Sylvius (1948), une centaine de pages, nouvelle ou court roman.
Quelques caractéristiques (ou ingrédients, ou thèmes de prédilection) de
Bosco se retrouvent dans cet ouvrage, qui, à peine troussé différemment, ferait un beau conte; ou encore, avec une fin simplifiée, un livre "jeunesse", sans doute davantage approprié que ne l'est
"L'âne-Culotte", du moins dans la version intégrale de ce dernier. On peut même dire que c'est un
Bosco plutôt frais, reposant, facile à aborder, compatible si ce n'est préconisé pour usage de couette et chaise-longue.
Publié dans la foulée de
Malicroix, on y retrouve le clan des Mégremut, dépeint au moins aussi largement que dans
Malicroix, et avec cette pointe de jubilation qui transparaît de la plume de l'auteur dès qu'il les évoque.
Dans les "retrouvailles" de thèmes de
Bosco notoires, signalons le sommeil, et aussi le sommeil/maladie, et le songe, le songe et le rêve, qui peuvent être "voyants", s'y rattachent, j'ai eu une clef de compréhension assez révélatrice (sur le final du livre, délicat donc à citer), qui lève quelques interrogations et va me faciliter à l'avenir l'ensemble des écrits de l'auteur sur ce sujet (par exemple pour
"Un rameau de la nuit").
Ensuite les saltimbanques et les théâtres ambulants de village, voir
"L'enfant et la rivière".
Le sujet:
Un grand voyageur -Méjean, le narrateur- vient se reposer, à l'occasion, chez son ami Barnabé de Mégremut-Landolle. Affable, empli de bonhommie, de sagesse, de mesure, de tempérance, artisan expert en savoir-vivre domestique et en bonheur ménager, comme tous les Mégremut, il lit beaucoup et reçoit dans sa bibliothèque où trône un portrait qui attire l'oeil du narrateur. Il se passe vingt ans avant que Barnabé ne nomme le personnage représenté -Sylvius de Mégremut- et ne lui raconte son histoire. A ce moment-là, concrètement, le narrateur change, procédé somme toute pas si fréquent je crois chez
Bosco (?).
Sexagénaire, heureux, Sylvius est doté d'une bizarrerie -et une bizarrerie, chez un Mégremut, c'est déjà une anomalie- qui provient de la peur de manquer et de ne pas savoir de quoi demain sera fait, ce qui est inexplicable, puisque ça fait soixante ans que sa vie se déroule dans une belle linéarité, modeste mais heureuse sans frugalité.
Alors il constitue un formidable garde-manger, très disproportionné par rapport à sa consommation potentielle, et, par exigence qualitative autant que par méfiance envers ses fournisseurs, arpente les campagnes pour acquérir les meilleurs produits directement dans les fermes. Et ce par n'importe quelle saison ou temps, ce qui fait de lui, à l'aune des Mégremut, enracinés et casaniers, un grand voyageur, d'autant plus hors normes qu'il lui arrive de coucher dans les fermes et chaumières de rencontre, si le besoin s'en fait sentir.
Un jour, sans raison apparente, il traverse en plein hiver la lande des Hèves,
terra incognita de tout bon Mégremut, rencontre un cheval mort puis arrive à la ferme de Misé, qui connaît les propriétaires du cheval, et l'accompagne jusqu'au village suivant, Lobiers.
A Lobiers ils entrent dans une écurie où achève de se produire un duo de saltimbanques, et, pour Sylvius, c'est le coup de foudre.
Panique chez la tribu Mégremut, il disparait alors six mois, en laissant périr son fabuleux garde-manger, et surtout sans donner la moindre nouvelle.
De recherches en recherches, sollicitant les Mégremut de la ville et les Mégremut de la campagne, on finit par trouver sa trace, et un billet bref, précis et sobre (Mégremut, quoi) affirme qu'il sera le samedi à Amélières, une lieue au-delà de la lande des Hèves, et pas seul.
L'état-major Mégremut, avec à sa tête Philomène, constitue un convoi de pas moins de quatorze personnes pour le récupérer -oui, le récupérer: le Mégremut est grégaire et fusionnel, il en va de l'essence du clan. Le groupe arrive au village, et tombe sur lui alors qu'il joue divinement de la clarinette, à faire rendre l'âme à l'assistance entière; les Mégremut restent pour le spectacle, et un accord est conclu: il rentre et sera "restitué" aux saltimbanques dans six mois, à la Noël, et ainsi de suite...
Raconter plus loin serait trahir, l'issue m'a surpris, je ne m'y attendais pas.
Il y a, peut-être, une petite dose à la limite de l'ésotérisme, mais à peine suggéré, plutôt un mystère aimable.
On reste sur un accouplement rare de la tendresse et de la tragédie sur fond d'onirisme et de fugue, et cet assemblage d'apparence hétéroclite ne constitue pourtant pas, au final, un mariage de la carpe et du lapin mais un vrai beau livre simple.