Jean-Baptiste Del Amo

aériale a écrit:

Ce qui m'a fascinée en fait c'est cette transformation physique et mentale du jeune Grégoire. Del Amo nous décompose l'ascension sociale, et la chute vertigineuse de l'âme, de son personnage de façon très subtile. A tel point qu'on le suit dans ces méandres comme hynotisé, le jugement est presque superflu. Ce n'est d'ailleurs pas le but
Son but est sans doute de nous faire toucher du doigt ce qui peut rabaisser l'homme à cet état quasi bestial. La face noire cachée dans les viscères que Gaspard tente d'évacuer en se tailladant le ventre...

Tu en parles très bien et c'est effectivement avant tout le récit d'une mutation. Je parlais de "transfiguration" d'un corps dans ma présentation initiale pour lui donner une dimension quasi mystique.

J'en suis à un peu plus de la moitié, et je suis mitigé. Le fond de l'histoire m'a l'air pas mal - mais la fin me le dira -, les descriptions de choses sales sont très réussies dans l'ensemble ; par contre, lorsqu'on passe aux sentiments, c'est moins bon.
Je veux bien croire que le Paris du XVIIIème était encore plus sale que le Paris d'aujourd'hui, mais je trouve que l'auteur a une façon presque racoleuse d'appuyer sur ce point : on dirait qu'à chaque fois que Gaspard met le pied dans la rue il rencontre des filles aux seins semi-putréfiés, évite de justesse le contenu urino-fécal d'un pot d'aisance qu'on propulse depuis une fenêtre, et manque de se faire écraser par un carrosse. Il tombe dans le même défaut que Teulé, d'ailleurs : pour bien faire comprendre au lecteur qu'on est dans le XVIIIème (siècle, pas arrondissement), il multiplie les références aux objets et modes de cette époque, à tel point qu'on en trouve encore plus que dans un texte écrit à cette même époque, d'où une impression de visiter un musée. Suivez le guide messieurs dames.
Le style est parfois très pesant et malhabile, je pense notamment au mot "saturer" et à tous ses dérivés que l'on trouve un très grand nombre de fois, ainsi que l'expression "contre toute attente", "les relents", "les effluves", etc.
Parfois, dans le domaine des pensées, on a du mal à savoir de qui l'on parle (par exemple dans des phrases du genre "il ne voulait pas lui dire" on ne sait pas trop qui est "il" et qui est "lui").
Mais il y a aussi de très beaux passages. Je trouve donc ça irrégulier ; ça aurait gagné à être raccourci par endroits, un peu de minimalisme aurait aidé à donner de l'équilibre, à éviter ces petits culs-de-sac de narration intempestive.

Quand j'aurai tout lu j'en dirai encore quelque chose.

Merci pour vos réponses ! c'est qu'on en devient presque méfiant, vous parlez trop bien de ce que vous aimez

après vous avoir lus creusé encore un peu plus, je suis cependant bien incapable de vous dire où se situe mon impression... mais ça n'a pas grade importance.

et je déborde un petit peu du sujet... mmmh pas ici en fait !

animal a écrit:

Merci pour vos réponses ! c'est qu'on en devient presque méfiant, vous parlez trop bien de ce que vous aimez

après vous avoir lus creusé encore un peu plus, je suis cependant bien incapable de vous dire où se situe mon impression... mais ça n'a pas grade importance.

et je déborde un petit peu du sujet... mmmh pas ici en fait !

La question à te poser c'est: ai-je envie de lire l'histoire du jumeau bisexuel de Jean-Baptiste Grenouille dans un Paris mortifère. Si oui tu lis si non tant pis!

Personne n'a dit que c'était aussi une histoire d'amour inaboutie entre Gaspar et son initiateur. Il suit tout ce parcours pour lui plaire après une scène passionnelle qui n'est qu'une passade pour l'un et une révélation amoureuse pour l'autre. Et cette rencontre conditionne tout le reste. Gaspar n'est rien d'autre qu'un objet de désir et c'est son drame car il n'a aucune consistance en dehors de cela.

Marko a écrit:

La question à te poser c'est: ai-je envie de lire l'histoire du jumeau bisexuel de Jean-Baptiste Grenouille dans un Paris mortifère. Si oui tu lis si non tant pis!

Bisexuel? Je ne l'ai senti à aucun moment attiré de près ou de loin par les femmes!
Sa répulsion vient déjà du souvenir de sa mère, grosse matrone éleveuse de cochon et souillant dans la crasse (à quelques mots près)
Et avec Emma il n'a que des rapports affectifs. Les seuls d'ailleurs et leur lien est très touchant.
Mais lorsqu'il décrit les femmes c'est quelque chose (voir par exemple le post de Troglo plus haut)

Citation :

Gaspar n'est rien d'autre qu'un objet de désir et c'est son drame car il n'a aucune consistance en dehors de cela.

Tu as tout à fait raison. Ce garçon recherche désespérement l'ombre du compte de V et cela le conduira à son ascension/perte.
Mais il ne trouvera jamais la reconnaissance de soi au travers de l'autre. Et c'est là son drame.
Son personnage est surtout observateur, peu loquace et surtout passif (sauf dans sa passion pour V) mais cette passivité en est bouleversante malgré tout. Il est victime des autres, éperdu de reconnaissance...

Vous commencez vraiment à trop en dire : j'arrête de lire ce fil ! Je veux me garder des surprises moi.

aériale a écrit:

Marko a écrit:

La question à te poser c'est: ai-je envie de lire l'histoire du jumeau bisexuel de Jean-Baptiste Grenouille dans un Paris mortifère. Si oui tu lis si non tant pis!

Bisexuel? Je ne l'ai senti à aucun moment attiré de près ou de loin par les femmes!
Sa répulsion vient déjà du souvenir de sa mère, grosse matrone éleveuse de cochon et souillant dans la crasse (à quelques mots près)
Et avec Emma il n'a que des rapports affectifs. Les seuls d'ailleurs et leur lien est très touchant.
Mais lorsqu'il décrit les femmes c'est quelque chose (voir par exemple le post de Troglo plus haut)

Oui tu as raison. Son initiation c'est surtout de prendre conscience de la vraie nature de ses désirs.

Une chose est certaine, ce roman fait parler...Quatre pages ici pour ce seul ouvrage...et ce n'est pas fini!...J'y vois le signe de son intérêt...

Moi qui passe mon temps dans les catacombes peuplées des auteurs morts il y a des siècles, je suis habitué à lire une prose exceptionnelle écrite par des gens de lettres comme on n'en fait plus, des gens qui bien souvent connaissaient les langues mères que sont le grec et le latin : madame de la Fayette, St-Simon, Laclos, Tristan L'hermite, Marivaux, Montaigne, Molière, Sade, La Rochefoucauld, Pascal, Descartes, et même certains qui ne sont pas considérés comme des écrivains, comme Mme de Montpensier, Mme de Soissons, Mme de Motteville, ou d'autres plus récents comme Proust, Balzac, Stendhal, etc.
Je ne suis pas passéiste, en ce sens que je crois qu'il existe de nos jours des gens qui ont une maîtrise de la langue telle que je les admire sur ce point (M. Quignard par exemple), mais quand même, globalement, j'ai l'impression que le niveau baisse. Ce doit être lié à cette époque survoltée dans laquelle nous vivons, époque à laquelle il est difficile de prendre le temps de comprendre chaque mot et chaque femme que l'on couche sur le papier ou sur le canapé ; c'est pourquoi dès que j'aurai fini de lire ce livre, je me replongerai chez mes chinois du 17ème, dans le Jin Ping Mei.

troglodyte a écrit:

Moi qui passe mon temps dans les catacombes peuplées des auteurs morts il y a des siècles, je suis habitué à lire une prose exceptionnelle écrite par des gens de lettres comme on n'en fait plus, des gens qui bien souvent connaissaient les langues mères que sont le grec et le latin :

Et si tu tentais Henri Bosco?

Troglo, est-ce que tu veux dire que J.B. Del Amo ne saurait rejoindre le groupe d´auteur que tu cites? Moi aussi, je privilégie le style de l´écrivain, le plaçant même souvent au dessus de l´histoire ou du sujet choisi par l´ecrivain.
C´est pourquoi, je lisais hier (sur je ne sais plus quel fil), les commentaires que vous faisiez sur nos posts distinguant les commentaires d´opinions, ressentis, et ceux que composent la copie de fragments choisis du texte dont on parle.
Je souligne l´importance ( pour moi) de la lecture des ces fragments, d´autant plus qu´il m´est impossible d´aller feuilleter le livre en question dans une librairie, afin de determiner promptement quel est le style de l´auteur.

swallow a écrit:

Troglo, est-ce que tu veux dire que J.B. Del Amo ne saurait rejoindre le groupe d´auteur que tu cites? Moi aussi, je privilégie le style de l´écrivain, le plaçant même souvent au dessus de l´histoire ou du sujet choisi par l´ecrivain.

Moi aussi je me posais la question à propos de Troglo...
Mais si tu privilégies le style, ce livre est pour toi Swallow.

Que penser quand un roman débute par ces lignes?

Citation :

Paris, nombril crasseux et puant de France. Le soleil, suspendu au ciel comme un oeil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sécheresse suffocante. Cette fièvre fondait sur Paris, cire épaisse, brûlante, transformait les taudis des soupentes en enfers, coulait dans l'étroitesse des ruelles, saturait de son suc chaque veine et chaque artère, asséchait les fontaines, stagnait dans l'air tremblotant des cours nauséabondes, la désertion des places

Et je pourrais te recopier tout le livre, chaque passage est une merveille d'écriture.
Del Amo se permet beaucoup, parce que les mots qu'il emploie et le style qui porte l'ensemble sont à couper le souffle et lui donnent cette distance. Ce sont les marques du talent!

Je dis qu'il y a des passages exceptionnels, comme par exemple ce début qu'a recopié Aériale, ou bien celui de la tête de nourrisson qui flotte sur la Seine, mais aussi d'autres très mauvais ; je n'ai pas le temps tout de suite de donner des exemples, mais je le ferai. Il a du talent, de la verve, il est capable de me surprendre, mais parfois on dirait que c'est bâclé, à peine relu, très platement composé ; laissez-moi enfin finir ce livre, et j'illustrerai mon propos.

troglodyte a écrit:

il est capable de me surprendre, mais parfois on dirait que c'est bâclé, à peine relu, très platement composé ;.

Impitoyable le Troglo!

Citation :

Impitoyable le Troglo!

Justement, dans la mesure où Troglo ne fait de cadeaux à personne , je suis ses appreciations avec interêt.