Un artiste doit prouver qu'il n'est pas l'auteur d'un tableau devant la justiceUn gardien de prison canadien poursuit l'artiste de renommée internationale Peter
Doig. Il affirme détenir une œuvre signée par ce dernier. Le peintre, dont les toiles se vendent à plusieurs millions de dollars, dément catégoriquement. Homonyme ou déni d'artiste, la justice américaine doit trancher.
Si un canoë blanc baignant dans un marais, intitulé Swamped et peint par Peter
Doig, s'évalue à 25 millions de dollars, pourquoi ne pas tenter de vendre un tableau du même artiste lorsque l'on possède ce qui pourrait être l'une de ses premières œuvres de jeunesse.
Robert Fletcher, un agent correctionnel canadien à la retraite de 62 ans, tente de le faire. Mais il y a un léger obstacle. L'artiste Peter
Doig n'en reconnaît pas la paternité. Persuadé de l'authenticité de l'œuvre en sa possession, le Canadien intente un procès de cinq millions de dollars au peintre, secondé par une galerie de Chicago, afin qu'il reconnaisse le tableau comme étant de sa griffe. La United States District Court de l'Illinois entend cette semaine les témoignages des deux parties.
Il s'agit peut-être du procès le plus étrange de l'histoire moderne de l'art. Robert Fletcher affirme avoir acheté le tableau représentant un paysage désertique à un détenu du Thunder Bay Correctional Center en 1976, pour la modique somme de 100 dollars.
Cet ancien captif serait un certain Peter Doige. Étudiant en art à la Lakehead University, il se serait retrouvé dans le centre de détention à cause de problèmes liés à la drogue. L'agent correctionnel indique l'avoir financé afin d'aider le jeune homme à ne pas retomber dans la vente de stupéfiants une fois sa sentence terminée.
Cactus et bois séchés, une rivière traversant le désert, les contours escarpés d'un canyon au loin... De prime abord, le tableau en question possède assez d'éléments pour s'introduire dans la liste des créations de Peter
Doig. «Belle peinture. Pas de moi», a déclaré l'artiste lorsqu'il a vu l'œuvre pour la première fois, rapporte-t-il dans une entrevue accordée au New York Times.
Certes, Peter
Doig, le peintre connu, le vrai, est né à Édimbourg en 1959. Mais il a vécu au Canada la majeure partie de sa jeunesse, à Toronto et à Montréal, jusqu'en 1979. L'artiste assure toutefois ne jamais avoir mis les pieds à Thunder Bay. «Cette affaire est une arnaque et je suis forcé de remuer ciel et terre pour prouver mes allées et venues d'il y a plus de 40 ans», fulmine-t-il dans le journal.
Il soutient que l'agent correctionnel veut simplement profiter d'une similarité entre les deux noms et qu'il se trompe sur toute la ligne. La cour de l'Illinois n'a toutefois pas trouvé les preuves avancées par l'artiste assez solides et a donc décidé de programmer le procès pour cette semaine.
Le peintre joue son joker. Selon son équipe d'avocats, ils ont identifié l'homonyme comme étant Peter Edward Doige, décédé en 2012. La sœur du défunt, Marilyn Doige Bovard affirme qu'il s'agirait de l'œuvre de son frère.
Celui-ci aurait, selon elle, pris des cours à la Lakehead University et aurait passé un séjour au Thunder Bay Correctional Center pendant sa jeunesse. Qui plus est, elle dit reconnaître le paysage comme étant un endroit où sa mère et son frère ont vécu pendant quelque temps, en Arizona.
La peur de la révélation d'un passé tumultueux lié à la drogue n'expliquerait pas le déni de Peter
Doig. Il est de notoriété publique que l'artiste a déjà pris du LSD, ce qui n'effraie pas les clients. Peter Bartlow, le galeriste de Chicago s'étant joint aux côtés de Robert Fletcher, évoque quant à lui une tout autre raison de son refus d'identification, selon le site Artnet.
«Il le réfute parce qu'il ne sait pas dessiner, avance le co-plaignant. Tout ce qu'il fait est projeté sur sa toile et il réalise ses esquisses en s'appuyant sur les projections. La peinture que nous avons en notre possession le prouve.»
Il lance un pavé dans la mare tranquille du canoë blanc. Peter Bartlow en est tellement convaincu qu'il a mis en ligne une quinzaine de vidéos sur YouTube dénonçant l'artiste. Le galeriste fonde ses suspicions sur une comparaison des formes qu'il a lui-même réalisée avec une autre peinture se trouvant au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa.
La cour demande donc à Peter
Doig de prouver qu'il n'a pas réalisé cette œuvre, pour dissiper tout doute. «Chaque artiste devra désormais vivre avec la peur de devoir investir du temps et beaucoup d'argent pour se protéger lui-même de requins opportunistes prêts à manipuler la justice américaine pour s'enrichir», estime le peintre dans une entrevue au journal allemand Die Zeit, mettant en garde contre les dangereuses répercussions que pourrait avoir cette affaire.
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