Jean-Baptiste Del Amo

J'ai fini de le lire. En mettant de côté les maladresses d'expression et les petits flottements scénaristiques que l'on trouve par endroits, la psychologie de ce personnage principal que l'on suit du début à la fin est très bien étudiée.
Les petits flashbacks dispensés au compte-gouttes tombent au bon moment, et plus on avance plus ils s'imbriquent dans le présent, rapprochant sans cesse le lecteur du personnage. L'auteur parvient à donner au lecteur équilibré que je suis - du moins je l'espère - une compréhension claire et forte d'une personne qui s'auto-détruit.
C'est le cas apparemment absurde de quelqu'un qui à la fois s'élève dans la société et s'enfonce dans le morbide.

S'il y avait davantage de concision, disons cent pages de moins, on aurait probablement gagné en force. Ce n'est pas parce que l'on multiplie les expositions de choses fortes et sales que l'on parvient à donner la nausée au lecteur, qui s'habitue à tout. C'est par le contraste que l'on parvient à le secouer vraiment. Le début est fort parce que l'on ne sait dans quoi l'on met les pieds, on est surpris. La fin est forte également parce que l'on a tous les éléments permettant de s'identifier au personnage et de bien le comprendre. La partie comprise entre ce début et cette fin est souvent, malheureusement, trop lâche. C'est comme un panini avec deux croûtes de pain bien denses enserrant une garniture trop volumineuse : ça coule sur les doigts quand on mord.

Pour illustrer mon propos en gardant cette image du panini, je vous donne des extraits : un bon , pas mal de pas terribles, puis un autre bon pour finir. Je met ça en italique, et en gras pour les bons passages.


Les arbres désignaient le ciel dans un manteau de givre. Parfois, lors d'une éclaircie, leurs branches scintillaient, serties de diamants, et cette beauté inattendue dans la laideur de la ville laissait quelque marcheur en extase jusqu'à ce que l'avarice du ciel calfeutrât le rayon qui, un instant, en balayait les branches [...]

Il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait là d'un signe, sinon de la Providence, au moins du hasard.

Chaque minute s'étirait à l'infini, chaque seconde se figeait d'immobilisme.

Lorsqu'il fut tout à fait lavé et habillé, il n'eut donc aucun mal à conclure que ses craintes ne devaient exister que dans l'univers des rêves où sont abolies les lois de la nature humaine.

L'établissement consistait en une salle encombrée de tables massives.

Un malaise enserra son torse et le força à respirer avec gêne.

Il décida avec conviction d'investir ses dernières économies dans un repas.

Personne ne pouvait éprouver pour Gaspard le plus insignifiant des respects.

"Allons, dit-elle, viens, j'ai une piaule." Le mot piaule date du XIXème siècle.

[...] Gaspard savait qu'ils étaient réunis autour d'un bien-être rare.

"[...] Les ennuis qui se passent ailleurs apparaissent pour du folklore, nous divertissent, et l'on oublie ceux qui nous concernent !" Le mot folklore est de 1885.

L'hôtel devant lequel stoppa le fiacre le fit tressaillir de satisfaction.

D'avance, il savait ces soirées sans surprise, succession de gestes usités, que répétait le vieillard avec fièvre, et reçus par Gaspard avec un harassement émétique. Chaque mot, chaque caresse exacerbait sa sensibilité, portait à la surface de son épiderme un frisson d'exécration. Cette manière qu'il avait, après l'amour, de poser son crâne sur son torse, de sorte que Gaspard pût observer la constellation de cet oeuf sébacé qu'on eût cru pondu de frais par une caille monstrueuse, la multitude des taches de mélanine, puis de poser les cals de ses doigts sur son ventre lisse et de dire : "Ah que c'était bon ! Ah comme je t'aime !"

troglodyte a écrit:

Les arbres désignaient le ciel dans un manteau de givre. Parfois, lors d'une éclaircie, leurs branches scintillaient, serties de diamants, et cette beauté inattendue dans la laideur de la ville laissait quelque marcheur en extase jusqu'à ce que l'avarice du ciel calfeutrât le rayon qui, un instant, en balayait les branches [...]

Très beau ce passage...

troglodyte a écrit:

Lorsqu'il fut tout à fait lavé et habillé, il n'eut donc aucun mal à conclure que ses craintes ne devaient exister que dans l'univers des rêves où sont abolies les lois de la nature humaine.

Elle ne te plait pas celle-ci ? pourquoi? Dans mons souvenir tout ce passage est pas mal...

J'aime bien tes commentaires Troglo, j'ai l'impression que tout en ayant apprécié ce livre, tu n'hésites pas à en dénoncer ses défauts et ça, ça me plaît !
Mais dans l'ensemble, on dirait que vous êtes tous plus ou moins d'accord sur sa valeur littéraire, ce qui fait plaisir, je trouve qu'en ce moment, on ne fait plus assez attention au style alors que c'est tout de même ce qui fait la valeur d'un roman pour une bonne part, enfin, d'après moi.

Marko a écrit:

troglodyte a écrit:

Lorsqu'il fut tout à fait lavé et habillé, il n'eut donc aucun mal à conclure que ses craintes ne devaient exister que dans l'univers des rêves où sont abolies les lois de la nature humaine.

Elle ne te plait pas celle-ci ? pourquoi? Dans mons souvenir tout ce passage est pas mal...

Dans les rêves, on peut avoir peur, désirer, se sentir libéré ou opprimé, je ne pense donc pas qu'il soit correct de dire que les lois de la nature humaine y sont abolies.

Epi a écrit:

Mais dans l'ensemble, on dirait que vous êtes tous plus ou moins d'accord sur sa valeur littéraire, ce qui fait plaisir, je trouve qu'en ce moment, on ne fait plus assez attention au style alors que c'est tout de même ce qui fait la valeur d'un roman pour une bonne part, enfin, d'après moi.

Pour ce roman je dois dire c'est surtout cela qui m'a attiré - j'étais curieuse mais pas décidée de le lire tout de suite. Marko et surtout Aériale m'ont amené à l'acheter - et je crois dès les premières lignes j'était 'perdue' tellement cette écriture est

Je crois que je vais attendre avant de le lire, j'avoue que je me méfie terriblement lorsqu'on ne lit que du positif sur un livre; et très souvent dans ces cas, quelques mois apèrs apparaîssent des commentaires moins enthousiastes voire négatifs.
Si c'est vraiment un très bon livre, il sera encore meilleur d'avoir attendu

Arabella a écrit:

Je crois que je vais attendre avant de le lire, j'avoue que je me méfie terriblement lorsqu'on ne lit que du positif sur un livre; et très souvent dans ces cas, quelques mois apèrs apparaîssent des commentaires moins enthousiastes voire négatifs.
Si c'est vraiment un très bon livre, il sera encore meilleur d'avoir attendu

Arabella...La toujours sage...

coline a écrit:

Arabella...La toujours sage...

Trop sage tu veux dire ?

Ehé les premiers cadeaux arrivent !
Et ouioui le Hasard fait bien les choses parfois.
Alors, voilà, j'ai le Del Amo dans ma PAL ! Yark.

(MerciMerci à qui de droit)

Bonjour à tous,

J'ai été invité par Marko à lire vos messages et vos critiques sur Une éducation libertine. Je me réjouis de voir que le roman suscite le débat et je suis particulièrement touché par certaines de vos approches du texte. Il me semble qu'un roman ne doit pas chercher à être consensuel ni viser une universalité. Il doit venir déranger nos certitudes. Je lisais hier la préface de Pauvert à un roman particulièrement transgressif et il écrivait ceci :

"Le lecteur ressortira durablement troublé de cette exploration vertigineuse. Pour les autres, n'hésitons pas à leur conseiller de détourner pudiquement le regard. Une fois de plus, répétons que nous les comprenons ; les lectures consolantes ont aussi le droit de cité (elles en usent d'ailleurs sans modération). Mais il y a les autres. Que nous devons défendre aussi. Sade déjà disait : "Je ne suis pas consolant, moi, je suis vrai.""

J'ignore si j'y suis parvenu, et je ne crois pas à la dimension transgressive de mon texte. Mais ce souci de véracité est ce vers quoi j'ai voulu tendre. Si Gaspard continue d'accompagner certains d'entre vous, s'il a tendu à d'autres un miroir, si - un instant - nous pouvons nous dire je comprends son animalité, je la porte aussi en moi et, peut-être aurais-je agi comme lui alors, la rencontre entre le texte et son lecteur a eu lieu.

Je vous souhaite de belles lectures et de bonnes fêtes de fin d'année.

Bien à vous,

Jean-Baptiste

Jean-Baptiste a écrit:

"Le lecteur ressortira durablement troublé de cette exploration vertigineuse. Pour les autres, n'hésitons pas à leur conseiller de détourner pudiquement le regard. Une fois de plus, répétons que nous les comprenons ; les lectures consolantes ont aussi le droit de cité (elles en usent d'ailleurs sans modération). Mais il y a les autres. Que nous devons défendre aussi. Sade déjà disait : "Je ne suis pas consolant, moi, je suis vrai.""

J'ignore si j'y suis parvenu, et je ne crois pas à la dimension transgressive de mon texte.
Bien à vous,

Jean-Baptiste

Merci beaucoup Jean-Baptiste d'avoir pris le temps de venir nous rejoindre. Ce fil y trouve une justification supplémentaire.

oui.. contente de votre passage chez les Parfumés

Jean Baptiste, nous sommes très honorés de ce passage sur Parfum de Livres...
"Petite nature" bien encouragée par Marko,il faut le dire...puis Aériale et Kenavo, je m'étais lancée dans la lecture de "Une éducation libertine"...
Et si je fais partie de ceux qui ont abandonnés (provisoirement je crois, et non définitivement), je profite de l'occasion pour dire que votre roman , s'il peut déranger, ne laisse pas indifférent...Il est donc "remarquable"...
et suscite la discussion, vous l'avez vu, chez "les Parfumés" comme partout...
Nous nous accordons tous à souligner la beauté et la rigueur de votre écriture (sa richesse lexicale) et l'originalité puissante de l'univers que vous décrivez...
Un bravo et un merci sincères d'une qui recula...

Jean-Baptiste a écrit:

J'ignore si j'y suis parvenu, et je ne crois pas à la dimension transgressive de mon texte. Mais ce souci de véracité est ce vers quoi j'ai voulu tendre. Si Gaspard continue d'accompagner certains d'entre vous, s'il a tendu à d'autres un miroir, si - un instant - nous pouvons nous dire je comprends son animalité, je la porte aussi en moi et, peut-être aurais-je agi comme lui alors, la rencontre entre le texte et son lecteur a eu lieu.

Cher Jean baptiste, je peux vous rassurer sur un point, votre roman porte les traces devant lesquelles tout lecteur se doit le respect: Parce qu'il est vrai et touche par là à l'universel.
J'ai suivi Gaspard jusqu'aux plus vils bas-fonds de l'âme, et je l'ai aimé jusqu'au bout, ne cherchant pas à le juger. Car Gaspard ne se ment jamais, reste toujours lucide, jusqu'à s'en flageller le corps, et cette quête de l'âme -quelqu'elle soit- en est profondément poignante.

Je vous suis reconnaissante d'avoir osé gratter derrère le vernis, emprunté ces chemins parfois scabreux qui bordent les routes de la bonne conscience, pour tenter d'approcher ce qui reste invisible aux yeux des autres. Votre roman m'a marquée par son authenticité, sa générosité et je dirais même... sa fraîcheur!
Je regrette qu'une chose: ne pas avoir pu vous le dire de vive voix, suite à votre entretien à la Fnac de Nice où vous étiez venu pour le "Goncourt des lycées", n'ayant pas encore eu le temps de vous lire.

Encore bravo et surtout merci d'avoir pris le temps de venir nous parler...

... Le problème reste qu'après Une éducation libertine, j'ai du mal à accrocher à une autre lecture, tant celle-ci était forte!