pour la 1e fois, ce talent de conteur qui "hypnotise", comme tu le dis si bien.
En effet, Murakami, c'est un peu des contes noirs pour grands enfants.

Nezumi a écrit:

En effet, Murakami, c'est un peu des contes noirs pour grands enfants.

C'est peut être aussi la raison pourquoi je n'arrive pas tout à fait à entrer dans son monde - mes deux premiers livres de lui étant Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil et La ballade de l'impossible , je ne me retrouve pas dans ses 'contes noirs'

Kafka sur le rivage est sans doute l'un des livres que je retiendrai de cette année ! je ne vais pas le résumer, d'autres parfumés comme coline ou Steven l'ont fait avant moi, mais je voulais juste évoquer la magie de ce livre : dès les premières pages, on est emporté par les histoires qui se déroulent en parallèle et qui vont se recouper (j'adore ce mode de narration, tellement plus riche qu'une narration "unique"), celle de Kafka Tamura, jeune garçon de 15 ans, et de Nakata, vieil homme un peu idiot capable de choses inhabituelles...
Outre la grande poésie du texte (ah, les dialogues entre Nakata et les chats... fantastiques !), j'y ai trouvé beaucoup de sujets de réflexions (la quête identitaire, qu'est-ce qu'être "soi" ?, l'importance de la culture, la définition de la notion de liberté, etc), mais ces thèmes ne sont jamais traités de façon dogmatique, rien n'est asséné par l'auteur. Au contraire, on sent justement que Murakami se questionne en même temps que ses personnages.
Je ne connais pas un mot de japonais mais je crois que mon enthousiasme vis-à-vis de ce livre tient aussi à la qualité de la traduction de Corinne Atlan :)

Prochains Murakami sur ma liste : L'éléphant s'évapore, Chroniques de l'oisseau à ressort et la fin des temps.

Merci les parfumés, c'est un peu (beaucoup ?) grâce à vous que j'ai découvert Murakami!

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil

Ca y est, j'ai terminé Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil. Il ne m'aura fallu qu'une soirée et le lendemain pour le terminer, tellement il m'a "happé".
Rien d'extraordinaire ni de personnel dans l'écriture (pour la traduction en tout cas), ni tellement dans l'intrigue finalement, mais je ne sais pas... J'ai été collé du début à la fin! Je me suis facilement identifié à ce personnage plutôt solitaire amateur de jazz. Et à ce premier amour qu'il n'avait jamais entretenu... Cette nostalgie ambiante tout au long du livre...
Vraiment, ça m'a transporté.

Je ne sais pas ce que valent Kafka sur le rivage et Chroniques de l'iseau à ressort (que je me réserve aussi), mais si c'est aussi prenant (voire plus si j'ai bien compris), je ne serai pas déçu.

Que certains aient donc peu apprécié ce livre, je le conçois très bien à cause de ce que j'ai dit plus haut, mais pour ma part je dirais qu'il en vaut la peine!

The Valuk a écrit:

Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil

Je ne sais pas ce que valent Kafka sur le rivage et Chroniques de l'oiseau à ressort (que je me réserve aussi), mais si c'est aussi prenant (voire plus si j'ai bien compris), je ne serai pas déçu.

Enchaîne plutôt avec Kafka sur le rivage...
Chronique de l'oiseau à ressort est plus strange...plus déroutant...Il me semble qu'il faut faire un chemin Murakami avant de l'aborder...

Merci Coline, je suivrai ton conseil.

[EDIT] Je suis en train de dévorer Kafka... et je me régale littéralement... Quel plaisir!

Kafka sur le rivage

Il m’aura fallu une semaine pour lire ce livre. J’ai été complètement plongé dedans, dans ce monde onirique où l’on a du mal à démêler le vrai du faux… J’ai une impression finale étrange. Je ne dirai pas que je suis déçu par la fin, c’est un bon livre. Mais il a pris une tournure que j’ai trouvée, au bout d’un moment, assez répétitive. Je n’ai pas l’impression que le livre apporte toutes les réponses aux questions qui se sont posées au fur et à mesure, mais ça ne me dérange pas. L’auteur nous laisse sans doute libre de certaines conclusions (ou alors nous laisse-t-il des déductions à faire, lesquelles ne sont pas si évidentes pour moi, je l’avoue).

Je prends finalement ce roman comme un conte nous incitant à réfléchir sur la vie, nous invitant à y poser un regard plus ou moins différent. A accepter les réalités de la vie : tous ces manques, toutes ces pertes, tous ces changements…
Les personnages sont attachants et ont tous une certaine profondeur mélancolique. A part Nakata qui m’a semblé être le protagoniste le plus « complet » finalement, malgré son « vide ». Lui seul accepte et vit le moment présent, sans préjugé, sans souvenir parasite, sans anxiété. Chaque action, la plus anodine, est un rituel sacré qu’il savoure sans se plaindre. J’avoue qu’il m’a parfois un peu gonflé avec ses réponses toutes plates et son sempiternel « Nakata aussi blablabla… », mais c’est là que se trouve sa profondeur à mon avis.

Bref, je n’écrirai pas un roman, mais ça reste une lecture tout à fait rafraîchissante et intéressante. Du coup, me conseillez vous de me plonger dans Chroniques de l’oiseau à ressort, que j’ai dans ma « PAL » ? ^_^

Chroniques de l'oiseau à ressort

J'ai terminé la lecture de ce fascinant roman qui n'a presque ni queue ni tête. J'ai beaucoup aimé la solitude et le vide chez ce trentenaire chômeur en pleine crise existentielle. Bizarrement, je trouve que ce qui fait peut-être une faiblesse de ce roman lui procure aussi une certaine force.
En tant que faiblesse, je veux parler de cette multitude de personnages secondaires qui gravitent autour du personnage principal. Je trouve parfois qu'il ne sont pas assez approfondis et puis ils disparaîssent plus vite qu'il n'arrivent (ou presque). De plus je ne vois pas de façon si évidente l'utilité de certaines d'entre eux dans l'intrigue.
A part ça, une grande force constitue ces constantes digressions qui nous amènent à des époques révolues mais diaboliquements passionnantes (rah, cette scène de l'écorcheur, mais quelle horreur!).

Au final, ben sûr, c'est tellement décousu et "approximatif" (sans doute le but du livre qui nous confronte entre rêve et réalité) que la fin ne satisfait pas vraiment et ne répond à rien (enfin pour moi).

J'ai tout de même encore une fois avec cet auteur, beaucoup accroché à l'ambiance générale (malgré quelques longueurs que j'ai trouvées vraiment pénibles: quand Toru se pose 10 000 questions et décrit chacun de ses faits et gestes) et ne demande qu'à découvrir autre chose de lui.

Y a-t-il des âmes sensibles pouvant me donner conseil?

The Valuk a écrit:

Kafka sur le rivage... J’ai été complètement plongé dedans, dans ce monde onirique où l’on a du mal à démêler le vrai du faux… J’ai une impression finale étrange. Je ne dirai pas que je suis déçu par la fin, c’est un bon livre...

J'ai éprouvé les mêmes sentiments en découvrant Murakami avec ce même titre, des sentiments assez multiples et confus. J'ai pris plaisir à cheminer avec ces personnages en cherchant ce qui les ferait se rejoindre et si la fin est une déception la magie a opéré. Une écriture qu'on oublie au profit d'images fortes, un univers singulier. Mais je n'ai pas récidivé. Avec ton troisième tu vas devenir murakamiste The Valuk

The Valuk a écrit:

J'ai tout de même encore une fois avec cet auteur, beaucoup accroché à l'ambiance générale (malgré quelques longueurs que j'ai trouvées vraiment pénibles: quand Toru se pose 10 000 questions et décrit chacun de ses faits et gestes) et ne demande qu'à découvrir autre chose de lui.

Y a-t-il des âmes sensibles pouvant me donner conseil?

Je te conseille la « La Fin des temps », mon préféré, complètement surréaliste mais avec plus d’action que ceux que tu as lu jusqu’à maintenant…

sousmarin a écrit:

Je te conseille la « La Fin des temps », mon préféré, complètement surréaliste mais avec plus d’action que ceux que tu as lu jusqu’à maintenant…

Je ne l'ai pas encore fini mais effectivement, ce livre est terrible...J'ai l'impression que c'est le cas de tous les livres de Murakami, d'ailleurs j'en ai marre qu'ils se lisent aussi vite ! Le coup du passage secret dans le placard à vêtements...j'en ai toujours rêvé !

Les amants du Spoutnik


Alors bien sûr j'ai encore beaucoup aimé
... Pourquoi? dur à expliquer ce qui fait que les romans de Murakami sont tous aussi fascinants!

Dans le début de récit, il nous amène de sa plume toujours si fluide et légère, à suivre le mental de ce jeune instituteur K amoureux éperdu de la fantasque Sumire qui elle ne rêve que de Miu. Tout est décrit subtilement, et ses personnages bien qu'atypiques, nous semblent très proches.

Puis vient le passage où l'on quitte le réel pour rejoindre un monde fantastique. Les personnages se dédoublent ou disparaissent, entendent les chants d'une chorale invisible ou se retrouvent coincés dans un grand huit ...

C'est le charme trouble de ces histoires où des êtres se croisent sans s'atteindre vraiment et qui restent détachés du réel, exactement comme cette sensation impalpable de vivre nos rêves sans les vivre réellement et d'où l'on sort hébété, sans savoir bien situer où se trouve la vérité.
Lire cet auteur c'est un peu se trouver avec eux dans une bulle en suspension ...

Citation :

« Facile d'accès et pourtant insaisissable, l'œuvre de Murakami, attachante et subtile, ne cesse de fasciner. »
Minh Tran Huy, Le Magazine littéraire

aériale a écrit:

Les amants du Spoutnik
Alors bien sûr j'ai encore beaucoup aimé
... Pourquoi? dur à expliquer ce qui fait que les romans de Murakami sont tous aussi fascinants!

C’est celui que j’aime le moins jusqu’à maintenant. Je trouve la fin notamment plutôt ratée, plus vague que fantastique…

sousmarin a écrit:

aériale a écrit:

Les amants du Spoutnik
Alors bien sûr j'ai encore beaucoup aimé
... Pourquoi? dur à expliquer ce qui fait que les romans de Murakami sont tous aussi fascinants!

C’est celui que j’aime le moins jusqu’à maintenant. Je trouve la fin notamment plutôt ratée, plus vague que fantastique…

Oui, j'en suis consciente aussi...mais j'ai quand-même aimé le voyage!
Et c'est pourquoi je m'interroge

Au final ce flou m'a plus charmée que frustrée. Et c'est en cela que je me dis: ce bonhomme est très fort
Autant magicien qu'écrivain!