- Burlybunch a écrit:
- Voilà, place est prise pour le 19 prochain. J'ai hâte!
A signaler le cours public animé par Yannic Mancel - Conseiller artistique et littéraire au Théâtre du Nord
Assisté et à la présentation (édifiante) de Yannic Mancel, et à la représentation, très enthousiasmante. Et ce qu'il ressort de l'une comme de l'autre:
Une composition de personnages éblouissante, chacun presque au même niveau d'importance dramatique, Gregers, illuminé presque mystique avec sa créance idéale, Hjalmar et Gina, le "malade" aveuglé (nécessairement?) et l'enfant qui perd la vue, la paire Relling/Molvik (qui m'a le plus convaincu), le second délicieusement grotesque dans son costume de "démoniaque" et d'éternel candidat
et puis le couple Werle/Sørby qui ironiquement finiront par s'unir dans la vérité la plus saine.
Aucun rôle pauvre, chacun au tour de rôle et au fil des scènes au premier plan.
Au fond, l'action dramatique se réduit à peu et l'issue ne peut plus dévier dès lors qu'après un quart d'heure, un pistolet (chargé) apparaît sur scène. L'interêt principal dans la construction et la psychologie, d'autant plus à savourer lorsqu'on bénéficie d'un recul sur la pièce/l'auteur.
Ekdahl faux et manipulé jusqu'au bout. Son couple, arrangé par le père Werle (je n'entends pas que le couple est faux), de même que son métier de photographe, prétentions artistiques/scientifiques alors que toute l'affaire repose sur Gina/Hedvig (femmes au centre, de même que Mme Sorby, et ses lubies hygiénistes, qui interdit aux hommes de fumer à l'intérieur. Rappelons qu'on n'est pas encore entré dans le XX°). Equilibre financier dont il se vante, jusqu'à ce qu'il apprenne que c'est encore à Werle qu'il le doit. Et puis cette "invention" absurde à laquelle il "travaille" toute la journée sous la prescription du Docteur Relling, pour redorer la dignité de son père, pour assurer à sa fille un avenir. Mais Ekdahl est heureux.
Avant d'être éclairé
-et anéanti.
Mais a-t-il la grandeur morale suffisante pour passer outre?
Gregers en est convaincu. La vérité rend cet anéantissement juste et le bonheur (potentiel) fondé sur ces nouvelles bases vrai. Son intervention est nécessaire et il voit là sa "mission". Permettre aux Ekdahl - père et fils - de s'élever/se relever, d'autant que c'est son propre père qui par sa lâcheté a construit ce mur de fausseté.
Relling lui ne croit pas pas une seconde à la valeur particulière de Hjalmar Ekdahl. Au fond, Ekdahl est aussi une source d'aveuglement, qui a toujours su persuader ses pairs qu'il était quelqu'un, et arriverait à quelque chose. Sauvé tant qu'il se ment également à lui-même.
Jusqu'à un certain point, Ekdahl est d'ailleurs le dernier à oeuvrer activement pour son bonheur/diriger sa vie. On a évoqué Gregers/Relling, également Werle qui se rachète en lui assurant la prospérité économique et une place dans la société, et sa femme qui prend sur ses seules épaules le commerce pour lui laisser le temps d'avancer dans ses recherches scientifiques.
Je n'ai pas parlé d'Hedvig ni du vieil Ekdahl, et à vrai dire ces personnages m'inspirent peu, sinon pour remarquer le cas remarquable du grand-père qui a construit lui-même son "mensonge vital" avec ce grenier merveilleux où il peut chasser et porter son costume militaire. Et puis cette conclusion remarquable:
"C'est la forêt qui se venge!"
qui donne en quelque sorte réponse au mysticisme de Gregers.
Hedvig, elle, finit par symboliser l'obstacle entre Hjalmar et Gina, ce que cette dernière fait assez terriblement remarquer à son mari après que Hedvig se soit tuée.
Ni du canard, secret et source de fierté que partagent surtout Hedvig et Ekdahl (grand-)père. Atrophié et qui ne demeure à la surface que parce qu'il est entrenu par les autres, contre sa nature. Dans un sens, Hedvig veille à le maintenir au "fond des eaux", puisque c'est là qu'il devait finir. Libre à chacun d'interpréter ça.
Un avis global pour finir. La pièce est très riche, par les rôles qu'elle offre, et par son ouverture: un peu naturaliste, un peu symboliste, un peu tragique, un peu comique. La mise en scène a le mérite d'exploiter et d'appuyer la veine comique suggérée par Ibsen, notament par le biais de Molvik. Question d'actualisation, et un moyen de réunir le public en évacuant la tension et la pesanteur que le propos peut installer. Une nuance sur les rôles d'Hedvig et de Gregers, à certains moments surjoués. Mais ça n'enlève le plaisir d'avoir pu assister à cette mise-en-scène, sans grand défaut. J'avais déjà beaucoup apprécié la pièce sur papier, en passant d'ailleurs à côté de quelques élements importants. Presque besoin de la relire, maintenant.